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jeudi 5 décembre 2024

Marcel Proust : Albertine disparue


Albertine disparue est l’avant-dernier volume de La recherche du temps perdu. Il est divisé en quatre livres qui portent respectivement les titres suivants :

I ) Le chagrin et l’oubli qui raconte le départ d’Albertine, sa mort et la douleur de Marcel, sa jalousie et bientôt l’oubli.

II ) Mademoiselle de Forcheville : Marcel rencontre Gilberte après le remariage d’Odette avec monsieur de Forcheville. Ce dernier, en épousant la mère, a adopté la jeune fille et lui a donné son nom et son titre. Elle est désormais Mademoiselle de Forcheville et est reçue dans les plus grands salons, ceci d’autant plus qu’elle est à la tête d’une grande fortune. Il est de mauvais ton, désormais, d’évoquer Swann. Gilberte devenue snob essaie de faire oublier qu’elle est sa fille. Pauvre Swann, lui qui l’aimait tant !

III) Séjour à Venise : Marcel part à Venise avec sa mère. La description de Venise est bien rapide, ce qui m’a déçue. Marcel préfère évoquer  sa rencontre avec Monsieur de Norpois et madame de Villeparisis. Je m’attendais, lui qui parle si bien de l’art, à rencontrer Carpaccio, Bellini ou le Titien en sa compagnie, mais rien ! Bien décevant ! Même adulte, il se comporte avec sa mère comme un galopin mal élevé et trop gâté. Il boude et refuse de prendre le train pour rentrer en France parce qu’il  veut prolonger son séjour à Venise pour se lier avec une jeune vénitienne qu’il verrait bien prendre la place d’Albertine. Le personnage de Marcel est décidément bien antipathique.

IV) Nouvel aspect de Robert de Saint Loup : Où l’on apprend que Saint Loup, désormais marié à avec Gilberte, délaisse son épouse et lui préfère les hommes. Son homosexualité s’accompagne de mensonge : il feint d’aimer passionnément les femmes pour ne pas avoir d’ennui avec la société, trompe Gilberte tout en profitant de sa fortune, et Marcel constate la fin de leur amitié.

Les liens entre un être et nous n’existent que dans notre pensée.(…)  Nous existons seuls. L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et, en disant le contraire, ment.


L’amour chez Marcel Proust : Le chagrin et l’oubli

 

La cristallisation

Le chagrin et l'oubli, ce titre résume bien ce qu'est l'amour pour Proust. 


Dès lors qu’Albertine l’a quitté, Marcel se rend compte qu’il ne peut pas vivre sans elle et cherche à la reconquérir.
"Mademoiselle Albertine est partie ! Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! Il y a un instant, en train de m’analyser, j’avais cru que cette séparation sans s’être revus était justement ce que je désirais, et comparant la médiocrité des plaisirs que me donnait Albertine à la richesse des désirs qu’elle me privait de réaliser, je m’étais trouvé subtil, j’avais conclu que je ne voulais plus la voir, que je ne l’aimais plus. Mais ces mots : « Mademoiselle Albertine est partie » venaient de produire dans mon cœur une souffrance telle que je ne pourrais pas y résister plus longtemps. Ainsi ce que j’avais cru n’être rien pour moi, c’était tout simplement toute ma vie."

Marcel envoie son ami Saint Loup chez la tante d’Albertine en Touraine, madame Bontemps, pour faire revenir la jeune fille à Paris. Mais il apprend bientôt qu’Albertine est morte, victime d’un accident de cheval. Marcel ne doute plus de son amour et sa souffrance est intense et ceci d’autant plus qu’ayant Albertine perpétuellement avec lui, chez lui, il y avait eu « la force immense de l’habitude » pour expliquer son attachement. Il est pourtant conscient que le temps finira non seulement par apaiser la douleur mais aussi par la lui faire oublier car pour lui «… aimer est un mauvais sort comme ceux qu’il y a dans les contes contre quoi on ne peut rien jusqu’à ce que l’enchantement ait cessé. »

Et c’est sans doute ce que veut signifier Shakespeare dans Le songe d’une nuit d’été quand la reine des fées Titania, envoûtée par le sortilège d’Obéron, pare Bottom affublé d’une tête d’âne de toutes les qualités au grand étonnement de ses suivantes.

 

John Anster Fitzgerald : Titania et Bottom

En effet, qu’est-ce que l’amour pour Marcel ?  Si ce n’est l’illusion que l’on projette sur une personne indépendamment de ce qu’elle est réellement : « mon amour était moins un amour pour elle qu’un amour en moi ».  Je suppose que Proust a été influencé par la théorie de la cristallisation de Stendhal ? un écrivain dont il parle fréquemment. 


Stendhal écrit :

“La première cristallisation commence. On se plaît à orner de mille perfections une femme de l’amour de laquelle on est sûr ; on se détaille tout son bonheur avec une complaisance infinie. Cela se réduit à s’exagérer une propriété superbe, qui vient de nous tomber du ciel, que l’on ne connaît pas, et de la possession de laquelle on est assuré. Laissez travailler la tête d’un amant pendant vingt-quatre heures, et voici ce que vous trouverez. Aux mines de sel de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau d’arbre effeuillé par l’hiver ; deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes : les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la patte d’une mésange, sont garnies d’une infinité de diamants mobiles et éblouissants ; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. Ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections.”

La théorie de la cristallisation de Stendhal me paraît très nettement évoquée dans le passage où Marcel confie une photo d’Albertine à Saint Loup qui s’attend à voir une beauté et où celui-ci, stupéfait, s'écrie : « c’est ça la jeune fille que tu aimes? ». Saint Loup ne peut mettre dans cette image d'Albertine, tout le vécu du jeune homme, il ne peut ajouter aux sensations visuelles, toutes les" sensations de saveur, d'odeur, de toucher", ni tous les moments heureux ou au contraire toutes les souffrances qu'il a éprouvées. Et il conclut : "Bref Albertine n’était, comme une pierre autour de laquelle il a neigé, que le centre générateur d’une immense construction qui passait par le plan de mon cœur."
Or, cette cristallisation ne peut durer : « Comme il y a une géométrie dans l’espace, il y a une psychologie dans le temps, où les calculs d’une psychologie plane ne seraient plus exacts parce qu’on n’y tiendrait pas compte du temps et d’une des formes qu’il revêt, l’oubli ; l’oubli dont je commençais à sentir la force et qui est un si puissant instrument d’adaptation à la réalité parce qu’il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle. »
Marcel  comprend qu’il n’aime plus Albertine, tout comme il l’avait fait pour Gilberte.

Finalement c’est une vision bien pessimiste de l’humanité que donne Marcel Proust :  « C’est le malheur des êtres de n’être pour nous que des planches de collections fort usables dans notre pensée. Justement à cause de cela on fonde sur eux des projets qui ont l’ardeur de la pensée ; mais la pensée se fatigue, le souvenir se détruit, le jour viendrait où je donnerais volontiers à la première venue la chambre d’Albertine, comme j’avais sans aucun chagrin donné à Albertine la bille d’agate ou d’autres présents de Gilberte. »


 Le roman du mensonge

 

Albertine disparue

Dans La prisonnière Miriam qui lit avec moi La Recherche, intitulait un de ses billets (ICI) Emprise, jalousie et mensonge.  Et en effet, les deux personnages ne sont jamais sincères et ne cessent de mentir. Albertine ment sur sa vie passée, puis elle revient sur ses mensonges pour les désavouer : Ainsi elle dit qu’elle a été élevée par l'amie de mademoiselle Vinteuil, puis elle avoue que ce n’est pas vrai. Mais quel est le moment où elle dit la vérité ? Que croire ? Il n’y a jamais une réponse certaine et le lecteur ne peut être sûr de posséder la vérité. Marcel ment à Albertine pour la dominer et la manipuler, il ment à ses amis en leur cachant la présence de la jeune fille chez lui. La recherche du temps perdu est aussi le roman du mensonge... entre autres.
Et l’on a vu aussi le mensonge social, Charlus ment sur sa préférence sexuelle et mime la virilité d'une manière ridicule. Tous les personnages jouent un rôle, feignent des sentiments qui n’existent pas, la duchesse de Guermantes dans sa robe rouge face à la mort annoncée de Swann, les Verdurin uniquement préoccupés de la réussite de leur soirée quand on leur annonce le décès d’un ami …

 Même la mort d’Albertine, n’arrête pas Marcel dans sa quête investigatoire dans Albertine disparue : Albertine est-elle homosexuelle ?  Albertine l’a-t-elle trompé ? et avec qui ? et quand ?
Il veut savoir la vérité. Or, c’est Andrée, « la meilleure amie » qui va peu à peu livrer les secrets d’Albertine et nous apprenons de sa bouche que, en effet, Albertine a eu des des relations avec des femmes et cela, déjà, à Balbec, mais aussi à Paris quand elle sortait accompagnée. Elle mentait et trahissait donc Marcel puisqu’elle l’assurait de son affection et de sa fidélité. Mais nous dit Andrée, ce qui est grave, c’est qu’elle s’était acoquinée avec le méprisable Morel qui lui livrait des jeunes filles du peuple avec qui elle avait une relation sexuelle.

Elle avait rencontré chez Mme Verdurin un joli garçon, Morel. Tout de suite ils s’étaient compris. Il se chargeait, ayant d’elle la permission d’y prendre aussi son plaisir, car il aimait les petites novices, de lui en procurer. Sitôt qu’il les avait mises sur le mauvais chemin, il les laissait. Il se chargeait ainsi de plaire à de petites pêcheuses d’une plage éloignée, à de petites blanchisseuses, qui s’amourachaient d’un garçon mais n’eussent pas répondu aux avances d’une jeune fille. Aussitôt que la petite était bien sous sa domination, il la faisait venir dans un endroit tout à fait sûr, où il la livrait à Albertine. Par peur de perdre Morel, qui s’y mêlait du reste, la petite obéissait toujours, et d’ailleurs elle le perdait tout de même, car, par peur des conséquences et aussi parce qu’une ou deux fois lui suffisaient, il filait en laissant une fausse adresse.

Ces dernières précisions chargent le portrait de la jeune fille ! Et vlan ! Voilà le seul personnage sympathique de la Recherche en dehors de la grand-mère et de la mère de Marcel,  cataloguée non seulement comme sournoise et infidèle à celui qu'elle paraissait aimer mais recevant, de plus, les services douteux d’un entremetteur, l’infâme Morel ! Une Albertine machiavélique dont les rapports avec Marcel n’auraient eu pour but que de se faire épouser ! Ce n’est pas du tout comme cela que je la voyais.
Oui… Mais faut-il croire Andrée ? Ou s’arrête la vérité, ou commence la médisance ? Rappelons-nous que tous les personnages de La Recherche mentent ! Et on le sait, Marcel nous le rappelle, Andrée, est une femme orgueilleuse, envieuse, se répandant souvent en propos diffamatoires lors de ses crises de rage ! Et Aimé ? On pourrait-on en dire autant de lui lorsque que Marcel l'envoie aussi espionner ?  Il pourrait  mentir pour mériter sa commission !  Finalement le lecteur me semble libre de croire de qu’il veut.


Les enfants du peuple : des victimes

Fernand Pelez: le petit marchand de citron

 

Je n’ai jamais lu aucune étude au sujet des enfants victimes de la riche société dans A la recherche du temps perdu pourtant il est fait maintes fois allusion à des enfants ou des adolescents qui servent  à assouvir les désirs sexuels de ces messieurs de « la haute » et qui se livrent à la prostitution !  En particulier on précise que le Baron Charlus a beaucoup de petits « protégés » mais qu’il fait très attention de rester platonique quand il s’agit de fils de la haute société. Jusqu’à Albertine disparue, je ne savais pas ce que Marcel en pensait. Il expliquait sans paraître porter un jugement.  

Et voilà que dans ce volume, à la suite d’une scène étrange, il nous le précise :

Marcel est si triste du départ d'Albertine, qu’une fois, en descendant de chez lui, il trouve devant sa porte une fillette pauvre. Il la fait monter chez lui, l’assoit sur ses genoux et la berce tendrement, cherchant à se consoler de son affliction par cette chaleur humaine. Quand elle part, il lui donne cinq cents francs. Il n’y a pas de connotation sexuelle dans cette scène même si, aux yeux du lecteur contemporain, elle peut paraître douteuse. Et pas seulement du lecteur contemporain mais aussi aux yeux des parents qui portent plainte ! Marcel est convoqué au commissariat.  Les parents lui rendent son argent en s’indignant. Lui, ne veut pas le reprendre disant qu’il n’a pas rien fait de mal. Ni les parents, ni le chef de la Sûreté ne croient en sa version. « De mon innocence dans le fait il ne fut même pas question, car c’est la seule hypothèse que personne ne voulut admettre un instant. »
 Marcel s’en tire « avec un savon extrêmement violent » tant que les parents sont là : "Mais dès qu’ils furent partis, le chef de la Sûreté, qui aimait les petites filles, changea de ton et me réprimanda comme un compère : « Une autre fois, il faut être plus adroit. Dame, on ne fait pas des levages aussi brusquement que ça, ou ça rate. D’ailleurs vous trouverez partout des petites filles mieux que celle-là et pour bien moins cher.  La somme était follement exagérée. "

La honte qu’éprouve Marcel est violente  :

Dès lors il me serait à jamais impossible de faire venir une petite fille dans mes chagrins pour me consoler, sans risquer d’avoir la honte devant elle qu’un inspecteur surgît et qu’elle me prît pour un malfaiteur. Et du même coup je compris combien on vit plus pour certains rêves qu’on ne croit, car cette impossibilité de bercer jamais une petite fille me parut ôter à la vie toute valeur, mais de plus je compris combien il est compréhensible que les gens aisément refusent la fortune et risquent la mort, alors qu’on se figure que l’intérêt et la peur de mourir mènent le monde. Car si j’avais pensé que même une petite fille inconnue pût avoir, par l’arrivée d’un homme de la police, une idée honteuse de moi, combien j’aurais mieux aimé me tuer. »

Plus tard, il apprend, quand il est est question de l’homosexualité de Saint Loup, que ce dernier a agressé  un jeune liftier dans l’ascenseur du Grand Hôtel de Balbec et que les Guermantes ont eu bien du mal à  faire taire les parents du jeune garçon. Selon que vous serez puissant ou misérable…

 


dimanche 28 juillet 2024

Festival d'Avignon 2024 : Mes spectacles


Où est l'heureux temps où j'étais capable, comme Eimelle, d'aller voir près de 40 pièces du festival d'Avignon puis de rentrer chez moi pour écrire un billet sur chacune d'entre elles ? Là, je crie grâce ! J'ai écrit précédemment sur les pièces que j'ai préférées et je fais une récapitulation ici,  juste pour mémoire, des 28 spectacles auxquels j'ai assisté en comptant ceux destinés aux enfants (pour mon petit-fils de 3 ans).

DIMANCHE 30 JUILLET


Les trois Molière au vieux balancier 18H durée 1H10

LUNDI 1ER JUILLET


L’os à moelle  Le petit Chien LUNDI 1ER JUILLET 16H   (voir billet)


MARDI 2 JUILLET

Un mari idéal Oscar Wilde 14H30 durée 70 min sortie à 15H40 Notre-Dame


An irish story     18H20  La Scala de Provence (voir billet)


MERCREDI 3 JUILLET



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Montaigne par Hervé Briaux Mercredi 3 juillet 12H30   durée 1H
Intéressant, bien sûr ! C'est Montaigne qui nous parle du haut de sa librairie et on ne peut qu'apprécier les thèmes qu'il développe, sa modernité.

JEUDI 4 JUILLET

Agathe royal 15H05 Les Gémeaux  Durée  1H25

Les femmes savantes Alya 18H15 1H30 Espace Alya ( voir billet)

VENDREDI 5 JUILLET

Le bourgeois gentilhomme Le chêne noir 12H  durée 1H30 (voir billet)

Visites à Mr Green 20H (  Les Gémeaux )


DIMANCHE 7 JUILLET

Le menteur de Corneille 11H45 durée 1H30 Girasole   (voir billet)

 Les femmes savantes  Molière 18H15  AYLA (voir billet)

LUNDI 8 JUILLET



 

 

 

 

 

 

 

Cyrano de Bergerac   10 H chien qui fume mise en scène de JP Daguerre compagnie le Grenier de Babouchka. Mise en scène enlevée,  bien pour l'interprétation.

 

MARDI 9 JUILLET

Moman  Grumberg    10H15 la scala  (voir billet)

Le Cid  Corneille19H15 le chêne noir+ durée 1H30 (voir billet)


MERCREDI 10 JUILLET

Romeo et Juliette Shakespeare 14H durée 1H15    Espace roseau teinturiers    

Boris Vian    21H15  La Scala de Provence (voir billet)


JEUDI  11 JUILLET








 

 

 

 

 

 

 

Le secret des secrets de Benoit Soles durée 1H25 Actuel Théâtre 15H50 

 Présentation par la compagnie

Jason Gray, le fils du conservateur de la British Library, vient d’enterrer son père. De retour au « Dernier Mot », le café de la bibliothèque, il retrouve Susan, sa petite amie archiviste et Billy, un jeune comédien paraplégique. C’est alors que Megan, une étudiante en histoire, vient lui remettre une enveloppe… de la part du défunt. Testament, ou dernier message ? Non, juste un code : 1036.a.38 ! Ainsi débute leur quête, une véritable chasse au trésor, à travers livres et parchemins, de Londres à Moscou et du XVIIe siècle à nos jours. Alors, découvriront-ils le Secret des secrets ?
Une pièce basée sur une histoire vraie.

Distribution
 
Texte et mise en scène Benoit Solès
Basée sur les recherches académiques de Megan Piorko, phd.
Interprétation Mathilde Moulinat, Montaine Fregeai, Axel Godard, Gabriel Gozlan
Décor Juliette Azzopardi et Jean-Benoit Thibaud Vidéos Mathias Delfau Lumière Denis Schlepp Musique Romain Trouillet Costumes Nathalie Bérard-Benoin Assistante mise en scène Sophie Nicollas   Collaboration artistique Gilbert Pascal Chorégraphe Philippe Jamet Stagiaire Eléa Collet
 

C'est une  pièce que ma petite fille a aimé parce qu'il s'agit de jeunes gens, parce que l'histoire lui a plu. De beaux décors, des projections lumineuses pour voyager dans le temps et l'espace.

VENDREDI 12 JUILLET

Le malade imaginaire en la majeur 11H 55 durée 1H20  Conditions des soies (pièce vue l’année dernière et revue pour ma petite-fille)

Le Misanthrope Thomas Le Douarec, écrit par Molière 15h50  -  LUCIOLES  salle  mistral (voir billet)


SAMEDI 13 JUILLET




 

 

 

 

 

 

 

 

 


L’étrange affaire Emilie Artois 14H30 durée 1h30 Espace roseau teinturiers

Le jeu de l’amour et du hasard  Marivaux Girasole 17H15  (pièce vue l’année dernière et revue pour ma petite-fille. Quand elle aime une pièce  !) 

 

LUNDI 15 JUILLET




 

 

 

 

 

 

 

 

Les secrets de la méduse 10H15 durée 1H25 LES LUCIOLES ( je vais écrire un billet pour BOOK TRIP en mer)


Mardi 16 JUILLET


Hip Hop est-ce bien sérieux ? 14H25  pièce vue avec mon petit-fils ( 3 ans)


C’est pas du vélo ! – Cie Monde à Part 18h30 ECOLE DU SPECTATEUR ( petit-fils 3 ans)


MERCREDI 17 JUILLET

Le carnaval des animaux ESPACE ALYA 9H50  pièce vue avec mon petit-fils ( 3 ans)


Heureux les orphelins   Les GEMEAUX 16H45   Electre d’après Giraudoux


JEUDI 18 JUILLET

Arthéphile  Nulle autre voix16H  durée 1H  (voir billet)

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Créatures La Scala de Provence 19H30

Un spectacle étrange, curieux, sur Amboise Paré et sur la fille monstrueuse, qui a réellement existé à la cour de France du temps de Catherine de Médicis et a inspiré le conte de la Belle et la Bête. D'après L'Infante sauvage de Mario Pasa.


 

VENDREDI 19 JUILLET

La force du coquelicot Espace Roseau 17H05 durée 1H20 




 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Neveu de Rameau de Diderot Les Lucioles 20H 

interprètes / intervenants
: Florent Barnaud, Olivier Baumont, Pascale Bordet, Gabriel Le Doze, Jean-Pierre Rumeau, Nicolas Vaude, Alessio Zanfardino
Théâtre le Ranelagh


Très intéressant, bien interprété. Un peu long. Le texte de Diderot est  riche,  passionnant et saute d'une idée à l'autre sans s'arrêter ! On aurait besoin, comme dans une lecture, d'avoir une pause pour y réfléchir !




mercredi 24 juillet 2024

Avignon : Festival 2024 Le XVIIème siècle : Molière : Les femmes savantes, Le Bourgeois gentilhomme, Le misanthrope

 

 Bélise ( Pauline Paoli) dans Les femmes savantes festival d'Avignon 2024

 

Quand j'amène ma petite-fille (14 ans) au festival de théâtre d'Avignon et même si j'essaie d'aller voir avec elle quelques contemporains, il lui faut des classiques ! Et parmi les classiques, le roi Molière ! Qui a dit que les ados n'aimaient pas Molière ? Amenez-les au théâtre et vous verrez !

Et quand on me demande si je n'en ai pas assez de voir toujours les mêmes pièces, cela me fait rire ! Car vous pouvez assister chaque année à une représentation de L'Avare, Le bourgeois gentilhomme, Tartuffe,  les femmes savantes... peu importe, ce n'est jamais le même ressenti ! Et c'est cela, le spectacle vivant, toujours différent, toujours renouvelé, selon les metteurs en scène, leur inventivité,  les interprétations,  la sensibilité, le brio des comédiens, les transpositions dans des époques différentes, les décors, les lumières, les costumes... Ce que j'aime dans la mise en scène, c'est lorsque, tout en donnant leur lecture personnelle, en nous surprenant et nous touchant, les metteurs en scène savent respecter l'auteur et se mettre au service de la langue. Des idées, de la personnalité, oui, mais du respect !  Ras le bol de ceux à l'égo surdimensionné qui méprisent le texte et l'auteur et se croient supérieurs à lui. Et oui, c'est la mode surtout dans le In !

Il m'arrive même souvent  poussée par ma petite-fille d'aller revoir la pièce deux fois de suite, et même il y a deux ou trois ans, de revoir quatre fois Beaucoup de bruit pour rien car Shakespeare est son deuxième auteur préféré.

LES FEMMES SAVANTES



 Parlons du spectacle des Femmes savantes mis en scène par Jean Hervé Appéré par Comédiens et Compagnie, revu deux fois à quelques jours d'intervalle.

L'Argument

"Henriette qui aime Clitandre se voit contrainte par sa mère, Philaminte, d’épouser Trissotin, un médiocre poète à la mode qui, tout comme Tartuffe, essaie de s’introduire dans la maison pour s’enrichir. Le père, Chrysale, heureusement accompagné de son frère, Ariste, va essayer d’empêcher ce mariage en affrontant les foudres de sa femme, Philaminte, de sa soeur Bélise et de son autre fille, Armande, trois femmes savantes qui essaient de régenter le monde… de leur maisonnée.
 Les Femmes savantes veut offrir un moment de spectacle complet : cruel, tendre, comique, musical, un délicieux projet pour Comédiens & Compagnie qui expérimente depuis 15 ans une certaine idée de la commedia dell’arte, faite de bouts de ficelles et d’imagination."

Présentation par la Compagnie

"Après La Princesse d’Élide, Le Mariage forcé et Le Malade imaginaire, Comédiens & Compagnie et Molière sont de nouveau réunis avec Les Femmes savantes. Cette comédie drôlissime s’en prend aux sots, aux pédants et aux hypocrites. Ce superbe texte en alexandrin s’amuse à dévoiler les sottes lourdeurs d’une société patriarcale contre la naïveté de suffragettes intégristes, la lutte pour le pouvoir… à l’intérieur du cadre familial, l’ennui profond des salons mondains. Une satire incisive de ceux qui savent ou plutôt qui croient savoir et qui cherchent à imposer leur vision du monde. Toute ressemblance avec notre actualité ne peut être qu’accidentelle... 
Encore une fois cette comédie est emblématique de notre savoir-faire, à savoir : présence gestuelle, improvisations raisonnablement dosées, musique et chants, danses et pantomimes avec un respect du texte (le travail sur les alexandrins cherche à trouver la fluidité suffisante pour faire passer le vers avec sa force intrinsèque sans en entraver la justesse, la vérité. Ce travail esquissé dans La Princesse d’Élide dont le premier acte et le début du deuxième étaient en vers, trouve ici son aboutissement) qui n’entrave pas la gaieté communicative de la comédie. Un spectacle pour tous, un spectacle populaire dans le sens noble du terme, accessible, ne rimant pas avec pauvreté ou vulgarité mais nous l’espérons, avec richesse, pour ne pas dire en l’occurrence, préciosité et humanité."


Les femmes savantes  à l'époque du Charleston. Clitandre est vêtu comme Tintin !


 Mon avis :

 Un excellent spectacle où effectivement l'alexandrin, souple, naturel, aisé, s'écoule librement ! Transposé  à l'époque des Années folles, les comédiens sont portés par la musique de Bartok, Ravel, le Jazz et le Charleston... On danse, on chante, on rit, on réfléchit aussi.  Molière condamnerait-il l'éducation des femmes, leur refuserait-il l'accès à l'étude, aux sciences ? 

Mais il n'en est rien, c'est la sottise que Molière réprouve, celle de Trissotin, l'écrivain ridicule et ampoulé,(un Guillaume Collignon loufoque à souhait), celle des trois femmes Philaminte, Bélise et Armande, qui admirent les faux-semblants, la fausse culture et affiche le mépris du corps et de l'amour. Non des femmes savantes mais des femmes snobs dont l'affectation n'a d'égale que la vanité. Armande et Philaminte sont d'ailleurs vêtues en homme comme si elles renonçaient à leur féminité. 

On rit de la lâcheté de Chrysale (Fred Barthoumeyrou), le père, mais on le comprend quand on voit arriver son petit bout de femme furibonde (Ana Isoux) qui en effraierait plus d'un !  Tous les comédiens sont d'ailleurs très bons avec une mention spéciale pour l'interprétation de Bélise (Pauline Paoli) qui croit tous les hommes amoureux d'elle. Cruauté aussi comme toujours dans Molière quand Armande s'aperçoit que son mépris affiché du mariage lui a fait perdre celui qu'elle aimait, Clitandre qui s'est tourné vers sa soeur Henriette. Un très bon spectacle ! Si le festival avait duré plus longtemps (écourté par les JO)  je sens que ma petite-fille aurait voulu le voir une troisième fois!

LES FEMMES SAVANTES MOLIÈRE
https://www.comediensetcompagnie.info/les-femmes-savantes
 18H30 durée 1H40 Espace Alya
Mise en scène de  JEAN HERVÉ APPÉRÉ
7 comédiens et 2 musiciens
Comédiens & Compagnie

FRED BARTHOUMEYROU Chrysale / Julienv 
; VALÉRIE FRANÇAIS  Philaminte
 ; ANA ISOUX Armande / Piano ; 
MÉLANIE LE DUC ou AUDREY SAAD  Henriette 
; STÉPHAN DEBRUYNE ou BORIS BÉNÉZIT Ariste / Martine / Violoncelle
 PAULINE PAOLINI Bélise
;  ANDRÉ FAUQUENOY Clitandre / Vadius
 ; GUILLAUME COLLIGNON Trissotin / Trompette ; 
JONATHAN JOLIN Le Notaire / Clarinette / Percussion

Crédit photo : Castanéa/Nicolas BARBARIN
Direction des chants ANA ISOUX
Pantomimes LiONEL MENARD
Chorégraphie SOPHIE PECOUD
Costumes DELPHINE DESNUS
Lumières EDWIN GARNIER



 LE BOURGEOIS GENTILHOMME 

 


L’argument
 

Riche Bourgeois, M. Jourdain veut acquérir l’éducation des personnes de qualité et s’élever dans le monde au-dessus de sa condition.  Il décide de commander un nouvel habit et  fait venir des maîtres d'armes, de danse, de musique et de philosophie, et se couvre de ridicule
Il fait la cour à Dorimène, une marquise veuve, amenée chez lui par son amant, un comte indélicat qui profite de la sottise de monsieur Jourdain pour lui soutirer de l'argent.
Sa femme et Nicole, sa servante, se moquent de lui, puis s'inquiètent pour Lucile, la fille de monsieur Jourdain  amoureuse de Cléonte que M. Jourdain refuse car il n’est pas noble.

Mon avis

Je crois que l'affiche résume bien la mise en scène, le grain de folie qui secoue cette représentation d'un Bourgeois gentilhomme complètement échevelée et survoltée. Les costumes baroques, magnifiquement colorés, burlesques, originaux, avec les perruques surdimensionnées, échevelées, donnent le ton en conférant aux personnages une dimension à la fois comique et onirique, renforcés par le maquillage outrancier, visage blanc, joues orangées qui rappellent le cirque.

 

Bastien Ossart : Monsieur Jourdain


 Et c'est en même temps très beau, fantaisiste, amusant : Ô ! les frisettes roses de Liwen Liang quand elle est Lucile ou son énorme noeud jaune à pois noirs sur la tête, façon coiffe alsacienne, quand elle est marquise ! Ou encore la citrouille coiffée par Monsieur Jourdain sacré Mamamushi.

 

Liwen Liang : Lucile, la fille de monsieur Jourdain

Nous n'avons pas devant nous des personnages réels mais des personnages surgis d'un esprit en délire et qui évoluent sur la scène dans des pantomimes et des danses, une véritable comédie-ballet (mais sans Lully) comme l'a voulu Molière au son de musiques diverses, opéra, boléro, sacre du printemps. Le personnage du Bourgeois acquiert une certaine démesure dans ses ridicules et son obsession nobiliaire. J'ai aimé que la pièce soit respectueuse du texte mais s'en éloigne parfois en introduisant des variantes, en particulier les deux fables de La Fontaine extrêmement bien dites et bien venues. Encore un excellent spectacle et très original.

De Molière
Adaptation et mise en scène Bastien OSSART
Compagnie Théâtre Les Pieds Nus
Avec Bastien OSSART, Iana Serena DE FREITAS, Mathilde Guêtre-Rguieg, Benoît MARTINEZ, Nicolas QUELQUEJAY, Liwen LIANG
Costumes Théâtre Les Pieds Nus

Lumières Florian DERVAL


LE MISANTHROPE

 

L'argument

Alceste hait les mondanités et dénonce l'hypocrisie de ses semblables. Son ami Philinte est plus mesuré et représente l'idéal de l'honnête homme du XVII siècle. Alceste critique le sonnet d'Oronte et a un procès sur le dos. Malgré sa misanthropie, il est pourtant fou amoureux de Célimène, jeune et belle veuve, coquette et frivole qui ne correspond pas du tout à ses idées. Il finira par renoncer à la société et à l'amour.

Dans le plus grand respect de l'alexandrin, cette mise en scène transposée dans le monde des réseaux sociaux, des influenceuses et des jet-setters nous montre à quel point l'homme, en 350 ans, n'a pas changé 

  

Le misanthrope : Célimène et ses amis
 

Mon avis

 Et oui, une transposition dans le temps, cette fois-ci dans notre présent avec smartphone, selfie, boîte, alcool, guitare électrique et rock. Et à n'importe quelle époque... Molière ? c'est juste, c'est vrai ! L'hypocrisie, les amitiés superficielles, le vide des relations humaines, les moqueries, la méchanceté voire la cruauté, tout est là !  J'ai bien ri lors de la scène où Oronte (Le Douarec ) lit son sonnet à Alceste (Jean-Charles Chagachbanian) pris au piège de ses propres contradictions. Mais tout ne fait pas rire dans cette pièce où se joue l'une des comédies humaines les plus noires de Molière. Un bon spectacle !

 

LE MISANTHROPE MOLIERE

LES LUCIOLES 15H50  Durée 1h55 - Dès 10 ans

 Compagnie Le Douarec

Mise en scène de Thomas Le Douarec 

Comédiens : Valérian Béhar-Bonnet, Jean-Charles Chagachbanian, Caroline Devismes, Jules Fabre, Thomas Le Douarec, Théo Lima, Philippe Maymat, Jeanne Pajon, Justine Vultaggio




Nous avons revu aussi une pièce vue l'année dernière Le malade imaginaire en La majeur déjà commentée  Et les Trois Molière .






jeudi 2 mai 2024

Le jeudi avec Marcel Proust : Du côté de chez Swann Deuxième partie : Un amour de Swann

Sandro Boticelli : Séphora, l'épouse de Moïse, fresque de la chapelle Sixtine

" Il regardait ; un fragment de la fresque apparaissait dans son visage et dans son corps, que dès lors il chercha toujours à y retrouver, soit qu’il fût auprès d’Odette, soit qu’il pensât seulement à elle, et bien qu’il ne tînt sans doute au chef-d’œuvre florentin que parce qu’il le retrouvait en elle, pourtant cette ressemblance lui conférait à elle aussi une beauté, la rendait plus précieuse. Swann se reprocha d’avoir méconnu le prix d’un être qui eût paru adorable au grand Sandro, et il se félicita que le plaisir qu’il avait à voir Odette trouvât une justification dans sa propre culture esthétique. Il se dit qu’en associant la pensée d’Odette à ses rêves de bonheur, il ne s’était pas résigné à un pis-aller aussi imparfait qu’il l’avait cru jusqu’ici, puisqu’elle contentait en lui ses goûts d’art les plus raffinés. "

 L'amour de Swann

 Toute la seconde partie de Du côté de chez Swann, un amour de Swann traite de l'amour de Swann pour Odette, une femme entretenue, réputée pour sa beauté, mais que Swann trouve laide et pour laquelle il n'éprouve aucune attirance. Son mauvais goût pour les femmes un peu vulgaires, précise Proust, est inversement opposé à son bon goût pour l’Art.  Or l'une de particularités de Swann est de retrouver dans "dans la peinture des maîtres non pas seulement les caractères généraux de la réalité qui nous entoure, mais ce qui semble au contraire le moins susceptible de généralité, les traits individuels des visages que nous connaissons."

  

Le doge Loredan: Antonio Rizzo

 

"... dans la matière d’un buste du doge Loredan par Antoine Rizzo, la saillie des pommettes, l’obliquité des sourcils, enfin la ressemblance criante de son cocher Rémi" 

 

Domenico Ghirlandaio: vieillard et jeune garçon


"sous les couleurs d’un Ghirlandajo, le nez de M. de Palancy "

 

Le Tintoret : Autoportrait

 "... dans un portrait de Tintoret, l’envahissement du gras de la joue par l’implantation des premiers poils des favoris, la cassure du nez, la pénétration du regard, la congestion des paupières du docteur du Boulbon."

On verra que Swann va encore plus loin, puisqu'il ne peut tomber amoureux d'Odette que parce qu'elle ressemble à une création de Boticelli ! La femme réelle ne l'attire que lorsqu'elle est magnifiée par l'oeuvre d'art. Aussi est-ce par l’art que Odette va s’introduire dans l’imagination de Swann et devenir objet de désir.

"Debout à côté de lui, laissant couler le long de ses joues ses cheveux qu’elle avait dénoués, fléchissant une jambe dans une attitude légèrement dansante pour pouvoir se pencher sans fatigue vers la gravure qu’elle regardait, en inclinant la tête, de ses grands yeux, si fatigués et maussades quand elle ne s’animait pas, elle frappa Swann par sa ressemblance avec cette figure de Zéphora, la fille de Jéthro, qu’on voit dans une fresque de la chapelle Sixtine. " 

L’amour n’est donc qu’une illusion, l’on ne voit dans l’être aimé(e) que ce que l’on a envie d’y voir, on ne l'aime que vu par le prisme de son imagination.

Déjà, dans du Côté de chez Swann, première partie Combray, Marcel Proust analyse l'amour du jeune Marcel pour Mademoiselle Swann, Gilberte, qu’il ne connaît pas mais qu’on lui a décrit comme jolie. Il projette dans l’image de la jeune fille tout le charme qu'il éprouve pour l’architecture gothique, les beautés du paysage normand et son amitié avec Bergotte un écrivain que vénère Marcel. C’est au point que la fillette acquiert toutes les qualités que le jeune garçon attribue à ce qui l'entoure . « c’était être tout prêt à l’aimer. Que nous croyions qu’un être participe à une vie inconnue où son amour nous ferait pénétrer, c’est, de tout ce qu’exige l’amour pour naître, ce à quoi il tient le plus, et qui lui fait faire bon marché du reste."
 
Plus tard, dans la troisième partie intitulée Des Noms, analysant son amour de jeunesse pour Gilberte, le narrateur vieillissant  dira : " Mais à l'époque où j'aimais Gilberte, je croyais encore que l'Amour existait réellement en dehors de nous".

  C’est ce que veut signifier Stendhal dans son Traité de l’Amour  :" Aux mines de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau d'arbre effeuillé par l'hiver ; deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes : les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la taille d'une mésange, sont garnies d'une infinité de diamants mobiles et éblouissants ; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. Ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections"

  C'est ce qui se passe pour Swann :

Il n’estima plus le visage d’Odette selon la plus ou moins bonne qualité de ses joues et d’après la douceur purement carnée qu’il supposait devoir leur trouver en les touchant avec ses lèvres si jamais il osait l’embrasser, mais comme un écheveau de lignes subtiles et belles que ses regards dévidèrent, poursuivant la courbe de leur enroulement, rejoignant la cadence de la nuque à l’effusion des cheveux et la flexion des paupières, comme en un portrait d’elle en lequel son type devenait intelligible et clair."

L'amour vécu comme une maladie

 

Laure Muray, un des modèles qui inspira Proust pour Odette

On pourrait penser que le transfert que Swann accomplit en faisant d’Odette une « oeuvre florentine » et en conférant à son image une impression de noblesse qui l’introduit dans un « monde de rêve », lui enlèverait sa lucidité et sa faculté de jugement. Or, il n’en est rien. Swann sait qu’Odette est sotte, inculte, superficielle, dès le début de son amour. Il comprend rapidement - même s’il est naïf au départ - qu’elle est vénale, intéressée, menteuse, cruelle, dépravée. Mais rien ne peut l’empêcher de l’aimer puisque cet amour n’est pas une réalité mais une projection qu’il fait sur elle. Tous ses amis sont consternés de le voir devenir la victime d'une telle femme. Swann est semblable à la reine des fées, Titiana, de Shakespeare dans le Songe d’une nuit d’été lorsque celle-ci tombe amoureuse d’un âne à la grande consternation de son entourage :
Titiana, à Bottom. — Viens, assieds-toi sur ce lit de fleurs ; pendant que je caresse tes charmantes joues ; je veux attacher des roses musquées sur ta tête douce et lisse, et baiser tes belles et longues oreilles, toi la joie de mon cœur.
 On peut l’avertir de son erreur il est incapable de changer.  Cet amour est fait d'illusions et aussi de jalousie et s'apparente à une maladie tenace qui lui enlève tout amour-propre.




jeudi 4 avril 2024

Le Jeudi avec Marcel Proust : Du côté de chez Swann, première partie Cambray : Marcel Proust et l'Art

Claude Monet Nymphéa


Je suis en train de lire du côté de chez Swann, le premier livre de A la Recherche du temps perdu dont nous devons faire une LC avec Miriam le 15 mai. Mais cette lecture me donne envie de venir de temps en temps, avant cette date, noter les impressions qu'éveille en moi la rencontre du texte dans une chronique que j'appellerai Le Jeudi avec Marcel Proust. Et d'abord, outre l'omniprésence de la nature, l'omniprésence de l'Art, sous toutes ses formes, qui imprègne l'oeuvre et devient une façon de voir, une manière d'appréhender la réalité et de la transformer. Marcel Proust n'est pas peintre mais il voit la nature comme un tableau et pas seulement la nature, mais les êtres et les choses aussi.

Ainsi, je note, quand il va se promener au bord de la Vivonne, du côté de Guermantes, combien cette description des Nymphéas est proche des tableaux de Monet. C'est une évidence tant il y a de points communs entre la vision du peintre et de l'écrivain. Dans son livre L'herbier de Marcel Proust, Dane Mc Dowell écrit :  
 
"Chasseur d'éphémère comme Monet, obsédé comme lui par le temps qu'il fait et le temps qui fuit, Proust évoque avec des mots la poésie et le mystère de la peinture impressionniste, autant que la sérénité et la joie qu'elle transmet ".  (Editions Flammarion)
 

L'impressionnisme : les Nymphéas de Monet

" Çà et là, à la surface, rougissait comme une fraise une fleur de nymphéa au cœur écarlate, blanc sur les bords. "

 

Claude Monet "une fleur de nymphéa au coeur écarlate"
 

" Plus loin, les fleurs plus nombreuses étaient plus pâles, moins lisses, plus grenues, plus plissées, et disposées par le hasard en enroulements si gracieux qu’on croyait voir flotter à la dérive, comme après l’effeuillement mélancolique d’une fête galante, des roses mousseuses en guirlandes dénouées."

 

Claude Monet : " des roses mousseuses en guirlandes dénouées"
 

" Ailleurs un coin semblait réservé aux espèces communes qui montraient le blanc et rose proprets de la julienne, lavés comme de la porcelaine avec un soin domestique, tandis qu’un peu plus loin, pressées les unes contre les autres en une véritable plate-bande flottante, on eût dit des pensées des jardins qui étaient venues poser comme des papillons leurs ailes bleuâtres et glacées sur l’obliquité transparente de ce parterre d’eau ; de ce parterre céleste aussi : car il donnait aux fleurs un sol d’une couleur plus précieuse, plus émouvante que la couleur des fleurs elles-mêmes ; et, soit que pendant l’après-midi il fît étinceler sous les nymphéas le kaléidoscope d’un bonheur attentif, silencieux et mobile, ou qu’il s’emplît vers le soir, comme quelque port lointain, du rose et de la rêverie du couchant, changeant sans cesse pour rester toujours en accord, autour des corolles de teintes plus fixes, avec ce qu’il y a de plus profond, de plus fugitif, de plus mystérieux — avec ce qu’il y a d’infini — dans l’heure, il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel."

 

Monet : il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel."



L'impressionnisme : les asperges : Manet

 Botte d'asperges Manet
 
 
 Mais Proust ne dédaigne pas les natures mortes et si la description des asperges fait penser à Manet, elle évoque aussi les peintres hollandais. Ah! ces asperges ! Elles jouent un grand rôle dans toute la première partie comme révélation du caractère de Françoise. Comme sujet de conversation avec Léonie aussi, qui de son lit, observe les passant et les voit passer avec "des asperges grosses comme le bras" , elles témoignent de la curiosité de la vieille dame mais aussi de sa vie étriquée, réduite à la fenêtre de sa chambre entrouverte sur le monde où elle ne va plus jamais.
 
"Mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d'outre-mer et de rose et dont l'épi, finement pignoché de mauve et d'azur, se dégrade insensiblement jusqu'au pied – encore souillé pourtant du sol de leur plant – par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s'étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d'aurore, en ces ébauches d'arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j'en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum.


Edouard Manet : l'asperge



La pauvre Charité de Giotto, comme l'appelait Swann, chargée par Françoise de les « plumer », les avait près d'elle dans une corbeille, son air était douloureux, comme si elle ressentait tous les malheurs de la terre ; et les légères couronnes d'azur qui ceignaient les asperges au-dessus de leurs tuniques de rose étaient finement dessinées, étoile par étoile, comme le sont dans la fresque les fleurs bandées autour du front ou piquées dans la corbeille de la Vertu de Padoue."
 
La Charité de Giotto ainsi nommée par Swann est la fille de cuisine qui assiste Françoise, la cuisinière, et qui est terriblement enceinte ! On apprendra plus tard que si Françoise a fait manger des asperges à ses maîtres presque tous les jours cet été-là, c'est parce que ces légumes donnaient des crises d'asthme à la pauvre Charité dont la cuisinière était jalouse, craignant que sa patronne tante Léonie ne la préfère à elle.
 

Le Trecento italien : La charité de Giotto

La charité de Giotto


"L’année où nous mangeâmes tant d’asperges, la fille de cuisine habituellement chargée de les « plumer » était une pauvre créature maladive, dans un état de grossesse déjà assez avancé quand nous arrivâmes à Pâques, et on s’étonnait même que Françoise lui laissât faire tant de courses et de besogne, car elle commençait à porter difficilement devant elle la mystérieuse corbeille, chaque jour plus remplie, dont on devinait sous ses amples sarraux la forme magnifique. Ceux-ci rappelaient les houppelandes qui revêtent certaines des figures symboliques de Giotto dont M. Swann m’avait donné des photographies. C’est lui-même qui nous l’avait fait remarquer et quand il nous demandait des nouvelles de la fille de cuisine, il nous disait : « Comment va la Charité de Giotto ? ». D’ailleurs elle-même, la pauvre fille, engraissée par sa grossesse, jusqu’à la figure, jusqu’aux joues qui tombaient droites et carrées, ressemblait en effet assez à ces vierges, fortes et hommasses, matrones plutôt, dans lesquelles les vertus sont personnifiées à l’Arena. Et je me rends compte maintenant que ces Vertus et ces Vices de Padoue lui ressemblaient encore d’une autre manière.
 
 
Giotto chapelle de Scrovegni : La prudence, la fermeté, la tempérance, la foi, la charité, lespérance

 
 De même que l’image de cette fille était accrue par le symbole ajouté qu’elle portait devant son ventre, sans avoir l’air d’en comprendre le sens, sans que rien dans son visage en traduisît la beauté et l’esprit, comme un simple et pesant fardeau, de même c’est sans paraître s'en douter que la puissante ménagère qui est représentée à l’Arena au-dessous du nom « Caritas » et dont la reproduction était accrochée au mur de ma salle d’études, à Combray, incarne cette vertu, c’est sans qu’aucune pensée de charité semble avoir jamais pu être exprimée par son visage énergique et vulgaire. Par une belle invention du peintre elle foule aux pieds les trésors de la terre, mais absolument comme si elle piétinait des raisins pour en extraire le jus ou plutôt comme elle aurait monté sur des sacs pour se hausser ; et elle tend à Dieu son cœur enflammé, disons mieux, elle le lui « passe », comme une cuisinière passe un tire-bouchon par le soupirail de son sous-sol à quelqu’un qui le lui demande à la fenêtre du rez-de-chaussée."
 
 
L'envie et la colère

 
L’Envie, elle, aurait eu davantage une certaine expression d’envie. Mais dans cette fresque-là encore, le symbole tient tant de place et est représenté comme si réel, le serpent qui siffle aux lèvres de l’Envie est si gros, il lui remplit si complètement sa bouche grande ouverte, que les muscles de sa figure sont distendus pour pouvoir le contenir, comme ceux d’un enfant qui gonfle un ballon avec son souffle, et que l’attention de l’Envie — et la nôtre du même coup — tout entière concentrée sur l’action de ses lèvres, n’a guère de temps à donner à d’envieuses pensées."

C'est dans l'église Arena, à Padoue  et dans la chapelle Scrovegni que l'on peut admirer les fresques de Giotto qui raconte la vie du Christ et les groupes de Sept vertus et sept vices. J'ai toujours eu envie de les voir et disons que Proust en  rajoute encore !
 


L'Arena et les fresques de Giotto Chapelle des Scrovegni




Giotto : Les vices: le désespoir, l'envie, l'idolâtrie, l'injustice, la colère, l'inconstance, la sottise


Giottodi Bondone ou Ambrogiotto di Bondone, dit Giotto, né en 1266 ou 1267 à Vespignano ou Romignano et mort le 8 janvier 1337 à Florence, est un peintre, sculpteur et architecte italien de la République florentine. Artiste majeur du Trecento, ses œuvres sont à l'origine du renouveau de la peinture occidentale.((Wikipédia) On peut voir de très belles fresques de lui à la basilique de Santa Croce et à la Basilique de Saint François d'Assise.


L'Architecture  médiévale : entre roman et gothique
 
 
L' église de Saint Loup de Naud


 

Tantôt, c’est une femme réelle, la servante qui perd son statut d'être humain et qui devient peinture, qui se transmue en  oeuvre d'Art  sous la puissance de l’imagination de l’enfant renforcée et comme authentifiée  par celle de l’adulte, monsieur Swann.

Tantôt ce sont les statues du porche de l’église de Saint André des Champs qui deviennent vivantes s’incarnant comme des figures familières qui peuplent les rues de Combray. Ainsi en est-il de Théodore, le garçon de chez Camus, mauvais sujet peut-être mais  qui, pour venir en aide à Tante Léonie alitée, prend  la mine naïve et zélée des petits anges des bas-reliefs, s’empressant, un cierge à la main, autour de la Vierge défaillante, comme si les visages de pierre sculptée, grisâtres et nus, ainsi que sont les bois en hiver, n’étaient qu’un ensommeillement, qu’une réserve, prête à refleurir dans la vie en innombrables visages populaires, révérends et futés comme celui de Théodore, enluminés de la rougeur d’une pomme mûre. Non plus appliquée à la pierre comme ces petits anges, mais détachée du porche, d’une stature plus qu’humaine, debout sur un socle comme sur un tabouret qui lui évitât de poser ses pieds sur le sol humide, une sainte avait les joues pleines, le sein ferme et qui gonflait la draperie comme une grappe mûre dans un sac de crin, le front étroit, le nez court et mutin, les prunelles enfoncées, l’air valide, insensible et courageux des paysannes de la contrée. 
 
 
Vierge gothique Calvados

 
Cette ressemblance, qui insinuait dans la statue une douceur que je n’y avais pas cherchée, était souvent certifiée par quelque fille des champs, venue comme nous se mettre à couvert, et dont la présence, pareille à celle de ces feuillages pariétaires qui ont poussé à côté des feuillages sculptés, semblait destinée à permettre, par une confrontation avec la nature, de juger de la vérité de l’œuvre d’art.
 
Comme le personnage de Swann, le jeune Marcel fait descendre les personnages des murs, des toiles ou des socles où les siècles les avait figés. La réalité ne lui apparaît vraie que confirmée par l'oeuvre d'Art ou inversement !





Cette église Saint André des Champs est citée dix-sept fois dans la Recherche. C'est l'ancien prieuré clunisien de Saint Martin des Champs à Paris, exemple parfait du passage du roman au gothique et symbole du peuple français, qui a servi de modèle à Proust pour la description de l'église de Saint André des champs. 
Mais celle-ci est aussi  composée de plusieurs références architecturales : La Cathédrale de Chartres, l’église de Saint-Loup-de-Naud (Seine-et-Marne, près de Provins).
 
 
Cathédrale de Chartres


Quant à l'église Saint-Hilaire son clocher et ses fameux vitraux, elle aussi est une construction à partir de  de monuments différents dont Proust lui-même a parfois oublié l'origine. Il écrit en 1918 : « Ma mémoire m'a prêté comme modèles beaucoup d'églises. Je ne saurais plus vous dire lesquelles. Je ne me rappelle même plus si le paysage vient de Saint-Pierre-sur-Dives ou de Lisieux. Certains vitraux sont certainement les uns d’Évreux, les autres de la Sainte-Chapelle et de Pont-Audemer »


Vitrail de la cathédrale d' Evreux


"Il y en avait un qui était un haut compartiment divisé en une centaine de petits vitraux rectangulaires où dominait le bleu, comme un grand jeu de cartes pareil à ceux qui devaient distraire le roi Charles VI ; mais soit qu’un rayon eût brillé, soit que mon regard en bougeant eût promené à travers la verrière tour à tour éteinte et rallumée un mouvant et précieux incendie, l’instant d’après elle avait pris l’éclat changeant d’une traîne de paon, puis elle tremblait et ondulait en une pluie flamboyante et fantastique qui dégouttait du haut de la voûte sombre et rocheuse, le long des parois humides, comme si c’était dans la nef de quelque grotte irisée de sinueux stalactites que je suivais mes parents, qui portaient leur paroissien ; un instant après les petits vitraux en losange avaient pris la transparence profonde, l’infrangible dureté de saphirs qui eussent été juxtaposés sur quelque immense pectoral, mais derrière lesquels on sentait, plus aimé que toutes ces richesses, un sourire momentané de soleil ; il était aussi reconnaissable dans le flot bleu et doux dont il baignait les pierreries que sur le pavé de la place ou la paille du marché ; et, même à nos premiers dimanches quand nous étions arrivés avant Pâques, il me consolait que la terre fût encore nue et noire, en faisant épanouir, comme en un printemps historique et qui datait des successeurs de saint Louis, ce tapis éblouissant et doré de myosotis en verre."

On le voit, ce que décrit Marcel Proust rappelle l'émerveillement ressenti par l'enfant quand il contemple les effets fantastiques du kaléidoscope. Le vocabulaire fait appel tour à tour aux champs lexicaux de l'incendie "éteinte et rallumée""mouvant et précieux", et surtout de la pluie dans une longue métaphore filée "ondulait""dégouttait" , "les parois humides" "le flot bleu et doux", "baignait" et où l'oxymore pluie flamboyante unit l'incendie à la pluie, le ruissellement de l'eau entraînant l'image de la grotte "irisée de sinueux stalactites". Mais l'enfant n'oublie pas qu'il est dans une église "la nef de quelque grotte". Puis intervient le champ lexical de la pierre précieuse : "l'infrangible dureté des saphirs" "les pierreries", la beauté de la nature prenant ensuite le relais de la beauté de l'art , "un sourire momentané du soleil" et  les myosotis de verre."
 
Comparaisons avec l'incendie, métaphores de la pluie, image de la grotte et de ses stalactites, de la pierre précieuse, des fleurs et du soleil. Le texte de Proust est en lui-même un éblouissement, une oeuvre d'art qui rend bien compte de la beauté des vitraux. !
 
 
 
Pont-Audemer : Eglise Saint-Ouen

 
XVIII siècle :   Le goût des  ruines


Clair de lune Hubert Robert


Dans chaque jardin le clair de lune, comme Hubert Robert, semait ses degrés rompus de marbre blanc, ses jets d’eau, ses grilles entr’ouvertes. Sa lumière avait détruit le bureau du télégraphe. Il n’en subsistait plus qu’une colonne à demi brisée, mais qui gardait la beauté d’une ruine immortelle. Je traînais la jambe, je tombais de sommeil, l’odeur des tilleuls qui embaumait m’apparaissait comme une récompense qu’on ne pouvait obtenir qu’au prix des plus grandes fatigues et qui n’en valait pas la peine. Des grilles fort éloignées les unes des autres, des chiens réveillés par nos pas solitaires faisaient alterner des aboiements comme il m’arrive encore quelquefois d’en entendre le soir, et entre lesquels dut venir (quand sur son emplacement on créa le jardin public de Combray) se réfugier le boulevard de la gare, car, où que je me trouve, dès qu’ils commencent à retentir et à se répondre, je l’aperçois, avec ses tilleuls et son trottoir éclairé par la lune.

Dans ce texte le point de vue artistique est délibérément choisi par l'écrivain, un peintre du XVIII siècle à une époque où le goût des ruines romaines ou médiévales prédominent dans l'art. Ici, le tableau du peintre vient se substituer à la réalité et parvient même à l'effacer : "le clair de lune semait ses degrés rompus de marbre blanc" pour faire apparaître "une colonne à demi brisée". C'est la lumière qui fait surgir la fantasmagorie comme le fait la lanterne magique dans sa chambre d'enfant à Combray, envoyant danser sur les murs et la poignée de la porte les ombres de Geneviève de Brabant et de Golo. 
On voit ici comment, plus tard, le son (les aboiements des chiens) et l'odeur (des tilleuls) associés à cette vision du peintre du XVIII siècle, ressuscitent le souvenir et rappellent l'image du passé enfoui dans la mémoire comme le fait le goût de la madeleine trempée dans du tilleul de Tante Léonie. Ainsi le temps n'est jamais retrouvé brut,  directement,  mais seulement  par l'intermédiaire de tous les  sens.
 
 Hubert Robert né le 22 mai 1733 à Paris et mort le 15 avril 1808 dans la même ville est un peintre français, dessinateur, graveur, professeur de dessin, créateur de jardins et conservateur au muséum central des arts de la République. Il est un des principaux artistes français du XVIIIᵉ siècle. (Wikipédia) Ses peintures de ruines en font un précurseur des romantiques.
 
 
Et comme l'on ne peut épuiser ce thème de l'art chez Proust, je m'arrête, sachant que ces passages sont presque tous  situés dans la première partie de Du côté de chez Swann intitulée Cambray et que j'en ai noté bien d'autres en avançant dans ma lecture.


Voir ce livre recommandé par Keisha sur l'Art dans l'ensemble de La Recherche du temps perdu.
 
Le musée imaginaire de Marcel Proust  Tous les tableaux de A la recherche du temps perdu  Eric Karpeles Editions Gallimard
keisha ICI