Dans On était des loups Sandrine Colette raconte une histoire située dans des forêts montagneuses qui paraissent de prime abord mythiques, étranges, irréelles. Mythiques dans des pays comme le nôtre, peut-être, mais j’imagine, maintenant encore, les grands espaces de forêts sauvages au Canada ou les régions de hautes montagnes aux Etats-Unis et alors cette vie, oui, prend tout son sens et devient réelle. Là, des hommes rudes, plus rarement des femmes, vivent en quasi autarcie. Liam est un de ceux-là. Son épouse Ava a accepté de le suivre pour partager cette vie primitive mais elle a voulu un enfant. Elle élève son petit garçon Aru pendant que Liam chasse, absent pendant de longues périodes, pour ramener ce qui est nécessaire à leur survie pendant les hivers rigoureux. Or, un jour qu’il revient de la chasse, il trouve Ava morte, attaquée par un ours, et sous elle, protégée par son corps, son enfant encore vivant. Liam entreprend alors un voyage jusqu’à la ville avec Aru pour confier celui-ci à son oncle et sa tante. Mais lorsque ceux-ci refusent de s’en occuper, l’homme ne sait plus que faire de l’enfant.
Le récit suit le fils et le père au cours de la longue marche qu’ils vont faire sur le chemin du retour dans ce monde inhospitalier. Un voyage au cours duquel l’homme va affronter ses démons intérieurs, et peut-être, en perdant une partie de sa force, gagner en humanité.
Paysage des Rocheuses aux Etats-Unis source |
Dès le début quand on voit de jeunes hippies décamper de leurs cabanes au milieu de d’hiver dans la montagne, le ton est donné : « Bref ils avaient oublié que la nature, c’est marche ou crève, ce n’est pas le soleil les petits oiseaux et des gens mignons autour. Il faut le savoir quand on vient ici sinon ça cogne la tête un jour pas loin. ». Et la nature apparaît, parfois effrayante, dangereuse, parfois implacable car un accident, une blessure peuvent se révéler fatals. Elle est vue à travers la langue un peu raboteuse du narrateur, le père, une langue instinctive, primaire, parfois sans véritable ponctuation, sans pause, une langue parlée, mais d’où naît une poésie brute et forte comme la nature elle-même : Je tressaille quand la terre se cabre sous les éclairs qui gueulent et qui scintillent je sais qu’il ne reste pas beaucoup de temps pour s’abriter.
Tout de suite après ça dégringole. Les éclairs continuent à frapper et je me dis que le jour de la fin du monde ce sera pareil à ça, pas besoin d’imaginer autre chose. Il fait nuit en plein jour et la foudre éclate le ciel et fait trembler nos coeurs. Nos corps vibrent du roulement du tonnerre et la pluie nous rince on dirait qu’elle veut nous faire fondre.
Mais la Nature est toujours belle, majestueuse, certes sans pitié pour les humains dont elle efface les traces.
Le père muré dans son chagrin nous apparaît au départ comme une véritable brute, un homme qui considère les enfants comme des êtres inutiles, qui s’enferme dans le mutisme, en ne s’adressant à son fils que pour lancer des ordres, ne s’occupant de ce petit garçon de six ans ans qui vient de perdre sa mère que pour le nourrir, le laissant se débrouiller seul, envoyant à l’occasion quelques gifles bien senties. Exutoire d’un désespoir qu’il est incapable d’exprimer en paroles, son fils devient un souffre-douleur jusqu’à l’acte de folie que je vous laisse découvrir. Cette scène violente marque l’apogée de cette colère intérieure et de cette rumination que l’homme nourrit depuis la mort de sa femme. Colère contre lui-même qui n’a pas su les défendre, colère injuste, horrible, contre l’enfant qui a survécu alors que Ava est morte. Et à partir de là, c’est aussi une prise de conscience, un réveil de la part humaine qui est en lui.
Loup montagne en France source | |
Car cet homme ne peut pas être entièrement méchant lui qui est si sensible à la beauté qui l'entoure :
« Et pourtant du temps j’en prends quand j’écoute les loups et que je contemple le bleu de la nuit, et quand je ne suis pas trop haut je compte les petits éclats incandescents des vers luisants comme si c’étaient des soleils à la fois précieux et dérisoires. C’est pour ce temps-là que je vis ici, c’est seulement que le monde est trop grand pour qu’on puisse tout voir. C’est aussi ce qui fait la beauté et si je connaissais tout il n’y aurait plus de surprise et je ne trouverais pas que la lumière est comme un tour de magie devant moi. »
Lui qui écoute le chant des loups dans la nuit, les comprend et parfois leur répond, n’est pas dépourvu de sentiments. On le voit quand du temps où Ava vivait encore, son fils guettait son retour et courait à lui :
« Ça non plus je n’ai pas de mots pour le dire je le perçois dans ma poitrine et c’est gigantesque et le petit court vers moi il ne court pas vite il est petit. C’est là que c’est bizarre, chaque fois ça me fait quelque chose dans le ventre, et c’est de l’émotion que je n’arrive pas à retenir, de l’émotion de voir qu’il m’attend et qu’il n’attend que moi et sur son visage le bonheur qu’il y a je ne peux pas l’expliquer c’est immense… »
La suite du roman est celle de la seconde chance. Seconde chance de reconquérir l’amour de son fils, de devenir un père aimant et protecteur, de faire tomber le mur invisible qu’il a élevé entre lui et le petit, seconde chance aussi de se laisser aller à exprimer ses sentiments, lui qui a vécu dans une famille où l’on ne se parlait pas, et où les coups, l’absence d’empathie, la dureté, remplaçaient l’éducation, seconde chance de ne pas être comme ses parents, «des vieux qui gueulaient et cognaient sec ».
Mais c’est vraiment quand le père malade (il faut lire le livre pour savoir pourquoi ) doit abandonner son rôle de protecteur, laissant à Aru si frêle, si fragile, la responsabilité de leur survie, c’est lorsque le garçon prend le rôle du père que la boucle est bouclée, les choses sont rentrées dans l’ordre et l’enfant à son tour peut chanter avec les loups car, au début … on était tous des loups.
« J’ai du mal à expliquer pourtant en ce temps-là il n’y avait pas ces haines et ces peurs, en ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes ça ne faisait pas différence on était le monde. Le chant des loups nous appelle parce que c’est notre chant et aussi loin qu’on puisse remonter il y a l’éclat d’un animal en nous et c’est pour ça que ça m’émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux. »
Sandrine Colette |