Voici ma première contribution pour le mois de Février 2022 au mois de la littérature latino-américaine : avec Ingammic ICI
Les larmes des choses : Roberto Sosa
Maman
a passé le plus clair des années de sa vie
debout sur un tertre de brique, le coeur rongé,
imaginant
qu’elle entrait et sortait
d’une petite maison à la porte blanche
protégée
par la fraternité des bêtes domestiques.
Imaginant
que nous sommes nous ses enfants
ce que nous voulions être et n’avons pas pu être.
Croyant
que son père, le boucher aux pupilles de chat
et aux lèvres pincées de juge strict ne la battait
pas jusqu’au sang, et que sa mère, enfin,
lui passait quelquefois une main tendre dans les
cheveux.
Et, au plus fort, par contrecoup, et comme d’un
miroir,
elle suppliait Dieu
pour que ses ennemis tombent comme des coqs
pestiférés.
Brusquement, une à une, ces images très chères
ont été balayées par des mains d’hommes sans
honneur
Si l’on y réfléchit,
tout cela, cette femme en marge l’a compris
elle,
l’héritière du vent, auprès d’une bougie. Elle qui devinait
la pensée, la froideur
des serpents,
et qui parlait aux roses, elle, équilibre délicat
entre
la dureté humaine et les larmes des choses
Roberto Sosa
Roberto Sosa, poète hondurien, est né en 1930 à Yoro. Sa mère est hondurienne et son père salvadorien. De famille pauvre, il travaille dès l’âge de six ans pour aider ses parents mais il peut continuer à suivre des études et commence à écrire dès l'âge de treize ans.
En 1964, il commence publier dans une revue de poésie et participe à la vie littéraire et intellectuelle de la capitale du Honduras, Tegucigalpa où il s’est installé. C’est avec le recueil Los Pobres en 1968 (les Pauvres) suivi en 1971 de Un monde para todos Divido (Un Monde divisé pour tous) qu’il s’est fait connaître.
Plus tard, il enseigne à l’université de Cincinatti tout en retournant au Honduras. En 1980, la dictature militaire qui s’est installée à la tête du pays avec le soutien de l’administration Reagan, envoie ses Escadrons de la mort qui torturent et assassinent ses opposants, obligeant Roberto Sosa à s’exiler au Nicaragua. Il revient plus tard dans son pays et c’est à Tegucigalpa qu’il meurt en 2011.
Seuls deux recueils sont traduits en français : Les Larmes des choses, éd. la Différence, 1990 et Un monde divisé pour tous, Seghers, 1998
C’est le recueil Les larmes des choses que je vous présente aujourd’hui. Traduit par Claude Couffon, préfacé par Philippe Oll-Laprune, il est précédé de Masque bas.
Le Honduras
Pour comprendre Roberto Sosa, il faut savoir que sa patrie, le Honduras, depuis l’arrivée brutale des Espagnols, est une terre de divisions et de tragédies. Après la conquête, explique Philippe Oll-Laprune dans sa préface, se construit dans l’imagination populaire le mythe d’un paradis perdu, idyllique. Les indiens, en effet, privilégiaient les rapports de l’homme et de la nature, les Espagnols de l’homme à l’homme. D'où une fracture initiale, le sentiment de vivre une tragédie, un sentiment national mais qui rejoint l'universel. La conséquence de cette cassure «est la naissance de la division : séparation de l’homme et du monde et de l’homme vis-vis de l’homme. » L’angoisse de la division qu’il a ressenti dès sa jeunesse, est donc le thème central des écrits de Sosa. Pour le poète « cette cassure représente le symbole de la perte de l’innocence, de la pureté originelle », ce qui devient un autre thème récurrent.
Le Honduras (8, 5 millions d’habitants) est un pays où 74% des habitants vivent
sous le seuil de pauvreté, division entre la misère de la plus grande
partie de la population et la richesse d’une poignée d’entre eux. Le
pays n’a jamais cessé d’être le théâtre de coups d’état militaire
portant à la tête des chefs d’état corrompus et totalitaires, souvent
marionnettes à la solde des américains, coupables d’assassinats politiques. Les guerres civiles se succèdent. A cela il faut ajouter que le pays est
devenu la plaque tournante du trafic de drogue en direction des
Etats-Unis et est ravagé par les violences des cartels qui terrorisent
la population. Le Honduras détient l’un des plus forts records du monde
de la criminalité.
A l'heure actuelle Xiomara Castro, première femme investie présidente du Honduras, le 27 Janvier 2022, a promis de fonder un état démocratique et socialiste.
Les amants brutaux
Eux, les étrangers,
son arrivés d’autres mondes à ce sol qui nous a vus
naître
Nous sommes la lumière ont-il dit sans mâcher leurs
mots.
Ils sont arrivés
multipliant la mort par trahisons à nous appeler leurs
amis,
à tout manger et à ne plus quitter ce sol
qui nous a vus naître, eux, les hommes linéaires et
métalliques,
eux, les amants brutaux
de la Mort.
Mort à la Mort.
Un peintre hondurien
Quand j'ai cherché un peintre hondurien (je n'en connais aucun) pour illustrer ce billet, je suis tombée sur un artiste contemporain, né en 1958, présenté comme "le plus talentueux" du pays : Roque Zelaya. Autodidacte, peintre naïf, il crée des tableaux lumineux parlant de la vie quotidienne des habitants : mariage, travaux des champs, match de football, jolies jeunes filles... Des images du bonheur, de la vie simple dans un paysage radieux. Tout le contraire de ce que je viens de lire sur ce pays !
Roque Zelaya : le vent |
En fait ces images évoquent pour moi la petite maison à la porte blanche protégée par la fraternité des bêtes domestiques qu'imagine la maman de Roberto Sosa dans Les Larmes des choses.
Roque Zelaya : la plus jolie fille |
Roque Zelaya |
Roque Zelaya : Mariage |
Roque Zelaya |
En Amérique latine avec Ingammic ICI
Quel bel article, qui nous fait encore une fois découvrir deux artistes méconnus ! Et bravo : tu as déjà remporté le défi qui consiste à lire un auteur d'un des pays non visité lors de la 1ère édition..
RépondreSupprimerUn défi ! car beaucoup de livres ne sont pas traduits en français en particulier en Bolivie et au Bélize. A moins que j'ai mal cherché ?
SupprimerMerci pour ce voyage poético-pictural (il va sans dire que je ne connaissais ni l'un ni l'autre)
RépondreSupprimerMoi non plus !
SupprimerUn tout grand merci ! Le premier poème m'enchante, plein de fantaisie, et ces peintures un peu naïves et si colorées apportent tant de joie !
RépondreSupprimerIl y a un temps j'avais traduit et publié un autre poème de lui: https://espacesinstants.blogspot.com/2019/02/impossible-de-les-oublier-imposible.html
J'attends la suite avec impatience !
Comme toi, j'adore ce premier poème. C'est mon préféré.
SupprimerMerci pour le voyage! J'aime beaucoup ces peintures qui me font penser aux naïfs de Haïti
RépondreSupprimerOui, c'est vrai ! J'aime beaucoup les peintres naïfs; Ils proposent un regard neuf sur le monde.
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