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mardi 6 août 2024

Musée des Beaux-Arts de Rouen : Albert Fourié : la mort de madame Bovary

Albert Fourié (1854_1937) La mort de madame Bovary Musée des Beaux-Arts de Rouen

 

En visitant le musée des Beaux-arts de Rouen et avant de vous parler des impressionnistes que j'y ai admirés et de la magnifique exposition de Hockney en hommage aux impressionnistes, voilà une peinture qui m'a surprise car je ne la connaissais pas et ne m'attendais pas à la trouver là !  Il s'agit d'un grand tableau (141 sur 203 cm) peint par Albert Fourié, intitulé, la mort de madame Bovary. Le peintre  a choisi de figurer la fin de la veillée funèbre, lorsque le jour se lève. On y voit Monsieur Bovary, debout au pied du lit,  éploré, la tête dans les mains, et l'on comprend que c'est ainsi, dans l'affliction la plus complète, qu'il a dû passer la nuit. Derrière lui, le curé Bournisien et le pharmacien Monsieur Homais ont cédé à la fatigue et dorment sur leur chaise. Le tableau fut présenté au Salon 1883, obtint un franc succès et permit à Albert Fourié d'être choisi comme illustrateur du livre de Flaubert.

La jeune morte est représentée,  en accord avec la description de Flaubert, vêtue de sa robe de mariée. Un voile couvre sa tête, ses longs cheveux noirs sont dénoués et l'on aperçoit, par transparence, son beau visage envahi par les couleurs de la mort.

 


 Incapable de rembourser ses dettes, abandonnée par son amant Rodolphe, Emma a volé une forte dose d’arsenic chez le pharmacien et a décidé de mettre fin à ses jours.
La mort d’Emma  est tout sauf romantique. La force des détails réalistes plongent le lecteur dans l'horreur d'une mort violente et douloureuse. C'est ce qui valut à Flaubert un procès à la suite du scandale que ce dénouement provoqua.


 La mort d'Emma Bovary

 

"La nuit tombait, des corneilles volaient.
Il lui sembla tout à coup que des globules couleur de feu éclataient dans l'air comme des balles fulminantes en s'aplatissant, et tournaient, tournaient, pour aller se fondre sur la neige, entre les branches des arbres. Au milieu de chacun d'eux, la figure de Rodolphe apparaissait. Ils se multiplièrent, et ils se rapprochaient, la pénétraient; tout disparut. Elle reconnut les lumières des maisons, qui rayonnaient de loin dans le brouillard.
Alors sa situation, telle qu'un abîme, se représenta. Elle haletait à se rompre la poitrine. Puis, dans un transport d'héroïsme qui la rendait presque joyeuse, elle descendit la côte en courant, traversa la planche aux vaches, le sentier, l'allée, les halles, et arriva devant la boutique du pharmacien. […]
En effet, elle regarda tout autour d'elle, lentement, comme quelqu'un qui se réveille d'un songe; puis, d'une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu'au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l'oreiller.
Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s'éteignent, à la croire déjà morte, sans l'effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l'âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s'agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s'était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l'appartement. Charles était de l'autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur, comme au contrecoup d'une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.
Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton; et une voix s'éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d'un beau jour
Fait rêver fillette à l'amour.
Emma se releva comme un cadavre que l'on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s'inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.
– L'Aveugle s'écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d'un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s'envola !
Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus."

 

 
Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857.
 
 
 
Albert Fourié : la noce d'Emma

 


Albert Fourié : Emma


5 commentaires:

  1. Je ne me souviens pas particulièrement de ce tableau ; j irai faire un tour dès que je pourrai. J'ai adoré l'exposition Hockney. J y suis allée le premier jour dès l ouverture. J étais presque seule. Je compte bien y retourner aussi.

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  2. C'est un magnifique tableau. ce doit être impressionnant de se trouver devant et de le contempler dans toute sa grandeur, 141 sur 203, il doit être savoureux de s'attarder sur chaque détail ! Merci beaucoup pour cette découverte.

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  3. Belle illustration surtout quand on connait le texte (qui ne le connait pas?). Hocney a fait une immense fresque montrant le temps qui passe et les saisons en Normandie, c'était accroché à Orsay près des nymphéas. pas forcément un voisinage heureux?

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  4. C'est une très bonne idée de nous avoir présenté ce tableau. Merci beaucoup

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  5. Merci de nous montrer cela, Claudialucia. Il me semble que Flaubert était contre la représentation d'Emma Bovary, craignant que l'illustration ne fige son héroïne dans l'imagination des lecteurs, mais je n'en trouve plus la source.
    Juste cette phrase de Nabokov pour compléter : "La jeune Emma Bovary n'a jamais existé ; le livre Madame Bovary existera à tout jamais. Un livre vit plus longtemps qu'une jeune femme..." ("Littératures" 1)

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