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vendredi 13 septembre 2024

Normandie : Honfleur, Le Vieux Bassin, la Lieutenance, la jetée et l'église Sainte Catherine (1)

Louis-Alexandre Dubourg :  Les bains de mer à Honfleur

 
Louis-Alexandre Dubourg :  Les bains de mer (détail)


Quelle belle découverte que le port de Honfleur  avec son vieux bassin cerné par de maisons hautes aux façades d'ardoises grises alternant avec la couleur, ses vieilles rues aux maisons à pans de bois, sa Lieutenance, son musée Eugène Boudin !  La ville est située sur la côté sud de l'estuaire de la Seine, face au Havre. Une ville au riche patrimoine, vivante, accueillante.


Autour du vieux Bassin

Honfleur le vieux bassin

Honfleur le vieux bassin


Honfleur le vieux bassin

Honfleur : Eugène Boudin le vieux bassin


Honfleur : ancienne église Sainte Etienne : musée de la marine


Honfleur : Musée ethnographique et ancienne église Sainte Etienne

Attention tous les musées de Honfleur sont fermés le mardi !

 

La Lieutenance


François-Louis Français  : La lieutenance (musée Eugène boudin Honfleur)

La lieutenance est un vestige de la fortification élevée au XIV siècle sous le règne de Charles V.  Ces bâtiments qui surmontent la porte de Caen ont été affectés du XVII siècle jusqu'à la révolution au lieutenant du roi d'où son nom.

 

 

La jetée 

Honfleur : Louis-Alexandre Dubourg La jetée (détail) Musée des beaux-arts de Honfleur
 

De nombreux peintres ont peint cette jetée. Le peintre Louis-Alexandre Dubourg fut à l'initiative de la création du musée des Beaux-Arts de Honfleur dont il fut le premier conservateur en 1868. Il naît en 1821 à Honfleur où il meurt en 1891 mais il part étudier à Paris avec le peintre romantique Léon Cogniet. Il s'est attaché à représenter sa ville et sa région. 

 

Honfleur : Alexandre-Louis Dubour La jetée (détail)

Honfleur : Alexandre-Louis Dubour La jetée (détail)


Dans son tableau La Jetée il peint la promenade habituelle des Honfleurais à l'entrée du port avec le phare sur le droite. La foule  de promeneurs montre toutes les classes sociales, les dames élégantes, les bourgeois et le peuple.

Eugène Boudin, un autre peintre de Honfleur, l'a aussi représentée à plusieurs reprises.

 

Eugène Boudin : le jetée de Honfleur


L'église Sainte Catherine

 

Honfleur Eglise Sainte Catherine Johan Jongkind


Honfleur l'église Sainte Catherine : le double chevet

L'église Sainte-Catherine est une immense église en bois à double nef et au clocher séparé comme un campanile italien, installé sur l'ancienne maison du sonneur. L'église date de la deuxième moitié du XV siècle et remplace une ancienne église détruite par la guerre de Cent ans. Elle a été reconstruite par les habitants de la ville avec du bois en provenance de la forêt de Touques et selon leurs connaissances en construction  navale.


Honfleur l'église Sainte Catherine : le double chevet


Honfleur l'église Sainte Catherine : la double nef


Honfleur Eugène Boudin : L'église Sainte Catherine


Honfleur l'église Sainte Catherine : la double nef jour de marché



Honfleur l'église Sainte Catherine le clocher : Monet ou Boudin ?


Honfleur : Le clocher séparé de l'église Sainte Catherine

Honfleur : Le clocher séparé de l'église Sainte Catherine


Johan Bartold Jongkind le marché  le clocher de L'église Sainte catherine

 

 

Honfleur : Le musée Eugène Boudin (2) samedi 14 septembre









mercredi 11 septembre 2024

Normandie : Deauville et Les Fransciscaines

Deauville : Les Franciscaines : médiathèque et musée

 

Je continue mon voyage dans la Normandie au mois de Juin et la "tournée" des musées, des villes et des  impressionnistes et de ceux qui leur rendent hommage pour l'anniversaire de leur 150 ans.

En ce mois de Juin, avant les vacances d'été et le festival du cinéma américain de Septembre, Deauville, ses belles maisons, son port, sa plage, tout est calme et un peu vide, il faut bien le dire !

 

Deauville : le port


Deauville : le port


Deauville : Les Planches

 

Sur la plage, une promenade réalisé avec  de grandes lattes de bois appelées Les Planches courent le long des cabines de bain où les acteurs se réunissent  à l'occasion du festival et font inscrire leur nom. C'est sur cette immense plage que Claude Lelouch a réalisé le film Un Homme, une Femme et Claude Pinoteau La Boum.


Deauville : la plage


Deauville Les cabines de bain

 
Les franciscaines 
 
 
Deauville Les Franciscaines médiathèque: Alliance de l'ancien et du contemporain

Le musée est dans l'ancien couvent des soeurs franciscaines construit en 1886. Les soeurs y ont vécu jusqu'en 2012. Il s'agit d'une très belle alliance architecturale de l'ancien et du contemporain qui comporte en plus du musée, des salles de projection, de conférence, une médiathèque divisée en structures autour des thématiques chères à la ville de Deauville, le cheval, le cinéma, la photographie, la jeunesse.


Deauville Les Franciscaines salle de projection


Deauville Les Franciscaines médiathèque


Deauville Les Franciscaines médiathèque

 

Dans la médiathèque, les livres et les tableaux se côtoient. Je trouve que c'est une idée lumineuse d'offrir ainsi à ceux qui viennent travailler en bibliothèque un accès aux oeuvres d'art.


Deauville Les Franciscaines Eugène  Isabey: Le port

 

Eugène Isabey que j'ai découvert en Normandie est le maître d'Eugène Boudin et Johan Barthold Jongking.


Deauville Les Franciscaines médiathèque


Deauville Les Franciscaines médiathèque


Deauville Les Fransiscaines médiathèque

 
Exposition André Hambourg


André Hambourg: le palais des Doges Exposition Les Franciscaines

L'exposition André Hambourg s'achèvera le 5 Janvier 2025. André Hambourg (1909_1999) qui naît et meurt à Paris découvrira les côtes Normandes avant la guerre pour Honfleur, puis après la guerre pour  Deauville et Trouville.

En 1957, il tombe amoureux de Venise et la peint en toutes saisons, y compris sous la neige. Voir l'article sur ce peintre ici


André Hambourg : les toits de Venise


André Hambourg


André Hambourg


André Hambourg


André Hambourg


André Hambourg


Cabourg


Cabourg : le Grand Hôtel


Et comme après la visite de Deauville, il me restait un peu de temps, je suis allée jusqu'à Cabourg pour voir Le Grand Hôtel ! Ceux qui savent que je suis en train de lire La Recherche du temps perdu me comprendront !  Je ne pouvais manquer ce haut lieu proustien ! 

D'ailleurs, j'ai déjà publié un billet avec des photos Ici dans Les Jeunes filles en fleurs





lundi 9 septembre 2024

Edouard Peisson : Le sel de la mer


Sous  le titre générique de Le sel de la mer, Edouard Peisson a regroupé trois volumes portant chacun les titres suivants : volume 1 : Capitaines de la route de New York; volume 2 Le sel de la mer ; volume 3 Dieu te juge respectivement publiés en 1953, 1954, 1955 et parus dans le livre de poche, selon mon exemplaire, en 1973.

On s’aperçoit que la composition de cette trilogie est savante car elle ne suit pas l’ordre chronologique et commence dès les premières lignes par le naufrage « d’un splendide paquebot à trois tuyaux », appelé le Canope, commandé par Joseph Gorde et acheté par l’Entreprise de Navigation Intercontinentale bien que le navire soit réputé fragile et mal conçu. Un flashback nous permet ensuite de revenir en arrière et d’expliquer ce qui s’est passé et d’assister au drame. Enfin le second volume revient sur le naufrage pour déterminer la responsabilité du capitaine. Le troisième qui se déroule des années après suit le capitaine Gorde et montre que celui-ci n’a rien oublié, que ses actes présents sont déterminés par le drame qu’il revit sans cesse dans sa mémoire.


Capitaines de la route de New York
 
 
Un transatlantique français


Vox est le commandant du Virginia et il est une de ces figures chères à Peisson de capitaine expérimenté et solide mais taiseux et solitaire qui peuplent ses romans. Nous revenons sur la carrière de Vox et apprenons à le connaître. C’est un homme qui du mal à exprimer ses sentiments mais qui est profondément humain. Il se déroute quand il reçoit le message d’un cargo en difficulté, le Marco Polo, et il apprend qu’il n’est pas le seul navire à se porter au secours du bâtiment en détresse. Deux autres, l’Ascania et Le Canope, ont aussi répondu à l’appel. Ce dernier, on le sait, ne supporte pas le roulis et semble cacher bien des faiblesses dans sa construction, ce que n’ignore pas la compagnie qui l’a racheté. Quand Le Virginia arrive sur place, la tragédie du cargo est achevé. Il ne reste plus rien de lui mais le Canope est en difficulté. Vox pourrait prendre le paquebot sinistré en remorque mais la mer est si dangereuse qu’il ne pourrait le faire sans mette en danger son équipage et ses passagers, ce qu’il refuse selon les lois maritimes qui l’y autorisent. Il ne peut donc, impuissant à lui venir en l’aide, qu’assister au naufrage et recueillir les survivants. Le bilan est lourd : deux cent quinze disparus ! Parmi les membres de l’équipage, les seuls rescapés sont le capitaine Joseph Gorde, avec qui Vox a navigué jadis, sous les ordres du capitaine Derieu réputé pour sa brutalité, le second lieutenant Dufor et Ollivier, le troisième mécanicien. Gorde, tourmenté par sa responsabilité vis à vis du naufrage, vit un cauchemar lorsqu’il apprend en entendant une conversation privée que le lieutenant Dufor critique son attitude, son absence de réaction devant le danger, et que le mécanicien Ollivier le charge à fond et le tient pour responsable du naufrage.
C’est ainsi que se termine ce premier volume passionnant qui nous attache aux personnages et décrit le travail des membres de l’équipage, les responsabilités qui pèsent sur le capitaine d’un navire, ses doutes, ses angoisses auxquelles il ne doit pas céder. De plus la scène du naufrage, la peur des passagers, les différentes péripéties tragiques qui décident du sort de chacun sont décrits d’une manière magistrale. Et même si j’ai déjà assisté à un naufrage dans Parti de Liverpool, du même auteur, le récit n'est pas redondant et nous tient en haleine.


Le sel de la mer
 
 
Jules Van de Leene : paquebot à quai

Le second volume s’ouvre sur l’enquête menée par une commission de la Marine pour déterminer la responsabilité du capitaine Gorde. Cette commission comprend le vieux capitaine au long cours Cernay qui en est le seul marin. Les autres sont des techniciens, Sénanque, un administrateur de la marine, et l’inspecteur de la Navigation Latouche.
Gorde est le dernier à être entendu. Les enquêteurs ont préféré rencontrer d’abord les autres membres de l’équipage  survivants et les passagers rescapés si bien que lorsqu’ils entendent Gorde leur opinion est déjà tranchée.

Les questions qui se posent sont les suivantes pour établir les erreurs éventuelles de Gorde : celui-ci a-t-il eu raison de dérouter son bâtiment pour aller porter secours au cargo en difficulté, sachant que Le Canope était réputé peu fiable ? Il s’agit d’un dilemme qui fait intervenir des questions d’humanité et de morale quand on sait que les lois marines obligent au déroutement sauf à risquer son propre navire. Autrement dit tout est une question de discernement reposant sur les épaules du commandant.

 Et une fois sur place a-t-il agi avec assez d’efficacité ? Bref ! Aurait-il pu sauver le navire ?

La responsabilité de la compagnie d’armement qui pour des raisons financières a envoyé un paquebot à travers l’Atlantique sans avoir au préalable permis les restaurations nécessaires et s’être assurée que celui-ci était viable est bien sûr engagée. Mais cette question est évacuée par la commission qui  n’est pas là pour cela mais pour le capitaine.

Cependant Edouard Peisson soulève le problème suivant : quelqu’un qui n’a jamais pris la mer comme l’inspecteur Latouche est-il à même de juger de la responsabilité de celui qui est aux commandes, au milieu d’une tempête ? Et n’est-il pas trop facile de juger après coup, quand on sait ce qui s’est passé, quand on connaît les conséquences d’une décision prise dans le feu de l’action.

Cette rencontre qui met Gorde sur la sellette (avant son passage devant un tribunal de la marine) permet de préciser des faits qui n’avaient pas été évoqués dans le premier volume et de faire revivre la tragédie selon différents points de vue.  
 
Toutes ces questions à la fois éthiques et en rapport avec le droit maritime sont abordées d’une manière vivante, intéressante, du côté de l’Humain et de la souffrance. On vit les réactions épidermiques de Gorde, son sentiment de culpabilité, ses révoltes au cours desquelles il n’est pas obligatoirement sympathique tant il cherche à se défendre d’une manière exaltée. Et on se dit que la décision de ses semblables ne fera de toute façon pas le poids pour contrebalancer l’horreur de son propre jugement.


 Dieu te juge 


Victor Hugo : ma destinée


Enfin le troisième volume Dieu te juge conclut sur un autre épisode maritime dont Joseph Gorde est à  nouveau le personnage principal mais je ne vous en dis pas plus sinon que la fin est poignante et a un goût de tragédie.
 
Le titre est dû à ce que dit l’épouse de Joseph Gorde à son mari, elle qui prend une grande importance  quand elle devient son soutien et son réconfort dans ce troisième volume, alors qu’elle accuse l’inspecteur Latouche d’être « un peseur d’âme » ! .

«  Dieu te juge » lui dit-elle avant d’ajouter « je suis un chrétienne. J’ai le sens d’une « vraie » justice ». Pourquoi ? Lui demande son mari.

 Pourquoi ? Te vois-tu devant Dieu au lieu de te trouver devant ce M. Latouche ou devant ces capitaines auxquels on a a lu ton rapport de mer ? Devant Dieu avec toute ta vie de marin ? Qui a connu tes sentiments lorsqu’on t’a imposé le commandement du Canope, les craintes lorsque tu t’es trouvé face à l’Atlantique, ta pensée lorsque, devant la carte, tu as décidé de te porter au secours du Marco Polo.
Toi et Latouche vous n’êtes pas sur le même plan. Latouche t’accuse d’une faute de manoeuvre et, toi, tu penses aux morts.  Moi aussi. Tu penses aux enfants, aux femmes, aux hommes, écrasés, noyés.(…) La faute de manoeuvre, si tu l’as commise, elle n’entacherait que ta qualité de marin. Mais les morts, il n’y a que Dieu qui puisse t’en demander compte »


Dieu te juge est tout aussi réussi que les deux romans précédents. La trilogie se révèle une lecture addictive et passionnante soulevant des questions que seul un écrivain qui a été lui-même marin et commandant d'un navire peut poser et qu’il partage avec nous sans jamais être pesant.   





vendredi 6 septembre 2024

Marcel Proust: Le côté de Guermantes : Saint Loup : Lucidité et pessimisme (2)


Saint Loup : Lucidité et pessimisme (2)


Le côté de Guermantes marque un tournant dans la Recherche du temps perdu. C’est le moment ou Marcel accède à la compréhension du monde qui l’entoure, loin de l’idéalisation et de la rêverie. Cet instant s’accompagne d’une vision désenchantée de la société marquée par l'Affaire Dreyfus qui est un sujet de division. La mort de la grand-mère par la rupture qu’elle introduit dans la vie de Marcel provoque ce changement chez Marcel bien qu’il n’en prenne conscience que dans le volume suivant, le quatrième de la Recherche, Sodome et Gomorrhe. La grand-mère pour Marcel symbolise la protection, le cocon douillet dans lequel il se plaisait à se réfugier, l’amour inconditionnel qui le protégeait des épreuves. Sa mort, dans de grandes souffrances, tue l’enfant qui sommeille encore en lui et le  pousse vers la maturité. Sa naïveté va donc peu à peu céder la place dans ce troisième volume, au contact de la vie mondaine, à une lucidité accrue et un certain pessimisme vis à vis de la nature humaine. On l’a vu pour les Guermantes (voir ici)  mais il en est de même pour les autres personnages du roman. Tout se passe comme si Marcel était maintenant capable d’affiner les traits de caractère de chacun, d’en voir les nuances, de déceler ce qu’il ne pouvait voir dans Les Jeunes filles en fleurs. C’est ce qu’il continuera à faire dans Sodome et Gomorrhe que je suis en train de lire et qui éclairera, en particulier, le personnage de Charlus.


Saint Loup et ses « rôles »

Il en est ainsi de Robert de Saint Loup, cet ami dont il a fait connaissance à Balbec, dans Les jeunes filles en fleurs, et qui manifeste tant d’affection et de délicatesse envers Marcel.
La connaissance de ce personnage s’affine d’un livre à l’autre. Quand Marcel rend visite à Saint Loup, jeune sous-officier à l’école de cavalerie de Saumur, celui-ci le reçoit toujours avec autant de gentillesse, d’égards et admiration. Une scène montre quel ami dévoué et attentionné est Saint Loup lorsque, dans un restaurant, il s’aperçoit que Marcel a froid, il enjambe toutes les tables pour lui apporter son manteau de vigogne dont il l’enveloppe. Mais, un jour, que Marcel cherche à dire au revoir à son ami alors qu’il repart pour Paris, il aperçoit ce dernier en voiture, le salue, espère qu’il va s’arrêter mais celui-ci, comme Marcel l’apprendra plus tard, feint de ne pas l’avoir reconnu.

"Ainsi il m’avait reconnu ! Je revoyais encore le salut entièrement impersonnel qu’il m’avait adressé en levant la main à son képi, sans un regard dénonçant qu’il me connût, sans un geste qui manifestât qu’il regrettait de ne pouvoir s’arrêter. Évidemment cette fiction qu’il avait adoptée à ce moment-là, de ne pas me reconnaître, avait dû lui simplifier beaucoup les choses. Mais j’étais stupéfait qu’il eût su s’y arrêter si rapidement et avant qu’un réflexe eût décelé sa première impression. "

Marcel s’étonne de la double personnalité de son ami, celui qui est si amical, si empressé envers lui, et l’autre qui possède une telle maîtrise de soi, un tel empire sur ses émotions que le corps parvient à ne pas trahir ce qu'il éprouve, éducation aristocratique liée à ce sentiment de supériorité que dénonce Laure Murat dans son Proust, roman familial, dans lequel cette dernière apprend de sa mère que pleurer est vulgaire et est réservé aux domestiques. Ainsi Saint Loup peut feindre l’indifférence pour s’éviter des soucis. Et Marcel compare Saint Loup à « un parfait comédien » qui peut jouer deux rôles en même temps.
« Dans l’un de ses rôles il m’aimait profondément, il agissait à mon égard presque comme s’il était mon frère ; mon frère, il l’avait été, il l’était redevenu, mais pendant un instant il avait été un autre personnage qui ne me connaissait pas et qui, tenant les rênes, le monocle à l’œil, sans un regard ni un sourire, avait levé la main à la visière de son képi pour me rendre correctement le salut militaire ! »

Marcel remarque que les personnages de la noblesse sont toujours en représentation. Il aperçoit la duchesse de Guermantes dans son appartement alors qu’elle ne se sait pas observer, debout devant un miroir, en train de prendre des poses et de jouer à la grande dame. Cela rappelle la scène stendhalienne ou Julien Sorel surprend le cardinal en train de s’exercer à donner la bénédiction devant un miroir. Marcel observe, caché derrière un volet, Charlus et Jupien ensemble dans Sodome et Gomorrhe. On s’aperçoit que Marcel a souvent tendance à regarder par le trou de la serrure (au sens figuré) car c’est en épiant les gens qu’ils découvrent ce qu’ils sont réellement, ce qu’ils cachent à la société et la double personnalité qu’ils dissimulent.

Saint Loup et l’amour


Il en est de même de l’attitude de Saint Loup envers sa maîtresse Rachel. Celle-ci, actrice, coquette, n’hésite pas à le rendre jaloux en octroyant ses faveurs à d’autres. Toutes les rencontres du jeune homme et de Rachel donnent lieu à d’affreuses disputes, à des ruptures qui le mettent à la torture, des réconciliations houleuses.  On ne peut s’empêcher de plaindre Saint Loup qui semble être une victime dans l’amour qu’il voue à cette femme vénale, à propos de laquelle Marcel s’aperçoit avec stupéfaction qu’il l’a rencontrée dans une maison de passe.

 « Certes, s’il avait su maintenant qu’elles (les faveurs de Rachel) avaient été offertes à tout le monde pour un louis, il eût sans doute terriblement souffert, mais n’eût pas moins donné un million pour les conserver, car tout ce qu’il eût appris n’eût pas pu le faire sortir — car cela est au-dessus des forces de l’homme et ne peut arriver que malgré lui par l’action de quelque grande loi naturelle — de la route dans laquelle il était et d’où ce visage ne pouvait lui apparaître qu’à travers les rêves qu’il avait formés… »

Cet épisode permet à Proust de réaffirmer que l’amour n’existe pas en réalité mais est le fruit de l’imagination, idée filigrane qui court tout au long de la Recherche. Pourtant et paradoxalement ,si l’amour est une illusion, la souffrance qu’il procure ne l’est pas!

« J’avais compris le matin, devant les poiriers en fleurs, l’illusion sur laquelle reposait son amour pour « Rachel quand du Seigneur *», je ne me rendais pas moins compte de ce qu’avaient au contraire de réel les souffrances qui naissaient de cet amour. »

Mais Saint Loup là, encore, joue un double rôle. D’une part, il fait croire à tous que Rachel reste avec lui parce qu’elle l’aime et non par intérêt et ceci par orgueil. D’autre part, il dépense une fortune pour elle et est prêt à faire un mariage d’argent pour continuer à l’entretenir.  Marcel observe le jeune homme et découvre sa mesquinerie quand il subordonne l’achat d’un collier dispendieux à la bonne conduite de sa maîtresse dans une sorte de chantage que Rachel finit par refuser.  Mais c’est un mot surtout qui montre la médiocrité du personnage et qui indique que Robert est conscient de tenir sa maîtresse par l’argent. L’amour qu’il prétend lui manifester n’est, en fait, qu’une manifestation de son désir de domination.

Robert avait cent fois raison. Mais les circonstances sont toujours si embrouillées que celui qui a cent fois raison peut avoir eu une fois tort. Et je ne pus m’empêcher de me rappeler ce mot désagréable et pourtant bien innocent qu’il avait eu à Balbec : « De cette façon, j’ai barre sur elle. »

Saint Loup et la violence


La scène qui démystifie complètement Saint Loup suit une de ces disputes avec Rachel. Enervé et violent, Saint Loup s’en prend à un journaliste qui refuse de cesser de fumer devant Marcel. Il s'adresse calmement à cet homme et en souriant  et soudain ...

À ce moment, je vis Saint-Loup lever son bras verticalement au-dessus de sa tête comme s’il avait fait signe à quelqu’un que je ne voyais pas, ou comme un chef d’orchestre, et en effet — sans plus de transition que, sur un simple geste d’archet, dans une symphonie ou un ballet, des rythmes violents succèdent à un gracieux andante — après les paroles courtoises qu’il venait de dire, il abattit sa main, en une gifle retentissante, sur la joue du journaliste.

Et quand au sortir de cette altercation, Saint Loup est abordé dans la rue par un homme qui lui fait des propositions, il le roue de coups. Cette réaction excessive ne préfigure-t-elle pas ce que Saint Loup cherche à se cacher à lui-même et qui se révèlera par la suite, son homosexualité ?  Mais n'anticipons pas !


Saint Loup et le Dreyfusisme


Au grand dam de sa famille Saint Loup, sous l'influence de sa maîtresse, est dreyfusard. Dans son milieu, c'est un scandale car Saint Loup fait une carrière dans l'armée. Or, on s'aperçoit bientôt, surtout après l'intervention de Zola, que la question n'est pas de savoir si Dreyfus est réellement coupable ou non ! Il s'agit pour toute la noblesse et la grande bourgeoisie conservatrice de défendre l'honneur de l'armée. Celle-ci ne peut avoir tort ! Pour couper court à tout problème moral, on prétend que les juifs ne sont pas français, et puisqu'ils ne sont pas de vrais français, prendre le parti de Dreyfus c'est être antinationaliste et antipatriote ! Ainsi à l'antisémitisme bien réel s'ajoute l'accusation de vouloir salir l'armée et d'être traître à son pays. C'est ce qui a valu bien des menaces de mort à Zola et peut-être son assassinat.

 Heureusement, pour lui, Saint Loup est protégé par le prestige lié à la haute noblesse, et à sa parenté avec les Guermantes. Il est en un sens intouchable et ses amis, élèves-officiers comme lui, évitent de soulever le sujet en sa présence. Mais sa famille fulmine contre le jeune homme qui risque de manquer son admission au club distingué et élitiste le Jockey. Un si grand préjudice n'est évidemment pas à mettre en balance avec le sens de la justice et la dénonciation des véritables coupables !

"Vous m’avouerez, déclare le duc Basin de Guermantes que si un des nôtres était refusé au Jockey, et surtout Robert dont le père y a été pendant dix ans président, ce serait un comble. Que voulez-vous, ma chère, ça les a fait tiquer, ces gens, ils ont ouvert de gros yeux. Je ne peux pas leur donner tort ; personnellement vous savez que je n’ai aucun préjugé de races, je trouve que ce n’est pas de notre époque et j’ai la prétention de marcher avec mon temps, mais enfin, que diable ! quand on s’appelle le marquis de Saint-Loup, on n’est pas dreyfusard, que voulez-vous que je vous dise !"

 Dans Sodome et Gomorrhe on verra ce qu'il adviendra des idées de Saint Loup sur Dreyfus quand il aura rompu avec Rachel.

 

 



Le côté de Guermantes livre de poche 1088p