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jeudi 9 février 2012

Percival Everett : Désert américain





Désert américain de  Percival Everett est  livre peu banal ! Ce qui en fait  l'originalité, c'est que l'écrivain part d'un fait rocambolesque pour mieux nous présenter la réalité américaine.

Theodore Larue, époux peu fidèle de Gloria, père de deux enfants, Emily et Perry, et professeur d'ancien anglais à l'université de Californie du Sud meurt dans un accident de voiture. Et non seulement, il meurt mais en plus il est décapité. Sa tête est hâtivement recousue à son corps afin qu'il fasse un cadavre convenable dans son cercueil..  Oui, mais voilà que pendant la cérémonie religieuse le cadavre se dresse (provoquant une émeute) et force est de constater qu'il est vivant! Un choc pour sa femme et ses enfants et  pour l'intéressé lui-même.  Les médias s'emparent de l'affaire attirant l'attention sur lui.  Ted  est  alors embarqué dans une histoire complètement farfelue et à rebondissements.

Percival Everett manie l'ironie d'une manière assez féroce. Ted Larue  meurt dans un accident alors qu'il est en route vers son suicide à la suite de ses échecs professionnels et conjugaux. Le récit se teinte d'un humour noir assez savoureux et  plein de détails  scabreux : la tête est recousue par l'embaumeur "à gros points serrés au fil de pêche bleu de quinze", couture grossière qui gêne notre héros quand il redevient vivant (on le comprend!). L'écrivain se délecte à nous raconter la réaction de la foule hystérique dans l'église et les rues avoisinantes, celle du voisin hargneux qui s'évanouit..  Les portraits satiriques des personnages comme celle du directeur du département de Ted à l'université  ou celui du gourou Big Daddy sont très réussis!

Mais on peut se demander pourquoi cette fable. Pourquoi Perceval Everett prend il pour porte-paroles "un mort en vie" pour présenter sa vision de la société ? Au-delà du rocambolesque, l'écrivain  nous dit que son personnage qui est revenu de la mort a gagné en lucidité. Sa vision est devenue autre, plus profonde, plus large, plus complète. Faut-il aussi ne plus avoir rien à perdre pour avoir le courage de démasquer les impostures et les crimes ? La mort est-elle nécessaire pour  y voir plus clair? Autrement  dit, nous, les vivants, serions-nous aveugles  à ce qui nous entoure? 

Sa mort avait changé sa conception de la vie. Sa résurrection avait enrichi sa personnalité, le faisant accéder à une dimension jamais atteinte de son vivant(...) Son regard était différent, sa façon de pencher la tête quand il observait le monde autour de lui, de se tourner, de montrer du doigt.

Car au-delà de l'humour, Ted devient un prétexte à la dénonciation de la société américaine. Et tout d'abord des journalistes et des médias charognards dont Ted et sa famille deviennent la proie. L'université et son système aléatoire de titularisation sont aussi remises en question. Ted travaille depuis neuf ans, ses évaluations d'enseignements sont parfaites mais il n'a pas publié de livre  et est en passe d'être remplacé par une jeune femme  de manière tout à fait arbitraire.  Par contre, il ne sera pas inquiété pour ses fautes réelles, ses relations sexuelles avec son étudiante. Les services secrets américains, les sectes religieuses et leurs dangereuses dérives, le clonage (et pas n'importe lequel grâce à l'imagination sans limites de Percival Everett ! )sont aussi au coeur de cette critique qui montre une société malade où les faibles sont opprimés.

Quand il meurt pour de bon, Percival Everett répond aux journalistes qu'il n'a pas de message à transmettre sur la mort après la vie. Il n'est pas Jésus, ni un ange, ni Satan, comme on a pu le dire. "La mort n'est pas une mauvaise chose", affirme-t-il, et c'est pourquoi il ne faut pas en avoir peur.

Ce roman n'est pas sans me rappeler le Testament de Ben Ziom Avrohom de James Frey, écrivain qui a lui aussi choisi la fable et la provocation pour composer un tableau de la société américaine au cours d'un  récit complètement fou .  

Merci à Keisha pour ce livre qui continue à voyager. Qui le veut?

mardi 13 mars 2012

Erwan Larher : Autogénèse




Le livre Autogénèse de Erwan Lerher est un livre original dans le paysage littéraire français. Loin du nombrilisme de certains romans, il nous promène dans toutes les couches de notre société pour nous en présenter les travers.
Erwan Larher a imaginé un homme qui se réveille dans une maison éloignée de tout. Il est nu, il n'a aucune trace de souvenir dans sa mémoire vierge, aucun papier pour lui révéler son identité. Il décide donc de se donner un nom qu'il trouve au fond du verre dans lequel il est a bu : Ikea. Muni de de ce seul viatique, Ikea part dans le vaste Monde - qui semble être la France- à la découverte de ses semblables. Je dis qui semble car nous sommes dans le futur et le pays a bien changé, la population regroupée dans d'immenses centres urbains au détriment des villages et des campagnes abandonnées. Ikea, vous l'avez compris, comme le personnage de Voltaire, est un Candide qui découvre une société et par sa naïveté en fait ressortir les dysfonctionnements, les erreurs voire les horreurs.

Alors, allez-vous me dire, il s'agit d'un roman de science-fiction? Oui et non! Certes nous sommes dans le futur mais c'est bien à notre société actuelle que s'attaque Erwan Larher. Il a seulement porté la logique de notre système jusqu'au bout et montrer ce qu'il nous adviendra si nous continuons dans cette direction.
Notre Candide dans ses tentatives bon enfant et sympathiques pour nouer des liens avec autrui va se heurter à la peur de ses semblables qui considèrent tout étranger comme suspect et dangereux. Il découvre des hommes et des femmes, des enfants même, qui ont perdu toute notion de solidarité; l'individualisme triomphe, une déshumanisation où personne ne se soucie de son voisin. Et comme il ne peut prouver son identité, il devient un sans papier, traqué, humilié,  envoyé dans une usine où des êtres humains travaillent comme des esclaves sans avoir l'espoir d'en sortir un jour.
Larher démonte les rouages des pouvoirs politiques, des puissances d'argent qui sont maîtres des médias, contrôlent tout information, musellent la vérité, achètent les consciences ou les écrasent, empêchent les opposants d'agir par le chantage ou par la peur. Des gouvernements prompts à déclarer la guerre à ceux qui ne vont pas dans leur sens, à utiliser la force là où ils ne peuvent tromper et dominer par les moyens habituels.. Il dénonce les "cadeaux" que les gouvernements font aux grandes entreprises privés au détriment des plus pauvres : 

Ce projet était un partenariat public-privé; le privé retirant ses billes (et ses dividendes) avant la débâcle, les Etats partenaires seraient obligés de payer le surcoût imposé par les retards de livraison. On se procurerait cet argent en augmentant certains  prélèvements indirects pesant sur ceux qui végètent vers les bas de l'échelle sociale( puisqu'ils se laissaient faire sans broncher, pourquoi avoir pitié d'eux.)en augmentant les taxes sur certains produits de consommation locale.

Quant au président François Copain, voilà les difficultés auxquelles il doit faire face au moment des élections :
Le bourbier perse où quelques soldats français venaient de perdre la vie dans une embuscade, sans compter l'Afpac où l'occident s'embourbait depuis des décennies.Le chômage en hausse, la dette égale; deux de ses ministres dans de sales draps : l'un au sens propre, chopé avec la fille mineure de sa femme de ménage, obligée de la fermer pour que maman garde sa place, l'autre pris la main dans pot-de-vin, une histoire d'appels d'offres truqués qui durait depuis des années.

Bref! Vous voyez bien que nous ne sommes pas si loin de notre monde actuel!
Les partis politiques aussi se retrouvent dans le collimateur et certes, ils ne portent pas le même nom dans le Monde d'Ikéa mais comme nous les reconnaissons bien !

Les Feuillants, François Copain et Hugues Borlette en tête valorisaient l'individu au détriment du collectif, castrateur et émollient.
Ses leaders et maîtres à penser affirmaient que l'homme est un loup pour l'homme, que l'on n'y peut rien changer, que la compétition et le struggle for life étaient dans ses gènes depuis la nuit des temps.
On ne pouvait donc pas critiquer les politiques au pouvoir : ils ne faisaient qu'appliquer les principes aux quels ils croyaient en laissant les pauvre s'appauvrir, les riches prospérer, en maintenant étiques les services publics, en ne soutenant plus les indigents, les artistes, les handicapés.


Au contraire des Feuillants, les Montagnards avaient longtemps soutenu que le rôle d'une société était de transformer les inégalités de droit, pour protéger les faibles et faire en sorte que le bien-être ne soit pas réservé aux quelques plus forts du troupeau.... Pourtant ils avaient peu à peu cessé de lutter  principes contre principes avec les Feuillants qui avaient progressivement, via les médias et les programmes scolaires, instillé les leurs dans les crânes comme des évidences. Si bien que l'idéalisme originel des Montagnards apparaissaient comme une faiblesse, au contraire du réalisme de leurs opposants.

Le livre est donc une sorte de récapitulatif de tout ce qui ne va dans la la société française, ce qui est très réconfortant (Ah ! enfin quelqu'un qui s'intéresse  à ce qui se passe autour de nous pour faire entendre une voix indignée ) et il ne manque pas d'humour. Celui-ci provient principalement de la naïveté absolue d'Ikéa qui ne comprend pas le monde qui l'entoure et doit se faire expliquer ce qui est évident pour tous. Par exemple son incompréhension de l'homophobie, plonge ses camarades de travail dans l'embarras. Mais l'auteur n'oublie pas qu'il s'agit d'un roman et crée des personnages qui (à l'exception d'Ikéa) ont une histoire, un passé, des sentiments même s'ils restent parfois trop démonstratifs et sont plus des idées que des personnages réels .
Autogenèse me rappelle certains titres d'écrivains américains Percival Everett ou James Frey qui promènent aussi le lecteur dans la société de leur pays. Il en a les qualités et va même plus loin dans la dénonciation du mondialisme,  des magouilles et des errements politiques. L'on aimerait bien parfois, au lieu d'un survol général, que l'écrivain aille plus loin, creuse plus profond sur certains sujets, mais quoi qu'il en soit Autogénèse est un roman qui fait du bien parce qu'il nous permet de réfléchir sur nous-mêmes et sur le monde politique et, en ce moment, en particulier, nul doute que ce n'est pas superflu!! (Voir citation extraite de Autogenèse Jeudi  15 dans : Que disent-ils de la politique?)

Merci à Keisha pour ce livre  voyageur : Voir son billet ICI
Voir aussi Aifelle