Jean-Bernard Pouy |
Jean-Bernard Pouy est né
à Paris en 1946. Après un DEA en histoire de l’art sur le cinéma,
il devient animateur socioculturel dans un lycée de la banlieue
parisienne. Son premier roman, Spinoza encule Hegel (1977),
donne le ton. Libertaire, incisif, il est l’auteur de nombreux
polars : il est connu notamment pour avoir imaginé le personnage du
Poulpe (Gabriel Lecouvreur) aux éditions Baleine dont il est l’un
des fondateurs. Adepte de l’Oulipo, et notamment de Queneau, il
applique à la plupart de ses textes une contrainte formelle : il
utilise des incipits de roman pour les attaques de chapitre, le
cadavre exquis pour La Vie duraille avec Daniel Pennac et Patrick
Raynal. Il a obtenu en 2008 le Grand Prix de l’humour noir pour
l’ensemble de son œuvre. Depuis 2006, il est également directeur
de collection de Suite noire aux éditions La Branche. Il s’est
gagné un cercle d’admirateurs qui le surnomment affectueusement «
Jibé » et se régalent de son style caustique. (source)
Le musée des Confluences Lyon |
Raconter l’homme, c’est l’objectif de la collection Récits d’objets édité par Le musée des Confluences de Lyon.
Le principe : inviter un écrivain à faire
d’un objet du musée le cœur d’une fiction. Un téléphone, un
rare châle de soie de mer, un fossile et un fragment de météorite
sont les premiers objets choisis par Jean-Bernard Pouy, Emmanuelle
Pagano, Philippe Forest et Valérie Rouzeau.
Cette collection est enrichie d’une offre
numérique. Le lecteur peut visualiser l’objet en réalité
augmenté, visionner un entretien avec l’écrivain et partager ses
impressions sur le réseau social Libfly. (source)
Le téléphone S63
Le Socotel S63 |
L'objet choisi par
Jean-Bernard Pouy dans S63 raconte donc l'histoire d'un objet
peu banal dans ce siècle de vénération des smartphones! Il s'agit
d'un téléphone des années 1963 ! Autrement dit une
antiquité !
Jean-Bernard Pouy imagine
qu'il découvre, dans une brocante, une vieille toile sans valeur
qui se révèle être un tableau du XVIII siècle. A qui attribuer
l'oeuvre? Qui a-t-il sous la tache de peinture qui semble être un rajout?
Ce sont des questions que le narrateur va être obligé de se poser tout en refusant les spéculations sur la valeur du tableau. Après
avoir gratté la couche, quelle ne va pas être sa stupéfaction en
découvrant sur cette toile authentique le dessin d'un téléphone,
le S63 : tout en plastique, plus
quelques éléments en métal et des composants numériques. Un kilo
480. Haut de 13cm. 27Cm de long sur 26cm de large.
Un ton Oulipo
L'enquête
prend alors un ton farfelu qui convient très bien à un membre
d'Oulipo !
Ou
bien j'étais tombé par hasard sur une faille temporelle, ce qui
était quand même probable, ou bien j'étais encore plus zinzin
qu'avant.
Il
faut dire que le mystère est obsédant et qu'il va encore se
compliquer voire se densifier avec des apparitions aussi saugrenues
que celle d'un hélicoptère ou d'un autobus. Et quand le S63 se met
à sonner, avouez qu'il y de quoi en perdre la boule !
J'aime
l'humour de Jean-Bernard Pouy. Sa détestation des brocantes et des
vide-grenier, par exemple : l'un des
musts dominicaux … un peu partout dans l'Hexagone! Se
promener entre des tas de saletés invendables, des machines à coudre
du XVème siècle et des cafetières en émail toutes pourries peut
devenir une torture et rendre
méchant, très méchant. Pour ne pas sombrer il faut
avoir deux techniques : espérer ou
Il faut décider à l'avance de dénicher le
bien, l'objet, le bibelot le plus nul et le plus bête, voire le plus
laid.
Que ceux qui ne sentent pas viser lèvent le doigt!
J'ai aimé aussi la part faite à une réflexion sur l'art.
Que ceux qui ne sentent pas viser lèvent le doigt!
Une réflexion sur l'Art
Intéressant ses délires interprétatifs : j'avais toujours trouvé que l'Asperge de Manet était un pénis coupé au repos, en train de pourrir, et que la raie de Chardin était une mise en scène de symboles et de métaphores figurant le sexe féminin...
et
passionnantes ses divagations sur l'art à la suite de ces visions d 'objets pour le moins inattendus là où ils ne devraient pas être!
Grünewald Rétable d'Issenheim - source
|
Et
si l'art n'était qu'une pulsion de Mort? s'interroge-t-il, à propos du rétable d'Issenheim de Grunenwald, de La mort de Sardanapale de Delacroix en passant par le Saturne de
Goya ou les
tableaux de Jérôme Bosch? Une conclusion qui nous entraîne
dans une visite de Beaubourg sur les traces de la Mort, le seul
sujet non coupable de par son inattaquable réalité. De belles pages sur l'Art!
Requiem pour une feuille morte de Tinguely |
Dès l'entrée du musée d'art moderne de Beaubourg, il y a une oeuvre de Tinguely, gigantesque, noirâtre et vaguement menaçante, mécanique mentale qui n'inquiète pas vraiment en soi, le jeu et la complexité ludique des rouages pouvant éloigner un moment de l'idée de l'inexorable, quoique, mais qui est là volontairement ou non pour donner le ton. Et même si l'on ne voit pas immédiatement quelque chose de mortuaire, c'est en lisant le titre, Requiem pour une feuille morte, que l'on se trouve déjà préparé au message dominant : on va entrer dans le côté obscur de la force de création. Les forces infernales vous tendent les bras. Comme Dante guidé par Virgile, on pénètre dans une sorte d'Enfer. "Lasciate ogni speranza voi ch'entrate... Abandonnez, vous qui entrez, toute espérance."
Et Ben, avec sa toile Mourir c'est facile, qui abruptement nous avertit qu'il est plus aisé de rendre compte, artistiquement, de cette évidence qu'est la mort que de toute autre chose, nous préparant à Container Zéro, la chambre froide de morgue médicolégale de Raynaud, carrelage glacial, lavé incessamment au formol, où reste encore une once de respiration, comme des artères cardiaques emplies du sang bien rouge de la vie.
Raynaud : Container Zéro |
Baignant littéralement dans le cadavre et le cadavérique, on peut alors admirer d'un tout autre oeil la Mariée de Niki de Saint Phalle, immense fantôme grisâtre, corps ayant dépassé l'état même de pourrissement pour rejoindre celui de momie, comme chez les moines des capucins à Palerme.
Mariée de Niki de Saint Phalle |
Mariée de Niki de Saint Phalle (détail) |
Et voilà où nous mène un vieux téléphone S63 exposé au musée des Confluences à Lyon!
L'extrait sur les vide-grenier me réjouit, je déteste ce genre de manifestation, je n'y mets jamais les pieds .. cette collection est intéressante, mais je voudrais commencer d'abord par celui d'Emmanuelle Pagano.
RépondreSupprimerMoi aussi cela m'a fait beaucoup rire; Mes filles sont fans!
SupprimerA (re)noter pour une prochaine visite au Musée (qui est vraiment très bien, tant son architecture, plutôt vue de l'intérieur, que ses collections et sa muséographie) ou pour emprunter à la bibliothèque (plus raisonnablement !)
RépondreSupprimerL'architecture me paraît belle d'après la photographie..
SupprimerJ'aime les romans de Pouy, j'aime les brocantes aussi avec tous ces gens fascinés par les vieilleries, je jette un oeil moi-même sur les vinyls et vieux bouquins... d'ailleurs un musée n'expose t-il pas des vieilleries également hé hé ? Ah mais non là c'est de l'Art, Philfff !! un téléphone S63 ! on ne saurait trouver pareil once d'art dans un vide-grenier ah que nenni ! merci pour cet excellent billet ! il faut ab-so-lu-ment que j'aille à Lyon :)
RépondreSupprimerPouy est au festival de polars de Lyon, cette année! Quant au téléphone, dans une brocante ou au musée, tu as raison, c'est toujours le même objet! Philfff! Non! que dis-je? il est anobli par son séjour dans un musée!
Supprimerah voilà qui va me titiller toute la journée
RépondreSupprimerj'ai fait une tentative pour aller au musée, la queue était telle que j'ai vite renoncé !
A refaire donc
C'est toujours comme ça au début. J'ai fait la queue pour le musée Soulages à Rodez qui venait de s'ouvrir! Remarque cela valait le coup!
SupprimerIl va falloir un jour qu'on se décide à quitter les rocades et périphériques qui évitent Lyon et visiter ce musée. Il s'y passe des expos intéressantes!!!
RépondreSupprimerSi j'ai le temps lors de mon prochain voyage à Lyon, j'irai le voir???
SupprimerPourquoi pas, mais y aller un jour ou le soleil brille, brille, brille au dehors.
RépondreSupprimerD'habitude c'est quand il pleur qu'on va dans les musées.
SupprimerJoli billet ! Mais dis-moi, elle fait vraiment peur la mariée de Niki de St Phalle ! Le détail est glaçant... Sinon, j'ai commencé ton roman hier : je suis déjà partie dedans, c'est vraiment très bien, délassant, tout à fait ce qu'il me faut en se moment ;-) Bonne soirée à toi.
RépondreSupprimerOui, c'est le détail qui dément le côté idyllique et romantique! Et effectivement c'est glaçant!
SupprimerJoli billet, ClaudiaLucia !
RépondreSupprimerIl me parle. Je vais programmer de lire ce roman de Jibé !
Cette salle au musée est très parlante, en effet.
Mais il faut prendre son temps pour tout voir et tout entendre...
Bises du 5e