Résumé : Les bonnes de Jean Genet
Jean Genet |
Deux bonnes, Claire et Solange, profitent de l'absence de Madame pour investir sa chambre : Claire enfile une robe de sa maîtresse et devient Madame et Solange joue le rôle de sa soeur cadette Claire. Leur conversation nous apprend par bribes et par recoupements que Claire a accusé Monsieur de malversations par une lettre anonyme. Il est maintenant en prison. Et Solange a cherché à tuer Madame sans avoir le courage d'aller jusqu'au bout. Mais elles reçoivent un coup de téléphone de Monsieur qui est libéré et comprennent qu'il a découvert la vérité et va la révéler à Madame. Elles décident de tuer leur maîtresse en empoisonnant son tilleul. Celle-ci qui a appris la bonne nouvelle part rejoindre son amant en refusant de boire le tilleul. Solange et Claire reprennent leur jeu de rôles. Claire redevenue Madame boit le tilleul présenté par Solange-Claire et meurt. Toutes deux ont perdu le sens de la réalité et leur véritable identité.
L’origine de la pièce
Les soeurs Papin |
En cherchant à comprendre Les bonnes de Genet, j’ai fait une recherche pour retrouver l’origine de cette histoire. L’auteur, bien qu’il s’en défende, a été inspiré par un fait divers, celui des soeurs Papin qui ont assassiné leurs patrons, abominable fait divers qui avait défrayé la chronique 14 ans avant l’écriture de la pièce.
Jean Cocteau |
Mais Genet s’est aussi vraisemblablement inspiré d’un poème de Jean Cocteau intitulé Anna La bonne qui commence ainsi :
Ah, Mademoiselle !
Mademoiselle Annabel
Mademoiselle Annabel Lee
Depuis que vous êtes morte
Vous avez encore embelli
Chaque soir, sans ouvrir la porte
Vous venez au pied de mon lit
Mademoiselle, Mademoiselle
Mademoiselle Annabel Lee
Sans doute, vous étiez trop bonne
Trop belle et même trop jolie
On vous portait des fleurs comme sur un autel
Et moi, j'étais Anna, la bonne
Anna, la bonne de l'hôtel
Vous étiez toujours si polie.
Dans le poème de Cocteau, Anna la bonne administre sciemment plus de dix gouttes d’un médicament à la belle Annabel Lee et la tue, similitude avec le tilleul empoisonné proposé à Madame par les deux soeurs dans la pièce.. On retrouve aussi dans le poème comme dans la pièce de théâtre, le même jeu de mot : Madame est bonne/ Anna la bonne... extériorisation de la haine éprouvée par les domestiques envers leur maîtresse car c’est peut-être cette bonté qui les humilie le plus.
« C’est facile d’être souriante et douce ; Quand on est belle et riche! » dit Solange.
« C’est facile d’être souriante et douce ; Quand on est belle et riche! » dit Solange.
Edgar Poe |
Puis curieusement, dans ma recherche, je suis passée de Jean Cocteau à Edgar Poe traduit par Mallarmé
Il y a mainte et mainte année, dans un royaume près de la mer, vivait une jeune fille, que vous pouvez connaître par son nom d'ANNABEL LEE : et cette jeune fille ne vivait avec aucune autre pensée que d'aimer et d'être aimée de moi.
Je dis curieusement, car il ne s’agit pas dans le poème de Poe du récit d’un crime mais d’une triste histoire d’amour qui finit par la mort de la bien-aimée, cette même Annabel Lee dont le nom revient sous la plume de Cocteau.
L’accueil de la pièce
La pièce a été créée par Louis Jouvet en 1947 au théâtre l’Athénée. Au départ, pièce de quatre actes pratiquement injouable, elle a été réduite par Genet avec l’aide de Jean Cocteau à un acte pour figurer en avant-spectacle d’une pièce de Giraudoux. Si l'oeuvre de ce dernier a plu au public, Les Bonnes a reçu, par contre, un accueil glacial. En effet, même si Genet se défend d’avoir voulu écrire une pièce sociale « il ne s’agit pas d’un plaidoyer sur le sort des domestiques », le public bourgeois a été désagréablement secoué par la haine qui émane des deux bonnes. Malgré les dénégations de l’auteur, les rapports de force entre les classes sociales sont extrêmement violents et ont de quoi choquer. Le but de Genet était « d’établir une espèce de malaise dans la salle ». Il y est est parfaitement parvenu ! D’autre part, le langage théâtral était si nouveau qu’il détonait par rapport au classicisme de Giraudoux. Genet était très en avance sur son époque. Il avait provoqué l’admiration de Cocteau, Jouvet mais aussi de Sartre.
Un théâtre qui tourne le dos au réalisme
Je dois dire pour être franche que lire pour la première fois cette pièce de Jean Genet même de nos jours est déconcertant au niveau de la structure et du langage théâtral. Même à notre époque, c’est un théâtre complexe.
Les films de Chabrol La cérémonie et Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis nous ont préparés à la dureté de l’action. Ce n’est pas comme si nous entrions dans la pièce, vierges de toutes références : la monstruosité des deux soeurs, Solange l’aînée et Claire, ne nous surprend pas. Ce qui déstabilise, c’est la structure de la pièce. La scène d’ouverture ne peut être entièrement comprise car le spectateur n’a pas toutes les cartes en main. Il lui manque des éléments pour saisir ce qui se passe. C’est la scène suivante qui nous éclaire sur ce qui a été dit. C’est le contraire du théâtre classique où la scène d’exposition nous donne dès le début toutes les clefs pour comprendre l’action.
D’autre part les personnages ne sont pas ce qu’ils sont. Ainsi les deux bonnes ne jouent pas leur propre rôle et endossent d’autres identités. Claire interprète le rôle de Madame et Solange celui de Claire. Il s’agit d’un théâtre dans le théâtre et les identités des deux soeurs sont brouillées. Ce sont des personnages qui paraissent interchangeables. En fait, elles pourraient n’être qu’une. D’ailleurs dans le poème de Jean Cocteau qui a inspiré Genet, la bonne est seule et c'est ce qui arrive quand Claire meurt au dénouement. En effet, contrairement au fait divers des soeurs Papin et au texte de Cocteau, la pièce ne se termine pas par la mort de la maîtresse mais par la mort de Claire qui s’est identifiée à madame au point d’épouser sa mort. Le jeu de substitution qu’elle a joué lui fait perdre sa propre identité au risque de basculer hors du réel.. Car Genet refuse que le théâtre soit « la description de gestes quotidiens vus de l’extérieur. ». Nous voyons les deux femmes de l’intérieur puisqu’elles se révèlent à nous dans leur intimité, au cours d’un jeu, « dans leur solitude », certains soirs où elles n’ont pas à feindre, en l’absence de Madame. C’est pourquoi les comédiennes ne doivent pas jouer d’une manière réaliste, elles ne doivent pas paraître vraies ! Peu importe que les bonnes véritables ne parlent pas de cette manière. L’auteur affirme qu’elles sont des « allégories » et que la pièce est un conte destiné à révéler le monstre en lui comme en nous-mêmes, spectateurs.
Des personnages aux sentiments ambivalents
Affiche du spectacle mis en scène par Guillaume Claysen |
Claire et Solange sont animées envers leur maîtresse de sentiments ambivalents, entre haine et admiration. Tout en détestant madame, elles cherchent à lui ressembler, empruntent ses toilettes, ses parfums, ses fards, imitent ses manières, son autorité. Elles admirent la beauté de leur maîtresse dont Solange parle comme d’une amoureuse : « votre poitrine... d’ivoire ! Vos cuisses… d’or ! » mais plus que tout sa bonté, leur est insupportable, humiliante!
Leur état d’infériorité est symbolisé par les lieux de la maison: ceux qui sont Off et que l’on ne verra pas : la cuisine : « tout, mais tout ! ce qui vient de la cuisine est crachat ! », et leur mansarde misérable et nue. La splendeur de Madame apparaît avec le seul lieu visible sur scène, cette chambre riche que les bonnes ont investie. Celles-ci sont non seulement prisonnières de leur milieu social mais aussi d’elles-mêmes. La pièce où se déroule l’action est un huis-clos qui reflète leur enfermement mental.
Mais les deux soeurs éprouvent aussi entre elles des sentiments qui oscillent entre la haine et l’amour. Solange, la soeur aînée est violente, vindicative et cherche à dominer l’autre. Claire, est plus douce, plus soumise vis à vis de Solange sauf quand elle joue le rôle de Madame qui lui permet d’exercer momentanément un ascendant sur sa soeur. Il semble qu’elles soient les deux facettes d’un même personnage : « Tu seras seule, dit Claire à sa soeur, pour vivre nos deux existences » Et surtout quand tu seras condamnée, n’oublie pas que tu me portes en toi. »
Je vais voir cette pièce au festival In d'Avignon montée par Katie Mitchell, metteuse en scène britannique le 21 Juillet je vous en reparlerai à ce moment-là. (A suivre)
j'attends ton compte-rendu!
RépondreSupprimerJ'espère que cela va être bon ! De cette metteuse en scène, j'ai vu deux spectacles, l'un excellent, l'autre ennuyeux au possible ! Alors ?
RépondreSupprimerCe n'est pas pièce préférée ! Oui, complexe avec le théâtre dans le théâtre. J'avais vu la cérémonie aussi. Merci pour ce billet complet :-)
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