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dimanche 16 juillet 2017

Victor Hugo : L'intervention



L’intervention est une petite comédie en un acte assez curieuse par rapport à l’écriture de Victor Hugo. Ici pas de romantisme mais un réalisme qui montre que l’auteur connaît bien la classe ouvrière.

La pièce a été écrite en 1866 à Guernesey et fait partie de Théâtre en liberté. Elle  n’a été montée pour la première fois qu’en 1964 par la groupe théâtral du Lycée Louis Le Grand. Patrick Chéreau en était le metteur en scène et Jean-Pierre Vincent, le baron de Gerpivrac. Jean-Pierre Vincent dont j’ai vu un Dom Juan inoubliable à la maison de la culture de Reims !

Un couple d’ouvrier Marcinelle et Edmond Gombert vivent pauvrement dans une chambre mansardée. Lui est peintre sur éventails et elle dentellière, ce qui nous vaudra tout un cours précis et renseigné, bien dans la manière de Hugo, sur sur la confection de la dentelle! Tous deux sont unis par un chagrin profond, la mort de leur enfant en bas âge. Mais tous deux en ont assez de la pauvreté et de toutes les privations que cela entraîne. Pour Edmond, la tentation arrive sous la forme de Mademoiselle Eurydice, chanteuse entretenue par un baron, ancienne dentellière elle aussi. Pour Marcinelle, c’est le Baron de Gerpivrac, un noble riche et désœuvré, vain et snob, égoïste incapable de compassion,  tout ce que déteste Victor Hugo. Si Edmond est attiré par la mise coquette et le brio de la jolie Eurydice, Marcinelle, elle, éprouve la tentation de l’argent avec le baron. Pouvoir enfin avoir de belles robes, être brillante, admirée, ne plus avoir à compter chaque sou, à vivre dans la misère !
Vont-ils céder à la tentation, vont-ils se séparer malgré leur amour ?

Ce qui est à noter, c’est combien le langage des personnages sonne juste. Ce sont vraiment des ouvriers qui parlent et la pauvreté est un lourd fardeau à porter. Elle entraîne des disputes, des jalousies. Elle sape les sentiments les plus profonds. La mésentente s’installe dans le couple. Ainsi cette scène ou Marcinelle reproche à son mari de ne pas vouloir lui acheter un nouveau bonnet et le traite d’avare.

Pourtant, Edmond n’a pas honte de sa condition d’ouvrier, il en est même fier :
« Oui, je suis du peuple et je m’en vante. Je pense comme le peuple et je parle comme le peuple. J’ai les bons bras du courage et j’ai le bon coeur de l’honnêteté. »
Mais ce qui le révolte, ce qui le ronge, c’est l’injustice sociale  :

« Je travaille, je ne m’épargne pas, et je ne peux pas parvenir à joindre les deux bouts. L’autre jour, j’ai vu passer un général tout chamarré, le poste a pris les armes, pourquoi lui rend-on des honneurs à celui-là? «

« Voilà ma femme, je l’aime. Et bien, je suis forcé de lui refuser un méchant chiffon de bonnet. »

Cette injustice lui fait nourrir des idées révolutionnaires :

Benjamin Constant avait raison de dire aux Bourgeois : ça finira mal. Ah! les riches ne veulent pas laisser les pauvres en paix ? Est-ce que nous sommes encore dans la féodalité par hasard ? Le droit du seigneur ? Ah! vous venez chez nous, messieurs. Eh bien, on fera les barricades !

Marcinelle aime son mari et elle est jalouse car il lui semble qu’il regarde les jeunes femmes bien habillées mais il lui rend la pareille et lui reproche d'être attirée par les beaux messieurs. Il semble qu’elle souffre plus que lui de sa condition sociale et des privations. Elle n’apprécie pas qu’il parle comme le peuple. Marcinelle ressemble à Mademoiselle Eurydice mais avant la chute. Elle est encore innocente. Le restera-t-elle longtemps avec de telles idées ?

Quant à Eurydice, même si c’est une femme légère, elle se révèle intelligente et pleine d’esprit. Elle a un sens critique aiguisé et beaucoup de lucidité sur les rapports sociaux. Elle  sait à quoi s’en tenir au sujet de son protecteur

Victor Hugo, par contre, ne cache pas son antipathie pour le baron à qui il fait dire : .

«  Chaque époque a son talent. Notre talent n’est pas à la bienfaisance. Il y a des temps pour la sensiblerie. Nous sommes plus sérieux. Nous voulons savoir ce qu’une chose rapporte »

et aussi

«  j’en ai assez d’Eurydice. Nous avons trop fait son éducation. Elle commence à avoir de l’esprit; Au fond c’est une rouge, cette fille-là. Elle a des mots de démagogue. Oh! si j’étais le gouvernement, comme je vous supprimerais la liberté de la presse ! »

Ainsi la pièce semble à priori légère mais l’on s’aperçoit bien vite que Victor Hugo y fait passer toutes ses idées sur l’injustice sociale, sa compréhension du peuple, son estime envers les ouvriers travailleurs et honnêtes. En choisissant de faire triompher l'amour conjugal, l'auteur montre la puissance des opprimés sur ceux qui les méprisent et veulent les pervertir.

Lecture commune avec  Nathalie ICI
Caroline Laure

6 commentaires:

  1. Tu auras compris que j'ai apprécié ma lecture. Mais j'ai quand même un bémol : l'insistance sur les chiffons. Apparemment Marcinelle souffre plus de manquer de jolis vêtements que du manque de meubles ou de nourriture. Alors, je comprends bien le motif. On est dans une relation amoureuse et l'accent est mis sur les cadeaux que l'on peut se faire, surtout face au couple riche, sur les petites attentions qui viennent en plus du quotidien, mais ça m'a paru un peu trop insistant. Mais c'est tout ! Bon festival !

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    1. Merci ! Marcinelle est coquette et de plus jalouse. Elle se sait belle mais personne ne la regarde car elle est mal fagotée. Elle souffre de voir son mari regarder les femmes élégantes. quant à Hugo, il se fait plaisir en donnant des tas de détails sur la mode, les tissus, les grandes marques, les magasins et sur l'actualité en général. C'est une encyclopédie, ce bonhomme !

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    2. Bonjour,
      Je suis plus partagée que claudialucia. Certes, l'amour conjugal triomphe mais le sentiment semble bien léger quand il suffit d'une femme un peu élégante/ un homme bien habillé pour faire tourner la tête aux personnages. Hugo connaît très bien les termes techniques des instruments et du matériel utilisés par nos deux "héros", et se sert très bien de leur langage; une interrogation cependant car Edmond a des références culturelles qui me semble décalées par rapport à son milieu social, ou peut-être ne connais-je pas assez les habitudes des ouvriers aux XIXe siècle. Au final, des personnages principaux peu attachants car trop superficiels, légers et volages. (J'ai en revanche apprécié Eurydice, intelligente et très lucide sur sa condition. ) Merci de m'avoir fait découvrir cette pièce, comme la précédente que je ne connaissais pas !
      Caroline

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    3. Je pense aussi que ce n'est pas une oeuvre majeure de Hugo et qu'il s'agit d'une comédie légère. Cela m'a fait penser aux petites pièces de Musset comme "Il faut qu'une porte.." mais dans un milieu différent et dans un but différent. Hugo veut faire ses idées politiques.
      Dans cette pièce en un acte, les caractères des personnages ne sont qu'esquissés. Je suis d'accord avec toi, les personnages sont traités d'une manière superficielle. Quant au triomphe de l'amour conjugal à mon avis ce n'est qu'un symbole -le peuple l'emporte sur la noblesse - mais pas une réalité psychologique.
      Eurydice et Edmond sont les porte-paroles, je crois, de Hugo; ce sont eux qui expriment ses idées sur les classes sociales.
      Par contre, dis-moi quelles sont les références culturelles qu'un ouvrier ne pourrait pas avoir? Les ouvriers qui étaient engagés dans la lutte révolutionnaire pouvait avoir une culture assez étendue s'ils savaient lire. Et tous connaissaient Hugo ou Constant ne serait-ce que par le rôle politique qu'ils ont eu.

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  2. Pas trop longue à lire, je la mets de côté sur la liste.

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    1. Très rapide même ! mais pas ma préférée de Hugo !

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