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dimanche 31 janvier 2016

Helen Oyeyemi : Boy, Snow, Bird





Helen Oyeyemi

Née en 1984, Helen Oyeyemi a grandi à Londres et vit aujourd'hui à Prague. Jeune auteur prodige, elle a écrit son premier livre à dix-neuf ans. Le blanc va aux sorcières, son troisième roman, a paru aux éditions Galaade en septembre 2011. Récompensée par le prix Somerset Maugham et acclamée en France comme à l’étranger par la presse, elle est considérée comme l’une des dix artistes qui comptent au Royaume-Uni, et fait partie de la liste 2013 des meilleurs jeunes espoirs de la littérature britannique établie par la revue Granta. (source)



 Boy, Snow, Bird est une belle surprise, une plongée dans un monde romanesque à part, qui s’éloigne de ce qui est attendu, qui emprunte au conte de fée traditionnel tout en étant profondément ancré dans la réalité, un mélange d’irrationalité et de poésie nous questionnant sur l’identité, la couleur, le genre.

Nous sommes aux Etats-Unis, dans les années 1930 marquées par la ségrégation et la haine des noirs.  Les questions se pressent : Qui est la mère de Boy, un des trois personnages féminins qui donnent son titre au roman? Est-ce elle qui lui a choisi ce prénom, Boy, comme cadeau de naissance, don venimeux d'une sorcière penchée sur le berceau du bébé? La fillette ne l’a jamais connue, elle est élevée par un preneur de rats, géniteur violent et haineux, qu’elle est obligée de fuir.  Elle se réfugie dans un petite ville du Massachussets et épouse Arturo Whitmann un bijoutier. Mais à la différence du conte, le mariage n'est pas le happy end attendu pour la jeune héroïne car un enfant naît de cette union. Mais pourquoi Bird, la fille de la blanche et blonde Boy et d'Arturo, est-elle noire?

 Nous sommes dans un pays de conte où les frontières se brouillent, où nous perdons tout repère, où les choses ne sont pas ce qu'elles devraient être, où le blanc apparaît noir, et dans un pays bien réel où le noir est considéré comme laid. Les deux univers se rejoignent dans leur cruauté. L'intelligence de Helen Oyyemi, c'est d'avoir détourné le conte de Blanche Neige pour parler du racisme et de l'intolérable souffrance de ceux qui le subissent.
L’écrivaine brouille habilement les pistes. Le conte traditionnel épouse si étroitement la réalité que l’on ne peut remettre en question la crédibilité de l’histoire : Le preneur de rats ( nous dirions de nos jours, dératiseur) n’évoque-t-il pas le joueur de flûte d’Hamelin? Et qu’en est-il de Snow, la fille d’un premier mariage d’Arturo, si belle avec sa peau blanche et ses cheveux si noirs? et de sa marâtre Boy? Blanche Neige!
Helen Oyeyemi introduit le thème récurrent du miroir qui unit les trois femmes : Boy, Snow et Bird, interrogation sur  une identité qui repose sur le mensonge, interrogation aussi sur le Bien et le Mal. Nous ne sommes pas ce que nous paraissons car les miroirs ne sont pas fiables. Boy est la narratrice de la première et dernière partie et Bird prend le relais en deuxième partie. Changement de point de vue qui permet l’effet miroir réfléchissant à l’infini une multitude d’images. Que se cache-t-il derrière la beauté de Snow ? La gentillesse ou une subtile cruauté? Et Boy, est-elle méchante et vicieuse comme l'affirme le preneur de rats? De même Olivia Whitman, la mère d’Arturo, est une femme de caractère, terrible dans sa détermination à paraître ce qu’elle n’est pas, peut-être par haine d’elle-même, et à écarter ce qui se met sur son chemin.

Si certains passages m’ont paru moins soutenus quelque fois, cela n’a été qu’un ressenti passager car le récit est souvent extrêmement fort comme le sont aussi les personnages. Le preneur de rats, surtout, est terrifiant et envoûtant, dès qu’il apparaît. j’ai beaucoup aimé aussi la lettre de Charlie, un amoureux éconduit de Boy, sur sa tante Jozsa, qui refuse de renier ses idéaux; ou encore l’affrontement de Boy et de sa belle mère Olivia après la naissance du bébé, ce qui aboutit au récit de la vieille dame sur sa jeunesse. Mais je ne vais pas tout vous raconter et je vous laisse découvrir ce livre que j’ai beaucoup aimé.

Personne ne m'avait jamais prévenu au sujet des miroirs, de sorte que je les ai appréciés durant longtemps, les croyant fiables. Je me cachais entre eux en en plaçant deux face à face  de sorte que, debout au milieu, j'étais réfléchie à l'infini dans l'un ou l'autre sens. Beaucoup, beaucoup de moi. Quand je me dressais sur la pointe des pieds nous étions toutes dressées sur la pointe des pieds, à tâcher de voir la première d'entre nous, et la dernière. L'effet était vertigineux, une immense pulsation, pas tout à fait vivante, tenant plus du fonctionnement de l'automate. Je ressentais le reflet sur mon épaule comme un tapotement. j'étais avec lui dans les termes les plus intimes, comme n'importe quelle petite nouille trop seule pour être difficile avec ces fréquentations.




 Merci à Dialogues croisés et aux éditions Galaade

samedi 30 janvier 2016

Myriam Beaudoin : Hadassa





Voilà ce que dit l’éditeur (Bibliothèque Québécoise)  à propos de Hadassa, roman de Myriam Beaudoin, écrivaine québécoise :  
« Une jeune femme, professeure de français dans un établissement pour écolières juives orthodoxes, découvre tout au long de l’année scolaire un monde à part, enveloppé de mystère et d’interdits, mais séduisant et rassurant. Au fil des conversations chuchotées avec les jeunes élèves, dans un franglais parsemé de yiddish, dans l’apprivoisement, dans la surprise et dans l’inconfort de la différence, se détache alors le visage d’une enfant boudeuse, rêveuse, fragile prénommée Hadassa. Le choc des cultures peut-il être un choc amoureux ? Oui, puisque se tisse en parallèle une histoire d’amour entre un jeune épicier récemment immigré de Pologne et une Juive mariée, effrayée par la violence de ses sentiments. C’est le prix de la liberté qui est ici remis en question – une liberté dont nous ne savons parfois plus que faire. Drôle et émouvant, vif et nostalgique, Hadassa est le roman du respect et de l’ouverture. Myriam Beaudoin confronte en douceur les valeurs de l’Occident et celles d’une culture millénaire qui fait tout pour préserver les siennes, y compris se refermer sur elle-même. »

Il est certain que c’est avec douceur, ouverture et respect que Myriam Beaudoin explore les traditions, les croyances et les moeurs de cette communauté de juifs hassidites d’un quartier de Montréal. Elle tombe littéralement sous le charme des ces petites filles qui n’ont que onze ans. Elles ont encore gardé une relative spontanéité et une fraîcheur qui les emmènent à s’intéresser à leur professeure de français (une goyim) et a « l’avoir dans le coeur » comme le fait Hadassa! Myriam Beaudoin rend compte de ces rapports de l’adulte et des enfants avec finesse, poésie et humour. Les échanges de l’enseignante et de ses jeunes élèves qui parlent une mélange de yiddish, d’anglais et de français malmené sont savoureux. L’on ne peut qu’aimer ces fillettes si différentes les unes des autres, intelligentes et intéressantes, attachantes dans leur naïveté et leur curiosité, sachant qu’à douze ans, après leur Bat Mitzva, leur enfance sera terminée :

«  A partir de douze ans, on devient des Kalemyd, des filles à marier, et on doit se comporter en femme, il faut être jolie toujours, le mariage va venir, le shadchen cherche un mari pour nous.. (…) Quand une fille devient Bat Mitzva, c’est la fin de l’école primaire, le début d’une longue préparation au mariage, et surtout, surtout, la séparation définitive avec les non-juifs. »

Pourtant quand on affirme que ce monde est « rassurant » alors je m’interroge. En quoi, un repli communautaire est-il bienfaisant quand il protège ses traditions en refusant tout contact avec ceux qui ne sont pas de la même religion, considérant l’Autre, celui qui est différent, comme impur? En quoi est-il positif qu'un enseignement interdise  "tout évènement historique ou scientifique qui date de plus de six mille ans", négation de l'évolutionnisme, et bien d'autres choses encore? En quoi est-il bon quand il s’oppose à la liberté des femmes, en les retranchant dès leur enfance de tout contact avec la vie extérieure et en les tenant pour inférieures?
Après s’être lavé les mains, son époux revêtit son châle de prière, enroula à son front et à son son bras gauche deux écrins de cuir noir, se tournant vers Jérusalem, pieds joints, récita la prière du matin, et il rendit grâce à Dieu de ne pas avoir été fait femme : «  L’homme est né de la terre et la femme d’un os. Les femmes ont besoin de parfum et non les hommes : la poussière du sol ne se corrompt pas tandis qu’il faut du sel pour conserver la viande…

 Pour ma part, et au nom de la tolérance et de la liberté, j’ai été glacée par un repli communautaire qui entraîne la négation de l’étranger, interdit tout rapport avec lui même par le regard. J’ai été choquée par le mépris de la femme et par sa mise sous tutelle, son absence de liberté physique mais aussi intellectuelle. Il faut l’empêcher de penser par elle-même. Et que l’on justifie cela par le « confort » que cela lui procure (elle n’est pas en proie au doute, elle est heureuse parce qu’elle a des certitudes, elle sait où est sa place etc…) me paraît bien triste parce que même si la liberté n’est pas de tout repos, elle fait de nous des êtres humains à part entière.

C’est d’ailleurs ce que prouve l’autre aspect du roman de Myriam Beaudoin, celui qui montre une femme juive tourmentée par l’amour qu’elle éprouve pour un goyim.  Ses souffrances permettent de comprendre ce qu’éprouvent les femmes qui ne savent pas se couler dans un moule. En France, encore jusqu'au XIX siècle, les femmes différentes, qui s’opposaient à la tutelle toute puissante de leur mari, ou ne voulaient pas être mariées contre leur gré, ou ne voulaient pas être mères, bref! qui étaient différentes, étaient considérées comme folles et parfois enfermées dans des asiles ou des couvents.
Finalement toutes les religions, chrétienne, musulmane, juive… ont mené à ce résultat. Pas à l’origine, certainement, mais parce qu’elles ont toutes été prises en main et codifiées par des hommes. Saint Augustin  affirme :« Homme, tu es le maître, la femme est ton esclave, c'est Dieu qui l'a voulu. » Ben, voyons! Dieu serait-il anti-féministe?
Nous avons évolué chez nous depuis, bien heureusement? Pourtant quand un membre d’une association humanitaire, en France, affirme refuser de serrer la main à une femme et ceci sur un plateau de télévision, l’on ne nous dit même pas si cette association continue à recevoir de subventions de l’état français au nom de sa « modération ». En Belgique, des députés musulmans « modérés »  ont refusé de regarder les journalistes féminines et de répondre à leurs questions.

Ma conclusion est que l'extrémisme religieux est dangereux car il s’attaque à la liberté, en général, et aux droits de la femme. Je ne vois pas pourquoi l’on accepterait chez l’un, ce que l’on combat chez l’autre. L’on me dira que les Hassidites ne  sont pas violents mais n’est-ce pas une violence en soi que de refuser les autres sous prétexte de se protéger. Et peut-on dire que les femmes ont le choix et qu’on ne leur fait pas violence en les privant de leur libre arbitre, en leur refusant à l'école tous les sujets qui pourraient former leur sens critique? D'ailleurs je suis étonnée que le gouvernement canadien autorise un enseignement aussi restrictif, aussi passéiste et aussi inégalitaire; ce n'est pas possible en France même dans des écoles confessionnelles agréées par l'Etat (du moins, je l'espère!!). Lisez ce livre, vous n'en reviendrez pas! C’est pourquoi je n’ai pas été convaincue par les termes employés par le critique, Benoît Jutras, à propos de la communauté décrite dans le roman de Myriam Beaudoin, admirant «la dignité sans nom d’être autre ».

Ceci dit, vous comprendrez qu’étant donné toutes les questions que soulève ce livre, et qui sont de plus au coeur de nos préoccupations actuelles, et sans oublier l’écriture de Myriam Beaudoin,  il ne peut être que très intéressant de lire "Hadassa".

Merci à Aifelle pour l’envoi de ce roman son billet est ICI  

mardi 26 janvier 2016

Arnaldur Indridason : Opération Napoléon





Quatrième de couverture : Arnaldur Indridason : Opération Napoléon

1945. Un bombardier allemand, pris dans le blizzard en survolant l’Islande, s’écrase sur le Vatnajökull, le plus grand glacier d’Europe. Parmi les survivants, étrangement, des officiers allemands et américains. L’Allemand le plus gradé affirme que leur meilleure chance de survie est de marcher vers la ferme la plus proche. Une mallette menottée au poignet, il disparaît dans l’immensité blanche. Dans les années qui suivent les Américains lancent en vain des expéditions pour faire disparaître cette opération militaire mystérieuse et encombrante.
1999. Le glacier fond et les satellites repèrent une carcasse d’avion, les forces spéciales de l’armée américaine envahissent immédiatement le Vatnajökull et tentent en secret de dégager l’avion. Deux jeunes randonneurs surprennent ces manœuvres et sont rapidement réduits au silence. Avant d’être capturé l’un d’eux contacte sa sœur Kristin, une jeune avocate sans histoires. Celle-ci se lance sur les traces de son frère dans une course poursuite au cœur d’une nature glaçante. Les événements se précipitent. Les hypothèses historiques déconcertantes, parfois dérangeantes, et la séduction inoubliable qu’exerce cette héroïne à la fois tenace et perspicace, font de ce texte un formidable roman à suspense.

Arnaldur Indridason source

Voilà pour l’histoire! Ce que j’aime chez Arnaldur Indridason, historien de formation, c’est que la petite histoire, dans nombreux de ses romans, rejoint la Grande. Ici, après la fin de la guerre, Indridason s’intéresse, pour la critiquer, à l’occupation américaine de l’Islande sous prétexte de protection. Des bases militaires américaines solidement établies à Kevflavik provoquent la grogne des islandais, tout au moins de ceux qui n’ont pas d’intérêts économiques directement liés à la base. L’hostilité de la population induit une valse-hésitation du gouvernement islandais qui cherche à préserver son hégémonie tout en n’interrompant pas la manne financière qui coule à flots du fait de cette présence sur son sol. En introduisant le mystère de cet avion nazi disparu dans le glacier et que recherchent pendant tant d’années les services secrets américains, l’écrivain a imaginé la situation idéale pour mettre en lumière ces problèmes. Il a réuni tous les ingrédients pour régler son compte -tout au moins littérairement- aux Etats-Unis.

le Vatnajökull, source
 Ensuite, bien sûr, le pays est là avec ses hivers rigoureux, la neige contrastant avec les champs de lave noirâtres et la découverte de cet immense glacier le Vatnajökull, monstre crevassé, chaotique, qui engloutit l’avion et le recrachera des années après.
Et puis, il y a Kristin, ce personnage de femme intrépide, qui, pour sauver le jeune frère qu’elle a élevé, va risquer sa vie et vivre des aventures rocambolesques. Le livre ne se livre pas à des analyses psychologiques et s’intéresse surtout à l’action : attentats, meurtres, dangers, revirements de situation spectaculaires! Kristin est une super-woman qui échappe à de nombreux attentats. Elle est douée pour mettre l’embrouille dans les services secrets américains. Les exploits de cette héroïne ne sont certainement pas toujours crédibles mais le lecteur jubile car dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, c’est le pot de terre qui gagne… enfin presque! Ce qui est dommage, c’est que le personnage masculin, ait aussi peu intéressé l’auteur. Il n’a pas beaucoup de personnalité et l’on ne comprend pas bien pourquoi il risque ainsi sa vie pour une fille qui n’avait été qu’une relation passagère même si, bien sûr, on devine qu’il en est amoureux.
Opération Napoléon est le troisième roman de Arnaldur Indridason. Il sait ménager un bon suspense et, avec ses forces et ses faiblesses, constitue une agréable lecture.


lundi 25 janvier 2016

Marceline Loridan-Ivens et Judith Perrignon : Et tu n’es pas revenu




Et tu n’es pas revenu est le livre que Marceline Loridan-Ivens écrit pour son père avec le concours de Judith Perrignon.

Marceline et son père, Salomon, ont été arrêtés par les allemands en 1944 puis transportés vers L’Est : Birkenau pour elle, Auschwitz pour lui. Les deux camps sont voisins l’un de l’autre. Un jour, elle l’aperçoit dans un groupe qui se rend au travail. Elle court vers lui, l’embrasse. Un SS la roue de coups, elle s’évanouit mais a le temps de lui donner son numéro de baraquement. Il peut ainsi lui glisser dans la main, cadeau inestimable, cadeau de vie, un oignon et une tomate et, plus tard,  lui envoyer une lettre qu’il signe de son nom juif : Shloïme, ultime résistance d’un homme qui va mourir de privations et de sévices vécus dans cet enfer.
Avec Tu n’es n’es pas revenu, plus de soixante dix ans après, Marceline répond à son père et lui adresse une lettre témoignage : le quotidien d'un  camp de concentration, le travail dans les tranchées, la faim, le froid, le manque d’hygiène, les maladies, les coups, le pouvoir absolu des médecins comme Mengele sur la vie et la mort, les humiliations et surtout la violence partout, la fumée des crématoires qui ne s’arrêtent jamais.. Mais aussi une lettre hommage à travers ce dialogue, au-delà des années et  de la mort, avec cet homme qui aimait tant sa « chère petite fille «  et qui lui demandait de vivre.
Ensuite la libération, le retour, l’incompréhension des autres, la difficulté de réadaptation, la honte d’avoir survécu et surtout une expérience terrifiante que tous les rescapés des camps ont expérimentée : l’on ne sort jamais tout à fait d'un camp de concentration. On en garde la marque dans son esprit et dans son corps. Mais pour continuer à vivre il faut croire en l’avenir, penser à un monde meilleur. Marceline devient une femme engagée, communiste; elle est scénariste, réalisatrice avec son mari Joris Ivens mais le désenchantement viendra.

A la fin du livre elle porte un regard pessimiste sur le monde actuel :
Tu avais choisi la France, écrit-elle à son père, elle n’est pas le creuset que tu espérais. Tout se tend encore une fois, on nous appelle les juifs de France, il y a aussi les musulmans de France, nous voilà mis face à face, moi qui m’étais voulue de tous bords, en tout cas du côté de la liberté.
Ce qui l’amène à se demander quand elle analyse l’état du monde à notre époque s’il valait le coup de revenir des camps.
Mais j’espère que si la question m’était posée mon tour juste avant que je m’en aille, je saurai dire oui, ça valait le coup.

Certains propos sur notre société m'ont pourtant gênée : 
C’est une mosaïque hideuse de communautés et de religions poussées à l’extrême. Et plus il s’échauffe, plus l’obscurantisme avance, plus il est question de nous, les juifs.
Je pense que, à l'heure actuelle, les replis communautaires et les extrémismes religieux sont le propre de toutes les religions qu'elles soient chrétienne, juive, musulmane... Nous en portons tous la responsabilité. Il n'y a pas d'un côté les responsables qui sont les autres, et de l'autre les victimes qui sont les juifs. Nous sommes tous victimes de la barbarie. Des personnes de toutes les religions et des athées meurent dans les attentats.

Ceci dit,  j'ai trouvé le  livre poignant.  Il laisse une tristesse au fond du coeur longtemps après l’avoir lu. L’on se dit en voyant la haine et l’intolérance qui se déchaînent autour de nous que l’homme ne sait pas tirer une leçon de l’Histoire, qu’il recommence toujours les mêmes erreurs.  

J’ai vécu puisque tu voulais que je vive. Mais vécu comme je l’ai appris là-bas, en prenant les jours les uns après les autres. Il y en eut de beaux tout de même. T’écrire m’a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m’enserre le cœur. Je voudrais fuir l’histoire du monde, du siècle, revenir à la mienne, celle de Shloïme et sa chère petite fille. »



Et celui de  Clara

dimanche 24 janvier 2016

Bruxelles : Les musées royaux des Beaux-Arts : Musée des Vieux maîtres

La petite fille à l'oiseau mort (source)
 La fillette à l'oiseau mort au musée des Vieux Maîtres de Bruxelles est un tableau de l'école flamande du XVI siècle. La beauté de la fillette, la clarté de ses yeux gris bleu, le regard intense, le sérieux de ce visage délicat qui a encore les rondeurs de la petite enfance, tout contraste avec le sujet du tableau qui rend compte de l'interrogation de l'être humain face à la mort. La petite fille a-t-elle compris l'aspect définitif de la mort? Retient-elle ses larmes? Ou a-t-elle encore l'incompréhension de la jeunesse face à la mort? La blancheur candide de la robe et de la coiffe se détache sur le fond noir, pour mieux nous dire que toute chair est promue à la corruption, que la beauté doit disparaître un jour, que nous sommes tous éphémères..

 Le mont des Arts

En montant vers le Mont des Arts

Le Mont des Arts, à Bruxelles, est un pôle artistique important qui concentre dans un seul bâtiment, trois musées des Beaux-Art, le musée des Vieux Maîtres, celui consacré à Magritte et le musée Fin de Siècle. Un bémol : il n'y a pas musée d'art contemporain pour l'instant, ce qui est une lacune de taille. 
Si vous y ajoutez, juste en face, dans un autre édifice art nouveau, le musée de la musique, vous comprendrez que c'est un lieu de Bruxelles passionnant.

 Le musée des Vieux Maîtres

Bruxelles Vierge à l'enfant de Quentin Metsys musée des Vieux maître au Mont des Arts
Vierge à l'enfant de Quentin Metsys
 Le musée des Vieux Maîtres expose des peintures du XV au XVIII siècle avec quelques oeuvres du début du XIX siècle, de Metsys, Van Weyden, Jérome Bosch, Brueghel à Rubens, Ruysdael Hals, Rembrandt, Van Dyck , Jordaens et david.
Comme je ne peux tout vous montrer, j'ai choisi quelques uns de mes tableaux préférés parmi les oeuvres du XV au XVI siècle.

Le maître de la légende de Sainte Lucie (dernier quart du XV siècle)

Virgo inter Virginespar le  Maître de la légende de Sainte Lucie bruxelles musées royaux des beaux-arts
Musée des Anciens Maîtres : Maître de la légende de Sainte Lucie Virgo inter Virgines
On ne connaît pas le nom du Maître de la légende de Saint Lucie.  Il existe plus de 25 scènes de la vie de Sainte Lucie qui peuvent lui être attribuées et qui sont disséminées partout dans le monde (Los Angeles, Washington, Mineapolis, Bruges, Pise..) Celui de Bruxelles s'intitule : Virgo inter Virgines : Vierge parmi les vierges. Le maître a certainement dirigé un  important atelier à Bruges dans le dernier quart du XV siècle, comme le prouve l'arrière plan de ces tableaux qui représentent différents stades de construction du beffroi de la ville.
Sainte Lucie a une robe vert clair. Elle est assise derrière la vierge qui est assise, tenant un livre sur ses genoux. Elle expose ses yeux arrachés dans un plat.

Brixelles Musée des Anciens Maîtres : Maître de la légende de Sainte Lucie les yeux arrachés de Sainte Lucie
Les yeux de Sainte Lucie (détail)
Bruxelles : Musée des Anciens Maîtres : Maître de la légende de Sainte Lucie d'étail le visage de Sainte Lucie
Sainte Lucie à gauche (détail)
Chaque jeune fille représente une sainte, certaines avec les attributs de leur martyre. Je ne les reconnais pas toutes et certains symboles m'échappent. Mais au-delà de l'histoire religieuse, j'aime  cette scène qui montre des jeunes filles réunies autour d'un bébé, dans un décor champêtre, devant des massifs de fleurs symboliques. Le détail des coiffures, la beauté de ces visages paisibles et recueillis, la luxuriance des étoffes, l'harmonie des couleurs, font oublier le futur tragique de ces femmes pour ne retenir que ce moment privilégié autour de l'Enfant.

Hans Memling (1435_1494)

Le maître de la légende de Saint Lucie a subi l'influence de Hans Memling. On peut voir dans le tableau suivant de Memling : La vierge et l'enfant,  les ressemblances existant entre ces deux peintres.
Hans Memling est un peintre primitif flamand né à Seligenstadt en Allemagne vers 1435-1440 et mort à Bruges en 1494.

Vierge à l'enfant de Memling

Quentin Metsys (1466-1530)

Quentin Metsys est un peintre flamand de l'école d'Anvers. Il est né en en 1466 à Louvain et est mort à Anvers en 1530. Le musée de Bruxelles présente ce grand et très beau triptyque.
Triptyque de Metsys : détail au centre la famille d'Anne Bruxelles Musée des vieux maîtres.
Triptyque de Quentin Metsys

A gauche, un ange prédit à Joachim la naissance de l'enfant; Au centre la famille de Sainte Anne; A droite, la mort de la Vierge.

Triptyque de Metsys : détail au centre la famille d'Anne Musée des vieux maîtres bruxelles
Triptyque de Metsys : détail au centre la famille d'Anne
Sainte Anne, la Vierge et tous les saints personnages qui l'entourent ont des visages doux, les yeux à demi fermés, comme en extase, dans un pose un peu hiératique. Mais Metsys peut être  aussi un portraitiste de talent et même un caricaturiste quand il représente des personnages incarnant le mal.

Triptyque de Metsys : L'annonciation à Joachim  panneau de gauche Bruxelles
Triptyque de Metsys : L'annonciation à Joachim
Triptyque de Metsys : La mort de la Vierge panneau de droite Bruxelles
Triptyque de Metsys : La mort de la Vierge

Jérome Bosch (1450_1516)

Hiéronimus van Aken, dit Jérôme Bosch,  est un peintre néerlandais, membre de l'Illustre confrérie de Notre-Dame.

Bruxelles Jérome Bosch : triptyque de la Tentation de Saint Antoine Musée des Vieux Maîtres
Jérome Bosch : triptyque de la Tentation de Saint Antoine
Le tableau fait référence à La légende dorée de Jacques de Voragine qui raconte la tentation de Saint Antoine au désert, en Egypte.

Jérome Bosch : la tentation de Saint Antoine (détail) Musées royaux des beaux-arts de Bruxelles Bruxelles
Jérome Bosch : la tentation de Saint Antoine (détail) Bruxelles musée des Vieux maîtres
 Panneau de Gauche: Antoine transporté dans les airs est fouetté par des diables. Après sa chute, il marche sur le pont, courbé, soutenue par des moines. Le pays est peuplé d'êtres monstrueux et d'objets dont le symbole n'est pas toujours évident.

Panneau central : Le vieillard est au centre du tableau; il est entouré de personnages étranges, mi-humains mi-animaux. A côté de lui, tous accourent, pauvres, infirmes, monstres, vers une table ronde où l'on sert à boire. Mais le saint ne les regarde pas puisqu'il est tourné vers nous et désigne de la main la voie suivie par Jésus Christ. A l'arrière plan, les flammes qui détruisent un village  semblent faire allusion à une scène de guerre. L'eau sale, trouble, qui coule au premier plan, au bas du tableau, sort de grands canalisations, gigantesques égouts ou portes menant à l'Enfer?

Panneau de droite :  Des femmes nues qui représentent la tentation de la chair apparaissent à Saint Antoine. Celui-ci ne les  regarde pas mais lit la bible. A nouveau, une table invite à la boisson qui est le symbole de la luxure. 
Dans ce tableau l'imagination de Jérome Bosch semble sans limites. Il  invente des créatures qui semblent tout droit sorties des pires cauchemars.
Jérome Bosch : la tentation de Saint Antoine (détail) Bruxelles musée des Vieux maîtres
Jérome Bosch : la tentation de Saint Antoine (détail)

Pierre Brueghel L'Ancien (1525_1569)

Pieter Brueghel ou Bruegel dit l'Ancien est un peintre brabançon né vers 1525 et mort en 1569 à Bruxelles

 La chute des anges rebelles

Pierre Brueghel l'Ancien : la chute des anges rebelles Musée des Vieux maîtres de bruxelles
Pierre Brueghel l'Ancien : la chute des anges rebelles
Dans La chute des anges rebelles, Pierre Brueghel est grandement influencé par Bosch et son imagination qui peuple ce tableau cauchemardesque est tout aussi délirante. La scène présente un luxe de détails grotesques, de diables monstrueux que combattent les anges.

Pierre Brueghel l'Ancien : la chute des anges rebelles détail  Musée des Vieux maîtres de bruxelles
Pierre Brueghel l'Ancien : la chute des anges rebelles détail
Pierre Brueghel l'Ancien : la chute des anges rebelles détail  Bruxelles
Pierre Brueghel l'Ancien : la chute des anges rebelles détail

 Le dénombrement de Bethléem

Le dénombrement de Bethléem qui représente l'entrée de la Vierge, Joseph, l'âne et le boeuf, est mon tableau préféré dans cette salle consacrée à Pierre Brueghel l'Ancien et à son fils Pierre Brueghel le Jeune.
Pierre Brueghel l'Ancien :  L'entrée à Bethléem Musée des Vieux maîtres de Bruxelles
Pierre Brueghel l'Ancien : Le dénombrement de Bethléem

 Le tableau décrit un passage de l'Evangile selon Saint Luc où Marie, enceinte, et Joseph, vont se faire enregistrer comme le veut la loi romaine.
La scène est biblique et pourtant, replacée dans le contexte de ce village flamand, elle frappe par son réalisme, le nombre de détails qui montrent la vie quotidienne des habitants. Elle offre des renseignements sur le climat, l'habitat, le transport des marchandises, les occupations de ces gens, tout un peuple laborieux, la préparation du repas, les disputes entre adultes, les jeux d'enfants sur le canal gelé. C'est une scène tellement vivante, animée, curieuse, avec un atmosphère particulière due à la neige, à la glace, aux arbres dépouillés. J'adore!

Pierre Brueghel l'Ancien :  L'entrée à Bethléem détail    Musée des Vieux maîtres de bruxelles
Pierre Brueghel l'Ancien : Le dénombrement de Bethléem détail

Bruxelles Pierre Brueghel l'Ancien : Le dénombrement de Bethléem détail
Pierre Brueghel l'Ancien : Le dénombrement de Bethléem détail

Pierre Brueghel l'Ancien :  L'entrée à Bethléem détail    Musée des Vieux maitres de Bruxelles
Pierre Brueghel l'Ancien : Le dénombrement de Bethléem détail

Combat de Carnaval et de Carême

Pierre Brueghel : Combat de carnaval et de Carême

Dans Le combat de Carnaval et de Carême, Pierre Brueghel l'Ancien place au centre de la scène le Carnaval représenté par un homme gras, bedonnant et rubicond, assis sur un tonneau de vin,brandissant une broche et, lui faisant face, Carême, chevalier à la triste figure, long, maigre et blême, assis sur une chaise, transporté sur un chariot et tendant une palette avec deux poissons.

Pierre Brueghel l'Ancien : Au centre le Combat de Carnaval et de Carême (détail)
Pierre Brueghel l'Ancien : Du côté du Carnaval et de Carême (détail) Bruxelles
Pierre Brueghel l'Ancien : Du côté du Carnaval  (détail)

Pierre Brueghel l'Ancien : le combat de carnaval et carême : du côté deCarême (détail)
Pierre Brueghel l'Ancien : Du côté de Carême  (détail)

 Le tableau reprend cette division : A gauche c'est carnaval, on porte des masques, des costumes fantaisistes, on s'énivre, on prépare des gaufres, on ripaille, on joue, on danse sur des airs de musique. Les mendiants et les infirmes y sont légion. A droite, on sort de l'église, vêtus de noir,  on donne l'aumône, on achète du poisson pour faire maigre, on meurt de faim. La misère est représentée par un cadavre squelettique allongé à même le sol, des infirmes ou malades. D'un côté la licence, de l'autre l'austérité; d'un côté la vie païenne, de l'autre la vie religieuse.








vendredi 22 janvier 2016

Christine Drouard : Solange Sand ou la folie d'aimer



Solange ou la folie d'aimer de Christiane Drouard me tentait car je voulais comprendre quelles avaient été les relations entre George et sa fille Solange, pourquoi cette mésentente entre la mère et la fille?

Bien sûr, un récit qui prend Solange pour sujet, parle obligatoirement de George et même s'il ne nous apprend rien sur l'écrivaine quand on la connaît déjà bien, il est intéressant parce qu'il présente le point de vue de la fille et donne un autre éclairage de la mère!

Solange Dudevant-Sand  porrtrait peint par son mari , le sculpteur Jean-Baptiste Clésinger
Solange Dudevant-Sand  par son mari Jean-Baptiste Clésinger

Et d'abord Solange est-elle bien la fille de son père, le baron Dudevant,  ou du premier amant de sa mère, Ajasson de Grandsagne?  C'est une question que Solange a dû se poser un jour au l'autre. Car ce n'est pas de tout repos d'être la fille (et le fils, d'ailleurs, Maurice n'en sort pas indemne non plus) d'une telle femme!

Pourtant, toute jeune, Solange idolâtre sa mère qu'elle appelle "Mon George" mais celle-ci l'envoie en pension alors qu'elle garde son fils Maurice -qu'elle préfère- près d'elle. Solange souffrira énormément d'être ainsi séparée d'une mère qui s'ennuie et a besoin de distractions, de voyages, d'hommes, quand elle ne travaille pas comme une forcenée pour nourrir sa famille par ses écrits! Quant aux amants qui se succèdent au foyer maternel, il faut d'abord s'habituer à leur présence puis quand on commence à bien les apprécier, ils disparaissent. C'est bien ainsi que Solange le ressent. En particulier, pour Chopin à qui elle s'attache vraiment et réciproquement. Solange restera fidèle à ce dernier qu'elle considère comme un père, prenant même le parti de celui-ci contre sa mère.
Enfin, Solange refuse le mari que lui avait choisi sa mère pour épouser le sculpteur Jean-Baptiste Clésinger, ce qu'après tout, une femme aussi indépendante que George Sand aurait dû amplement comprendre. Mais voilà, Clésinger a certainement été aussi l'amant de la mère dans sa jeunesse... Et puis George Sand ne paraît pas douée pour accorder à sa fille la liberté qu'elle réclame pour elle. Le mariage ne tiendra pas. Séparée de son mari, Solange aura une vie de femme libre, amants, bals, théâtre, ce qui scandalise sa mère qui la traitera de "Don juan femelle". George la soupçonne même de se faire entretenir car elle mène une vie trop aisée, trop brillante. Où prend-elle l'argent? Pour l'écrivaine qui toujours travaillé pour gagner son indépendance sans rien devoir à personne, ce doit être ce qu'il y a de pire... Solange aurait eu aussi des secrets inavouable à sa mère, une fille illégitime qu'elle a toujours cachée. On voit donc que tout oppose ces deux femmes qui pourtant se sont aimées, combattues, haïes, séparées et retrouvées et encore perdues.
Que dire de ce récit racontée à la première personne par Solange et qui s'étaie sur des fragments de lettres, des témoignages?
  Bien sûr, il est agréable de rencontrer au cours de ces pages des personnages célèbres, Jules Sandeau, Liszt, Marie d'Algoult que Solange admire beaucoup, Flaubert, Delacroix, Chopin et de lire des extraits des lettres de Solange ou de sa mère, de revivre certains épisodes de la vie des deux femmes...   Mais le récit me paraît un peu léger d'un point de vue historique, et un peu trop presse du coeur car il effleure superficiellement la psychologie de ces personnage et le contexte de l'époque.  On ne sait jamais vraiment s'il repose sur des vérités établies ou sur des suppositions, sur les on-dits de l'époque. L'auteure aurait dû  trancher plus nettement entre biographie et roman. Son récit se situe un peu entre les deux si bien que les personnages, à la fin, nous paraissent toujours une énigme. Cette lecture m'a donc laissée un peu sur ma faim.



mercredi 20 janvier 2016

Fiodor Dostoïevsky : Souvenirs de la maison des morts


La condamnation au bagne


Fiodor Dostoïevsky est arrêté en Avril 1849, accusé d’avoir comploté contre le tsar, et conduit à la forteresse Pierre et Paul. Il fait parti d’un groupe de jeunes gens aux idées progressistes, réunis autour de la figure de Petravesky, mais plus bavards que révolutionnaires. Il n’était coupable, en fait, que d’avoir conservé chez lui un écrit interdit et une presse à imprimer pour éditer des textes anti-gouvernementaux.. Il est condamné à mort avec ses compagnons en décembre 1849. Avec une perversité machiavélique, le tsar imagine alors une mise en scène macabre : le 22 Décembre, les condamnés sont alignés, la tête encapuchonnée, face au peloton d’exécution. Au dernier moment le tsar commue la peine de mort en quatre ans de  bagne.
 Bien longtemps après, Dostoievsky écrira dans L’idiot : Peut-être y-a-t-il de par le monde un homme auquel on a lu sa condamnation à mort, qu’on a laissé souffrir cette torture  et puis à qui on a dit : «  Va, tu es gracié. ». Cet homme là pourrait dire ce qu’il a éprouvé. C’est de cette douleur et de cette horreur que le Christ a parlé. Non, on n’a pas le droit d’agir ainsi avec un être humain. »
Le jour de Noël 1849, Dostoievsky part pour la Sibérie. Il y passera neuf ans, quatre au bagne, cinq dans l’armée comme simple soldat. Ce sont ces quatre années que racontent Les souvenirs de la maison morte traduit en français par Souvenirs de la maison des morts. 

Le bagne


L’écrivain commence la rédaction de ses souvenirs en 1855 en Sibérie. Pour des raisons de censure, le narrateur du récit est un personnage fictif, condamné pour un meurtre passionnel.  Mais c’est bien lui, Fiodor Dostoïevsky qui décrit le bagne et ses terribles conditions de vie, lui qui observe les bagnards autour de lui, la plupart du temps la lie de l’humanité, lui qui analyse ce qu’est la justice du tsar, qui s’interroge sur le mal et le bien, sur l’existence de Dieu.  Pendant ces neufs ans d’exil, se forge sa personnalité complexe, maladive, torturée, pleine de contradictions, déchiré entre Dieu et le Diable, qui fera de lui l’auteur que nous connaissons, le créateur des Frères Karamazov, de l’Idiot, de Crime et châtiment, le double…
Dostoievsky décrit la vie quotidienne des forçats, le travail qu’ils doivent accomplir, la hiérarchie des punitions corporelles, les brimades qu’ils subissent de la part de leurs chefs, l’organisation interne et clandestine des bagnards qui échappe au contrôle des gardiens. Malgré la dureté de cette vie, ce dont Dostoievsky a le plus souffert, plus encore que de l’enfermement et l’exil, c’est de n’avoir jamais été admis par ses compagnons d’infortune à cause de son origine. Noble et intellectuel, il était mis au ban de la société de plus misérables que lui.

 Des portraits terrifiants

Souvenirs de la maison des morts n’est pas un récit d’aventures, haut en couleurs, qui ménage des suspenses, mais un témoignage précis, à hauteur d’homme, de la vie quotidienne, de sa monotonie et de la routine. S’il y a de grands moments de fulgurance, ils sont dus au style et au talent de l’écrivain qui dresse des portraits inoubliables de ces hommes endurcis dans le crime : Sirotkine, «un être énigmatique à tous les égards » Gazine qui « était une horrible créature. Il produisait sur tout le monde une impression effrayante torturante. » ou encore Orlov « qui assassinait froidement jeunes et vieux » «  doué d’un force de volonté extraordinaire, il avait l’orgueil et la conscience de cette force. » Il y a  aussi le noble  Aristov « exemple le plus repoussant de la bassesse et de l’avilissement ». Tous ces personnages , on le comprend, nourriront l’oeuvre ultérieure de l’écrivain.
Mais au milieu de ces criminels, apparaissent parfois des personnages attachants comme Nourra, bon et naïf, ou Ali dont la nature franche et généreuse attire l’écrivain qui entreprend de lui apprendre à lire avec succès.

 Des réflexions  sociales et métaphysiques

Ces observations amènent l’écrivain à s’interroger sur la justice et le bien fondé du châtiment. Pour lui, même le plus réprouvé des hommes est à l’image de Dieu. On ne peut le sauver en l’humiliant. La rédemption ne peut venir que d’un exemple qui élève le condamné, qui réveille son sens moral. Et ceci d’autant plus que ces bagnards sont souvent des hommes du peuple qui n’ont connu que la misère et la violence, ce qui explique leur dégradation morale. Le châtiment, la rédemption et l'humiliation du peuple, on retrouve ici des thèmes qui deviendront récurrents dans l’oeuvre de l’écrivain.

Mon dieu! un traitement humain peut relever jusqu’à ceux chez qui l’image de la divinité semble le plus obscurcie! C’est précisément avec ces « malheureux » qu’il faut se comporter le plus humainement possible pour leur salut et pour leur joie. J’ai rencontré des chefs d’un grand coeur et j’ai vu l’effet qu’ils produisent sur les humiliés. Avec quelques mots affables, ils ressuscitaient moralement leurs hommes.

Dostoievsky s’insurge donc contre les châtiments corporels, il démontre que loin d’éduquer les hommes, ils les endurcissent dans le mal.
« Le droit à la punition corporelle qu’exerce un homme sur un autre est une des plaies de la société; c’est un moyen sûr d’étouffer en elle tout germe de civisme, de provoquer  sa décomposition »

Le travail aussi permet au bagnard  de donner un sens à sa vie mais un travail utile, auquel il peut s’intéresser, non des corvées absurdes et dénuée de sens.
« mais qu’on le contraigne, par exemple, à transvaser de l’eau d’une tine dans une autre, et vice versa, à  concasser du sable ou à transporter un tas de terre d’un endroit à  un autre pour lui ordonner ensuite la réciproque, je suis persuadé qu’au bout de quelques jours le détenu s’étranglera ou commettra mille crimes comportant la peine de mort plutôt que de vivre dans un tel abaissement et de tels tourments. Il va de soi qu’un châtiment semblable serait plutôt une torture, une vengeance atroce qu’une correction; il serait absurde, car il n’atteindrait aucun but sensé. »

 La complexité du personnage

On voit que Dostoïevsky a son idée sur la justice tsariste; il critique les méthodes, les abus des chefs, le dysfonctionnement.  (avec beaucoup de prudence et de mesure). Mais pourtant il finira par adhérer à sa condamnation, à la juger bienfaisante, porteuse pour lui aussi de rédemption.
Seul avec mon âme, je considérais ma vie antérieure, je l'analysais jusque dans les dans ses plus infimes détails, je me jugeais sévèrement, sans pitié. A certains moments même, je bénissais le sort qui m'avait octroyé cette solitude sans laquelle je n'aurais pu me juger ainsi ni faire ce grave retour sur mon passé. ».
Retourné en Russie, il jugera sévèrement les idées sociales qui étaient les siennes et soutiendra le pouvoir du tsar. Claude Roy écrira à ce propos, comparant le pouvoir tsariste et soviétique :  «La Russie d'hier et la Russie moderne sont exemplaires dans la science du "châtiment" sur deux points essentiels. Elles ont poussé plus avant peut-être qu'aucun peuple l'art de donner aux tortionnaires cette paix de l'esprit que procure la bonne conscience. Elles ont su simultanément contraindre un nombre important de leurs victimes, non seulement à subir sans révolte les épreuves infligées, mais à donner à leurs tourmenteurs un total acquiescement.»

Ce roman, très riche, témoigne de l’immense talent de Dostievsky, de la profondeur de ses analyses psychologiques. Il soulève des questions passionnantes sur l’être humain, sa nature profonde, sur le mal et le bien et la justice, sur la liberté, la force de l’habitude, le courage et la lâcheté... Il révèle les questions métaphysiques qui agitent Dostoïevsky. Bref, il contient en germe tout ce qui sera au centre de son oeuvre et permet de mieux comprendre l’homme derrière l’écrivain.

Extrait 1: L’arrivée dans la maison des morts :

Notre maison de force se trouvait à l’extrémité de la citadelle, derrière le rempart. Si l’on regarde par les fentes de la palissade, espérant voir quelque chose, – on n’aperçoit qu’un petit coin de ciel et un haut rempart de terre, couvert des grandes herbes de la steppe. Nuit et jour, des sentinelles s’y promènent en long et en large; on se dit alors que des années entières s’écouleront et que l’on verra, par la même fente de palissade, toujours le même rempart, toujours les mêmes sentinelles et le même petit coin de ciel, non pas de celui qui se trouve au-dessus de la prison, mais d’un autre ciel, lointain et libre. Représentez-vous une grande cour, longue de deux cents pas et large de cent cinquante, enceinte d’une palissade hexagonale irrégulière, formée de pieux étançonnés et profondément enfoncés en terre: voilà l’enceinte extérieure de la maison de force. D’un côté de la palissade est construite une grande porte, solide et toujours fermée, que gardent constamment des factionnaires, et qui ne s’ouvre que quand les condamnés vont au travail. Derrière cette porte se trouvaient la lumière, la liberté ; là vivaient des gens libres. En deçà de la palissade on se représentait ce monde merveilleux, fantastique comme un conte de fées: il n’en était pas de même du nôtre, – tout particulier, car il ne ressemblait à rien; il avait ses mœurs, son costume, ses lois spéciales : c’était une maison morte-vivante, une vie sans analogue et des hommes à part. C’est ce coin que j’entreprends de décrire.

Extrait 2 : L'inhumain dans l'humain

Cette réflexion sur la tyrannie est de tous les temps. Je la lis en pensant aux nazis, aux gardiens des camps de concentration. Elle me paraît terriblement vraie. Elle explique qu’un homme « normal » - un être humain semblable aux autres- puisse être amené à des actes monstrueux. C’est la conclusion du livre de Gita Sereny, Au fond des ténèbres, la thèse de Robert Merle dans Un métier de Seigneur ; La démonstration de Jonathan Littel dans Les bienveillantes.

Celui qui a, même une fois, exercé un pouvoir illimité sur le corps, l’âme de son semblable, sur le corps de son frère selon le loi du Christ, celui qui a joui d’avilir au suprême degré un autre être fait à l’image de Dieu, celui-là devient incapable de maîtriser ses sensations. La tyrannie est une habitude douée d’extension, elle peut se développer, devenir à la longue une maladie. Je soutiens que le meilleur des hommes peut, grâce à l’habitude devenir une bête féroce. Le sang et la puissance enivrent, engendrent la brutalité et la perversion, si bien que l’âme et l’esprit deviennent accessibles aux jouissances les plus anormales.

mardi 19 janvier 2016

Je suis taguée : Mes péchés mignons



Et oui, je suis taguée et par ma fille... en plus! dont vous pouvez aller voir les péchés mignons sur Résonances ICI , blog d'enseignante pour une école de vampires. Si, si, j'ai bien dit ... de vampires! Allez voir plutôt! Pendant que moi, je m'y colle!

Quel livre pourriez-vous lire et relire et re-relire (même si vous le connaissez par coeur)?

 

Je cherche. Je donne les titres de mon enfance : Mon amie Flicka  Mary O’Hara et Bari chien-loup de Curwood  et Croc blanc de Jack London quand j’avais six, sept, huit, neuf etc… ans. Je remonte dans le temps : Jean Christophe de Romain Rolland  quand j’avais douze ans , treize, quatorze etc…
 Mais je comprends bien qu'un péché mignon, c'est un livre que j'ai eu un peu honte à lire! Enfin, j'ai trouvé  :  J'ai lu et relu Angélique, Marquises des anges quand j'étais ado! J'ai honte mais j'ai pas de regret!

Quelle chanson-honte connaissez-vous par coeur ?


« J’avais cinq ans et j’étais amoureux de ma maîtresse d’école. » de Claude François. J’avais 14 ou 15 ans. il y a prescription. C’était pour danser dans le grenier.

Dans le même genre, quel est votre film inconditionnel ?



Le film inconditionnel de ma jeunesse, c'est Autant en emporte le vent. Mais si c'est un péché,  il est très, très mignon surtout Rhett Butler et les robes de Scarlett!! 

Quel petit plat tout simple ou plus élaboré vous cuisinez-vous pour vous redonner le sourire ?


Euh! Cuisiner un plat ne peut me redonner le sourire et me ferait plutôt grincer des dents! Mais le manger, si on le cuisine pour moi, oui! Alors disons : des îles flottantes, des gaufres, des crêpes, du Kouign amman, du kougelhopf!  Miam! Et maintenant j'ai faim!


Mais je me soigne! Je fais du sport ou du moins j'y pense!

Vous grattez et vous gagnez, quelle est la chose futile-inutile que vous achetez ?


Des fleurs! Mais dire que c’est futile-inutile, non!

Quelle est l’odeur qui vous donne le sourire ?




Le parfum des fleurs d’oranger ou de citronnier parce que l’odeur me rappelle notre voyage en Crète, le parfum du  mimosa  parce que cette fleur est un merveilleux soleil en plein hiver et  celui de la violette parce que c’est mon enfance en Cévennes… puis l’odeur neuve et douce d’un bébé… propre!

L'odeur d'un bébé propre

Quelle est cette petite manie qui fait rire vos collègues ?

Qui fait rire mes filles plutôt!


Citer Victor Hugo (ou un autre) à tout propos! 













Marcher dans le tas de poussière accumulé par terre quand elles sont en train de balayer;  pas par méchanceté mais parce que je ne le vois pas!

Moi, en col roulé!

Porter des cols roulés même quand il fait chaud! Enfin! chaud? C'est ce qu'elles disent! J'y ai gagné un surnom : Soeur Claudine Visitandine!






 

Quelle est votre plus grand moment de solitude/votre plus grosse gaffe qui vous fait bien rire maintenant?

Quand j'étais prof!
Quand j’étais prof et maman de petites filles qui avaient peur de Pierre et le loup, des sorcières, des ogres, des monstres dans le placard, de Blanche Neige, des araignées, des fourmis volantes, de l'enfant et les sortilèges, de leur ombre, de …  je suis allée à l’école avec une paire de chaussures dépareillées. Je n’avais presque pas dormi la nuit et le matin je m’étais habillée et chaussée à l’aveuglette, sans avoir le courage d’ouvrir les yeux.

Moi, en mère courage et prof gaffeur

Quelle est la bonne résolution que vous allez prendre pour 2016 et que vous savez pertinemment que vous ne tiendrez pas ?




Ne pas acheter de nouveaux livres avant d’avoir fini ceux de ma PAL : Pile (de Livres) A Lire)

Si vous pouviez vous offrir une journée pour vous, quelle serait-elle ?

Sogneford vu de  Flam : Norvège
Je la partagerai avec mon mari : une journée dans un beau musée ou devant un paysage de Norvège… ou d’ailleurs!

Quel(s) mot(s) vous fait/font rire ou sourire ?



ossicône parce que mon petit-fils Liam (2 ans1/2) m’a appris ce mot, étonné et même indigné par mon ignorance. Moi, qui jusqu’alors disais sottement : « les cornes de la girafe. » Et vous?


et bus cassé : parce qu’il fait allusion à une tragédie presque racinienne (passion contrariée) vécue par le petit Liam.




Modestie



Modeste  : Parce que ma fille Amandine, qui avait alors 4 ans, a un jour déclaré : « Moi, je suis belle, gentille, intelligente et pas modeste!



 Connard :  parce que ma fille Aurélia (2ans 1/2), premier jour de maternelle  à ses grands parents qui lui demandent :
- Alors? qu’as-tu appris à l’école? » 
- Et Pédane! (pédale), connard! »






Juguler : parce que ma fille Aurore (2 ans) plaquant violemment sa poupée par terre : « je gugule, je gugule »
ébaubi parce que ma petite fille Léonie déclare souvent : « oh! je suis toute ébaubie »!

Dans quel magasin ne devriez-vous jamais entrer avec votre carte bleue dans la poche ?




Deux magasins : Une librairie et le magasin Botanique.

Pour finir, citez 5 mots doux espérés pour 2016.


Un mot très doux  :  Grand-Mère

Grand mère : c'est moi!
 et son corollaire, Enfant


Un autre, Tendresse

et aussi Tolérance

Enfin :  Paix



et voilà la liste de mes péchés mignons, vous savez tout!
Je ne vous tague pas mais je vous invite à reprendre le flambeau ou plutôt le stylo ou plutôt le clavier!