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dimanche 10 décembre 2017

Affinity K. : Mischling


Le hasard a voulu que je trouve à la bibliothèque de ma ville deux livres de la rentrée  littéraire,  dis-po-ni-bles, par je ne sais quel miracle, livres sur lesquels je me suis ruée vous vous en doutez !.
Le premier est La disparition du docteur Mengele que j’ai déjà présenté dans mon blog ICI et le second Mischling de Affinity K. qui amène le lecteur dans l’antre de la Bête autrement dit dans le « zoo » du docteur Mengele à Auschwitz.

Par le passé les blocks du Zoo avaient servi d'écuries mais à présent ces baraques étaient bondées de gens de notre espèce, jumeaux, triplés, quintuplés. Des centaines et des centaines d'entre nous y vivaient  serrées dans des lits qui n'étaient pas des lits mais des boîtes d'allumettes, de petites fentes où glisser nos corps.

Que dire de Mischling ? C'est une oeuvre littéraire, au meilleur sens du terme, qui provoque intérêt, émotion et réflexion, finement analysée et écrite alors que celui d’Olivier Guez est plutôt de style documentaire. C'est un roman bouleversant parce qu’il nous fait vivre l’horreur de l’intérieur, à travers les points de vue alternés des jumelles Pearl et Stasha. Mischling signifie "sang mêlé" par opposition au sang pur de la race aryenne. Et comme cette vision est souvent faite d’incompréhension, les enfants ne sachant pas pourquoi ils sont là, les pratiques du docteur Mengele ne sont plus cette dénonciation froidement et abominablement théorique que nous connaissons mais quelque chose de vécu dans le corps et l’esprit des petites victimes, dans leurs souffrances intolérables et leurs humiliations quotidiennes.
De plus, l'écrivaine maintient un équilibre troublant entre le réalisme le plus précis (le roman est très documenté) et l'image d'irréalité qu'en donnent les fillettes assommées par le bromure mélangé à leur pain. Le lecteur a l'impression de flotter dans un monde flou à la frontière de l'éveil et du cauchemar.

Il y a pourtant quelque chose de très beau (que j’ai déjà vu dans les romans de Jorge Semprun mais cette fois-ci au niveau de l’enfance) c’est la capacité de résistance qui naît de l’amour, de la solidarité, des amitiés qui se forment, tout ce qui, enfin, préserve l’humanité même dans l'enfer des camps. L’écrivaine explore de plus, et c’est très intéressant et émouvant, les particularités de la gemellité, le ressenti de la douleur de l’autre, le manque provoqué par la séparation.

Les personnages du roman sont complexes et le personnage de Mengele en particulier, très ambigu, est paré d’une aura de bon « Oncle » distribuant des bonbons aux enfants, rassurant les parents à l’arrivée à Auschwitz, et exerçant une séduction sur les enfants qui sont fiers de se croire préférés. Un Oncle, oui, mais plutôt comme l’ogre des contes, - on reste toujours dans le domaine de l'enfance-, qui va exercer sur eux les pires atrocités sous prétexte d’expériences scientifiques.
Quant aux adultes prisonniers, victimes et innocents au début, ils ne peuvent sortir indemnes d’une collaboration avec Mengele. C’est le cas de Miri, une femme médecin juive, forcée d’assister le docteur dans ses expériences, ou du "Père des jumeaux" chargé de s’occuper du « zoo » et qui fait pourtant tout pour sauver la vie de ses protégés. Ils ne peuvent échapper aux affres de la culpabilité, sentiment destructeur qui m’a rappelé l’analyse magistrale qu’en avait faite William Styron dans un roman poignant, inoubliable, paru il y a quelques dizaines années : Le choix de Sophie.
Les enfants sont complexes eux aussi car il y a, parmi eux, ceux qui tirent profit de la mort des autres. Quant aux jumelles, Stasha et Pearl si semblables et pourtant si différentes, elles sont particulièrement attachantes.

Le roman débute par le voyage dans les wagons plombés, avec la mère et le grand père des jumelles. Il ne finit pas avec la libération des camps mais plusieurs mois après. On suit certains des enfants rescapés dans leur périple pour regagner leur maison si elle existe encore, leur famille le plus souvent décimée. Parfois des flash-forward au milieu du récit nous laissent entrevoir ce que sera l’avenir.
Le roman s’interroge aussi sur la réponse à l’horreur  des camps entre le pardon ou la vengeance et  se termine par une lueur d’espoir perçant les ténèbres. Un très beau roman..

source Actes sud ici


Affinity K

D'ascendance juive polonaise, Affinity Konar est née en 1978 en Californie. Mischling est son second roman.





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19 commentaires:

  1. Une lecture certainement éprouvante ! Je n'avais pas fait particulièrement attention à ce roman, je vais y regarder de plus près, mais pas tout de suite.

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    1. Oui, ce n'est pas l'idéal à lire pendant les fêtes; il vaut mieux attendre un peu ! Mais il est à lire !

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  2. Un livre repéré (quand il sera libre à la bibli!) mais je crains le côté roman sur un tel sujet...

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    1. Pourquoi craindre le roman ? Si l'écrivain est bon comme c'est le cas pour "Mischling", le roman est bon et peut aborder tous les sujets.

      Jorge Semprun écrit des romans sur les camps. Et c'est un grand écrivain.

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    2. PS à Keisha : Tu as lu "Le choix de Sophie" ? Un roman aussi sur les camps... et quel roman !

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    3. J'ai lâché V Goby, tu sais;.. Mais je pense essayer ce Mischling tout de même

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  3. je l'ai noté suite à ton billet sur Mengele et je vais attendre qu'il se libère à la bibli

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    1. J'ai été étonnée qu'il soit libre dans la mienne mais peut-être fait-il peur aux lecteurs ? C'est un tort !

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  4. Moi, je passe mon tour. Je préfère les livres pour enfants !

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    1. Oui, j'aime aussi les livres pour enfants. Mais "Mischling" est un bon livre; il est vraiment à lire même si le sujet est grave.

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  5. Je suis pour l'instant et je le crains pour un moment, immergée dans les horreurs de la guerre en Syrie. Je note donc ce titre pour un peu plus tard, lorsque j'aurai fait une pause. Mais merci pour ce bel article.

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    1. J'ai vu ce que tu avais lu sur la Syrie. C'est sûr qu'ensuite il faut un peu respirer !

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  6. Je passe également mon tour. J'ai eu une période où j'ai recherché à connaitre ce qui s'était passé et il y a eu tant de livres lus mais j'avoue que ces horreurs remplacées par des actuelles, personne ne semble apprendre du reste me font mal.

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    1. On peut toujours espérer que l'on apprendra de l' Histoire, c'est très important et surtout de la transmettre aux générations suivantes... Mais parfois c'est décourageant, tu as raison, quand on voit les mêmes horreurs et erreurs se reproduire.

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  7. Mais ces histoires ont le mérite d'être publiées et lues.

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    1. Oui, j'ai devancé ta réflexion dans mon commentaire précédent.

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  8. Je m'arrache les cheveux de désespoir ! Je nai pas encore lu semprun ni le choix de Sophie. Il faut dire que j'ai eu longtemps peur de lire des romans sur cette période mais maintenant ca va. Je trouve tout de même bizarre de témoigner sur les travaux de Mengele sans verser dans l'horreur...

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    1. Si maintenant "ça va", lis-les car c'est de la littérature de valeur.
      Bien sûr, c'est l'horreur, je n'ai pas dit le contraire mais ce sont des enfants qui racontent et c'est parfois aussi irrationnel qu'un conte, ce qui n'empêche pas la cruauté.

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    2. BRIGITTE BASTIEN-SEPTFONDS18 février 2018 à 06:31

      Bonjour à toutes et tous, et en particulier à celles et ceux qui sont découragés par avance par la lecture de "encore un texte sur des horreurs".

      J'avais eu e-xac-te-ment la même réaction, lorsque ma main a sélectionné ce livre, en librairie (je devais y choisir un livre sur lequel écrire). J'ai lu la 4ème de couv, enfin le début, et puis... j'avais déjà tant lu sur la shoah, et l'actu est si sinistre, que.. ma tête a reposé le livre. Mais ma main l'a repris. J'ai ouvert, lu 2 lignes, et j'ai su que je ne pouvais pas le refuser.

      Et alors... quelle surprise extraordinaire !! Affinity rend vie aux morts, panse les plaies de leur âme (et ce que j'écris là, ce ne sont pas des mots. Ce sont des faits). Elle renvoie les bourreau à leur place effective : toute petite, minuscule. Ce livre est un miracle. CE LIVRE EST LE "ROMAN" du siècle, croyez-moi de grâce.

      Tenez, je partage avec vous ce que j'en avais écrit, ce sera plus simple :

      "« Mishling » signifie littéralement « sang mêlé », « bâtard » et donc, entre autres, dans l’Allemagne nazie : « d’ascendance juive ou partiellement juive ». Parce qu’elles sont « mischling », Pearl et Stasha sont expédiées à Auschwitz, en même temps que leur mère et leur grand-père. Parce qu’elles sont jumelles elles sont, dès leur arrivée, sélectionnées pour intégrer le « Zoo de Mengele ».

      Dès l’instant où elles franchissent les portes de l’enfer et sont arrachées à leur mère, tout leur être bascule en mode survie : entre la surface inconsciente de la vie quotidienne et les profondeurs abyssales de la mort, elles plongent dans un espace où le meilleur d’elle-même va prendre le poste de pilotage.

      Et Affinity K. plonge, en totale empathie, avec Stasha et Pearl, tour à tour narratrices. À mesure que le poison s’insinue dans leurs veines, se mêle à leur sang et tente de dévorer leur âme, Affinity K. s’évertue, avec une écriture poétique d’une rare puissance, à faire battre le pouls de la vie. Les pulsations de cette vie immortelle, on les entend battre de plus en plus fort, à mesure que leur espace de survie s’amenuise, jusqu’à ne plus devenir qu’un filet ténu, au milieu du chaos. Mais c’est le battement de ce filet qui se fait entendre, envers et contre tout.

      Mischling est une production extra-ordinaire. Hors normes. Un écrit impossible. Car comment écrit-on une fiction dont le cadre est Auschwitch et dont l’un des protagonistes a pour nom Mengele ? Comment peut-on penser à poser une pierre fictionnelle sur le terrible édifice des témoignages de ceux qui ont traversé tant de morts ?

      Or Affinity K. ne réécrit pas l’histoire - ce « roman », ultra documenté, s’appuie sur de multiples témoignages, et en tout premier lieu ceux de Miriam Mozes Zeiger et Eva Mozes Ker, jumelles qui ont effectivement survécu à l’innommable Zoo. Mais elle réussit ce prodige : Mot après mot son écriture, traque le poison qui a souillé tant de vies, et rendu tant de sangs « mischling ». En extirpant ce poison du sang de Pearl et Stasha, elle redonne vie aux morts, et dignité aux vivants. Elle rend à leur sang et à leur âme leur pureté d’origine. À Pearl et Stasha, elle offre un statut d’héroïnes. Au « docteur », un statut de figurant.

      Affinity Konar est d’ascendance juive polonaise. Elle a seize ans lorsqu’elle lit « Children of the flames », témoignages de jumeaux rescapés d’Auschwitz. Le choc est tel, et l’empathie si profonde, qu’ils provoquent instantanément le germe de « Mischling ». Il faudra pourtant neuf années de maturation avant que ne commence le processus d’écriture - qui, lui-même, nécessitera dix autres années. Une telle profondeur d’écriture n’en exigeait pas moins.

      « Mischling » est un chef-d’oeuvre incontournable, d’une maturité exceptionnelle. Un chant de vie et de victoire. Un éblouissant « devoir de mémoire ».

      Enfin, il n’est pas inutile de souligner la qualité de la version française, où le traducteur (Patrice Repusseau, qui est aussi poète) semble en symbiose totale avec l’auteur."

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