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dimanche 2 septembre 2012

Brassées d'images : Bretagne, Locronan et Douarnenez


La fleur de Bretagne : l'hortensia


Locronan

Notre-Dame de Bonne Nouvelle





L'église


Douarnenez

Le port de Douarnenez

L'île Tristan

Douarnenez

Douarnenez, Falaise


Samuel Taylor Coleridge : La complainte du Vieux Marin

 Gustave Doré



La Complainte du Vieux Marin (The Rime of the Ancient Mariner) est un poème de Samuel Taylor Coleridge (1772_1834) poète romantique, philosophe, dramaturge anglais qui représente une des grandes figures du romantisme anglais.

Le vieux marin de la complainte  raconte son histoire à  l'invité d'une noce qui, d'abord irrité par le bavardage de l'importun, finit par écouter l'étrange et fantastique récit du vieillard, véritablement envoûtant.

Le vieux marin raconte comment son navire entraîné vers l'Antarctique et ses eaux glacées par des vents contraires, est secouru par un albatros, oiseau de bon augure, qui les met dans la bonne direction. Mais le marin tue l'albatros avec son arbalète. L'équipage le lui reproche mais lorsqu'il se sent hors de danger, il donne raison au marin, commettant ainsi une faute qui va déchaîner sur leur tête des éléments surnaturels. La malédictions s'abat sur le voilier bloqué part l'absence de vent, l'eau vient à manquer, l'équipage maudit le marin. Un vaisseau fantôme apparaît mené par la Mort et par une femme "Vie-dans-la- mort","She-life-Death"qui joue l'âme des marins aux dés et gagne. Les membres de l'équipage meurent. Le marin reste seul face à leurs regards figés. il subit des tourments incessants. Il sent l'oiseau accroché à son cou comme une malédiction. Le bateau est entouré de bêtes hideuses. Après sept jours et sept nuits passés en mer le marin parvient enfin à comprendre leur véritable beauté et il les bénit. La malédiction se trouve alors levée et il sent l'albatros se détacher de son cou. La pluie se met à tomber et des esprits prennent possession du corps des marins morts qui se relèvent et mènent le navire à bon port. Là, le navire sombre dans un gigantesque tourbillon. Le vieux marin est le seul survivant. 


 Gustave Doré

L'albatros symbolise la Nature. En ne la respectant pas le vieux marin s'attire sa vengeance.  Mais en reconnaissant la beauté de toutes les créatures, il prend conscience du mal qu'il a fait en tuant l'albatros et de l'importance de la Nature. Le sens chrétien du récit apparaît aussi avec le pardon du vieux marin qui comprend que "Nous devons aimer chaque créature que dieu a faite". Toute faute peut être réparée par la repentance sincère et l'expiation. Pour pénitence, le vieux marin sera contraint de parcourir le monde et de raconter son histoire.

Extrait : troisième partie. L'apparition de Vie-dans-la -mort (traduction wikisource)

 

 Un temps bien pénible s’écoula ainsi. Chaque gosier était desséché et chaque oeil était vitreux comme celui des morts ; un temps bien pénible, un temps bien pénible ! Comme chaque oeil fatigué était morne et vitreux ! Mais voilà que, tandis que je regardais le couchant, j’aperçus quelque chose dans le ciel.

D’abord cela me sembla une petite tache, et ensuite cela me parut comme du brouillard. Cela remua, remua, et prit enfin une certaine forme, que sais-je ?
Une tache, un brouillard, une forme, que sais-je ? et cela toujours approchait, approchait, et, comme si cela eût été une voile manœuvrée, cela plongeait, Courait des bordées et filait du câble.
Nos gosiers étaient si brûlants, nos lèvres si noires et si desséchées, que nous ne pouvions ni rire ni gémir. Avec notre extrême soif, nous demeurions muets. Je mordis mon bras, je suçai mon sang et m’écriai : « Une voile ! une voile ! »
Mes compagnons aux gosiers brûlants, aux lèvres cuites et noires m’entendirent parler. Miséricorde ! ils grimacèrent de joie, et tous à la fois respirèrent avec force comme des gens qui viendraient de boire.
« Voyez, voyez ! criai-je, ce navire ne court plus de bordées :
peut-être renonce-t-il à nous porter secours ! Pas la moindre brise et le moindre mouvement de flots ; il semble dormir sur sa quille. »
La vague occidentale n’était qu’une flamme, le jour touchait à sa fin. Dès que la vague occidentale fut effleurée par le large et brillant disque du soleil, cette forme étrange vint se placer entre lui et nous.
Et sur-le-champ le soleil fut taché de barres noires (que la Reine du ciel nous prenne en grâce !) comme si cet astre avait apparu avec sa large et brillante figure derrière la grille d’un donjon.
« Hélas ! pensai-je (et mon cœur battit violemment), comme ce navire approche vite, vite ! Sont-ce ses voiles, ces choses qui se dessinent sur le soleil comme les fils que l’automne promène dans les airs ?
« Sont-ce ces charpentes, ces barres à travers lesquelles le soleil luit comme à travers une grille ? Et cette femme qui est dessus, est-ce là tout son équipage ? Est-ce là ce qu’on appelle la Mort ? N’en vois-je pas deux ? La compagne de cette femme n’est-elle pas aussi la Mort ? »
Ses lèvres étaient rouges, ses regards hardis ; elle avait les cheveux jaunes comme de l’or, et la peau blanche comme celle d’un lépreux. C’était ce cauchemar qui gèle et ralentit le sang de l’homme, Vie-dans-la-Mort.
Le navire squelette passa près de notre bord, et nous vîmes le couple jouant aux dés. « Le jeu est fini, j’ai gagné, j’ai gagné ! » dit Vie-dans-la-Mort ; et nous l’entendîmes siffler trois fois.
Les extrémités supérieures du soleil plongèrent dans l’onde ; les étoiles jaillirent du ciel, et d’un seul bond vint la nuit. La barque spectre s’éloigna sur la mer avec un murmure qu’on entendait de loin.
Nous écoutions et jetions des regards obliques sur l’océan. La crainte semblait boire à mon cœur, comme à une coupe, tout mon sang vital. Les étoiles devinrent ternes, la nuit épaisse, et la lampe du pilote faisait voir la pâleur de sa face.
La rosée dégoutta des voiles jusqu’à ce que la lune eût élevé son croissant au-dessus du flot oriental. À sa pointe inférieure et au-dedans, il y avait une étoile brillante.
Aux clartés de cette lune caniculaire, l’un après l’autre, et sans prendre le temps de gémir ou de soupirer, chacun de mes camarades tourna son visage vers moi dans une angoisse épouvantable, et me maudit du regard.
Quatre fois cinquante hommes vivants, et je n’entendis ni soupir ni gémissement, avec un bruit sourd et comme des blocs inanimés, tombèrent un par un sur le plancher.
Leurs âmes s’envolèrent de leurs corps. Elles s’envolèrent à la félicité ou au malheur, et chacune, en passant près de moi, retentit comme le sifflement de mon arbalète.


Gustave Doré
 Les illustrations de Gustave Doré, peintre, sculpteur, graveur français(1832-1887) rendent admirablement l'aspect fantastique du poème de Coleridge. (illustré en 1875)

The Rime of the Ancient Mariner (version originale)



There pass a weary time. Each throat                         
Was parch'd, and glazed each eye.
A weary time! a weary time!
How glazed each weary eye!
When looking westward, I beheld
A something in the sky.

At first it seem'd a little speck,
And then it seem'd a mist;
It moved and moved, and took at last
A certain shape, I wist.

A speck, a mist, a shape, I wist!
And still it near'd and near'd:
As if it dodged a water-sprite,
It plunged, and tack'd, and veer'd.

With throats unslaked, with black lips baked,
We could nor laugh nor wail;
Through utter drought all dumb we stood!
I bit my arm, I suck'd the blood,
And cried, A sail! a sail!

With throats unslaked, with black lips baked,
Agape they heard me call:
Gramercy! they for joy did grin,
And all at once their breath drew in,
As they were drinking all.

See! see! (I cried) she tacks no more!
Hither to work us weal--
Without a breeze, without a tide,
She steadies with upright keel!

The western wave was all aflame,
The day was wellnigh done!
Almost upon the western wave
Rested the broad, bright Sun;
When that strange shape drove suddenly
Betwixt us and the Sun.

And straight the Sun was fleck'd with bars
(Heaven's Mother send us grace!),
As if through a dungeon-grate he peer'd
With broad and burning face.

Alas! (thought I, and my heart beat loud)
How fast she nears and nears!
Are those her sails that glance in the Sun,
Like restless gossameres?

Are those her ribs through which the Sun
Did peer, as through a grate?
And is that Woman all her crew?
Is that a Death? and are there two?
Is Death that Woman's mate?

Her lips were red, her looks were free,
Her locks were yellow as gold:
Her skin was as white as leprosy,
'The Nightmare Life-in-Death was she,
Who thicks man's blood with cold.
The naked hulk alongside came,
And the twain were casting dice;
"The game is done! I've won! I've won!"
Quoth she, and whistles thrice.

The Sun's rim dips; the stars rush out:
At one stride comes the dark;
With far-heard whisper, o'er the sea,
Off shot the spectre-bark.

We listen'd and look'd sideways up!
Fear at my heart, as at a cup,
My life-blood seem'd to sip!
The stars were dim, and thick the night,
The steersman's face by his lamp gleam'd white;
From the sails the dew did drip--
Till clomb above the eastern bar
The hornéd Moon, with one bright star
Within the nether tip.

One after one, by the star-dogg'd Moon,
Too quick for groan or sigh,
Each turn'd his face with a ghastly pang,
And cursed me with his eye.

Four times fifty living men
(And I heard nor sigh nor groan),
With heavy thump, a lifeless lump,
They dropp'd down one by one.

The souls did from their bodies fly--
They fled to bliss or woe!
And every soul, it pass'd me by
Like the whiz of my cross-bow!


samedi 1 septembre 2012

De Bretagne : Reprise de Ma Librairie , L'énigme du samedi, challenge romantique et Shakespearien




Mon blog reprend en ce mois de Septembre. Je suis en Bretagne et j'espère, dans cette région hautement gagnée par les techniques modernes, pouvoir accéder à internet !



les bilans de mes challenges

 Le challenge romantique



Le samedi 8 Septembre paraîtra le deuxième bilan du challenge romantique claudialucia, toujours ouvert à tous ceux qui souhaitent y participer jusqu'en Novembre 2013 .



Le samedi 15 Septembre et le dimanche 16 septembre paraîtra le troisième bilan du challenge Shakespeare Maggie/Claudialucia.
Maggie et moi, nous avons décidé de le prolonger indéfiniment. Vous pouvez donc continuer le challenge ou vous inscrire si vous êtes intéressé(e)s.
Nous faisons un lecture commune d'une de ses pièces :  Antoine et Cléopâtre pour le mois d'octobre. Qui nous rejoint?

 

L'énigme du samedi 

 

  Le samedi 21 Septembre l'énigme du samedi,  Un livre/un film recommence pour les passionnés de lecture et les cinéphiles. Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas ce jeu que chez Claudialucia vous devez deviner le livre et chez Wens le film qui en est l'adaptation.





mercredi 22 août 2012

Seconde pause de l'été : En Creuse





 Et oui, je vais voir le jardin de ma fille en Creuse, un jardin pas comme les autres puisque l'on s'y amuse à faire du Land Art. Mais rassurez-vous cela n'empêche pas les tomates ou les potirons de pousser! Les légumes aiment l'art contemporain!



Extrait du blog:   Graine de maison (Hélas! arrêté faute d'internet!)

"J'espère que vous serez sensibles à mes nids à courgettes ainsi qu'à cette Spiral Jetty Goldworthienne à potirons... Hélas, ces photos sont déjà dépassées : aujourd'hui, c'est une vraie forêt vierge là-dedans, avec des potirons et des courgettes tentaculaires; des pieds de tomates de 6m de haut (presque) et il a fallu faire - et il faut encore faire - des extensions pour accueillir les nouveaux arrivants"

mardi 21 août 2012

La Tempête au festival d'Avignon et une BD de Edouard Leskon


Caliban


J'aime de plus en plus La tempête de Shakespeare! La première lecture m'a surprise et décontenancée. Mais plus je lis la pièce, plus je suis sensible à la poésie, au charme de la langue (traduite, hélas, mais belle tout de même) et à la multiplicité des sens!

 Au festival d'Avignon, cette année, il y avait trois représentations de la pièce. j'ai choisi celle du Footsbarn Theater : La Tempête indienne, c'est le titre, car le texte de Shakespeare est transposé(?) en Inde. *

L'idée m'a plu. Je me suis demandée avant d'aller voir le spectacle, ce que ce déplacement dans un pays comme l'Inde apporterait à la pièce. Caliban méprisé par Prospéro, considéré comme inférieur par des hommes qui prennent le pouvoir dans son île et le réduisent en esclavage n'est-il pas une allégorie des peuples colonisés, asservis, comme l'a été l'Inde par les anglo-saxons et les peuples  du Nouveau Monde à l'époque de Shakespeare?
D'autre part, la troupe est composé d'acteurs de nationalités différentes et chacun parle sa propre langue. Le principe était séduisant pour montrer l'universalité du dramaturge.
Mais j'ai été déçue dans l'ensemble et je n'ai pas vu de lecture particulière par rapport à l'Inde si ce n'est que quelques acteurs sont indiens et Miranda porte un sari pour ses fiançailles. La pièce est traitée en farce et les personnages comiques sont assez lourds et ne font pas rire. Miranda est une jeune princesse capricieuse et puérile mais il n'y a pas d'évolution du personnage, d'émotion entre Ferdinand et elle quand ils découvrent la magie de l'amour. Ni Ariel, ni Caliban ne rendent  la poésie de la pièce, quant à la réflexion sur le pouvoir, le Bien et le Mal, la nature et la civilisation, elle m'a paru occultée car l'utilisation de plusieurs langues rend la pièce obscure (incompréhensible pour ceux qui ne la connaissent pas!)
Finalement ce qui m'a le plus plu dans ce spectacle, ce sont les êtres bizarres, mi-objet, mi-humain, mi-animal qui s'animent devant nous,  les décors de voile transparent derrière lequel le bateau glisse amenant les personnages au milieu de la Tempête et les remportant une fois la paix revenue et aussi…  la musique.


*J'ai déjà présenté La Tempête, l'intrigue et les thèmes ICI  

Une BD pour la Tempête

Une île pleine de bruits ou l'invention du territoire d'un magicien


Edouard Leskon 


J'ai découvert  ICI un article d'Edouard Leskon qui explique la naissance d'une adaptation de La Tempête en BD. Les dessins et l'imagination de l'auteur me paraissent au niveau du grand Shakespeare dont il rend la poésie et le mystère.

Caliban

Caliban dessiné par Edouard leskon

 Caliban, fils d'une sorcière, est un des personnages qui m'intriguent le plus. Il est présenté comme une sorte de monstre qui a cherché à abuser de Miranda, qui n'a jamais répondu à "la bonté" de Prospéro  et de sa fille. Pourtant quand on voit l'attitude de Prospéro envers lui, Caliban apparaît plutôt comme une victime :

** Miranda
Je n'aime pas regarder ce misérable

Prospéro
Mais tel qu'il est comment ferions-nous sans lui?
Il allume notre feu, rentre notre bois
Et vaque à d'utiles besonges. Caliban!
 Hola, esclave! Et bien, répondras-tu limon?
 (...)

Caliban
De par ma mère Sycorax, elle est à moi
Cette île que tu m’as prise. Pour commencer,
Quand tu es arrivé ici, tu me flattais
Et tu faisais grand cas de moi ; tu me donnais
De l’eau avec des baies dedans ; tu m’apprenais
 À nommer la grande lumière et la petite
Qui brûlent le jour et la nuit ; moi, je t’aimais
 Alors je te montrais les ressources de l’île,
Eaux douces, puits salés, lieux ingrats, lieux fertiles.
Maudit sois-je pour l’avoir fait ! Que tous les charmes
De Sycorax, chauve-souris, crapauds, cafards,
Pleuvent sur vous !
Je suis votre unique sujet, Moi qui étais mon propre roi (Acte I,  scène 2)


Un monstre, Caliban? De Prospéro qui utilise la force et la violence pour soumettre ceux qui lui résiste et de lui, quel est le plus monstrueux? De plus, cet être qui est mi humain, mi animal a été capable d'apprendre le langage, de s'en servir pour l'injure et la révolte face à ces maîtres mais aussi pour la poésie. Il y a en Caliban un être sensible à la nature et à la beauté et qui sait exprimer ses sentiments d'une manière délicate.

Laisse-moi te conduire aux pommiers sauvages,
Te déterrer des truffes grâce à mes longs ongles,
Te faire voir un nid de geai, te montrer comme
On le piège le vif marmouset, te mener là
Où l'aveline pend en grappe, et dans le creux
Du roc te dénicher de petites mouettes.
Viendras-tu avec moi? Acte II scène 2


Sois sans crainte ! L’île est pleine de bruits,
De sons et d’airs mélodieux, qui enchantent
Et qui ne font pas mal. C’est quelquefois
Comme mille instruments qui retentissent
Ou simplement bourdonnent à mes oreilles,
Et d’autres fois ce sont des voix qui, fussé-je alors
À m’éveiller après un long sommeil,
M’endorment à nouveau ; – et dans mon rêve
Je crois que le ciel s’ouvre ; que ses richesses
Vont se répandre sur moi… À mon réveil,
J’ai bien souvent pleuré, voulant rêver encore »
(Acte III, scène 2)

** Traduction de Pierre Leyris:

D'autres représentations de Caliban


Caliban par Odilon Redon


Caliban par Charles A. Buchel


Caliban par William Hoggarth


Caliban John Mortimer




Challenge de Maggie et Claudialucia

dimanche 19 août 2012

Les chefs d'oeuvre de la donation Yvon Lambert à Avignon



Carlos Amorales



 La donation du collectionneur Yvon Lambert à Avignon comporte 556 oeuvres dont une sélection  est présentée dès cet été dans une exposition qui se poursuivra  jusqu'au 11 Novembre. Le musée sera ensuite étendue et sa superficie doublée pour pouvoir présenter la collection complète.
Aujourd'hui, voici une photo d'une installation que j'aime beaucoup, réalisée en 2003 par Carlos Amorales, artiste d'origine mexicaine. Ces mobiles d'oiseaux ne sont pas sans rappeler Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock  et annoncent la mort et la violence avec le sang qui éclabousse les murs.

jeudi 16 août 2012

Lozère : Promenade soleil couchant



De retour pour quelques jours de Lozère pour mieux repartir en Creuse. Je vais profiter de ces quelques jours à Avignon où l'accès à internet est aisé pour venir vous voir. En attendant, voici une brassée d'images de "mon pays" au soleil couchant.


















mercredi 15 août 2012

William Shakespeare : Le conte d'hiver


Perdita de Anthony Frederick Augustus Sandys


J'ai vu Le Conte d'Hiver au festival d'Avignon il y a déjà quelques années et cette tragi-comédie ne m'avait pas marquée.  J'en avais conclu que Le conte d'hiver était une oeuvre secondaire du grand dramaturge et que l'on ne pouvait pas en tirer autre chose.

Aujourd'hui je l'ai lue et s'il est très possible que Le conte d'hiver ne soit pas une oeuvre majeure, j'en ai pourtant aimé les qualités et je me suis aperçue qu'elle était beaucoup plus complexe que ce que le spectacle du festival m'en avait donné à voir.

Le sujet :
Le roi de Sicile, Léonte, reçoit avec une hospitalité fastueuse son ami d'enfance, Polixène, roi de Bohème. Mais comme celui-ci ne veut pas différer son départ, Léonte demande à son épouse, la reine Hermione, de le convaincre de rester. Celle-ci obtient que Polixène prolonge son séjour. Léonte en conçoit alors une jalousie féroce et soupçonne Hermione de le tromper avec son meilleur ami. Il demande à Camillo, un gentilhomme de sa cour, d'empoisonner Polixène. Ce dernier refuse et sauve la vie du roi de Bohême en s'enfuyant avec lui.
Hermione, accusée d'adultère, est jetée en prison et son bébé, une petite fille, naît pendant son emprisonnement. Le jeune fils d'Hermione et de Léonte, le prince Mamillius, tombe malade à cette tragique nouvelle. Une dame de la cour, Paulina, femme du seigneur Antigone, prend la défense de la reine et essaie de faire reconnaître la fillette par Léonte. Ce dernier considère l'enfant comme une bâtarde et ordonne à Antigone d'abandonner le bébé dans un endroit désolé où elle sera dévorée par les bêtes féroces. Antigone part et dépose la fillette dans un pays qui n'est autre que la Bohême où un berger et son fils, Clown, la recueillent. Ils la nomment Perdita.
Pendant ce temps, en Sicile commence le procès d'Hermione. Le roi a fait appel au jugement d'Apollon. L'oracle proclame l'innocence de la reine et de Polixène et déclare que "le roi vivra sans héritier, si ce qui est perdu n'est pas retrouvé". Léonte refuse de croire à l'oracle et le châtiment ne se fait pas attendre. Le fils de Léonte, Mamillius, meurt bientôt suivi par Hermione. Le roi comprend son erreur et se repent. Il vivra désormais dans le chagrin et le regret et, comme l'avait prévu l'oracle, le royaume reste sans héritier.
En Bohême, Perdita, devenue une jolie jeune fille est courtisée par le prince Florizel, fils de Polixène. Le jeune homme jure qu'il épousera la bergère malgré l'opposition de son père. Grâce aux conseils de Camillo qui a sauvé Polixène jadis, il fuit avec elle en Sicile pour trouver l'appui de Léonte. Bientôt tout se résout. Perdita est reconnue comme la fille perdue du roi. Paulina présente  alors à Léonte une statue d'Hermione qui paraît vivante et pour cause! La reine n'était pas morte mais vivait cachée de son époux. Ce qui avait commencé en tragédie se termine donc en comédie.

Les reproches faits à cette pièce sont nombreux :

Et tout d'abord, l'invraisemblance psychologique : la jalousie de Léonte n'est pas crédible car trop soudaine, elle est infondée et son revirement trop brusque. Léonte paraît non seulement jaloux mais borné et stupide. Or, on sait très bien que Shakespeare avec Othello est un maître dans l'analyse de la jalousie, de ses ressorts, dans la description du doute, des tourments que ressent le jaloux. Othello a besoin de preuves, fournies par Iago, pour croire à la trahison de sa bien-aimée et du temps pour que le soupçon se transforme en certitude et la jalousie en haine destructrice. Si l'écrivain n'a pas voulu s'appesantir sur cet aspect,  c'est que l'histoire qu'il veut raconter n'est pas là! Mais il faut remarquer, cependant, que les plaintes de Léonte et l'expression de sa jalousie ont des accents tragiques qui sonnent justes.

Ensuite, les invraisemblances de l'histoire, elle-même. Elles sont légion. C'est un songe nocturne qui mène Antigone précisément sur le rivage de Bohème (pays qui entre parenthèse n'a pas de mer donc pas de rivage!) où Perdita est abandonnée et recueillie. La rencontre et l'amour de Perdita avec Florizel, la reconnaissance de la jeune fille par son père, la "résurrection" de la mère ne peuvent pas être pris au sérieux. C'est pourquoi il faut se souvenir, pour accepter d'entrer dans la pièce, de son titre : Le conte d'hiver, conte de bonnes femmes raconté aux enfants et dont il ne faut pas remettre en cause le bien-fondé; conte oral qui se transmettait pendant les soirées d'hiver dans les campagnes, au coin du feu, et qui expose des faits merveilleux sans rationalité. Le réalisme n'a plus cours. Certes, Shakespeare place le récit en Sicile et en Bohême mais il s'agit de lieux fantaisistes et intemporels. Certes, la psychologie des personnages qui peuvent passer de l'amour à la haine en une seconde n'est pas crédible mais l'intérêt est ailleurs, dans l'interprétation symbolique de l'histoire qui peut se lire au niveau du mythe. Ce  n'est pas pour rien que la Grèce est invoquée par l'intermédiaire du Dieu Apollon et de certains noms comme Hermione ou Polixène.

Le mythe : 

Les rapports de l'homme et des dieux : l'Hybris, l'orgueil, la démesure de l'homme qui se croit l'égal des Dieux et les défie est toujours puni. Il devra en subir les conséquences. C'est le cas de Léonte qui fait fi de l'oracle d'Apollon et se voit privé du fils qu'il aimait tant, de sa femme et de sa fille.

D'autre part l'histoire de Perdita peut faire penser à celle d'Oedipe car elle est aussi abandonnée comme Oedipe l'a été et recueillie par un berger mais le sens de la comédie et le dénouement heureux ne permettent pas de retenir cette interprétation. Par contre, il y a dans  Perdita le mythe de Proserpine enlevée à sa mère Demeter et qui explique les changements de saisons. Ceci est d'autant plus probant que Perdita nous apparaît, pendant la fête de la tondaison, déguisée en Flore, déesse du printemps, distribuant des fleurs aux passants. Elle incarne la renaissance de la nature, le retour de la vie après la mort.
Acte IV scène 4 :
Florizel à Perdita : Cette parure inaccoutumée donne à tous vos attraits une vie nouvelle. Vous n'êtes plus une bergère, mais Flore, celle des prémisses d'avril. Et votre fête est l'assemblée de tous les petits dieux dont vous êtes la souveraine.
Perdita fait elle-même allusion à cette ressemblance :
Perdita :  O Proserpine, que n'ai-je encore les fleurs que, dans ton effroi, du char de Pluton tu laissas tomber!


De plus, la mère, Hermione, revient elle aussi à la vie, comme Démeter qui cesse de pleurer en retrouvant sa fille permettant au printemps et à l'été de succéder à la désolation de l'automne et de l'hiver.

Acte V scène 3 : Paulina à propos de la statue d'Hermione
Musique, éveille-là Jouez! C'est l'heure, descendez. cessez d'être pierre, approchez… Léguez votre torpeur à la mort; de la mort la précieuse vie vous délivre! Elle bouge, vous le voyez.


Ainsi si l'on donne cette interprétation à la pièce, celle-ci cesse de nous paraître invraisemblable pour prendre un sens plus profond, pour être une exploration des mythes qui sont le fondement de notre société. Tout Le conte célèbre d'ailleurs cette renaissance de la  vie après la mort, mais aussi celui du passage de l'innocence de l'enfance au péché, du bien au mal et en cela elle a aussi une coloration très chrétienne. Léonte devra expier ses actes pendant seize années.

Acte I scène 2 : Polixène évoque son amitié avec Léonte
Nous nous rendions innocence pour innocence. Nous ignorions la doctrine du mal et ne rêvions pas que quelqu'un pût la connaître. Eussions-nous continué ainsi dans cette vie, nos débiles esprits ne se fussent-ils pas gonflés d'un sang plus ardent, Nous aurions pu répondre hardiment au Ciel que nous n'étions pas coupables;- exempts même de cette faute qui noircit notre hérédité.


La statue qui revient à la vie introduit aussi le mythe de Galatée, l'art est aussi vrai que la vie. Il est  d'ailleurs un des thèmes importants de la pièce.
Acte V scène 3
Polixène  devant la statue : C'est magistral. je crois voir la chaleur de la vie sur ses lèvres.
Léonte : Dans son oeil immobile, un mouvement comme si l'art se moquait de nous.

Il y a dans l'acte IV scène 4, une longue discussion sur l'art. Perdita refuse les fleurs créées par l'homme, le fard qui pare les femmes, tous les artifices qu'elle oppose à la Nature mais  Polixène  lui répond : " c'est bien là un art, et qui va corriger ou modifier plutôt la nature; mais l'art est lui-même nature"

Le mélange des genres

La pièce commence donc comme une tragédie. La jalousie de Léonte est un sentiment dévorant, terrible, qui le hante et qui aboutit à la destruction de tous ceux qu'il aime : Polixène n'échappe à la mort qu'en fuyant, Hermione est condamnée d'avance, le petit prince meurt, Antigone et l'équipage qui abandonnent Perdita sont anéantis, l'un par une bête sauvage, l'autre par une tempête. Les actes I, II et le début de l'Acte III  jusqu'à la scène 3 où Perdita est abandonnée et trouvée par le berger sont marqués par la tragédie et la mort.  A partir de ce moment, la pièce incline vers la comédie, le ton se fait soit franchement comique avec les personnages du Clown (c'est le nom du fils du berger) et d'un fieffé coquin, habile parleur et agile voleur nommé Autolycus  mais aussi, champêtre, poétique avec les personnages des amoureux. La déclaration d'amour de Florizel à Perdita est très belle, marquée par des images impétueuses, celle de Perdita, ardente, ne l'est pas moins.

acte IV scène 4 :
Florizel  à Perdita : Quand vous dansez,
Je voudrais que vous fussiez une vague de haute mer
Pour à jamais ne faire que danser : un mouvement
Toujours repris, sans autre fin
Que soi-même….

When you dance, I wish you
A wave oath' sea; that you might ever do
Nothing but that; love still, still so;
And one another function...


L'amour triomphe de la mort, il est plus fort que le mal. L'amour de Perdita et Florizel est sain et joyeux, il ne nie pas les réalités physiques de l'amour, il est passionné. A travers cette pièce s'exprime donc l'humanisme de Shakespeare. L'idée médiévale du péché qui est présente dans la pièce est vaincue par la philosophie antique dont le dramaturge est nourri, en homme du XVI siècle, qui redonne au corps et au plaisir une place importante.


Acte IV scène 4 
Perdita : .... Les audacieuses 
Primeroles, la couronne de l'empereur, tous les iris
Et dans leur nombre la fleur de lys. Oh!, que ceux-là 
Me manquent, pour vous en faire des guirlandes,
Et mon très doux ami,
Pour l'en joncher sur tout, sur tout le corps.

Florizel
Eh, comme un mort?

Perdita
Non, comme un pré, pour les jeux de l'amour
Et son repos. Un Mort? Oui, pour l'ensevelir
Bien vivant toujours dans mes bras....

Le conte d'hiver est donc une pièce de la maturité de Shakespeare, étrange, imprévue, fantaisiste, surprenante et riche! Il serait  dommage que l'on veuille la jouer de bout en bout comme une farce en faisant de Léonte un fantoche ridicule et gâteux et en traitant le Merveilleux parodiquement ce qui détruit la poésie.


Présentation de l'encyclopédie Universalis

Le Conte d'hiver, qui compte parmi les quatre dernières pièces de William Shakespeare (1564-1616), appartient au genre hybride des « romances », ou tragi-comédies romanesques, au même titre que La Tempête. Joué en 1611, il est publié pour la première fois en 1623 dans les œuvres complètes (posthumes) de Shakespeare. Son titre évoque les histoires merveilleuses qu'on racontait durant les veillées d'hiver. L'intrigue s'inspire de celle d'un roman de Robert Greene, Pandosto. The Triumph of Time (1588). À son habitude, le dramaturge modifie considérablement ses sources, et fait d'une histoire de jalousie une tragédie complexe qui offre une réflexion subtile sur les rapports entre l'art et la nature, et en particulier sur l'essence de l'illusion théâtrale.


 Challenge de Maggie et Claudialucia

mardi 14 août 2012

Festival Avignon 2012 : pièces pour enfants, Que d'histoires/ Boucle d'Or/ La nuit/ Un papillon dans la neige




Avant de les oublier je veux noter ici les derniers spectacles auxquels j'ai assisté au festival de théâtre d'Avignon et que je n'ai pas eu le temps de commenter. Voici les pièces vues avec ma petite fille de deux ans, Léonie.

Que d'histoires!

Que d'histoires! d'Alain Vidal par la compagnie Arthéma d'après Les musiciens de Brème  au collège la Salle.
Personnellement j'aurais préféré le conte traditionnel avec le voyage, l'épisode des brigands, le concert des "musiciens" plutôt qu'une adaptation. Ici les musiciens restent à la ferme, se révoltent contre le boucher qui vient les chercher à la demande du fermier, sauve la ferme du feu et gagne le droit d'y rester et la reconnaissance de leur maître. Les marionnettes sont bien mignonnes, les décors sont jolis mais le châtelet assez haut empêche les jeunes spectateurs placés sur le côté de voir toute la scène et crée une distanciation qui ne permet pas d'entrer complètement dans le récit et la pièce est un peu bavarde. Léonie n'a pas compris entièrement l'histoire mais a bien saisi le sens général qu'elle a résumé ainsi : "il y a un méchant qui voulait prendre les animaux.". Elle est restée attentive mais n'a pas manifesté ses sentiments.


Boucle d'or et les trois ours Compagnie de l'Essaïon-théâtre. Le spectacle présente le conte traditionnel avec des variantes et des broderies. Deux actrices interprètent les deux petites filles : Lilas qui, dans ses rêves, rencontre Boucle d'or. Les trois ours sont des peluches animées par les actrices. A priori, je n'aime pas trop les pièces où le rôle des enfants est tenu par des actrices adultes habillées avec des robes de petites filles. Je souffre du syndrome "Chantal Goya"!! Mais tout s'est bien passé! Léonie a beaucoup apprécié, elle a bien ri; il faut dire les jeunes spectateurs étaient souvent sollicités et le spectacle était donc très vivant.

La nuit

La nuit de Pierre Blaise de la Compagnie Le théâtre sans toit à  L'Espace Alya

De petites marionnettes perdues dans le noir, la lune, les yeux d'un hibou, le loup, la crainte de s'endormir dans l'obscurité, le drap que l'on tire sur ses yeux pour ne pas voir les peurs de la nuit… Voilà un  très beau spectacle, plein de poésie, parfois amusant, de drôles de petites marionnettes pleines de vie, des clairs-obscurs splendides, donné devant un public composé... d'adultes conquis! Une seule enfant dans la salle, ma petite fille, qui s'ennuie (sauf quand le loup apparaît ou le hibou) et qui trouve le spectacle long surtout à la fin quand les marionnettistes jusqu'alors cachés, viennent reproduire les gestes qu'ils ont fait pour donner vie aux objets, très belle idée pourtant, une gestuelle intéressante. Mais le spectacle est trop long et n'est pas adapté à un enfant de deux ans. Je n'ai pas à me plaindre pourtant, j'étais avertie, il était affiché à partir de 3 ans et la compagnie a eu la gentillesse de me donner une entrée pour Léonie.


Un papillon dans la neige

Un papillon dans la neige d'Alban Coulaud et Anne Letuffe par la compagnie O' Navio  à la maison du théâtre pour enfants
L' actrice, Papillon, dessine sur une vitre et des petits personnages s'animent, des décors apparaissent devant nous, fonds sous-marins, baleines , oiseaux, plantes…. C'est un spectacle que j'ai trouvé très poétique et abouti. Les enfants un peu plus grands que Léonie ont été très attentifs, subjugués par les images. Quant à ma petite fille, elle n'est pas arrivée à suivre ni à se concentrer. Fatigue due au fait qu'elle avait vu plusieurs spectacles d'affilé ? C'est dommage, la grand mère a pourtant beaucoup apprécié!

A suivre : car j'ai encore vu dans le In, The old King au cloître des Célestins et dans le Off  La Tempête de Shakespeare, La Veuve de Corneille...

lundi 13 août 2012

Jorge Semprun : Le fer rouge de la mémoire





Les éditions Gallimard édite un volume dédié à la mémoire de Jorge Semprun dans la collection Quarto, intitulé Le fer rouge de la mémoire. Ce livre regroupe cinq grands romans de l'écrivain, des essais et des préfaces sur Marc Bloch, Robert Anthelme, Paul Nothomb, Primo Levi ... Viennent s'y ajouter un glossaire sur les références littéraires qui jalonnent son oeuvre érudite, une notice biographique qui retrace sa vie en relation avec l'histoire de son pays, l'Espagne en proie à la guerre civile, avec son arrivée en France où il poursuit de brillantes études de philosophie, son engagement communiste dans la Résistance, son internement à Buckenwald puis avec son rôle politique dans l'après-guerre, lutte contre le franquisme mais aussi contre le stalinisme, dans une condamnation de tout ce qui est une atteinte à la liberté. Un bel hommage à l'écrivain disparu le 7 Juin 2011.
Le titre de cette véritable somme est emprunté à l'écrivain qui a fait du travail de mémoire une constante féconde et riche de son oeuvre car face à l'innommable, face à l'horreur, il faut  continuer  
" à remuer ce passé, à mettre à jours ces plaies purulentes, pour les cautériser avec le fer rouge de la mémoire". *

Toute l'oeuvre de Semprun est une interrogation sur la mémoire. Celle-ci est-elle fiable?
"Il se demande pourquoi il y a tant de neige dans sa mémoire, plein de neige crissante dans son insomnie. C'est le mois d'août pourtant..." ainsi débute le premier chapitre de L'évanouissement. Ce qui fait la richesse et la complexité de l'oeuvre de Jorge Semprun, c'est qu'il explore toutes les possibilités de la mémoire, irruption du présent dans le passé,  mais aussi projection dans l'avenir au milieu du passé. Le souvenir est fragmentaire, capricieux, fragile, il se présente sous forme de strates, il échappe, il revient... et c'est dans cet effort de reconstruction, cette recherche à la fois philosophique et littéraire que Semprun va atteindre son but, nous faire partager ce qu'il a vécu, rendre compte de la réalité aussi difficile que cela paraisse. Car l'expérience des camps de concentration est-elle transmissible? Comment raconter ce qui dépasse l'imagination, ce qui n'est pas crédible. Les témoignages permettront aux historiens de consigner les faits, "tout y sera vrai.. sauf qu'il manquera l'essentielle vérité, à laquelle aucune reconstruction historique ne pourra jamais atteindre, pour parfaite et omnicompréhensive qu'elle soit... L'autre genre de compréhension, la vérité essentielle de l'expérience n'est pas transmissible... Ou plutôt, elle ne l'est que par l'écriture littéraire"**

C'est avec bonheur que que j'ai retrouvé les romans que je connaissais déjà de ce grand écrivain, Le grand voyage, Quel beau dimanche, l'écriture et la vie,  et que je découvre les deux autres, L'évanouissement, Le mort qu'il faut. Le sentiment que je ressens devant cette écriture puissante, ces récits poignants qui dépassent le simple témoignage pour devenir oeuvre d'art et nous cueillir de plein fouet car "racontés avec suffisamment d'artifice", est celui que Jorge Semprun, lui-même, exprime dans sa préface à propos de L'Espèce humaine de Robert Anthelme, un autre résistant déporté : "Il y a longtemps que je n'avais pas lu un livre témoignant de la grandeur humaine d'une façon aussi nue, bouleversante (...). A première vue cette affirmation peut paraître paradoxale, puisque la vie qui y est décrite est la plus misérable, la plus méprisée..."
 Et oui, c'est au moment où Jorge Semprun montre l'espèce humaine humiliée, conditionnée par la faim, réduite à l'esclavage, ravalée à l'état de bête, qu'il insuffle en nous l'espoir en l'humanité! C'est pendant ce voyage où entassés les uns sur les autres dans un wagon plombé qui les amène vers un camp dont ils ne peuvent encore mesurer l'horreur, que la beauté apparaît sous la forme de ces petites pommes juteuses que "le gars de Sémur" partage avec lui***.  Par la force de la pensée, de la littérature, de la poésie, Jorge Semprun puise la force de survivre. C'est dans la contemplation d'un arbre sous la neige,"dans la certitude de sa beauté viride, prochaine, inévitable, survivant à ma mort"****, que s'affirme l'idée fondamentale développée par l'écrivain dans toute son oeuvre et qui - au-delà de l'expérience des camps- est universelle, celle de la grandeur humaine plus forte que la barbarie. Face au Mal, l'homme a toujours la liberté de choisir le Bien.

Si vous n'avez pas lu Jorge Semprun et ne connaissez pas encore la force de son écriture, n'hésitez pas! Ce volume en forme d'hommage, Le fer rouge de la Mémoire, vous donnera l'occasion de faire une rencontre inoubliable.

* Autobiographie de Federico Sanchez
** L'écriture ou la vie
***Le grand Voyage.
**** Quel beau dimanche






Merci à La librairie Dialogues