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jeudi 27 février 2020

Jack London : Avant Adam


 Et voilà je lance le challenge Jack London dans mon blog avec Avant Adam

Dans Avant Adam nous retournons avec Jack London dans le monde de la préhistoire par l’intermédiaire du narrateur qui, à travers des rêves liés à son cerveau atavique, retourne dans la vie de nos lointains ancêtres. Il peut alors vivre les aventures d’un jeune garçon, nommé Grande Dent, dans une tribu qui ne connaît pas encore le feu. Si la mère de Grande Dent vit encore dans les arbres, le jeune héros chassé du nid par son beau père, va rejoindre, parmi ses semblables, ceux qui ont évolué et investi des cavernes qui leur servent de protection contre les bêtes sauvages. Pourtant existent déjà les hommes du feu qui deviendront les pires prédateurs du peuple des cavernes. Ainsi, l'homme connaît plusieurs stades d'évolution simultanés.

L’évolution était la clef de mes songes. Elle me fournit l’explication des divagations de mon cerveau atavique qui, moderne et normal, subissait l’influence d’un passé remontant aux premiers vagissements de l’humanité.

Avant Adam se lit comme un roman d’aventures qui commence avec l’enfance du personnage. Nous partageons sa tristesse quand il est séparé de sa mère, son amitié avec le petit orphelin Oreille-Pendante dont il partage la cachette à l’abri des bêtes, puis, lorsqu’il grandit, l’attirance envers la jolie et farouche jeune fille, La Rapide. Parmi les dangers auxquels il échappe, il y a, bien sûr, les animaux féroces, les sangliers, et le tigre Dent de Sabre, mais les pires ennemis sont les hommes, ceux du feu dont j’ai parlé plus haut, mais surtout, dans leur propre peuple, Oeil Rouge, voleur et tueur de femmes, un géant à la force herculéenne qui a le goût du sang. Belle occasion pour Jack London de nous montrer les ressorts du pouvoir fondé sur la crainte qui réduit à la servitude les êtres plus faibles. Ce qui corrobore la théorie évolutionniste de Darwin, adoptée par London, et qui montre que ce sont les espèces les plus fortes qui ont survécu et ont pu évoluer.

Car Avant Adam n’est pas seulement un roman d’aventures. L’écrivain  a pour ambition de nous montrer un pan d’histoire de nos ancêtres préhistoriques d’une manière scientifique, et en s’appuyant donc sur les thèses darwinistes. Il insiste sur le fait que l’évolution de l’intelligence et des progrès a été très lente, et s’est étendue sur des milliers d’années, et refuse de faire de son personnage un inventeur de génie. La seule découverte du livre, est celle de l’utilisation de la calebasse pour transporter de l’eau et des baies. D’après les spécialistes, il s’en sort très honorablement en tenant compte des connaissances que l’on en avait à son époque. Une erreur à noter, les hommes du feu n’avaient pas encore d’arcs comme armes défensives.
  
Mais il a aussi une intention militante et le livre  reflète le désir de London de lutter contre l’oppression religieuse en s’appuyant sur la science. Il faut se replacer à l’époque de l’écrivain pour comprendre combien sa thèse était osée et scandaleuse pour des américains encore dans l’obscurantisme, qui refusaient l’évolutionnisme au nom du créationisme. (Il paraît qu’il y a encore de nos jours des écoles aux USA qui enseigne le créationisme ! J’ai peine à y croire ! ).

Ceci dit, la lecture du roman est agréable et certaines scènes ont du panache, servies par un style alerte et vivant. Ainsi le passage où les gens des cavernes parviennent à faire fuir le tigre Dent de Sabre et à le ridiculiser est très réussie. Il y a aussi des notations psychologiques qu’on peut imaginer très justes. Par exemple, si Jack London décrit la peur toujours présente car un instant d’inattention peut entraîner la mort, il montre aussi combien ce peuple aimait rire, et combien il était apte à oublier le danger dans une insouciance salvatrice, un peu semblable aux enfants qui retournent jouer après un gros chagrin, faculté qui devait assurer la survie de l’espèce.


Qui veut engager une LC sur Jack London  avec moi ? 

 

Pour la fin Mars, je propose Une fille des neiges


Et pour le mois d'Avril : le peuple de l'abîme ou Le peuple d'en bas


Dates à préciser ....

dimanche 23 février 2020

La citation du dimanche : La convivialité ou L'absurdité de l’orthographe française



Je suis allée voir un spectacle de théâtre intitulé La convivialité, réquisitoire impitoyable et drôle des absurdités de l'orthographe française. Arnaud Hoedt, Jérôme Piron, belge et québécois,  tous deux anciens professeurs à Bruxelles, sont très sérieux quand ils dénoncent le non-sens de l'orthographe française et montrent que les codes de celle-ci ont été fixés pour assurer le pouvoir d'une classe sociale.  Mais ce qu'ils nous ont amusés ! 
Le spectacle commence par... une dictée et qui s'y colle ? Nous, spectateurs !  Premier éclat de rire !
Puis quand les comédiens se lancent dans la démonstration loufoque des aberrations de  l'orthographe, à l'aide de petits tableaux pour visualiser le manque de logique des règles et des exceptions, de logiciels pleins de malice et de beaucoup d'humour, ils emportent l'adhésion du public ! L'adhésion ? ...  Enfin momentanément !
 En effet, le public, composé dans cette salle d'Avignon, au théâtre des Halles, de trois quart d'enseignants, a beaucoup ri, s'est bien amusé des ridicules de l'orthographe française pendant toute cette brillante démonstration.
Mais... lorsque les auteurs-comédiens lui ont demandé s'il accepterait la modification de l'ortografe de  certains mots, la plupart a levé un carton rouge... moi compris ! Le savez-vous ? Les français ont horreur des réformes ! 

"On se demande souvent comment respecter l'orthographe.  Mais l'orthographe est-elle respectable ?

L'histoire de l'orthographe

La convivialité quatrième de couverture
Jérôme Piron  et Arnaud Hoedt ont envoyé leur livre à  l'Académie française à l'attention de chacun des académiciens. Ils n'ont jamais eu de réponse. Et pour cause : la quatrième de couverture montre l'académie en flammes ! Provocateurs ? Eux ?

"Au XVII siècle, on centralise l’Etat et Richelieu réalise que la langue est un pouvoir. Il crée alors l’Académie française. Elle sera chargée de rédiger un dictionnaire pour fixer la norme.
L’Académie va surtout faire de cette norme la marque de l’appartenance à la bonne société, le « bon usage ».

Dans les cahiers préparatoires de ce dictionnaire, il est indiqué que l’orthographe servira à « distinguer les gens de lettres d’avec les ignorans (sic) et les simples femmes. »" p 66

Il faut attendre le XIX siècle pour que l'orthographe devienne une norme incontournable. C'est la bourgeoisie montante qui lui donne ses lettres de noblesse. Elle revendique une orthographe délibérément compliquée. Dans son édition du dictionnaire de 1835, l'Académie réintroduit le th et ph et des consonnes doubles, dont on s'était pourtant débarrassé."

Quelques exemples parmi tant d'autres


Lisez le livre, ou mieux, allez voir le spectacle,  pour savoir d'où vient le x de cheveux au lieu du s que l'on serait en droit d'attendre, ou l'accord du participe passé quand le cod est placé avant ou après... 

Traditionnellement, la confiture de groseilles prend un s à groseilles parce que, en gros, on aperçoit la forme des fruits. Alors que la gelée de groseille, qui est une masse informe, ne prend pas de s à groseille.

Donc la présence du s dépend du temps de cuisson.


Une institutrice demande à ses élèves de placer des points à l’écrit sous les lettres qui ne se prononcent pas comme dans POIDS.
Une fillette lui dit : Si elles ne se prononcent pas, pourquoi les écrire ?
et son petit camarade rétorque : «  mais si on ne les écrivait pas, on ne saurait pas où mettre les po
ints?  »

"En français on écrit bruit, édit ou crédit avec un t  pour faire bruiter, éditer, créditer mais pas abri.
On écrit dix avec un x qu'on prononce /s/, alors qu'on écrit dizaine avec un z et  un dixième qu'on écrit x et qu'on prononce /z/ "

Qui a dit  ? 

?
 Rendez-vous au bas de la page quand vous aurez trouvé qui a dit ? ! Les portraits des écrivains peuvent vous aider mais ils ne sont pas publiés dans l'ordre.

"L’orthographe, divinité des … sots"  1)

"C’est en vain que nos Josués littéraires crient à la langue de s’arrêter ; les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent.- Voilà pourquoi le français de certaine école contemporaine est une langue morte." 2)

"L’orthographe de la plupart des livres français est ridicule. (…) L’habitude seule peut en supporter l’incongruité."  3)

"Orthographe. Y croire comme aux mathématiques. N’est pas nécessaire quand on a du style." 4)

"Epargnons ce temps si précieux que l’on dépense trop souvent dans les vétilles de l’orthographe, dans les règles de la dictée qui font de cet exercice une manière de tour de force et une espèce de casse-tête chinois." 5)


?
?




1) Stendhal Lettre à Pauline 1804
2) Victor Hugo préface de Cromwell 1827
3) Voltaire dictionnaire philosophique 176
4) Flaubert dictionnaire des idées reçues 1913
5) Jules Ferry discours au congrès pédagogique 1880


mardi 18 février 2020

Paul Vinicius : La chevelure blanche de l'avalanche (2)


Sur les cimes de l’amour

le cri n’a trouvé personne
mais son écho a peigné
pendant une poignée
de secondes-
la chevelure blanche
de l’avalanche
Ferdinand Hodler
Ce vers qui donne son titre au recueil la chevelure blanche de l’avalanche m’a donné envie de connaître Paul Vinicius, poète roumain, traduit par Radu Bata et publié aux éditions Jacques André.
Je ne connais pas du tout le poète aussi ai-je été surprise en cherchant dans Wikipédia pour en savoir un peu plus sur lui de découvrir que la page qui lui était consacrée avait été supprimée par un administrateur roumain au motif que ce poète était peu connu. Je me suis demandée si la censure se cachait sous un justificatif aussi peu convaincant !  Ce n’est pas parce que Paul Vinicius n’est pas connu du grand public qu’il ne l’est pas dans les milieux littéraires comme en témoignent les festivals de la poésie auxquels il participe, les prix qu'il a reçus, les articles de presse, la revue de poésie qu’il dirige, et la traduction de son oeuvre en plusieurs langues. La quatrième de couverture nous apprend qu’il a été interdit de publication en 1987 par la censure communiste. Oui, d’accord, mais maintenant, qu’en est-il ? Je me trompe peut-être mais, de ce fait, je me suis intéressée de plus près en le lisant à ce qui transparaît de ses idées et de sa vision de la société roumaine. Et c’est très difficile de tout comprendre quand on ne sait pas quand les poèmes ont été écrits et s’ils renvoient à des évènements précis. Finalement, je vous livre ce que j’ai ressenti en lisant sa poésie sans plus me poser de questions si ce n’est celle-ci :

Et d’abord quelle est sa conception de la poésie ?

"Non, un poète ne se cache jamais
derrière les murs

Il sort en pleine lumière
parler avec les balles
qui viennent à lui…"

Un poète engagé ? Ce n’est pas le terme que j’emploierai car dans le concept du mot "engagement" entre en compte le désir du poète de servir une idée, de détenir la vérité et de lutter pour elle. Ce qui n’est pas le cas de Paul Vinicius.  Il décrit un pays, son pays, dans lequel  «  tu as beau prendre un sentier lumineux/tu tomberas toujours/ sur la main d’un monsieur kafka/ jouant au Backgammon/ au milieu de la route / avec le chapeau absurde / de monsieur Ionesco. ».  Un pays  absurde?
"Un pays triste
plein de barges voleurs velléitaires et branleurs de succès
de nids de poule et de chaussées
de mauvaises herbes et de verger"
Certes, Paul Vinicius exprime sa colère, une colère qui explose devant la corruption,  l’« orage électoral » qui « frappe à la porte » devant les politiciens véreux, l’hypocrisie  :

« La ville est  pleine de grosses pancartes
de photos avec des idiots
qui nous emmèneront à la tombe"
 
 Et certes, il dénonce, il explose, il s’expose. Mais il n’entre pas dans la lice et même il se met en marge :

 "Je crois que vous et la loi, n’êtes pas sur le
même longueur d’onde »
Je ne l’ai même pas contredit
car je me sentais ainsi cette année-là -1987

Un poisson en moins
dans l’espace  public

un poisson bien décidé de vivre en l’air.

 Un poisson qui ne vit plus dans un aquarium. Paul Vinicius, c’est le refus de rentrer dans le moule, la volonté de ne pas suivre la foule, de pas se soumettre au conformisme de la société. Mais c'est aussi la solitude et l’ennui, les jours qui passent et se ressemblent, l’alcool et la cigarette qui réduisent la durée de la vie mais qu’importe ! Et toujours, la tristesse, «  ma soeur cadette », « un immense écoeurement/ comme un champignon nucléaire/ sur la ville »… Il est celui qui refuse de se « convertir à la vie ».
Dans cette noirceur,  pourtant, quelques trouées de lumière : la poésie se confond avec l’homme pour ne former qu’un et les livres qu’il aime nourrissent sa vie.

« Les jours passent
à côté de moi
comme un chapelet de détenus

bonjour
bonsoir
bonne nuit

 le cendrier
 plein de mégots

le verre vide

et
sur les étagères
les livres qui m’habitent »
Et puis, quelquefois, un moment d’espoir, un souvenir de jeunesse heureux,  l’amour des femmes, d'une femme.

"tout à coup
sans crier gare
un souvenir arrive

il se met au chaud
contre ta poitrine
et commence à ronronner

et le jour ressemble
 à un aquarium 
vide"

 Un style imagé

Edward Hopper
  Ce qui n'empêche pas l'auteur de manier l'humour. J’ai apprécié, par exemple, les moments où fusent les réparties ironiques qui provoquent le rire tout en permettant au poète de régler quelques  comptes  :

A la fille du rayon légumes frais

avec ses 13 kilomètres de gambettes
et un rouge si fort
sur les lèvres courbées
que les URSS te tombent sur la tête

J’ai aimé la beauté surprenante et simple qui émanent  de certaines images

"et tu es tellement belle quand tu dors
que j’ai de plus en plus sommeil de toi »

"Il y a pourtant des champs
de coquelicots
d’où
bleue
la poésie
s’élève comme une montgolfière"

« et toujours cet oiseau de plâtre
 la fatigue
qui se niche doucement
 dans la cage de tes os »

Et si, parfois, quelques-unes de ces poésies ne m'ont pas touchée ou si je n'ai pas aimé certaines images moins réussies, j’ai goûté ce recueil, j'ai été sensible à cette tristesse qui prend dans ses filets, et qui fait lever des images récurrentes et lancinantes comme celles de l’aquarium et des poissons, liées à l’enfermement, à l'effacement des sons et des couleurs, images d’une vie qui ressemble fort à la mort comme dans un tableau d'Edward Hopper,  et « que traversent des poissons aux grands yeux et aux ailes translucides. »


en savoir plus sur Paul Vinicius : voir article ici

Paul Vinicius galerie photo lien ici

Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres. Cette double performance universitaire est la partie visible de son parcours surprenant ; il a exercé de nombreux métiers, jobs, sports, avant de se dévouer à l’écriture. Champion de boxe junior et karatéka ceinture noire, il a travaillé comme manutentionnaire, maître-nageur sur la côte de la Mer Noire, détective privé, pigiste, correcteur, rédacteur pour plusieurs journaux de la presse nationale et, dernièrement, pour la maison d’édition du Musée de la Littérature roumaine.
Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il renonce à sa carrière d’ingénieur et sa biographie suit les soubresauts de la démocratie survenue fin décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle ivresse.
Ses poèmes ont été régulièrement publiés à partir de 1982 par les revues littéraires. Beaucoup ont été traduits et publiés dans des anthologies. Il est lauréat de plusieurs prix nationaux et internationaux de poésie. Dernier en date : le Prix du Public au Salon du Livre des Balkans en 2017.



Merci à Masse critique et à Jacques André éditeur

dimanche 16 février 2020

La citation du dimanche : Paul Vinicius, poète roumain, la chevelure blanche de l'avalanche (1)

Marc Chagall
Je suis en train de lire un recueil de poèmes de Paul Vinicius, poète roumain, envoyé par Masse critique et les éditions Jacques André, dont le titre m'a attirée : La chevelure blanche de l'avalanche. En attendant de le commenter, car lire des poésies prend du temps, je publie ici cette Rose des vents que j'aime beaucoup. 

Rose des vents

aujourd'hui j'ai vu une goutte de pluie
dans laquelle habitait une forêt.

une fille traversait cette forêt
elle avait les yeux verts et chantait

entre les collines de ses seins
serpentait un train bleu

j'étais dans ce train
je regardais par la fenêtre sa peau de velours
j'écoutai sa musique

les autres voyageurs ne voyaient
qu'une pluie morose
des ombres erratiques
et un vieillard qui faisait la manche
sous un ciel de cuivre


vendredi 14 février 2020

Daniel Mendelsohn : Les disparus


Dans Les Disparus, Daniel Mendelsohn explique que sa curiosité sur le sort de son grand-oncle Shmiel, son épouse, Rachel, et leurs  quatre « superbes » filles, restés en Pologne pendant la guerre, commence dès l’enfance. Tout jeune, en effet, Daniel  - qui ressemble à Shmiel, à en faire pleurer ceux qui l’ont connu -  pose des questions à son grand-père Abraham puis aux autres membres de la famille. Il sait que ce frère d’Abraham n’a pas voulu émigrer et est resté en Pologne dans la ville de ses ancêtres, nommée Bolechow, autrichienne à l’époque, devenue ukrainienne par la suite sous le nom de Bolekhiv. Il a lu les lettres désespérées, restées sans réponse, que le grand-oncle a écrit à sa famille américaine pour le faire sortir de Pologne, sa famille et lui ; il sait que tous ont été tués par les nazis. Longtemps après la mort de son grand père, et alors que beaucoup de ceux qui ont été des témoins visuels ont disparu, Daniel Mendelsohn reprend son enquête et part d’abord à Buchalow, puis dans les pays où restent des survivants, Israel, Australie, Suède, Danemark, Etats-Unis. Une véritable épopée qui l’amènera à retrouver le souvenir des disparus, à cerner leur personnalité, à savoir comment ils ont vécu et comment ils sont morts.
Ce qui est passionnant dans cette démarche et très émouvant, c’est la découverte, au fur et à mesure des voyages et des rencontres, de petites parcelles de vie qui finissent par prendre corps, former une image, raconter une histoire, comme un puzzle qui se construirait devant nous. Nous partageons l’émotion de l’écrivain lorsqu’il découvre, en Ukraine, pour la première fois, quelqu’un qui a connu réellement l’oncle Shmiel. Sa déception, son découragement, parfois, quand il semble ne pas pouvoir aller au-delà, puis son émotion mêlée de douleur quand le dernier lambeau, arraché à l’histoire de ce passé violent et douloureux, le conduit là où sont morts Shmiel et sa fille Fridka .

C’est aussi la démarche de Xavier Cercas quand il enquête sur son oncle, mort au cours d’une autre tragédie, celle de la guerre civile espagnole, forme de récit qui me touche toujours beaucoup car l’enquêteur, historien et narrateur, est aussi personnage du récit. Dans Les disparus, nous sommes dans l'intimité de l'écrivain, partageons jusqu’à ses pensées intérieures. A la recherche de sa famille perdue, il retrouve aussi l’amitié et la complicité de son frère Matt dont il s’était éloigné. Ce dernier réalise les photographies de leur voyage commun.

Les Disparus, au-delà, bien sûr, de la recherche de la famille perdue, les six parmi six millions, fait revivre l’holocauste et nous fait entrer dans l’horreur de ce qu’ont été ces exterminations massives pas seulement dans les camps mais dans les villages où la population juive conduite devant des fosses communes était massacrée après avoir été torturée. Le livre Les Bienveillantes de J. Littell m’avait déjà prise aux tripes avec la description de cette folie meurtrière si bien que je n’avais pu aller jusqu’au bout. Celui de Daniel Mendelsohn, lui aussi, fait douter de la nature humaine. L’écrivain s’interroge sur la culpabilité des uns et des autres. Mais si les ukrainiens sont, de l’aveu même des derniers survivants, « les pires », il faut bien reconnaître que les juifs qui ont été sauvés, l’ont été grâce à des ukrainiens qui ont risqué leur vie pour eux. Parmi les juifs aussi, il y avait ceux qui entraient dans la police créée par les nazis pour dénoncer et arrêter leurs voisins. L’homme est décidément capable du pire et du meilleur! Daniel Mendelsohn se refuse de juger. A partir du moment où l'on n'a jamais connu quelque chose d'aussi horrible, comment peut-on savoir ce que l'on aurait fait !

Daniel Mendelsohn
Dans son livre Une Odyssée qui a été écrit après Les disparus mais que j’ai lu en premier, le commentaire de l’oeuvre d’Homère et l’étude de la langue grecque servent de contrepoint à l’histoire du père et du fils, Jay et Daniel. Ici, le linguiste Mendelsohn s’empare de la Torah. Les grands moments du récit biblique rythment alors le récit de la quête des disparus et se développent en parallèle avec une évidente correspondance : Caïen et Abel, le conflit entre frères et soeurs expliquent les dissensions à l’intérieur de sa famille, ce qui le renvoie à lui-même face à ses frères ; le déluge, l’annihilation totale des hommes voulue par Dieu, est semblable à celle voulue par Hitler car elle n’épargne même pas les innocents, les enfants. Dieu serait-il cruel ? Le récit de la Terre Promise est un rappel de l’immigration et des compromissions, des sacrifices qu’elle engendre. Le choix entre le Mal et le Bien, est le conflit qui agite Abraham qui doit sacrifier un innocent, son fils Isaac …

Ce livre est donc un récit complexe, une enquête à la recherche du passé, menée de main de maître par un écrivain qui sait donner forme au chaos.  C’est un récit cruel qui nous touche, nous révolte. Mais Daniel Mendelsohn éprouve envers les personnes qu’il rencontre des sentiments de respect, de tendresse qu'il nous transmet et qui laissent passer un sentiment d’humanité réconfortant. On en a besoin après la lecture de ce livre à la fois terrible et riche !


Voir myriam 
Dasola  
Kathel

mercredi 12 février 2020

Craig McDonald : Rhapsodie en noir



Un polar-thriller avec une pointe d’originalité, c’est la définition que je donnerais de Rhapsodie en noir de Craig McDonald dont le titre s'inspire de l'histoire du Dahlia noir d'Ellroy, d'après un fait divers concernant le meurtre d'une femme qui ne fut jamais élucidé.

Nous sommes à Key West à la pointe extrême de l'archipel de Floride où l’on attend, d’un moment à l’autre, un violent ouragan. C’est là que vit Harry, un auteur de polars qui vient de faire  la connaissance de Rachel, un jolie touriste. Il ne sait pas encore qu’il deviendra amoureux de la jeune femme qui se révèle intelligente et cultivée, au point de vouloir vivre avec elle. Mais un horrible assassinat vient d’avoir lieu qui sera suivi par beaucoup d’autres et Harry, féru d’art contemporain tout comme Rachel, s’aperçoit que l’assassin réalise une mise en scène qui renvoie chaque fois à un tableau d’art contemporain surréaliste. L'un des points forts du roman est d'entendre tous ces intellectuels discuter surréalisme, même si  Graig McDonald fait jouer aux surréalistes un bien mauvais rôle !
Marx Ernst : Anatomie de jeune mariée
Le récit se déroule sur plusieurs périodes  : 1935, 1937, 1947, 1959 et nous promène de Key West à Barcelone, pendant la guerre civile, à Cuba au temps de Castro, à Hollywood au temps de la chasse aux sorcières.

Un déplacement dans le temps et l’espace qui n’est pas sans intérêt car il nous fait voyager en bonne compagnie avec Hemingway qui se révèle être un ami de Harry, toute proportion gardée entre notre héros, humble auteur de romans policiers, et le Grand Ecrivain de Grande littérature comme le lui rappelle sans cesse Hemingway lui-même ! et puis Don Passos, Rita Hayworth, Man Ray, John Huston … et j’en passe. Et d’ailleurs, c’est ce j’ai préféré dans le roman, ce qui en fait son originalité, surtout quand nous approchons de près Ernest Hemingway, « Papa » comme il se fait appeler, dont Graig dresse un portrait savoureux, haut en couleurs, et juste, du moins pour ce que je connais du personnage. Hemingway, alcoolique et tourmenté, fêtard et généreux, imbu de lui-même et coléreux, écrivain brillant, doué, beau parleur, infatigable, homme à femmes se débarrassant avec assez de facilité de ses épouses successives, toujours à la recherche de sensations fortes, sur son bateau pendant un ouragan, à Barcelone assiégée par les franquistes pendant la guerre civile. Nous retrouvons aussi Orson Welles pendant le tournage de « La dame de Shangaï » et Craig McDonald dresse de la société hollywoodienne un portrait au vitriol, tout comme il n'épargne pas les protagonistes de la guerre d'Espagne.


Hans Bellmer
Quant aux personnages principaux, Harry et Rachel, ils nous ménagent beaucoup de surprises au cours du roman!  Mais l’histoire elle-même m'est apparue tirée par les cheveux, surtout du point de vue de la psychologie des personnages à laquelle on ne peut croire, à mon avis. Et c'est bien dommage !
C'était le deuxième roman de Craig McDonald, paru pour la traduction française en 2010.



dimanche 9 février 2020

La citation du dimanche : Les femmes écrivains sont-elles dangereuses ?

Livre de la cité des dames de Christiane Pisan
Incroyable comme la notion de danger est souvent liée aux femmes qui écrivent avec son corollaire : la peur !   Danger et peur ! Mais il faut noter que soit elles sont dangereuses pour elles-mêmes, soit pour les autres. Soit on a peur pour elles, soit ont a peur d'elles ! Il est vrai que dans ce dernier cas, les hommes écrivains pourraient l'être tout autant !

 Les femmes qui écrivent vivent dangereusement Laure Adler

 

Les femmes qui écrivent vivent-elles dangereusement ? Certaines d'entre elles - pour qui l'écriture nécessite solitude, rupture du lien social, repli dans un cercle familial choisi, souffrances intérieures exacerbées, corps négligé, mais cerveau en ébullition - manquent de pitié pour elles-mêmes, meurent jeunes, en pleine lucidité, faisant face aux terreurs suprêmes.
Les soeurs Bronté, Jane Austen reconstruisent le réel par leur imaginaire. D'où la nécessité de leur solitude.  

Sur Jane Austen

Voici le jugement que porte sur Jane Austen, l'une de ses connaissances. C'est une amie d'une certaine Mrs Mitford qui connaissait Jane et ne l'appréciait pas.

Ensuite vient l'amie anonyme de Mrs Mitford qui lui rend visite et selon qui "elle  (Jane) s'est pétrifiée dans le bonheur du  célibat pour devenir le plus bel exemple de raideur perpendiculaire, méticuleuse et taciturne qui ait jamais existé; jusqu'à ce que "Orgueil et préjugés" ait montré quel diamant précieux était caché dans ce fourreau inflexible, on ne la remarquait pas plus en société qu'on ne remarque un tisonnier ou un pare-feu... Il en va tout autrement maintenant, poursuit la bonne dame, c'est toujours un tisonnier, mais un tisonnier dont a peur... Un bel esprit, un dessinateur de caractères qui ne parle pas est bien terrifiant en vérité!"

 Olga Tokarczuk


L'écrivaine polonaise, prix Nobel de littérature, Olga Tokarczuk, dans son livre Sur les ossements des morts prête les pensées suivantes à la narratrive, Janina, personnage principal de son roman qui a pour voisine une femme écrivain :

Si je la connaissais moins bien, j'aurais peut-être lu ses livres. Mais puisque je la connais, j'ai trop peur de cette lecture. Peur de m'y reconnaître, présentée d'une façon que je ne pourrais certainement pas comprendre. Ou d'y retrouver mes endroits préférés qui, pour elle, n'ont pas du tout la même signification que pour moi. D'une certaine façon, les gens comme elle, ceux qui manient la plume, j'entends, peuvent être dangereux. On les suspecte tout de suite de mentir, de ne pas être eux-mêmes, de n''être qu'un oeil qui ne cesse d'observer, transformant en phrases tout ce qu'il voit; tant et si bien qu'un écrivain dépouille la réalité de ce qu'elle contient de plus important : l'indicible.

Et puis il y a cette affirmation de Marguerite Duras : 




 Tout le monde sait écrire à condition de savoir aller jusqu’au plus profond de notre puits noir. »

vendredi 7 février 2020

Challenge Jack London : Mars 2020 à Mars 2021


 Challenge Jack London pour ceux qui veulent approfondir son oeuvre

Jack London, c'est, bien sûr, l'auteur de mon enfance. J'ai lu et relu tous ses livres sur les animaux Michaël chien de cirque, Jerry dans l'île  et en particulier ceux qui se déroulent dans le Grand Silence blanc : L'appel de la forêt, Croc Blanc. Ils m'ont fait largement rêver et voyager ! C'est certainement à Jack London, donc, (et à James Oliver Curwood) que je dois mon amour des pays nordiques et des paysages de neige (mais pas du froid, non, non non !).


 Jack London est un auteur prolixe et je me rends compte que la plupart du temps, l'on ne connait pas entièrement son oeuvre. Donc, pourquoi ne pas partir à l'aventure tous ensemble au cours d'un challenge qui permettrait d'explorer non seulement les pays de neige et de grand froid mais aussi les romans autobiographiques, la mer, les îles exotiques, les luttes sociales du XIX siècle et début du XX ième.


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Je vous invite donc à lire à votre gré, en toute liberté et en prenant votre temps, des romans, des nouvelles et des essais de Jack London. On peut aussi lire les BD, voir les films qui sont des adaptations de ses oeuvres, et s'intéresser à sa biographie.
  

Pour s'inscrire à ce challenge qui durera un an, il suffit d'avoir envie de lire au moins UN livre de l'écrivain et pour les passionnés autant que vous le désirez.
Il n'y a pas de date impérative, vous pouvez  commencer le challenge dès maintenant si vous le souhaitez.  La seule contrainte est de venir mettre un lien dans mon blog pour que je puisse noter les oeuvres lues. (Pour trouver la page ou déposer les liens, cliquez sur  la vignette du challenge Jack London dans la colonne de droite de mon blog).

 Les éditions Laffont ont regroupé les oeuvres de Jack London par thèmes. Je publie ici les premières de couverture de ces livres qui permettent de se rappeler les titres parce que je trouve cette classification pratique et intelligente mais je ne vous invite en aucune manière à les lire dans cette édition. Chacun fait ce qu'il veut, sachant que si vous avez une liseuse vous pouvez charger ses oeuvres complètes gratuitement.





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Pour participer à ce challenge, vous pouvez choisir votre préféré parmi  trois logos :








Les participants au challenge (Liste en cours)  

 

 

 

 

 










Electra La plume d'Electra








Ingammic Book'ing







Kathel : Lettres express

Contruire un feu London/Chabouté

La peste écarlate







Lilly et ses livres :

La peste écarlate






Maggie Mille et un classiques






Marylin Lire et merveilles








Miriam Carnet de voyages et notes de lectures

Une fille des neiges







Nathalie : chez Mark et Marcel






 Patrice Et si on bouquinait un peu ?









Ta d Loi du ciné Blog de Dasola











Tania Textes et prétextes