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jeudi 28 juillet 2011

Gao Xingjian, discours pour le prix Nobel de littérature le 7 décembre 2000

 Ciel et terre, oeuvre de Gao Xingjian


 La citation de ce jeudi est extraite du discours du Prix Nobel de littérature attribué à l'écrivain et peintre chinois Gao Xingjian en 2000.

 La vérité est certainement la qualité la plus fondamentale de la littérature, et la moins réfutable.

Pour l'écrivain, affronter le réel ou non  n'est pas uniquement question de procédé de création, c'est lié intimement à son attitude d'écriture. Savoir si ce qui est écrit est réel ou non signifie aussi : écrit-on de manière sincère? Ici, le réel n'est pas seulement jugement de valeur littéraire, il revêt un sens éthique.

La fiction entre les mains d'un écrivain rigoureux dans son attitude d'écriture, doit elle aussi avoir comme préalable d'exprimer la réalité de la vie humaine, là réside la force vitale des oeuvres impérissables qui ont traversé les siècles. C'est parce qu'il en est ainsi que la tragédie grecque et Shakespeare ne pourront jamais passer de mode.




Initié par Chiffonnette

mercredi 27 juillet 2011

Christian Bobin : Autoportrait au radiateur (citation)



De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris à sa demande dans mon blog.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas.

Nouvelle énigme

Il s'agit d'un roman contemporain avec deux personnages principaux très différents l'un de l'autre :

LUI :

La  descente dans l'Averne est facile : nuit et jour la porte du sombre Dis est ouverte... Il sourit à ces vers de Virgile flottant à sa conscience comme l'écume sur une rivière. Il se dit qu'il n'avait pas peur : son âme était aussi coriace que le cuir de ses plus vieilles bottes.
Il engagerait quelqu'un pour habiter chez lui. Il avait d'ailleurs réellement besoin d'un assistant pour son projet de traduction.


ELLE :

Elle avait l'air trop sérieux et trop abattu pour être une prostituée, et vraiment pas assez glamour, malgré des cheveux blond cendré qui lui tombaient aux épaules et un visage jeune, sensuel, frappant; rond et aussi mou que de la pâte à pain. Sa peau était blanche à l'exception d'une marque magenta en forme de papillon sur la joue droite. Elle avait les yeux meurtris, les paupières tombantes, et sa petite bouche luisante béait comme si elle respirait rapidement par là, une respiration à la fois superficielle et accélérée.


Réponse à l'énigme 






Et oui il s'agit d'un extrait du texte de Christian Bobin : Autoportrait au radiateur.
Aifelle, Wens,  l'Ogresse de Paris ont gagné!

Je n'écris pas un journal mais un roman. Les personnages principaux en sont la lumière, la douleur, un brin d'herbe, la joie et quelques paquets de cigarettes brunes." Christian Bobin écrit donc le roman d'une année, décrivant la vie comme elle va, le temps comme il passe. Les mots suivent le temps des fleurs, le temps d'une cigarette, le temps de l'enfance, le temps de l'absence. Des mots simples, de la joie ou de la tristesse, qui font gagner à l'écrivain le pari d'une écriture du silence (Note de l'éditeur)

mardi 26 juillet 2011

Kristin , Nach Fraülein Julie. Christine d'après mademoiselle Julie de Strindberg de Kathie Mitchell et Leo Warner


Avis de Claudialucia

J'ai vu Kristin dans le cadre du festival In, une pièce créée par le metteur en scène Katie Mitchell et le vidéaste Leo Warner avec les comédiens du Schaubühne Berlin d'après Mademoiselle Julie de Strindberg. Et disons le tout de suite, c'est une réussite tant au point de vue de la réalisation technique que de l'esthétique du spectacle et de l'émotion qu'il procure au spectateur.  Un spectacle qui combine étroitement deux arts, le théâtre et le cinéma, avec une  égale maîtrise. Un coup de coeur!

Rappelons l'intrigue de la pièce de Strindberg.
Pendant la nuit folle de la Saint-Jean qui lâche la bride aux maîtres comme aux serviteurs, mademoiselle Julie séduit son domestique et/ou  se laisse séduire par lui. Ils croient pouvoir bousculer les rapports de classes traditionnels, remettre en cause la hiérarchie sociale et s'imaginent s'enfuyant ensemble pour refaire leur vie au loin. Mais le lendemain de fête les ramène à eux-mêmes, chacun enfermé dans son rôle social et Julie se suicide.

Le serviteur, Jean, un jeune homme séduisant et ambitieux, beau parleur aussi, est fiancé à Christine, une servante qui joue un rôle secondaire dans la pièce.  Katie Mitchell et Leo Warner s'emparent de ce personnage pour imaginer ce que la servante a vu, compris ou saisi de l'aventure entre sa maîtresse et son fiancé et quels ont été ses sentiments. Il a donc fallu, en fait, réécrire une nouvelle pièce où Kristin devient le personnage central, tout en restant le plus proche possible de celle de Strindberg.

Grâce à un ingénieux dispositif scénique, le décor de la maison de Julie qui se transforme par des panneaux coulissants entre intérieur et extérieur, on peut se rendre compte que Kristin est à même de voir et d'entendre ce qui se passe dans les pièces où elle n'est pas. Il en de même pour l'extérieur qu'elle observe d'une fenêtre. Si bien qu'elle suit, et avec quelle douleur rentrée! l'idylle qui se noue entre les jeunes gens, sans jamais pouvoir exprimer sa révolte, son humiliation, son chagrin, elle, servante soumise au pouvoir de sa riche maîtresse comme à  celui de l'Homme, Jean, qu'elle sert avec dévouement.

En même temps que se déroule le drame au théâtre, celui-ci est filmé de près par plusieurs caméras qui suivent les comédiens. Le film se fait devant nous, projeté sur un écran au-dessus du décor, nous permettant d'assister à la représentation théâtrale et simultanément à la réalisation filmique! Un enrichissement certain pour le spectateur qui peut voir à la fois la scène de l'extérieur de la maison mais aussi de l'intérieur, dédoublement spatial absolument étonnant et qui nous éclaire sur les personnages. Grâce au film, le spectateur approche les comédiens de près, observe les gestes quotidiens de la servante qui confectionne un plat pour son fiancé, vaque à ses occupations, puis épie, traque avec obstination les amants. Par l'intermédiaire de  gros plans sur son visage transparaissent tous ses sentiments; son silence, car la servante parle peu est plein de douleur et de reproche.
Quant au film qui se réalise devant nous, il faut d'abord souligner l'exploit technique qu'il représente, plusieurs caméras filmant au pied levé Kristin mais aussi sa doublure, et les doublures  de ses mains, une Kristin démultipliée qui nous apparaît ainsi sous diverses facettes. Mais ce qui est saisissant, c'est la beauté du film, magnifié par de splendides éclairages, halos des lampes en cuivre qui crée des clairs-obscurs dignes d'un tableau de Rembrandt. Notons aussi la beauté du texte très poétique repris en allemand par une voix féminine puis masculine qui accompagne les images.

 Peu à peu, nous entrons dans la peau de la servante qui devient si proche de nous que nous sentons l'émotion nous gagner, nous sommes envahis par  la pesanteur  qu'elle éprouve et que rien ne semble pouvoir soulager.

Avis de Wens
 
Katie Mitchell a décidé d'adapter la pièce de Strinberg en se plaçant  le regard et l'écoute de Christine, la cuisinière que  Jean le valet délaisse pour la fille de la maison, Julie.
     Sur un vaste écran est projeté un film qui adopte le point de vue de Christine. Le spectateur  est invité à partager  son drame profond et intime, à plonger dans un univers étouffant et angoissant digne de Bergman. Pas un cri, mais simplement une attitude, un geste, un regard suffisent à trahir le désespoir et la souffrance intérieure de Christine. Magie du cinéma, on lit tous les sentiments sur le visage de l'actrice  grâce aux gros plans, ce qui habituellement est pratiquement impossible à voir
au théâtre, à moins d'occuper les premiers rangs.
    Mais sous l'écran, la pièce se joue, elle est filmée en direct. Jusqu'à cinq caméras en mouvement suivent les acteurs au plus près, captent leurs émotions. Le montage image s'effectue en direct avec une rigueur étonnante, tous les raccords sont exceptionnels d'une grande beauté : mouvements, gestes, regards…Ce montage nécessite plusieurs "Chistine" qui est alors doublée par d'autres actrices venant prêter, une partie de leur corps, leurs mains.
     Le mixage son est aussi réalisé en "live". Les quelques beaux dialogues sont enregistrés avec des niveaux sonores variables, parfois ils nous parviennent étouffés, perçus à travers une cloison ou le plancher de la chambre de Christine. En effet la perception des dialogues de Jean et Julie est subjective, nous entendons comme Christine en fonction de l'endroit où elle se trouve. Dans quelques scènes, apparaissent des voix off splendides, enregistrées par les comédiens présents sur la scène. La poignante musique originale pour violoncelle, jamais envahissante, de Paul Clark est interprétée devant nos yeux sur le plateau. Les bruitages sont réalisés aussi en direct. L'eau qui coule, le son des verres qui s'entrechoquent, le couteau qui s'enfonce dans un morceau de viande…tous ces simples bruits du quotidien  soulignent l'enfermement social  de Christine.
     Le décor est constitué de deux pièces fermées. L'une est censée être la chambre de la domestique, le spectateur dans la salle de théâtre ne voit pas l'intérieur, il ne le verra qu'à travers l'objectif d'une caméra présente dans la chambre. Christine, très prude, enlève son corsage à l'abri des regards ; nous partageons son domaine intime où sur un mur figure en bonne place un crucifix qui souligne le caractère très religieux du personnage. La seconde pièce est la cuisine, l'intérieur n'est visible pour le spectateur que par quelques fenêtres. C'est le lieu de travail de la cuisinière, toute irruption de Jean ou de Julie dans cet espace brise l'équilibre social et moral, brise les conventions. Un couloir relie la chambre et la cuisine. Sur ce sombre corridor s'ouvrent de nombreuses portes que Christine souvent ne fait qu'entrouvrir. A travers l'entrebâillement, elle observe, écoute… parce que dans les dialogues entre Julie et Jean se joue son destin. Deux cloisons mobiles transforment la disposition du décor, et permettent de donner l'impression d'une vaste demeure, l'illusion est telle que nous en arrivons à penser que les chambres sont situées à l'étage alors que tout le décor est de plein pied. La maison n'est pas un lieu clos, elle est  ouverte sur une grande rue animée, comme le montre des ombres de passants marchant devant les fenêtres. Une porte s'ouvre : des cris de joie de la fête de la Saint-Jean ou le chant d'un oiseau, la lumière du soleil pénètrent dans le lieu du drame en un terrible contrepoint.
Rarement le théâtre peut nous offrir un tel moment de bonheur, quand le plaisir de l'esprit rejoint le plaisir des sens.

George Sand, la Petite Fadette


De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris à sa demande dans mon blog.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas.

Nouvelle énigme

Un écrivain contemporain que vous reconnaîtrez peut-être à son style si caractéristique :

L'enfance est longue, longue, longue. Après vient l'âge adulte qui dure une seconde et la seconde suivante la mort éclate, ruisselle.


Les enfants en bas âge prennent toutes les forces de ceux qui s'occupent d'eux et, en un millième de seconde, par la grâce d'un mot ou d'un rire, ils donnent infiniment plus que tout ce qu'ils avaient pris.

"Infiniment plus que tout" : c'est le nom enfantin de l'amour, son petit nom, son nom secret.



Réponse à l'énigme



Aifelle, Gwen, Lystig , Mango, Wens  ont trouvé! Bravo!

Il s'agit de La Petite Fadette de George Sand (j'ai pensé à George et à mon challenge en choisissant le texte).  Le passage choisi montre Landry en train de traverser la rivière dans la nuit. Mais trompé par un feu follet il échappe à la noyade en gardant son sang froid. A l'époque dans les superstitions berrichonnes, le feu follet est considéré comme un esprit malfaisant, lié au diable.

Il fit bien de s'arrêter, car le trou se creusait toujours, et il en avait jusqu'aux épaules. L'eau était froide, et il resta un moment à se demander s'il reviendrait sur ses pas; car la lumière lui paraissait avoir changé de place, et mêmement il la vit remuer, courir, sautiller, repasser d''un rive à l'autre, et finalement se montrer double en se mirant dans l'eau, où elle se tenait comme un oiseau qui se balance sur ses ailes, et en faisant entendre un petit bruit de grésillement comme ferait une pétrole de résine.
Cette (..) il eut peur et faillit perdre la tête, et il avait ouï dire qu'il n'y a rien de plus abusif et de plus méchant que ce feu-là; qu'il se faisait un jeu d'égarer ceux qui le regardent et le les conduire au plus creux des eaux, tout en riant à sa manière et en se moquant de leur angoisse.
(..) Il ferma les yeux pour ne point le voir, et se retournant vivement, à tout risque, il sortit du trou, et se retrouva au rivage. Il se jeta alors sur l'herbe, et regarda le follet qui poursuivait sa danse et son rire. c'était vraiment une vilaine chose à voir.
  

La petite Fadette est une lecture de mon enfance et je peux bien dire que je l'ai lu et relu alors et adoré!

Deux jumeaux, Landry et Sylvinet, des bessons- comme on dit dans le Berry- vivent dans une famille de fermiers aisés, les Barbeau. Ils sont très attachés l'un à l'autre, trop peut-être; surtout de la part de Sylvinet, plus fragile et plus doux que son frère. A leur naissance la sage femme avait prévenu :  Enfin empêchez-les par tous les moyens que vous pourrez imaginer de se confondre l'un à l'autre et de s'accoutumer à ne pas se passer l'un de l'autre.  Ce qui n'a pas été fait. Aussi quand Landry doit aller travailler à la ferme des voisins, Sylvinet ne supporte pas la séparation et s'enfuit. Landry le recherche et le retrouve grâce à la petite Fadette, une jeune paysanne, Françoise Fadet. En récompense et malgré sa mauvaise réputation, La Fadette obtient de Landry qu'il la fasse danser au bal du village. Orpheline pauvre, élevée par sa grand mère qui a le secret des plantes, elle a une tenue négligée voire misérable, des manières de sauvageonne qui font qu'elle est considérée comme une sorcière. Landry n'est pas très heureux de faire danser ce laideron au lieu de la belle Madelon qu'il courtise. Mais il tient sa promesse. Peu à peu il va découvrir La petite Fadette que l'amour transforme en charmante jeune fille paisible et sage. Landry finira par l'épouser après avoir surmonté bien des obstacles. Sylvinet, lui aussi amoureux de la jeune femme, s'engage par désespoir dans l'armée napoléonienne où il obtient le grade de capitaine, réussite sociale pour une famille de paysan, mais il ne guérira jamais de son amour.

Ce roman a beaucoup de charme et celui-ci tient, bien sûr, aux personnages avec qui l'on peut aisément s'identifier et surtout, pour moi, avec la Fadette, le "Grelet". Quand j'étais enfant j'étais de tout coeur avec la petite Fadette rejetée par tout le village, tellement rabrouée qu'elle répondait aux insultes par la méchanceté et la raillerie. Et, bien sûr, j'adorais l'histoire d'amour! Plus tard, j'ai pris conscience que ce n'est pas en jouant sur les ressorts de la compassion ou du misérabilisme que George Sand nous la fait aimer. La petite Fadette a une force de caractère qui lui fait tenir tête à ceux qui l'offensent, une fierté qui empêche qu'on la prenne en pitié et sous sa rude apparence une bonté véritable.. Peut-être faut-il regretter qu'elle devienne plus conventionnelle en rejoignant la "bonne" société? Mais ce sont des questions que j'étais loin de me poser dans mon enfance et je continue à trouver le personnage attachant de même que celui de Landry.

Enfin même si beaucoup de personnes n'apprécient pas les romans dits "champêtres" de George Sand,  personnellement, j'ai toujours été sensible à la description -parfois un peu désuète (mais j'adore)- qui en émane. Le tableau des paysans que Sand aimait tant, des us et coutumes, des croyances et superstitions, dans le Berry du XIX ème siècle est passionnant..

 Challenge de George Sand par George

lundi 25 juillet 2011

Louise Edrich : La malédiction des colombes

 


La malédiction des colombes de Louise Erdrich est un livre à plusieurs voix, un récit qui est raconté tour à tour par des personnages différents - Evelina, le juge Antone Bills Court, Marn Wolde, le docteur Cordelia Lochren-  et qui finit par reconstituer non seulement l'histoire d'individus mais aussi celle d'une ville, Pluto, dans le Dakota du Nord. Je dis reconstituer car il s'agit d'un puzzle qui ne suit pas un ordre chronologique et entremêle les époques avec d'incessants retours en arrière dans le passé et un déroulement dans le temps. On voit grandir les plus jeunes, disparaître les plus âgés. Mais un puzzle aussi dans les faits car chaque personnage nous livre un compte rendu incomplet de l'histoire. C'est donc par recoupement que nous finissons par comprendre et avoir une vue d'ensemble.
Cette structure originale rappelle un peu celle du roman d'Elizabeth Strout : Olive Kitteridge et semble être à l'honneur en ce moment aux Etats-Unis chez ces écrivains que je viens de lire et que j'aime. Mais la comparaison ne va pas plus loin car chaque roman est spécifique par l'esprit et le style. Pour mieux comprendre celui de Louise Erdrich, il faut d'abord savoir qu'elle est d'origine indienne et c'est donc bien d'indiens dont elle parle mais aussi de réserve, de spoliation, de crimes racistes. Il faut aussi avoir en mémoire que certaines parties de ce livre sont parues séparément comme des nouvelles dans différentes revues. Pourtant le tout forme bien un roman car chacune s'emboîte dans le récit dont l'unité est garanti par le lieu, les personnages récurrents et par le style, une curieuse combinaison auquel nous sommes peu habitués en France, du moins dans une oeuvre romanesque, entre noirceur et humour voire caricature.
La malédiction des colombes s'ouvre sur une scène superbe racontée par Mooshum qui donne son titre au livre : la  vision hallucinante de milliers de colombes s'abattant sur les récoltes et la procession qui s'ensuit menée par le curé, un indien catholique. Le ton est  neuf, vif, nerveux, évocateur d'images, de sons, d'odeurs et de couleurs. Un récit partagé entre le réalisme de la description, voire la trivialité, la cocasserie et l'irruption de la fantaisie, de la poésie.
Pour ma part, j'ai tout de suite été séduite par ce style et ce va-et-vient entre tragédie et comédie. Mélange de genre qui n'est pas sans me rappeler le Steinbeck -en plus noir tout de même- de Tortilla Flat ou de Tendre jeudi en particulier avec le personnage du vieux Mooshum, menteur, buveur, paillard mais plein d'humour, imprévisible, farceur, gamin insupportable parfois mais... si attachant! Pourtant Mooshum est capable d'amour fou comme tous les membres de la famille Milk et Harp et il a une dimension tragique. Son histoire est  rattachée au  crime terrible dont le souvenir pèse sur tout le village depuis près de cinquante ans : une famille de fermiers blancs massacrée par un tueur fou et le lynchage de jeunes indiens accusés à tort par les habitants de la ville. C'est autour de ce passé jamais effacé que s'organise les relations de chacun, des lyncheurs comme des victimes et leurs descendants, pesant même sur la conscience de ceux qui n'étaient pas encore nés, introduisant à côté des thèmes du racisme, ceux de la violence, de la culpabilité, du remords et  une question présente dans l'esprit de tous : qui était le véritable coupable?
Le roman est riche, dense et tant d'évènements se déroulent, tant de personnages se croisent, tant de thèmes se mêlent qu'il est impossible d'en faire le tour. Un livre à découvrir absolument!

Voir aussi Clara , Keisha , Aifelle

kathel

Avignon : François Pétrarque et Laure de Noves, la chapelle de Sainte Claire

Laure de Noves


Vestiges de la chapelle Sainte Claire à Avignon
La chapelle de Sainte Claire à Avignon fut témoin de la naissance d’un amour célèbre, celui de François Pétrarque et Laure de Noves.

 François Pétrarque est né à Arezzo, en Italie, en 1313. Mais la guerre fait rage dans son pays et se parents décident de fuir leur pays avec François, 9 ans, et son frère Gérard, 7 ans. La famille arrive à Avignon  qu’elle a choisie comme terre d’exil car c’est la ville du pape et il s’y trouve une colonie italienne importante. C’est là que François va vivre, c’est là qu’il va rencontrer à 23 ans, celle qu’il ne cessera jamais d’aimer : C’est en l’an de grâce 1337, à la première heure du 6 avril, que j’entrai dans le labyrinthe de l’amour écrit-il. C’est un vendredi Saint et la jeune femme sort de la chapelle de Sainte-Claire.
Laure portait cette matinée-là une longue robe parsemée de violettes. Les cheveux d’or mêlés de perles jouaient avec le vent. On aurait dit des rayons de soleil et les pleurs de l’aube.. écrit un autre poète, provençal celui-là, Théodore Aubanel.
Mais Laure de Noves est déjà mariée à Hugues de Sade, un chanvrier si riche qu’il est sur le point d’être ennobli. C’est un mari jaloux qui oblige sa femme à vivre en recluse. Elle lui sera toujours fidèle. François, lui, est  peu fortuné. Cet amour interdit fera de Pétrarque un errant. Il la fuit, cherche son oubli de pays en pays, mais toujours, attiré par Laure comme un aimant, il revient à Avignon. Il la voit partout, dans le laurier qui porte son nom, dans les fleurs blanches du mois de mai qui a présidé à leur rencontre. Il la célèbre au bord de la Sorgue, à la Fontaine du Vaucluse où il va se réfugier et écrit ses poèmes :

Beaux yeux, foyers étincelants
                   
flambeaux amoureux où s’allume
                 
L’ardent plaisir qui me consume..




François Pétrarque
Fait remarquable la date de leur rencontre, le 6 avril, a marqué toute la vie de Laure et de François : c’est le 6 avril que Pétrarque reçoit à Rome la couronne de laurier réservée au poète. C’est le 6 avril 1348  que Laure atteinte vraisemblablement de la peste noire s’éteint. Pétrarque est à Vérone. Il écrit : L’an 1348, le 6 avril, à la première heure, cette bien aimée a laissé son corps. La belle dame que j’ai tant aimée nous a quittés soudain. 
Les vestiges du Couvent des religieuses de Sainte Claire édifié en 1239 et reconstruit au XIV  siècle sont encore visibles aux N° 14 à 20  de la rue de la Masse. Il ne reste que quelques bâtiments, un jardin et une chapelle aménagée en théâtre par la compagnie  Alain Timar.

Maurice de Scève
 Laure fut inhumée dans l’église du couvent des Cordeliers en 1348. Deux siècles après, l’emplacement du tombeau de Laure devient un mystère. Mais le souvenir du bel amour de Pétrarque hante l’imagination d’un autre poète, le lyonnais Maurice de Scève. En 1553, il vient à Avignon et visite les Cordeliers. Dans la chapelle de la Croix, la voûte est décorée d’une étoile à huit rayons. Ce sont les armoiries de la famille de Sade. Juste au-dessous, une pierre tombale porte deux écussons à moitié effacés par le temps où l’on distingue deux branches de laurier entourant une croix et surmontées d’un rose héraldique. Est-ce la sépulture de Laure? Maurice de Scève veut en avoir le coeur net. Il fait ouvrir la tombe et découvre au milieu d’ossements, une boîte en plomb. A l’intérieur, un parchemin  qu’il lit avec fébrilité : c’est un poème célébrant la beauté de Laure. Avec émotion, certain d’avoir découvert le tombeau de la Bien-Aimée, il remet en place le coffret et fait refermer le tombeau.



François 1er par Clouet

 
La même année, le roi François I, de passage à Avignon avec le poète Clément Marot, se rend en pèlerinage sur le tombeau qu’il fait, lui aussi, ouvrir. Il lit les vers découverts par Maurice de Scève et écrit à son tour un poème :
*
Plume, labeur, la langue et le savoir
                   
Furent vaincus par l’amant de l’aimée.
                   
Ah! gentille âme, étant tant estimée. 
                   
Qui te pourra louer qu’en se taisant
                   
Car la parole est toujours réprimée 
                 
 Quand le sujet surmonte le disant                        

Avant de partir, il laisse aux religieux mille écus d’or pour faire ériger un tombeau digne de Laure. Ce qui ne fut jamais fait. Mais la chapelle des Cordeliers devint un lieu de pélerinage. Les moine retirèrent les objets du tombeau pour les exposer à la curiosité des voyageurs. En 1720, un anglais corrompt le sacristain pour voler le coffret et l’emporte dans son pays. En 1793, les ossements sont enlevés de l’église pour être enterrés dans un cimetière et disparaissent à tout jamais.
 L’église appartenait au couvent des Cordeliers, ordre fondé par Saint François d’Assise. Les religieux s’étaient installés sur les bords de la Sorgue, à l’extérieur de la première enceinte marquée aujourd’hui par la rue des Lices, près de la porte Imbert. Les plus grandes familles avignonnaises y avaient leur tombeau.
 C’est dans l'actuelle rue des Teinturiers, non loin de la chapelle des Pénitents gris, que l’on peut voir les vestiges de l’église des Cordeliers englobés dans les bâtiments du Lycée Saint Joseph construit sur l’emplacement de l’ancien couvent.



Alfred de Musset : On ne badine pas avec l'amour



 De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris à sa demande dans mon blog.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas.

Nouvelle énigme

 Extrait d'un roman du XIXième siècle. Le passage montre une jeune garçon en train de traverser une rivière de nuit.
Il fit bien de s'arrêter, car le trou se creusait toujours, et il en avait jusqu'aux épaules. L'eau était froide, et il resta un moment à se demander s'il reviendrait sur ses pas; car la lumière lui paraissait avoir changé de place, et mêmement il la vit remuer, courir, sautiller, repasser d''un rive à l'autre, et finalement se montrer double en se mirant dans l'eau, où elle se tenait comme un oiseau qui se balance sur ses ailes, et en faisant entendre un petit bruit de grésillement comme ferait une pétrole de résine.
Cette (..) il eut peur et faillit perdre la tête, et il avait ouï dire qu'il n'y a rien de plus abusif et de plus méchant que ce feu-là; qu'il se faisait un jeu d'égarer ceux qui le regardent et le les conduire au plus creux des eaux, tout en riant à sa manière et en se moquant de leur angoisse.
(..) Il ferma les yeux pour ne point le voir, et se retournant vivement, à tout risque, il sortit du trou, et se retrouva au rivage. Il se jeta alors sur l'herbe, et regarda le follet qui poursuivait sa danse et son rire. c'était vraiment une vilaine chose à voir.
 

Réponse à l'énigme de samedi


Oui, c'est On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset et bravo à Aifelle, Wens  et Lystig qui ont trouvé!

En 1834 Alfred de Musset quitte Venise seul après le drame de la rupture avec George Sand quand elle l'abandonne et part avec le médecin Pagello . Commence alors une correspondance amicale « plus ardente que l’amour »  entre les deux amants séparés, où Musset informe qu’il projette d’écrire leur histoire, « de bâtir un autel, fût-ce avec ses os » à George, qui sera le futur Confession d'un enfant du siècle. Mais François Buloz, le directeur de  La Revue des deux Mondes qui fait une commande d’une comédie dans la continuité d’Un spectacle dans un fauteuil, laissant le poète désabusé, ne sachant même pas « comment lui faire une malheureuse comédie ». C’est donc sans enthousiasme qu’il commence l’écriture d’On ne badine pas avec l’amour, finissant deux mois plus tard, pour enfin se tourner vers le projet de son roman.    Histoire de la pièce : Wikipédia

Perdican et Camille s'aiment  mais la jeune fille  qui sort du couvent refuse l'amour, parce que, dit-elle, une soeur  lui a expliqué combien les hommes sont fourbes et infidèles. Perdican lui répond par cette réponse célèbre : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses et dépravées. 

Alfred de Musset a utilisé avec son autorisation  un passage d'une lettre de George Sand qu'il a repris tel quel : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelque fois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.




dimanche 24 juillet 2011

Jeanne Benameur : les demeurées



La Varienne est domestique. Elle est demeurée, "abrutie", disent les gens, autour d'elle. Elle exécute ses tâches quotidiennes régulièrement, mais sous l'enveloppe charnelle, il n'y a rien, pas de lueur d'intelligence, un corps sans conscience.  La Varienne a une fille, Luce, qu'elle l'adore. Entre la mère et la fille existe un amour étroit, une symbiose qui se passe de mots. Tous deux vivent heureuses dans leur univers borné mais leur tranquillité vole en éclats quand Luce est scolarisée. La Varienne souffre d'être séparée de sa fille. La petite résiste à l'instruction par fidélité à sa mère.  L'institutrice, Mademoiselle Solange, ne veut pas s'avouer vaincue. Alors que tout le village penche pour une sorte de déterminisme : à  mère demeurée, fille de même, elle essaie d'arracher Luce à l'ignorance; elle cherche à percer les brumes de sa conscience pour la faire émerger dans un monde signifiant. Son insistance va provoquer un drame. Pourtant après la mort de l'institutrice,  l'on s'aperçoit que les leçons de l'enseignante ont porté leurs fruits, l'enfant accède à l'intelligence, au savoir.
Cette courte histoire très forte est distillée à petites phrases brèves, avec une économie de mots, une retenue qui peint le quotidien simple et rituel, le manque de réflexion qui préside aux actes de ces deux femmes prises dans la gangue de l'ignorance.  Le présent de l'indicatif est celui de l'habitude, des gestes que l'on accomplit sans réfléchir tellement ils sont machinaux, familiers.

Abruties, elles vivent une lourdeur opaque dans le crâne, fleur endurcie en bouton, qui fait bosse... Le monde est opaque, seulement familier dans la buée de la cuisine, la main tenant la louche ou soulevant la casserole pleine d'eau qui bout.

Mais l'amour qui les lie est une  forme de bonheur qui s'ignore, fait de gestes, de rituels, pas besoin d'autres communications que le contact.

Chaque jour la mère passe l'eau froide  sur la serviette dans le cou, derrière la tête, sous les lourds cheveux relevés.

J'ai beaucoup aimé les passages exprimés de manière si poétique au cours desquels Luce, qui a un réel talent de brodeuse, écrit avec des fils de toutes les couleurs les lettres de l'alphabet, ceux-ci s'organisent en mots dans sa tête, la fillette découvre la lecture, un moment de pure magie .

Les mots ont beau avoir été  lancés de toutes ses forces jusqu'en haut des arbres. Les mots ont beau avoir été piétinés sur le chemin, ils sont là. Ils ont fait leur nid dans sa tête.
 Maintenant ils reviennent furtivement appelés par le fil et l'aiguille.
Ils sont là.


Un beau livre, plein d'émotion.

Voir Alice, livres de Malice

Paul Verlaine, Après trois ans


Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.

Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.



Dimanche poétique

Marie Ndiaye : Trois femmes puissantes



 De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris dans le blog de Cagire et dans le mien.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas. On ne gagne rien sinon le plaisir et je cite le lendemain les noms de ceux qui ont trouvé l'énigme. Bon, je sais, il suffit d'un clic sur la toile pour trouver la réponse mais je sais aussi que si vous aimez jouer comme moi, vous vous plairez à deviner le nom de l'auteur et du roman  par vous-même  d'abord, le plus vite possible ensuite et c'est juste dans ces secondes-là que réside le plaisir de trouver pour soi uniquement la bonne réponse : retrouver le titre d'un roman comme on retrouve le nom d'un ami  ancien qu'on n'a pas vu depuis très longtemps... Bref, on joue ici avec sa mémoire  et puis on me le dit, comme ça, par amitié!  
 

Nouvelle énigme

Trouverez-vous d'où est extrait ce passage?

Tous les hommes sont menteurs, inconstants, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses et dépravées; le monde n'est qu'un égout sans fond ou les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelque fois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.


 Réponse à l'énigme de samedi


Marie Ndiaye




 Lystig et Aifelle ont gagné!
Marie Ndiaye est née à Pithiviers d'une mère française et d'un père sénégalais. Avec Trois femmes puissantes elle a obtenu le Prix Goncourt en 2009.

Les trois femmes s'appellent Norah, Fanta et Khady Demba et sont chacune le personnage principal des trois parties de ce roman.

Trois récits, trois femmes qui disent non. Elles s'appellent Norah, Fanta, Khady Demba. Norah, la quarantaine, arrive chez son père en Afrique. Le tyran égocentrique de jadis est devenu mutique, boulimique, et passe ses nuits perché dans le flamboyant de la cour. Fanta enseigne la français à Dakar, mais elle a été obligée de suivre en France son compagnon Rudy. Rudy s'avère incapable d'offrir à Fanta la vie riche et joyeuse qu'elle mérite. Khady Demba est une jeune veuve africaine. Sans argent, elle tente de rejoindre une lointaine cousine, Fanta, qui vit en France. Chacune se bat pour préserver sa dignité contre les humiliations que la vie lui inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible. (Résume de Evènement)

 Le style de Marie Ndiaye se caractérise par de longues phrases sinueuses qui semblent épouser le cheminement de la pensée et par l'intrusion dans le réalisme d'une part d'irrationnel, de fantastique.
Ce passage est situé au début du roman quand Norah revient au Sénégal pour rencontrer son père qu'elle n'a plus revu depuis des années. Voir billet ici

samedi 23 juillet 2011

Marie Ndiaye : Trois femmes puissantes

Marie Ndiaye

 

 

  A l'occasion du jeu de l'été où j'ai cité un passage de Trois femmes puissantes, je republie cet article de mon ancien blog vers le nouveau.

Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, publié chez Gallimard, a reçu le prix Goncourt 2009. A priori, le sujet m'attirait et j'avais envie aussi de voir ce qu'il en était de la controverse entre la majorité du jury du Goncourt et Jorge Semprun (un auteur que j'admire) quant au bien fondé de l'attribution de ce prix.
J'ai voulu me faire une idée personnelle.
Trois femmes puissantes : le titre annonce la couleur. il s'agit de trois récits présentant tout à tour des femmes qui, par leur refus de se soumettre à l'adversité et leur volonté de préserver leur dignité, parviennent, alors même qu'elles sont des victimes, à être plus fortes que ceux qui les humilient : des femmes puissantes, donc, ce qui célèbre la force de l'esprit sur la force brute.
Norah est en visite à Dakar, chez son père, à sa demande expresse. Celui-ci ne l'a jamais aimée. Il a quitté la France en abandonnant sa femme et ses deux filles et en arrachant Sony, son fils, à sa mère et à ses soeurs pour l'amener chez lui, au Sénégal. Toute la famille a été brisée par cet acte égoïste et contre-nature et depuis cette rupture, depuis ce déchirement, "un démon s'était assis sur son ventre et ne l'avait plus quitté".
Norah est maintenant avocate et son père a besoin d'elle pour prendre la défense de Sony accusé d'avoir assassiné sa belle-mère. Norah va trouver en elle la force de surmonter le traumatisme de l'enfance et le courage de sauver son frère, innocent.
J'avoue que j'ai été assez déconcertée par la conduite de ce récit. J'y suis rentrée très lentement et n'ai pas adhéré tout de suite à l'histoire car le style, froid et élégant, composé de longues phrases qui nous entraînent dans le labyrinthe d'une pensée qui se cherche, crée une résistance. Puis au moment où les personnages commençent à m'intéresser et où je me sens impliquée, voilà que c'est terminé! Le récit suivant commence! J'aurais voulu comprendre la psychologie du personnage, en savoir plus sur le cheminement qui lui permet de prendre le dessus, m'intéresser à son combat. Or, j'ai eu l'impression d'une ellipse, de quelque chose qui se dérobait, d'une volonté de l'auteur de ne pas nous montrer la logique du personnage, de ne pas aller au bout du récit  Je sais bien, la littérature classique française nous a habitués à pénétrer dans la pensée des personnages par le truchement d'un narrateur omniscient qui nous en donne toutes les clefs mais il n'en est jamais ainsi dans la réalité. Chaque être garde sa part d'intimité. Il est donc légitime de la part de Marie Ndiaye de vouloir préserver le mystère de ses personnages mais je me suis sentie pourtant en état de manque.

Le second récit, celui que j'ai le plus aimé parle de Fanta. La jeune Sénégalaise, ramenée en France - où elle n'a pu s'intégrer- par son mari, Rudy, n'apparaît jamais directement dans le récit. Elle est vue selon le point de vue de Rudy (et à la fin de sa voisine). C'est à travers le regard de cet homme que se dessine le portrait d'un petit bout de femme inflexible, qui refuse d'abdiquer sa dignité, de feindre des sentiments qu'elle n'éprouve plus face à la violence de son mari. Le personnage de Rudy, haineux, désespéré, plein de fureur, est complexe. Il est à la fois odieux, pitoyable et attachant. J'ai bien aimé comment se révèlent peu à peu les véritables raisons de son échec et de sa déchéance, un peu comme des morceaux de puzzle qui s'emboîteraient ... Comment lui aussi parvient à régler ses comptes avec son père (un leit-motiv?) et sa mère, et s'affranchir de son passé.
Ce récit m'a paru plus achevé que le précédent même si tout n'est pas dit et s'il soulève des interrogations. Quelle est cette buse vindicative qui s'attaque à Rudy à plusieurs reprises? Faut-il y voir une irruption du fantastique dans un récit pourtant très réaliste? L'oiseau semble symboliser la volonté et la puissance de Fanta mais au moment où l'on croit qu'il n'est qu'une projection de l'esprit de Rudy en proie au délire, il est aussi perçu par l'enfant. Et comment peut être interprété le sourire de Fanta à sa voisine dans le dénouement? comment sait-elle que son mari lui ramène son fils? Est-ce une promesse d'un bonheur retrouvé? Et là, contrairement au précédent, j'aime bien que l'écrivain nous laisse à nos interrogations et ne nous conduise pas par la main.

La dernière histoire, celle de Khady Demba, est la plus rapide, la plus brutale. C'est le parcours d'un jeune fille chassée par la famille de son mari défunt et qui a pour seule issue de quitter son pays clandestinement. Les violences, les souffrances physiques et morales qu'elle subit au cours de ce voyage vers une terre d'accueil qu'elle ne verra jamais ne pourront venir à bout de la conscience de son identité et du caractère unique de sa personne, elle... Khady Demba!
Le récit qui est pourtant le plus tragique des trois m'a paru froid. Il est extrêmement maîtrisé et bien écrit (encore une très belle image d'oiseau entre autres) avec un refus de la dramatisation évident. Mais mon admiration pour l'art de l'écrivain a été purement intellectuelle et je ne suis pas parvenue à éprouver de l'émotion et à participer entièrement.

Voltaire : Zadig (citation)


L'énigme d'aujourd'hui, samedi


Jeu de l'été : énigme  Ce roman est paru en 2009.  Si vous avez besoin d'autres indices, je  suis prête à vous en fournir.


Et celui qui l’accueillit ou qui parut comme fortuitement sur le seuil de sa grande maison de béton, dans une intensité de lumière soudain si forte que son corps vêtu de clair paraissait la produire et la répandre lui-même, cet homme qui se tenait là, petit, alourdi, diffusant un éclat blanc comme une ampoule au néon, cet homme surgi au seuil de sa maison démesurée n’avait plus rien, se dit aussitôt Norah, de sa superbe, de sa stature, de sa jeunesse auparavant si mystérieusement constante qu’elle semblait impérissable
Il gardait les mains croisées sur son ventre et la tête inclinée sur le côté, et cette tête était grise et ce ventre saillant et mou sous la chemise blanche, au-dessus de pantalon crème.


Réponse à l'énigme du vendredi
ZADIG

 Voltaire
 Les gagnants  sont : Aifelle, Pascale, Wens, Lily, Lystig

Dans ce siècle du voyage et de la philosophie, Zadig entreprend son apprentissage dans un univers partagé entre le bien et le mal. Trahi par Sémire et Azora, déçu par l'amour, Zadig trouve refuge dans la nature, qui est à l'image de Dieu. Remarqué par le roi d'Egypte Moabdar, il retourne dans le tourbillon du monde et devient Premier ministre. Séduit par la reine Astarté et menacé par la jalousie du roi, il fuit bientôt Babylone. C'est l'occasion pour lui d'un retour sur soi et d'une réflexion sur les caprices de la fatalité. Au hasard des aventures qu'il croise sur son chemin en compagnie d'un ermite, Zadig devient l'incarnation de la Providence, dont les voies restent par ailleurs impénétrables. L'ange Jesrad lui révélera une partie des mystères de la Destinée. Si l'homme est sans cesse tiraillé entre liberté et déterminisme, il semble bien devoir les concilier. Et c'est là sans doute la seule vérité qui nous soit accessible. (éditeur)

Et oui, il s'agit de Zadig ou la destinée de Voltaire (et non de Zadig et Voltaire!), un passage qui souligne avec cette ironie proprement voltairienne l'absurdité et la relativité des coutumes et des lois. Il dénonce aussi la sottise du racisme et la haine de ce qui est étranger : ici ce sont les yeux bleus qui recevront l'anathème, là ce sera la différence de couleur de peau ou de religion.

Nabussan, aimé, l'adora; mais elle avait les yeux bleus et ce fut la source des plus grands malheurs. Il y avait une ancienne loi qui défendait aux rois d'aimer ce genre de femme que les grecs ont appelées depuis boopies. Le chef des bonzes avait établi cette loi il y avait plus de cinq mille ans; c'était pour s'approprier la maîtresse du premier roi de l'île de roi de Serendib que ce premier bonze avait fait passer l'anathème des yeux bleus en constitution fondamentale d'Etat. Tous les ordres de l'Empire vinrent faire à Nabussan des remontrances. On disait publiquement que les derniers  jours du royaume étaient arrivés, que l'abomination était à son comble, que toute la nature était menacée d'un évènement sinistre; qu'en un mot Nabussan, fils de Nussanab, aimait deux grands yeux bleus. Les bossus, les financiers, les bonzes et les brunes, remplirent le royaume de leurs plaintes.

vendredi 22 juillet 2011

Festival OFF d'Avignon : Plaisanteries de Tchékov par la compagnie La Crème

La compagnie La crème donne dans la chapelle de Notre-Dame à Avignon un spectacle de Tchekov :  Plaisanteries composé de trois petites pièces du dramaturge russe :  les méfaits du tabac, Tragédien malgré lui et l'Ours. Ces oeuvres n'appartiennent pas au grand répertoire de Tchekhov. Ce sont des comédies  courtes et légères du moins en apparence.

Dans Les méfaits du tabac, un professeur vient, sur l'ordre de sa femme, faire une conférence sur les méfaits du tabac pour une association charitable. De digression digression,  l'homme se laisse aller à des confidences et l'on s'aperçoit bientôt qu'il est bafoué par son épouse, traité comme un domestique, soumis et sans défense. Face à sa vie gâchée, il a des rêves d'évasion qui ne se réaliseront jamais! Pas si légère, finalement cette courte pièce!
Hélas! je n'ai pas été convaincue par l'interprétation qui ne fait pas passer le tragique de l'échec du personnage.

Avec Tragédien malgré lui nous retrouvons sensiblement le même thème. Un homme expose à son ami la manière dont sa femme  et toute sa famille l'exploitent, le ridiculisent. Le monologue -car l'ami reste quasi muet-  ne s'achève qu'à la chute finale qui provoque le rire malgré sa cruauté. Là encore pas assez de nuances dans cette  mise en scène et cette interprétation qui manquent de subtilité. Elle ne rend pas vraiment compte du comique et ne souligne par le tragique sous-jacent.

Enfin l'Ours qui est la plus développée de ces petites scènes raconte l'histoire d'un propriétaire terrien, sorte d'ours mal léché, misogyne et  coléreux, qui vient rendre visite à une veuve éplorée pour lui réclamer l'argent dû par son mari défunt. Et ce qui doit arriver arrive, ces deux êtres de caractère  après s'être copieusement insultés,  tombent dans les bras l'un de l'autre!

J'ai aimé  cet Ours servi par deux bons comédiens qui savent rendre le caractère inflammable des protagonistes et maintenir un crescendo trépidant dans les scènes  de dispute.  Le comique vient des contradictions des personnages, de leurs  revirements, des brusques emportements qui vont jusqu'à la démesure voire l'absurde, ce  que les deux comédiens ont su rendre avec une belle énergie et vitalité. Il est dommage, cependant, que l'exiguïté de la scène ne leur permette pas de s'exprimer sans contrainte.  C'est le meilleur moment du spectacle!

 Avis de Wens

Trois textes courts de Tchekhov sont regroupés pour constituer une bonne heure de spectacle. Dans un espace digne d'un aquarium de salon, où la mise en scène est réduite à sa plus simple expression et l'éclairage inexistant, tout repose sur la qualité de l'interprétation. Dans "les méfaits du tabac" un vieux conférencier s'adresse à nous pour faire le bilan tragique de sa pitoyable existence. L'acteur s'efforce de dire le mieux possible un texte, avec des attitudes étudiées, des respirations… travail sur le corps et sur la voix, certes, mais sans aucune émotion, on ne partage jamais la souffrance du conférencier palpable dans le texte. On souhaite ardemment que la conférence cesse, on voudrait  allumer une clope même si on n'est  pas fumeur. Aucune empathie. Ennui. Le "Tragédien malgré lui" hurle son désespoir  d'être une marionnette manipulée par son épouse dans des aigus toniques. Vos oreilles réclament une boule quies. Vous comprenez l'épouse. Aucune émotion. Ennui. Heureusement "l'Ours" apparaît en face d'une veuve tout de noir vêtue, recluse dans son domaine, vous en arrivez à oublier l'inconfort de la salle, vos jambes repliées sur votre menton, les reins brisés et vous commencez à sourire, à rire même. Magie des acteurs. Un très inégal spectacle.




Plaisanteries De Tchekhov 
Théâtre Notre-Dame
du 8 au 31 Juillet à 19H15
Durée 1h15

Tracy Chevalier : Prodigieuses créatures


De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris par Cagire et par moi, Claudialucia.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas. On ne gagne rien sinon le plaisir et je cite le lendemain les noms de ceux qui ont trouvé l'énigme. Bon, je sais, il suffit d'un clic sur la toile pour trouver la réponse mais je sais aussi que si vous aimez jouer comme moi, vous vous plairez à deviner le nom de l'auteur et du roman  par vous-même  d'abord, le plus vite possible ensuite et c'est juste dans ces secondes-là que réside le plaisir de trouver pour soi uniquement la bonne réponse : retrouver le titre d'un roman comme on retrouve le nom d'un ami  ancien qu'on n'a pas vu depuis très longtemps... Bref, on joue ici avec sa mémoire  et puis on me le dit, comme ça, par amitié!  
  
Nouvelle énigme pour ce vendredi

Nabussan, aimé, l'adora; mais elle avait les yeux bleus et ce fut la source des plus grands malheurs. Il y avait une ancienne loi qui défendait aux rois d'aimer ce genre de femme que les grecs ont appelées depuis boopies. Le chef des bonzes avait établi cette loi il y avait plus de cinq mille ans; c'était pour s'approprier la maîtresse du premier roi de l'île de roi de Serendib que ce premier bonze avait fait passer l'anathème des yeux bleus en constitution fondamentale d'Etat. Tous les ordres de l'Empire vinrent faire à Nabussan des remontrances. On disait publiquement que les derniers  jours du royaume étaient arrivés, que l'abomination était à son comble, que toute la nature était menacée d'un évènement sinistre; qu'en un mot Nabussan, fils de Nussanab, aimait deux grands yeux bleus. Les bossus, les financiers, les bonzes et les brunes, remplirent le royaume de leurs plaintes.



Réponse à l'énigme de Jeudi

                                            

Et voilà les gagnantes : Aifelle, Maggie, Gwenaelle, Lystig et Mango.

Les prodigieuses créatures de Tracy Chevalier sont les fossiles que découvre Mary Anning en fouillant la plage et les falaises de Lyme, sur la côte du Dorset. Pour la jeune fille, issue d'une famille d'ouvrier modeste, il s'agit d'un gagne-pain puisqu'elle revend ses trouvailles aux touristes de passage mais cette recherche devient une véritable passion. Mary Anning va faire la connaissance de Elizabeth Philpot passionnée elle aussi par la recherche des fossiles de poissons dont elle fait collection. Bien que de milieu différent, les deux femmes, la bourgeoise et l'ouvrière, vont se lier d'amitié, un sentiment qui traversera des orages, certes, mais sera plus forte que les conflits et les rivalités amoureuses. Dans ce passage, c'est Elizabeth Pilpot qui présente son amie.
Il faut savoir tout d'abord avant de continuer la lecture que Mary Anning et Elizabeth Philpot ont existé ainsi que certains autres personnages comme le Colonel Birch, le professeur William Buckland..  même s'il s'agit aussi d'une oeuvre de fiction. Suite ici