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lundi 23 avril 2012

Les chroniques italiennes (2): Stendhal Vittoria Accoromboni et Vanina Vanini



              Théodore Chasseriau

 Les chroniques italiennes qui révèlent la passion de Henri Beyle pour l'Italie où il a vécu de longues années en tant que consul, sont pour la plupart des récits sur la Renaissance italienne dans lesquels l'écrivain fait revivre un monde violent où les nobles richissimes ont tous les droits. Il y décrit des personnages tout puissants, nobles, princes, patriarches de grandes familles, hauts ecclésiastiques, qui n'obéissent qu'à leur propre loi, lèvent leur armée et se font tour à tour voleurs, bandits et assassins. 
La publication posthume des Chroniques italiennes de 1855 comporte cinq récits : Vittoria Accoramboni, Les Cenci, La Duchesse de Palliano, L'Abbesse de Castro, tous publiés dans la Revue des Deux Mondes de 1837 à 1839 sous un pseudonyme ou même anonymement, auxquels vient s'ajouter une oeuvre antérieure Vanina Vanini publiée dans La Revue de Paris en 1829. Le terme "Chroniques" est le choix de l'exécuteur testamentaire de Stendhal, son cousin Romain Colomb. On sait que Stendhal pensait les regrouper sous le titre de "historiettes" mais qu'il se demandait si le mot conviendrait à des histoires aussi tragiques.

Trois autres récits viendront compléter en 1947 le recueil de Chroniques italiennes qui en compte alors huit au total :

San Francesco a ripa : oeuvre posthume, écrite en 1831, publiée en 1853

Suora Scolastica  : récit inachevé commencé le 15 mars 1842; Beyle y travaillait au moment de sa mort  le 23 mars 1842.

Trop de faveur tue :  récit commencé en 1839 et inachevé, publié pour la première fois en 1912.

Il faut noter que  certains récits n'ont pas pour cadre  la Renaissance. L'histoire de Vanina Vanini se passe  au début du XIX siècle (dans les années 1820) au temps des Carbonari. San Francesco a Ripa  commence en 1726 sous le pontificat de Benoit XIII (Orsini) et Suora Scolastica  a lieu à Naples sous le règne de Don Carlos en 1745.

Si Vanina Vanini et San Francesco a Ripa sont des oeuvres imaginaires, les autres histoires ont été récoltées par Stendhal dans de vieux manuscrits du XVI siècle rapportant des faits véridiques. Voilà comment il présente ses recherches dans "l'historiette"  intitulée : Vittoria Accoramboni :

Je me trouvais à Mantoue, il y a quelques années, je cherchais des ébauches et de petits tableaux en rapport avec ma petite fortune... au lieu de tableaux, un vieux patricien fort riche et fort avare me fit offrir à vendre, et très cher, de vieux manuscrits jaunis par le temps. Je demandai  à les parcourir..

Jai parcouru au grand détriment de mes yeux, trois ou quatre cents volumes où furent entassés, il y a deux ou trois siècles, des récits d'aventures tragiques, des lettres de défis relatives à des duels, des traités de pacification..

Après bien des pourparlers, j'achetai fort cher le droit de me faire copier certaines historiettes qui me plaisaient et qui montraient les moeurs de l'Italie vers l'an 1500. J'en ai vingt-deux volumes In-folio, et c'est une de ces lectures fidèlement traduites que le lecteur va lire, si toutefois il est doué de patience..

Je parlerai aujourd'hui de Vittoria Accorombia et Vanina Vanini

                                   Vittoria Accorambia duchesse de Bracciano




 Le manuscrit daté de décembre 1585 à Padoue. Le récit se déroule à Rome puis à Padoue et Venise.
Vittoria Accorambia, duchesse de Bracciano, est une jeune femme d'une grande beauté, née dans une famille fortunée, et qui par sa grâce et son charme gagne le coeur et la volonté de chacun. On la marie à Félix Peretti, neveu du cardinal Montalto. Son mari et sa belle-famille l'adorent et la couvrent de cadeaux. Mais un soir, Félix est attiré hors de chez lui par un message apporté par le frère de Vittoria et il est assassiné. On soupçonne la jeune femme et sa famille et celle-ci se réfugie chez le prince Paolo Giordano Orsini qui avait juré de la prendre pour femme dès que le mari serait mort. Il lui offre sa protection et l'épouse. Le cardinal Montalto profondément offensé par le meurtre de son neveu est persuadé que le prince Orsini est coupable mais le pape Grégoire XIII ne réagit pas et laisse la violence et le meurtre régner en maîtres dans ses états. Le cardinal Montalto pour ne pas perdre ses chances de devenir pape, refoule sa colère et tait son ressentiment. Il est élu et prend le nom de Sixte Quint. C'est alors que son ton va changer! Paolo Orsini se sentant menacé par lui s'enfuit à Venise où il va mourir de maladie non sans avoir assuré l'avenir de sa femme par testament. Mais le prince Louis Orsini, fils de Paolo, avec l'accord de son frère Virginio Orsini, fait assassiner la duchesse et les frères de celle-ci pour conserver l'héritage. La suite du récit est consacrée à la guerre menée contre Orsini et à la mort de tous ceux qui ont participé à la l'assassinat.

Ce récit romantique, à la violence exacerbée, est raconté avec sobriété. Il peint les meurs primitives et cruelles des nobles et aussi les terribles rivalités de la cour papale. Le portrait du pape Sixte-Quint est grandiose. Nous l'avions déjà rencontré dans les Cenci. C'est un personnage entier, terrible, calculateur et ambitieux mais qui ne pardonne pas et n'oublie jamais une offense. Il attend son heure! Un personnage comme les aime Stendhal mais à qui les Orsini ne le cèdent en rien. Là encore une femme va être la victime mais elle est moins intéressante que Beatrice Cenci. Dans quelle mesure est-elle coupable? a-t-elle voulu la mort de son mari? Pourtant son assassinat, barbare, fait frémir. Les ressorts littéraires de la crainte et de la compassion sont utilisés mais toujours maîtrisés par un Stendhal qui a le ton de l'historien, de l'observateur extérieur, refusant le pathos.

                                                            Vanina Vanini



Il s'agit peut-être de la chronique la plus connue du recueil.  Le récit se déroule dans les années 1820. La princesse Vanina Vanini est d'une beauté si exceptionnelle qu'elle est courtisée par tous les plus beaux partis de Rome. Mais elle les dédaigne tous. C'est d'un Carbonaro, Pietro Missirilli, échappé de la forteresse Saint-Ange et que son père cache dans son palais, qu'elle va tomber amoureuse, un amour impétueux et fougueux qui va entraîner la trahison et la mort. Ce sentiment est réciproque et les deux jeunes gens deviennent amants. Cependant Piero Missirilli, s'il est follement épris, est partagé entre sa passion pour la jeune femme et son amour de la patrie. Son honneur lui commande  de faire son devoir. Vanina, jalouse, orgueilleuse, ne supportant pas que son amant la délaisse, dénonce les Carbonari, amis de Pietro, à un moment où celui-ci est absent et peut échapper à la police. Sa trahison va avoir des conséquences terribles.

Vanina Vanini est publiée 1829, juste un an avant le Rouge et le Noir. Ils ont tous les deux des points communs, ils content l'histoire d'un amour passion et de personnages exaltés, éminemment romantiques. La princesse Vanina Vanini n'est pas sans rappeler Mathilde de la Mole. Comme elle, elle a la fierté de son rang et de sa beauté, comme elle, elle ne supporte pas la médiocrité, l'ennui et la platitude en amour. Elles aiment le danger et vont jusqu'au bout de leur passion. Toutes deux se donnent à leur amant en dépit des convenances de leur temps, toutes deux  aiment en dessous de leur condition, pourvu que leur amant soit supérieur à leurs yeux sur le plan moral. Vanina Vanini à qui son soupirant éconduit demande qui pourrait lui plaire, répond:

 Ce jeune carbonaro qui vient de s'échapper; au moins celui-là a fait quelque chose de plus que de se donner la peine de naître.

Mathilde que Julien Sorel a failli tuer parce qu'elle insultait son honneur, admire la fierté de son amant et s'exalte à l'idée d'avoir failli mourir de sa main.

Quant à Pietro Missirilli, il est comme Julien Sorel, un  jeune homme du peuple qui s'élève au-dessus de sa condition par son sens de l'honneur, son audace, sa grandeur d'âme

Si Le Rouge et le Noir est un roman politique et social où Stendhal peint la société de 1830 en France, Vanina Vanini ne l'est pas moins mais dans un récit condensé. Il nous montre la société noble de 1820 en Italie, immensément riche, à travers le bal donné par M. le duc de B dans son  magnifique palais romain. En fait, par rapport au récit du XVI siècle, le pouvoir n'est plus l'apanage d'une noblesse issue de la chevalerie et exerçant le métier des armes. Le duc est banquier mais il est aussi puissant, sinon plus qu'un roi, parce que plus libre. Ce sont les métiers d'argent qui font la loi, ce qui montre bien l'ascension bourgeoisie en ce début du XIX siècle. D'autre part, aux arts italiens qui ornent le somptueux palais du duc vient s'ajouter le luxe français et londonien. Quant à la politique, Stendhal n'a jamais caché sa sympathie pour les carbonari (ce qui lui a valu  de devoir quitter son poste de consul à Milan). Cette société politique secrète qui avait pour but de réaliser l'unité de l'Italie et de doter le pays d'une constitution pouvait rallier certains nobles modérés et patriotes, ce qui est le cas  du prince Vanini qui cache Pietro Missirilli dans son palais.

 

J'ai chargé gatuitement les chroniques italiennes sur mon Kindle : ici. j'ai ainsi appris que esl personnes qui traduisent et mettent en place ces livres sont bénévoles




Et un nouveau challenge, invitation à un voyage en Italie que je ne pouvais refuser chez  Nathalie

samedi 21 avril 2012

Un livre/Un jeu : énigme n°30 Stendhal, Les Chroniques italiennes (1): Les Cenci


Beatrice Cenci de Guido Reni*


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Les gagnants sont :  Aifelle, Asphodèle, Dasola,  Eeguab,  Gwen, Keisha, Jeneen,  Pierrot Bâton,  Shelbylee, Somaja

Le roman : Chroniques italiennes : Les Cenci
Le film : Beatrice Cenci ou Les liens du sang et de l'amour

Merci à tous et toutes pour votre participation ....




Treize ans après la mort de Stendhal, son cousin et exécuteur testamentaire Romain Colomb, réunit plusieurs nouvelles de l'écrivain sous le titre de Chroniques italiennes qui paraissent en 1855 dans le volume des éditions complètes chez Michel Lévy. Je parlerai dans ce billet du récit intitulé Les Cenci, histoire vraie du XVI siècle qui est aussi à l'origine du film de Lucio Fulci, et  je réserve à un second billet la présentation des autres récits.                    

                                                                  Les Cenci


L'histoire de Béatrix Cenci est très connue en Italie où elle a nourri pendant longtemps l'imaginaire collectif. Elle a inspiré depuis dans le monde et jusqu'au XXI siècle, de nombreux écrivains, poètes, musiciens; elle est à l'origine de pièces de théâtre et d'opéras.

 Béatrix Cenci a seize ans lorsqu'elle assassine son père Francesco Cenci, avec ses frères, sa belle mère Lucrèce et l'aide de ses amis. Celui-ci est un homme sadique, d'une cruauté inimaginable, qui hait ses enfants et se réjouit de leur mort. Il abuse sexuellement de sa fille Béatrix. Celle-ci et sa seconde épouse Lucrèce doivent subir quotidiennement brutalités et humiliations. Après sa mort suspecte, les soupçons se portent sur les Cenci qui sont soumis à la question par la justice papale. Béatrix refuse d'avouer mais sa famille a moins de force devant la torture et reconnaît le meurtre. Ils sont tous condamnés à mort sauf le plus jeune frère Bernard qui est gracié. Béatrix et Lucrèce seront décapitées sur l'échafaud dressé devant le castello San Angelo. Le peuple romain prend fait et cause pour Béatrix et lui manifeste sa sympathie en escortant le cercueil de celle qu'il considère comme le symbole de l'innocence sacrifiée à la cruauté des Grands.


 Beatrice Cenci de Harriett Hosmer (1857)

Comment Stendhal en est-il venu à s'intéresser à l'histoire des Cenci? C'est en visitant la galerie du palais Barberini à Rome en 1823 - comme Shelley avant lui et beaucoup d'autres voyageurs attirés par cette tragique histoire -  qu'il voit pour la première fois le portrait de Béatrix Cenci de Guido Reni, le jour de son exécution :

La tête est douce et belle, le regard très doux et les yeux fort grands; ils ont l'air étonné d'une personne qui vient d'être surprise au moment où elle pleurait à chaude larmes...

Un autre tableau représente Lucrèce Petroni-Cenci :

C'est le type de la matrone romaine dans sa beauté et sa fierté naturelles. Les traits sont grands et d'une éclatante blancheur, les sourcils noirs et fort marqués, le regard est impétueux et en même temps chargé de volupté...

Or, Stendhal a acheté des manuscrits qui racontent, entre autres, l'histoire de Beatrice.  En tant que consul de France dans les Etats pontificaux, il ne peut se permettre de faire paraître sous son nom  un récit qui  met directement en cause le pape. Il le publie pourtant dans la Revue des deux Mondes en 1837 mais anonymement.  Henri Beyle se présente comme le  simple traducteur du manuscrit, ce qui paraît plus prudent, mais, bien sûr, il est aussi l'auteur car il accompagne en la commentant la voix du narrateur, un contemporain des Cenci qui écrit le 14 Septembre 1599, trois jours après la décapitation de Béatrice.

Histoire véritable de la mort de Jacques et Béatrix Cenci, et de Lucrèce Petroni Cenci, leur belle mère, exécutés pour crime de parricide, samedi dernier 11 septembre 1599, sous le règne de notre saint père le pape, Clément VIII , Aldobrandino.

Pourtant, c'est Stendhal, l'écrivain du XIX siècle, qui donne le point de vue de l'histoire en faisant allusion au personnage de Dom Juan, c'est à dire en plaçant non pas Béatrix mais son père François au centre de l'histoire. On remarquera la différence par rapport au film de Lucio Fulci qui s'intitule Béatrice Cenci (Les liens d'amour et de sang en français) donnant à la jeune fille le rôle principal alors que Stendhal nomme son récit : Les Cenci, révélant ainsi sa fascination pour la vie de ces grands seigneurs à une époque aux moeurs primitives, dominée par la passion. La puissance presque illimitée de ces hauts personnages n'est possible que par leur richesse qui leur permet de corrompre les conseillers du pape, d'acheter les consciences, de commanditer les crimes :

Mis trois fois en prison pour ces amours infâmes, il (Francesco) s'en tira en donnant deux cent mille piastres aux personnes en faveur auprès de douze papes sous lesquels il a effectivement vécu. (Deux cent mille piastres font à peu près cinq millions de 1837)

Francesco pour Stendhal est un Dom Juan parce qu'il refuse Dieu, parce qu'il adopte vis à vis de la société et des lois une attitude provocatrice, parce qu'il va jusqu'au bout de son attitude même en sachant que celle-ci le mène à la damnation. Il a donc une certaine grandeur et en ce sens il intéresse Stendhal :

Eh bien! ce sera-t-il dit, je suis l'homme le plus riche de Rome, cette capitale du monde; je vais en être aussi le plus brave; je vais me moquer publiquement de tout ce que ces gens-là respectent, et qui ressemble si peu à ce qu'on doit respecter.
Car un Dom Juan pour être tel, doit être homme de coeur et posséder un esprit vif et net qui fait voir clair dans les motifs des actions des hommes.


 Cependant, pour lui, Francesco n'est pas un Dom Juan comme celui de Tirso de Molina et encore moins comme celui de Molière qui sait être un homme du monde; il n'a pas non plus le charme du Dom Juan de Mozart. C'est une brute perverse. Je suppose que l'on ne peut que le comparer qu'au Marquis de Sade, talent littéraire en moins. Parallèlement, le narrateur, auteur du manuscrit traduit par Stendhal, nous dresse le portrait de ce seigneur tel qu'il est à l'âge de sa mort (70 ans). Mais il ajoute qu'il a connu cet homme à l'âge de 40 ou 50 ans alors qu'il n'était lui-même qu'un enfant.
Quant au portrait de Béatrix peint par Guido Reni que Stendhal nous a présenté  au Palais Barberini, le voilà qu'il réapparaît sous la plume cet homme contemporain du drame et témoin visuel :

La nouvelle se répand que le signor Guido Reni, un des élèves de cette admirable école de Bologne, a voulu faire le portrait de la pauvre Béatrix, vendredi dernier, c'est à dire le jour même qui a précédé à son exécution. Si ce grand peintre s'est acquité de sa tâche comme il l'a fait pour les autres peintures qu'il a exécutées dans cette capitale, la postérité pourra se faire quelque idée de ce que fut la beauté de cette fille admirable.

Nous avons donc plusieurs strates de portraits et une complémentarité des voix qui semblent se faire écho et donnent une résonnance au récit à travers les siècles. Le lecteur a ainsi l'impression de proximité comme si l'espace temporel se rétrécissait, comme s'il devenait  lui-même contemporain de la jeune parricide.

Une critique de la société et de l'Eglise : L'on ne sait pas toujours qui parle de l'auteur XVI ème siècle à celui du XIX mais la peinture de la société italienne dans Les Cenci révèle non seulement la violence des moeurs mais aussi la corruption des hommes de pouvoir. Une critique acerbe qui concerne les grands seigneurs mais aussi les hommes d'église occupant les plus hautes positions jusqu'au pape lui-même.
L'auteur du manuscrit précise qu'il peut écrire librement car son récit ne sera pas divulgué de son vivant mais longtemps après sa mort. Il dénonce à plusieurs reprises la vénalité des hauts dignitaires de l'Eglise placés autour du pape. Mais lorsqu'il s'agit du pape lui-même, le voilà plus circonspect. Peut-être en bon catholique ne peut-il pas envisager que le pape puisse avoir des torts ou peut-être n'ose-t-il pas l'attaquer directement? Ainsi, lorsque le pape Clément VIII décide de mettre à mort Béatrix bien qu'il sache qu'elle était en état de légitime défense, le narrateur explique que le souverain y fut obligé à cause d'un autre crime aussi affreux :

Le pape Clément VIII était doux et miséricordieux. Nous commencions à espérer qu'un peu honteux de sa boutade qui lui avait fait interrompre le plaidoyer des avocats, il pardonnerait à qui avait repoussé la force par la force...
Désolé de la fréquence de ces assassinats commis sur des proches parents, Sa Sainteté ne crut pas qu'il lui fut possible de pardonner.


Pourtant, à d'autres moments, la critique des papes  apparaît nettement  :

L'on ne sait peut-être pas, dans les autres villes d'Italie, que notre sort et notre façon d'être changent selon le caractère du pape régnant. Ainsi pendant treize années sous le bon pape Grégoire XIII (Buoncompagni) tout était permis à Rome; qui voulait faire poignarder son ennemi, et n'était point poursuivi, pour peu qu'il se conduisît d'une façon modeste. A cet excès d'indulgence succéda l'excès de la sévérité pendant les cinq années que régna le grand Sixte-Quint* (*anciennement cardinal Montalto)....
Alors on vit exécuter des malheureux pour des assassinats ou empoisonnement oubliés depuis dix ans, mais dont ils avaient eu le malheur de se confesser au cardinal Montalto, depuis Sixte Quint.


On voit que le pape n'est pas épargné qu'il soit trop "indulgent" comme Grégoire XIII ou qu'il trahisse le secret du confessionnal comme Sixte Quint!  Et l'on peut légitimement se demander quelle est la part de l'écrivain du XVI et de celui du XIX siècle. De même, lorsque je lis à propos de Pie V les remarques suivantes :

Ce saint pape, tout occupé, comme on sait, de sa juste haine contre l'hérésie et du rétablissement de son admirable inquisition, n'eut que du mépris pour l'administration temporelle de son Etat...

Je me demande  venant  de la part d'un homme de la Renaissance si l'on doit prendre ces propos au pied de la lettre (admirable inquisition) ou s'ils sont ironiques. J'opterai pour la seconde hypothèse lorsque plus tard l'auteur nous montre les pratiques barbares de l'Inquisition et le raffinement des tortures que la justice papale fait subir aux accusés. D'autre part, le narrateur prend nettement le parti de Béatrix qui pour lui est une victime innocente sacrifiée.
Par contre, Lucio Fulci, lui, ne s'embarrasse pas de subtilité! Quand il critique l'Eglise, le pape, et les nobles, il n'y va pas par le dos de la cuillère! La caricature est tellement outrancière qu'elle perd de sa force mais elle a valu bien des ennuis au réalisateur dont le film a été mis à l'index. Preuve qu'au XX siècle aussi, la critique peut avoir lieu à visage découvert contrairement aux époques précédentes mais.. qu'elle est  interdite et  donc toujours dangereuse!

Le romantisme de Stendhal : Stendhal écrit en pleine période romantique et cette histoire de passion, de sang et de meurtre, est bien à même de fasciner les hommes et les femmes de cette époque. Pour Stendhal, en effet, le romantisme doit avoir pour but de correspondre aux goûts et à la sensibilité des lecteurs de son temps. Par exemple, il choisit de ne présenter dans  la traduction des vieux manuscrits que ce qui peut intéresser les lecteurs, omettant les détails triviaux qui lui paraissent ne pas correspondre à la sensibilité de son siècle. Pourtant si Henri Beyle s'inscrit dans le romantisme, il s'en démarque aussi, occupant une place à part dans ce mouvement littéraire. Il refuse l'effet stylistique et l'émotion. Dans la "traduction" de ce vieux manuscrit, l'écrivain se pose en philologue, détaillant les difficultés de cette langue ancienne et régionale, en historien voulant rester au plus proche de la vérité. Il ne développe pas, non plus, l'histoire d'amour, se contentant des indications données par le chroniqueur contemporain : Monsignor Guerra, amoureux de la jeune fille, accepte de l'aider à tuer son père mais c'est un amour qui reste chaste. Il fait appel à Marzio, homme de coeur, fort attaché aux malheureux enfants de Francesco et à Olimpio, châtelain de la forteresse de Petralla qui en avait été chassé par Francesco Cenci et voulait s'en venger. Lucio Fulci, au contraire, ne refuse pas les fioritures, invente une histoire d'amour entre Beatrice et son serviteur et amant Olimpio, crée un personnage, brigand, nommé le Catalan, qui doit perpétrer le meurtre... 
 Le roman est pour donc pour Stendhal "un miroir que l'on promène le long d'un chemin", reflétant les moeurs de la société contemporaine, mais le réalisme est discret. Peu de descriptions mais des faits. On a pu parler à son propos de réalisme subjectif. Ses personnages échappent au réalisme  par leur caractère hors du commun. Romantiques sont, en effet, les Francesco et Beatrice Cenci de Stendhal, au caractère bien trempé, héroïques et tragiques dans le mal comme dans le bien, qui prennent leur destin en main et refusent de se soumettre l'un aux lois de la société et de Dieu, l'autre à son père et à l'Inquisition.
 Béatrix Cenci  a nourri l'imagination de nombreux écrivains et artistes. Parmi les contemporains de Stendhal, Shelley a écrit une pièce de théâtre (1919) et Alexandre Dumas a publié une nouvelle sur ce sujet. Notons aussi, plus proche de nous, la pièce d'Antonin Artaud (1935) ou  Alberto Moravia.

J'ai chargé gratuitement les chroniques italiennes sur mon Kindle. J'ai ainsi appris que les personnes qui traduisent et (ou) mettent en place ces livres sont bénévoles :  Editions Norph-Nop




Les 12 d'Ys dans le cadre des classiques français


 Challenge de Nathalie qui propose un Voyage en Italie ICI


 Ce tableau est attribué à Guido Reni, celui qu'il aurait peint sur place juste avant l'exécution de Beatrice Cenci en 1599.
Mais son auteur pourrait être, en fait,  d'après ce que j'ai lu, mais sans certitude, Elisabetta Sereni (1635-1662) une femme peintre extrêmement douée dont le père fut un assistant de Guido Reni. Une copie?  ou un portrait d'après le Maître?
Le second portrait de la galerie Barberini est du Guide; c'est le portrait de Béatrix  Cenci dont on voit tant de mauvaises gravures. Ce grand peintre a placé sur le cou de Béatrix un bout de draperie insignifiant; il l'a coiffée d'un turban; il eût craint de pousser la vérité jusqu'à l'horrible, s'il eût reproduit exactement l'habit qu'elle s'était fait faire pour paraître à l'exécution, et les cheveux d'une pauvre fille de seize ans qui vient de s'abandonner au désespoir. La tête est douce et belle, le regard très doux et les yeux fort grands:  ils ont l'air étonné d'une personne qui vient d'être surprise au moment où elle pleurait à chaudes larmes. Les cheveux sont blonds et très beaux. Cette tête n'a rien de la fierté romaine et de cette conscience de ses propres forces que l'on surprend surtout dans le regard assuré d'une fille du Tibre, di una filglia del Tevere, disent-elles d'elles-mêmes avec fierté. Stendhal


Un Livre/un film : Enigme N° 30



Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
 
Enigme n°30
Le récit  appartient à un recueil écrit par un écrivain français du XIX siècle.  Il s'agit d'une histoire vraie qui eut lieu en Italie au XVI siècle et qui  a inspiré de nombreux écrivains, poètes, musiciens, réalisateurs :

 La tête est douce et belle, le regard très doux et les yeux fort grands:  ils ont l'air étonné d'une personne qui vient d'être surprise au moment où elle pleurait à chaudes larmes. Les cheveux sont blonds et très beaux. Cette tête n'a rien de la fierté romaine et de cette conscience de ses propres forces que l'on surprend surtout dans le regard assuré d'une fille du Tibre, di una filglia del Tevere, disent-elles d'elles-mêmes avec fierté.

jeudi 19 avril 2012

Que disent-ils de la politique? Le smic va augmenter de..





- Le smic va augmenter de dix euros au mois de Juillet
- C'est normal, l'argent appelle l'argent.

                                                                   d'après  Jean Yanne


Le Smic va augmenter de cent francs le premier juillet... - - C'est normal, l'argent appelle l'argent.
- Le Smic va augmenter de cent francs le premier juillet... - - C'est normal, l'argent appelle l'argent.
Je suis un être exquis (2001)
Citations de Jean Gouyé, dit Jean Yanne
Références de Jean Gouyé, dit Jean Yanne

mercredi 18 avril 2012

Hammerklavier de Yasmina Reza

     
sonate-pour-hammerklavier-beethoven.1246308746.jpg
Sonata für Hammerklavier de Beethoven
 Je ne vais quand même pas lui dire que le bonheur n'est su que perdu...
Hammerklavier de Yasmina Reza est une suite d'histoires courtes où l'écrivain nous fait part de ses réflexions au fil de la vie, de sa vie, une série de petits récits pleins de finesse, attentifs aux détails, aux sentiments, d'où naissent nostalgie, émotion, tristesse. Ce qui n'exclut pas l'humour. Ainsi dans Le Masque de la Mort,  le père, atteint d'un cancer, contemple dans la glace la déchéance de son corps et fait remarquer à sa fille le masque que la Mort a placé sur son visage :

Je lui dis, c'est vrai papa que tu n'es pas terrible en ce moment.
-N'est-ce pas!...
Il rit et nous rions tous deux, moi assise sur le rebord de la baignoire, lui renfilant sa chemise de nuit, lui de bon coeur, moi aussi finalement, non de rire, mais que nous soyons capables lui et moi de rire devant pareille contemplation.

A travers les thèmes qu'elle égrène, la maladie, la vieillesse, la mort, le bonheur que l'on ne reconnaît que lorsqu'il est passé, à travers les portraits, le père disparu, la grand mère qui perd la mémoire, les enfants qui grandissent et que l'on voit s'éloigner, les amis, c'est bien sûr de nous que parle Yasmina Reza et nous nous reconnaissons, nous avons vécu ou nous vivrons ces expériences. Et j'aime que Yasmina Reza puisse en parler avec autant de pudeur, aborder des sujets aussi graves en parvenant à tempérer la douleur par le rire même si le rire, bien sûr, est très proche du désespoir tout sachant nous en garder.

2253146641-1.1246308664.jpgLe titre du livre fait allusion à l'oeuvre de Beethoven, Hammerklavier, qui revient plusieurs fois dans le recueil et au père de l'écrivain. Dans la première histoire intitulée Le Rêve Yasmina Reza imagine que son père, mort, revient la voir et lui dit qu'il a rencontré Beethoven là-haut mais que celui-ci lui a reproché d'avoir osé s'attaquer à l'adagio de Hammerklavier.

-Pardonnez-moi, maître, lui répondit mon père, je vous imaginais au-dessus de ça à présent!
-Mais enfin! s'écrie Beethoven, être mort n'est pas être sage!

Une des nouvelles qui me touchent le plus est celui qui porte le titre de La Râleuse où Yasmina Reza se désole parce qu'elle a perdu le "livre" écrit et dessiné par sa fille, Alta, lorsque celle-ci était toute petite. Pourquoi y est-elle si intensément attachée? Comment expliquer cette réaction exacerbée? C'est ce que ne comprend pas Alta, la bienheureuse qui ne sait rien encore de tout cela. Et pourquoi ma réceptivité particulière à ce récit? Peut-être parce que j'ai éprouvé maintes fois ce sentiment en relisant les écrits d'enfance de mes filles, devenues adultes, et qui ont donc cessé d'exister dans ce qu'elles ont été, dans leur forme première de fillettes, englouties par le Temps. 

Je lui dis que ce n'est pas le livre que j'aime, que c'est elle, que c'est nous, que c'est cet instant même qui déjà n'est plus, que c'est déjà toutes les choses que nous ne ferons plus ensemble, les colères auxquelles elle a renoncé en grandissant, les disputes que nous n'aurons plus, je murmure encore pour moi d'autres choses, je ne vais quand même pas lui dire que le bonheur n'est su que perdu...


 republié de mon ancien blog

mardi 17 avril 2012

Un moment à Pékin de Lin Yutang : De l’enfance à la maturité



 Un moment à Pékin de Lin Yutang, livre divisé en deux Tomes :  1, Enfances chinoises et 2, Le triomphe de la vie.

Le roman, une vaste fresque historique, commence en Juillet 1900 avec la révolte des boxers encouragée par l'impératrice Tseu Hi et finit pendant l'invasion de la Chine par le Japon en 1937 qui lance sur les routes des milliers de chinois fuyant l'envahisseur. Les dernières pages du roman se déroulent au nouvel an 1938 et c'est là que nous laissons les personnages dans l'incertitude de  leur destin (et pourtant heureux) non sans un certain regret.

Après la chute de la dynastie mandchoue et l'abdication de son dernier empereur Pouyi-Yi, âgé de trois ans, Lin Yutang s'attache à nous décrire la situation politique de la Chine, dénonçant la corruption de régimes successifs, avides de pouvoirs et de richesses, incapables de faire l'unité nationale, souvent soumis au Japon et achetés par lui. Au cours de cette période troublée, la Chine avec son immense territoire et la diversité de ses cultures, déjà démembrée par les puissances étrangères qui grignotent son territoire, doit subir la domination de plus en plus brutale des Japonais. Très en retard au point de vue économique et refusant l'évolution des mentalités, la Chine voit s'affronter les libéraux, souvent des intellectuels instruits dans des universités américaines ou japonaises et les conservateurs, en particulier la caste des mandarins, qui défendent leurs privilèges et restent attachés aux traditions. Elle voit émerger aussi un sentiment national qui  pousse le pays tout entier à résister à l'envahisseur japonais, ce que l'auteur décrit avec un certain lyrisme dans la dernière scène du livre où Moulane, l'une des principales héroïnes, fuyant l'armée japonaise, croise des soldats chinois se rendant au front  et chantant :

"Nous ne reviendrons pas/Avant que nos montagnes et nos fleuves nous aient été rendus!"  En se rapprochant d'eux, Moulane fut saisie d'une étrange et nouvelle émotion. Elle comprit que c'était un sentiment de bonheur, un sentiment de triomphe. (...) Il ne s'agissait pas seulement des soldats mais de cette grande colonne en marche dont elle était une partie. Elle avait un sens de sa nation comme elle ne l'avait jamais eu si fortement auparavant, d'un peuple uni par une fidélité commune, et qui, bien que fuyant devant l'ennemi commun, était pourtant un peuple dont la patience et la force étaient pareilles aux dix mille lis de la Grande Muraille et aussi permanente.(...) Car le vrai peuple chinois est enraciné dans ce sol qu'il aime. Elle fit quelques pas et prit sa place au milieu d'eux.

Je ne prétends pas résumer en quelques lignes l'Histoire de la Chine telle que l'a décrite Lin Yutang avec tant de minutie, tant de détails, tant de précisions et surtout de nuances, sachant qu'il s'agit d'un "pavé' de plus de 1400 pages. Ce qui me frappe surtout c'est qu'au-delà du sérieux de l'historien, il ne s'agit pas seulement d'un livre d'Histoire mais d'un roman qui nous amène à partager la vie des personnages, à vivre à travers eux les soubresauts qui agitent la Chine. Et c'est là, l'art de Lin Yutang, de faire en sorte que, en nous tenant en haleine, la vie quotidienne des gens, leurs sentiments, les évènement particuliers qui les affectent ne soient en réalité que le reflet des mouvements internes qui révolutionnent ce grand pays.

L'auteur a choisi de peindre cette période historique à travers deux grandes familles (et ceux qui gravitent autour)  assez représentatives de toutes les tendances mais d'une manière nuancée, sans systématisme.

Il y a d'abord la famille YAO dont le chef est Yao Sseu-ane, riche marchands de thé et de médecines, assez ouvert aux idées nouvelles : c'est lui qui refuse que sa deuxième fille, Moulane, ait les pieds bandés, lui qui envoie ses fils, Tijen et Afei en Angleterre, lui qui encourage ses filles, Moulane et Mocho, à étudier.

Taoïste, il réalisera son désir le plus cher,  "la conquête du moi " "grâce à la contemplation", en s'exilant loin de sa famille pour vivre une vie ascétique. Sa fille, Moulane, connaîtra la même expérience, quoique dans des ciconstances, différentes au cours de l'exode, à la fin du roman, par un contact humain avec cette grande communauté d'hommes et de femmes. Et elle comprendra - c'est  le sens de la philosophie de son père Yao mais aussi de Lin Yutang- que :

Tel était le triomphe de l'esprit humain. Il n'existe pas de catastrophe si grande que l'esprit ne puisse s'élever au-dessus d'elle, et par cette ampleur même, la transformer en quelque chose de grand et de radieux.

Au cours de leur voyage vers le sud pour fuir l'arrivée des boxers à Pékin, au tout début du roman, Moulane est enlevée par une femme boxer. Elle est recueillie par la Famille TSENG  dans laquelle elle entrera plus tard en se mariant avec le troisième fils, Sunya. Le père, Tseng Wampo, riche mandarin, haut fonctionnaire, confucianiste, représente la tradition et refuse la modernité et l'évolution des mentalités en particulier en ce qui concerne la conception de la famille. Jusqu'au bout ses belles-filles, Mannia, la veuve vierge, épouse du premier fils mort le jour du mariage, Moulane, Senteur vague, seconde épouse du deuxième fils, devront rendre à sa femme et à lui-même, qu'elles respectent d'ailleurs, les services qui leur sont dus.

Autour des ces deux familles, gravitent la Famille FENG, Feng Tsé-ane étant le  frère  de madame Yao, et père de Jade Rouge, une des quatre beautés de la famille, extrêmement raffinée et érudite, la famille SOUN, neveu de grand-mère Tseng dont la fille est Mannia. Celle-ci est l'incarnation de la femme de l'ancien régime, les pieds bandés, élevée dans la pure tradition. La famille KOUNG, amie des Yao :  la veuve Kuong a deux enfants, un fils Lifou qui joue un grand rôle dans le roman et une fille Houane-erth qui incarne les idées révolutionnaires.

La dernière famille NIOU, est l'occasion pour Lin Yutang, de nous présenter cette classe de fontionnaires sans scrupules, entassant des richesses et opprimant le peuple : Niuo Sseuto, ministre des finances, dit le Dieu des richesses, madame Niou dite Grand'Mère cheval, qui régente son mari et le pousse au mal. Enfin leurs enfants qui sont tout aussi corrompus : Houaiyou, le fils vendu aux japonais, Souyoun, la fille qui mène une vie dissolue et fait, avec l'aide des japonais, le commerce de l'opium; Toungyou qui se rendra si odieux qu'il sera puni de mort.

De tous dépend une foule de serviteurs et d'esclaves dont on devine aisément la misérable condition, soumis à des maîtres qui ont un pouvoir sinon absolu du moins exorbitant sur eux, même s'ils sont, chez Moulane, traités avec humanité. Mais le roman n'a pas pour but de nous montrer la souffrance du peuple.

Un des grands plaisirs que j'ai retiré de Un moment à Pékin provient de  la description des coutumes, des traditions, des légendes, de la philosophie chinoises. Lin Yutang, même s'il est gagné par les idées nouvelles - il a étudié aux Etats-Unis, à Leipzig et écrit son livre en anglais- est trop érudit pour rejeter en bloc la richesse, le raffinement extrême de cette grande civilisation. Il nous en fait un tableau coloré,  plaisant et gourmet. Il nous amène à participer aux joutes d'esprit que disputent les jeunes gens dans la plus grande tradition de la littérature ancienne; il nous promène dans le luxe et la richesse des jardins et des maisons, nous invite aux mariages somptueux de Moulane ou de Mocho, ou aux  longues et solennelles funérailles du père Soun ou du vieux Tseng, nous fait goûter non seulement au luxe de l'esprit mais des sens, cuisine raffinée de Moulane, caresse des étoffes fines et soyeuses, éclat des couleurs  et des senteurs de la nature, perfection des bibelots de jade et des bijoux. D'autre part, il y a un personnage à part entière dans ce roman, c'est Pékin,  ville éponyme, une cité qui sert de cadre à l'action pendant une grande partie du roman et  qui est décrite avec beaucoup d'amour. Ainsi lorsque les parcs et les jardins du palais sont ouverts au public en 1912, une des distractions de Moulane est d'aller s'y promener avec son mari.

Si comme on le dit, le but de Lin Yutang est de faire découvrir sa civilisation aux étrangers et de la leur faire aimer, il a pleinement réussi.

Editions Philippe Picquier : Un moment à Pékin

lundi 16 avril 2012

Les impressionnistes américains (2) au Metropolitan Museum de New York

Childe Hassam :  Célia Thaxter's Garden, isles of Shoal, Maine


Après avoir présenté les photographies prises au MET de New York des tableaux de Mary Cassat dans un premier billet, ICI je continue avec les oeuvres impressionnistes américaines découvertes dans ce grand musée.
L'impressionnisme  apparue en France dès les années 1860, se développe aux Etats-Unis dès 1880.
Les peintres américains subirent l'influence de l'impressionnisme français, soit comme Mary Cassat et John Singer Sergent en allant étudier en France, dans les années 1870,  et en rencontrant les grands maîtres français, Edgar Degas, Claude Monet... , soit comme William Meritt Chase en découvrant les oeuvres impressionnistes françaises lors de grandes expositions qui eurent lieu aux Etats-Unis.  En 1886, William Meritt Chase, avec une série de tableaux célébrant la lumière des parcs de New York, de paysages de Long Island, de Shinnecock, devient le plus grand peintre impressionniste de son pays sans en être sorti. Dans les années qui suivirent de nombreux artistes américains rejoignent Claude Monet à Giverny où celui-ci s'est installé en 1883.

John Singer Sargent  (1856–1925)

Sargent le goût de la nouveauté auprès de  son ami Monet comme le prouve ce tableau intitulé : "Deux jeunes filles à l'ombrelle". Cependant, grand admirateur de Frans Hals et de Vélasquez, il demeure, d'une façon générale,  plus classique. Il est reconnu comme un grand portraitiste même s'il a peint aussi des paysages et des scène militaires pendant la première guerre mondiale. Le portrait de madame X  (madame Gautreau), qu'il aimait particulièrement, fut très mal reçu à l'exposition de 1884 à Paris. Il l'avait peint sans l'accord de la dame et avait laissé volontairement une bretelle de la robe glisser sur l'épaule. Cette erreur scandaleuse fut réparée par la suite, la bretelle remise en place, mais la sensualité du tableau valut à Sargent la fin de ses commandes françaises. Il partit s'installer à Londres. Le tableau de Madame X  resta dans l'atelier de l'artiste et ne fut acheté par le Metropolitan qu'après la mort de madame Gautreau en 1916.

Two grils with parasols (1888)

Sergent : Portrait de madame X

 William James Glackens ( 1870-1938)

William Glackens fit de nombreux séjours en Europe, en particulier à Paris. Il s'intéresse aux scènes de rue (the green tram) et aux scènes de vie de la middle-class américaine comme dans Hiver à Central Park.


green train



 Central Park : winter

Robert Reid (1862-1929)

L'artiste suggère une analogie  entre la fragilité de la femme et des fleurs qui l'entourent. Ce tableau rappelle le panneau mural  intitulé Senteur, qui constitue une partie de la série intitulée Les Cinq sens peinte en 1897 pour la bibliothèque des congrès de Washington combinant à la fois son intérêt pour l'impressionnisme et pour le mouvement mural.

William Meritt Chase (1849-1916)

William Meritt Chase peint ici une scène intime et paisible de sa vie de couple : Alice, sa femme cousant pour "the little one", un de leurs cinq enfants, dans leur maison d'été à Shinnecock, dans la ville de Southampton, Long Island, New York. Même s'il peint un intérieur, Chase s'intéresse à la lumière qui pénètre dans la pièce et à la fenêtre qui s'ouvre sur le jardin, traitant ainsi le sujet comme une scène de plein air. J'aime bien le désordre qui règne autour de la jeune femme et ce bout de papier (tissu?) qui traîne par terre, suggérant que celle-ci ne pose pas mais qu'elle est surprise dans son quotidien.

Chase : For the little one


Chase

Childe Hassam (1859-1935)

Childe Hassam peint ici Union Square l'une des plus importantes places culturelles et commerciales de New York, située à la jonction de Broadway et de Bowery Road. La neige donne une impression douce et ouatée mais la tache rouge du tramway, les silhouettes noires des voitures embouteillées et des passants qui traversent n'importe comment donnent un animation intense à la scène.

Union Square, Hiver


Surf, Isles of Shoal

Les impressionnistes américains ont continué à travailler jusqu'en 1920 même si le goût pour l'impressionnisme avait alors diminué.  En 1910 émerge un  réalisme urbain avec l'école Aschan  bientôt démodé dès 1913 avec l'exposition d'Avant-garde de L'Armory Show.


dimanche 15 avril 2012

Un Livre/ Un film : réponse à l'énigme N° 29 Kazuo Ishiguro Les vestiges du jour






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Les gagnants sont :  Aifelle, Alain, Dasola, Dominique, Eeguab, Keisha,  Maggie, Marie-Josée, Somaja,  Thérèse

Le roman : Kazuo Ishiguro Les vestiges du jour
Le film : James Ivory Les vestiges du jour

Merci à tous et toutes pour votre participation ....






Kazuo Ishiguro est né en 1954 à Nagasaki et arrive en grande Bretagne à l'âge de cinq ans.
Il est l'auteur de six romans : Lumière pâle sur les collines; un artiste du monde flottant, les vestiges du Jour ( 1989); L'inconsolé; Quand nous étions orphelins; Nocturnes. Il a été décoré de l'ordre de l'Empire britannique pour ses services rendus à la littérature en 1995. En 1998, la France le fait chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres. Il vit à Londres  à l'heure actuelle.

Les vestiges du jour, oeuvre adaptée par James Ivory avec à la fois une grande fidélité et un talent très personnel, (le propre d'un grand réalisateur et d'une excellente adaptation), présente l'histoire de Stevens narrée par le personnage lui-même, à un âge avancé. Stevens y raconte la fin d'une époque, celle des grands majordomes dont il a fait parti, responsable d'une nombreuse domesticité et, en même temps, la fin d'une classe sociale, celle d'une noblesse extrêmement riche, dont le sens de l'honneur et de la dignité réglaient la vie quotidienne et forçaient l'admiration de leurs subalternes. Le destin individuel de Stevens, avec son refus des émotions, est étroitement mêlé à l'Histoire de son pays. Son maître, Lord Darlington, dans les années 1920, organisait des conférences chez lui et recevait  de hauts personnages jusqu'à la guerre de 1940.

Le récit commence en 1956 lorsque Darlington Hall est vendu à un américain, Mr. Farraday. Stevens qui doit réorganiser la maison avec peu de domestiques, reçoit une lettre de l'ancienne intendante de Darlington, Miss Kenton qui semble vouloir reprendre du service après s'être séparée de son mari. Stevens va entreprendre un voyage pour retrouver cette femme, en espérant la ramener. Tout au cours de voyage, de longs retours en arrière nous permettent de retourner dans le passé.

Intérêt historique : Le fonctionnement de ces nobles maisons est absolument étonnant. On ne se doute pas de ce que représente la gestion d'une telle domesticité, la compétence et les qualités nécessaires à un majordome pour la bonne marche, au quotidien, d'une demeure comme celle-là et l'habileté, la précision, la rigueur, qu'exige le bon déroulement  d'une réception lorsque le maître reçoit. Aucune erreur ne peut être tolérée. Il est obligatoire d'établir un plan, nous explique Stevens, et de prévoir plusieurs solutions de substitution en cas d'anicroches! Si cet aspect-là du livre est passionnant, le film sait rendre à merveille l'activité de ruche qui règne dans les cuisines, la salle à manger, les chambres à coucher... Tout est réglé au millimètre près, comme dans une chorégraphie précise, que la mise en scène d'Ivory souligne brillamment.
La mentalité de ce domestique est tout aussi étonnante à nos yeux. Ce qui caractérise un grand majordome précise Stevens est la dignité. Celui-ci doit être capable de maîtriser ses émotions dans n'importe quelle condition. De plus, il doit être loyal et servir son maître sans le juger. Servir est donc pour Stevens un beau et noble métier, d'autant plus qu'en exerçant ses talents pour son maître, il sert aussi son pays. Mais corollairement, le maître doit être digne d'être servi. Le majordome doit pouvoir se dire :  "Cet employeur incarne tout ce que je trouve noble et intelligent. Dorénavant, je me consacrerai à son service"
 Qu'en est-il du personnage de Lord Darlington d'après ce critère. En 1923, quand il invite des représentants des gouvernements anglais, français, américains, allemands, c'est dans le but  de réparer l'injustice et l'humiliation infligées aux allemands par l'armistice de 1914.  Par la suite, on le verra, au cours des années, se compromettre avec le régime nazi, tout en croyant encore  préserver la paix et la justice. Peu à peu la propagande antisémite agit sur lui, même s'il le regrette plus tard et cherche à réparer son erreur.
Le voyage  de Stevens va l'amener à une prise de conscience tragique, un constat d'échec : Ce n'était pas du tout un mauvais homme. Et au moins a-t-il eu le privilège de pouvoir dire à la fin de sa vie qu'il avait commis ses propres fautes. C'était un homme courageux. Il a choisi un certain chemin dans la vie, il s'est fourvoyé, mais il l'a choisi lui-même; il peut au moins dire ça. Pour ma part, je ne suis pas en mesure de le dire. Vous comprendrez j'ai eu confiance. J'ai fait confiance à sa seigneurie. au long de toutes ces années où je l'ai servie, j'ai été convaincu d'agir de façon utile. Je ne peux même pas dire que j'ai commis mes propres fautes. Vraiment - on se demande- où est la dignité là-dedans?
Intérêt psychologique : Le roman est aussi l'histoire d'une vie gâchée. Stevens est  un homme qui ne peut jamais exprimer ses sentiments et qui même se refuse à se les avouer à lui-même. Il passe ainsi à côté de l'amour, refusant de comprendre les sentiments de Miss Kenton.
La fin du livre est très triste non seulement dans la scène où il dit adieu à Miss Kenton mais aussi dans celle (absente dans le film) où, assis sur un banc, il se confie à un inconnu pour constater l'échec de sa vie sentimentale mais surtout professionnelle à laquelle il a tout sacrifié.
Le film, quant à lui, rend avec finesse toutes les nuances psychologiques indiquées par le roman car il est superbement servi par les acteurs, Emma Thompson et surtout Anthony Hopkins dont la gestuelle, la moindre expression du visage, révèlent sans en avoir l'air tout ce qu'il ressent mais aussi le combat intérieur qu'il doit mener à tout moment contre lui-même.
La fin, dans le livre comme dans le film, permet pourtant un lueur d'espoir. La vie doit continuer et Stevens doit apprendre à accepter les mutations irréversibles de la société. Dans le roman, il décide donc, en retournant à Darlington, d'adopter le style nouveau réclamé par son maître américain : "le badinage", c'est le terme qu'il emploie. Autrement dit, notre majordome va apprendre à être un peu moins empesé et à plaisanter!! Dans le film, Ivory reprend cette idée, en montrant Stevens lançant une plaisanterie à son maître. L'acteur révèle par son attitude corporelle ce changement subtil. Pas besoin de nous en dire plus. C'est là que l'on voit le génie de celui qui adapte un livre : remplacer les mots, voire les phrases, par une image.

Challenge de Calypso : Le titre devait présenter le mot jour

samedi 14 avril 2012

Un livre/un film : énigme n° 29




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
 
Enigme n°29

Le roman qui a été adapté au cinéma est d'un auteur d'origine japonaise, installé en Angleterre. Au cours d'un voyage, un  vieil homme se remémore le temps passé et fait le bilan de sa vie.

Ce n'était pas du tout un mauvais homme. Et au moins a-t-il eu le privilège de pouvoir dire à la fin de sa vie qu'il avait commis ses propres fautes. C'était un homme courageux. Il a choisi un certain chemin dans la vie, il s'est fourvoyé, mais il l'a choisi lui-même; il peut au moins dire ça. Pour ma part, je ne suis pas en mesure de le dire. Vous comprenez, j'ai eu confiance. J'ai fait confiance à sa seigneurie. Au long de toutes ces années où je l'ai servie, j'ai été convaincu d'agir de façon utile. Je ne peux même pas dire que j'ai commis mes propres fautes. Vraiment - on se demande- où est la dignité là-dedans?

jeudi 12 avril 2012

Que disent-ils de la politique? Du XVI au XVIII


 Deux citations qui me paraissent  établir des vérités très complémentaires mais que nous n'avons pas encore fait nôtres :

Montaigne : "Les lois se maintiennent en crédit non parce qu'elles sont justes, mais parce qu'elles sont lois."



Montesquieu : "Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi. Mais elle doit être loi parce qu'elle est juste."

Camilo José Cela : Les nouvelles aventures et mésaventures de Lazarillo de Tormes



Dans Les nouvelles aventures et mésaventures de Lazarillo deTormes, Camilo Jose Cela s'inspire du grand roman picaresque espagnol du même nom, classique du XVI °siècle, écrit par un auteur anonyme.

Le picaro, est un type traditionnel dans la littérature espagnole. Il s'agit d'un mauvais garçon, orphelin, né dans les plus basses classes de la société, misérable mais rusé et habile, qui gagne sa vie en volant ou en mendiant au cours de son errance de ville en ville. Il rencontre des personnages caractéristiques dont il devient le serviteur, le complice et bien souvent la victime... En France, le Picaro a inspiré Lesage et son Gil Blas de Santillane au XVIII siècle.
Camilo Cela obéit, avec cette oeuvre contemporaine, à tous codes du roman picaresque. Son personnage, Lazarillo de Tormes, qui se croit descendant du premier parce qu'il porte le même nom, est abandonné par sa mère chez des chevriers. Il n'a jamais connu son père. Il est élevé à la dure dans la montagne  et devient dès l'âge de huit ans apte à gagner sa vie, travail pénible souvent récompensé par des coups; aussi dès qu'il le peut, il s'enfuit, quittant subrepticement sa famille d'accueil pour partir à l'aventure sur les routes. Il rencontrera successivement des personnages haut en couleurs, brigands, fripons, menteurs, qui deviendront ses maîtres : musiciens ambulants, hidalgo poète, mendiant philosophe, romanichels, sorcière...
Comme il se doit dans la tradition picaresque, le récit est raconté par le héros du roman devenu vieux. Le narrateur âgé finit toujours aussi démuni, misérable, soulignant, et c'est la conclusion amère de cette l'histoire, qu'un pauvre ne peut échapper à sa condition :
Si j'ai commencé la vie plein d'entrain et si je l'achève accablé il faut en accuser le peu d'habileté que Dieu m'a donné pour ce genre de lutte et ne pas oublier qu'on ne peut demander au peuplier de produire des poires ni aux fontaines des chemins de laisser couler du vin. Lazarillo, le personnage de Cela est peut-être un fripon, c'est sûr, et comment pourrait-il en être autrement puisqu'il n'a connu que la misère et le manque d'amour? Pourtant si ce qu'il fait n'est pas toujours sympathique, il ne peut nous laisser indifférent car il y en en lui une étincelle de franchise, de bonté, de solidarité qui ne demande qu'un peu d'amitié pour s'éveiller. La mort du  seul maître qui soit bon pour lui, le prêtre philosophe, est pour lui un arrachement. C'est un moment tragique du livre où la narration de Camilo Jose Cela serre le coeur. 
Jamais je n'eus un père à aimer, ni un ami avec qui pleurer dans le malheur, en dehors du pénitent Félipè. alors -Dieu sait si ce n'était pas un pressentiment de la solitude qui devait toujours être la mienne,- une telle douleur me bouleversa, j'éprouvai un chagrin si aigu que je crus mourir moi-même devant ce spectacle qui blessa profondément ma volonté : la mort de mon maître, une de deux seules personnes de bien que j'aie rencontrées dans ma vie.Lazarillo est aussi capable d'acte de courage même s'il ne sait trop comment il y parvient. Il est semblable en cela à l'Humanité capable du plus grand Bien comme du plus grand Mal.
Alors, je ne réfléchis à rien, absolument à rien et je compris que dans la vie on ne réfléchit qu'aux petites choses. Les grandes choses, les rares grandes choses, les rares grandes choses nous les faisons sans y penser.
Ainsi lorsqu'il s'enfuit, une fois encore, pour échapper à la brutalité des bohémiens, il emmène avec lui Marie et son bébé, jeune femme maltraitée par ses maîtres, le chien Colosse et l'ours Ragusain qui l'ont bien mérité et à qui il parle comme des amis.
Finalement comme tous les romans picaresque, ces Nouvelles aventures et mésaventures de Lazarillo de Tormes nous montrent un héros profondément solitaire, qui ne connaît que la faim et la violence au milieu d'une société indifférente. Ce qu'il a certainement de neuf par rapport à l'oeuvre du XVI siècle, c'est que l'on ne sent pas l'acceptation de cet état de choses. L'auteur du XVI siècle partait d'une réalité qui était la normale dans une société que l'on décrivait cruelle et terrible mais sans la remettre en cause, l'important étant de ne pas mourir de faim. Camillo Jose Cela, au XX°siècle, montre, lui, une société inégalitaire basée sur l'égoïsme, l'hypocrisie, dans laquelle, que l'on soit mendiant ou nanti, l'homme ne cherche qu'à tirer profit du plus faible. Ainsi le pharmacien fait travailler Lazarillo sans le payer et le gruge comme l'ont fait les musiciens de rue qui lui ont volé son petit pécule. Le livre se termine donc sur un constat amer et pessimiste qui est certainement une remise en cause  de cette société  et qui témoigne dans tous les cas d'une empathie avec les malheureux.
J'eus de bons et de mauvais moments; je connus des jours heureux et des semaines de malheur; je jouis d'une bonne santé et souffris de faim plus que jamais..
Conter ce long chemin, pourquoi? Il fut le sentier épineux de tous ceux qui me ressemblent...



Camilo Jose Cela
Né en 1916 dans un petit village de Galice, Camilo Jose Cela fit ses études à Madrid, et entra à la faculté de Droit. Il fonda la très importante revue Papeles de son  Armadans. Membre de l'académie espagnole de la langue depuis 1957, il a écrit une trentaine de livres parmi lesquels La ruche publié en 1958. Il a obtenu le Prix Nobel de littérature.



Roman lu dans le cadre du challenge de les 12 d'Ys : les prix Nobel