Théodore Chasseriau
Les chroniques italiennes qui révèlent la passion de Henri Beyle pour l'Italie où il a vécu de longues années en tant que consul, sont pour la plupart des récits sur la Renaissance italienne dans lesquels l'écrivain fait revivre un monde violent où les nobles richissimes ont tous les droits. Il y décrit des personnages tout puissants, nobles, princes, patriarches de grandes familles, hauts ecclésiastiques, qui n'obéissent qu'à leur propre loi, lèvent leur armée et se font tour à tour voleurs, bandits et assassins.
La publication posthume des Chroniques italiennes de 1855 comporte cinq récits : Vittoria Accoramboni, Les Cenci, La Duchesse de Palliano, L'Abbesse de Castro, tous publiés dans la Revue des Deux Mondes de 1837 à 1839 sous un pseudonyme ou même anonymement, auxquels vient s'ajouter une oeuvre antérieure Vanina Vanini publiée dans La Revue de Paris en 1829. Le terme "Chroniques" est le choix de l'exécuteur testamentaire de Stendhal, son cousin Romain Colomb. On sait que Stendhal pensait les regrouper sous le titre de "historiettes" mais qu'il se demandait si le mot conviendrait à des histoires aussi tragiques.
Trois autres récits viendront compléter en 1947 le recueil de Chroniques italiennes qui en compte alors huit au total :
San Francesco a ripa : oeuvre posthume, écrite en 1831, publiée en 1853
Suora Scolastica : récit inachevé commencé le 15 mars 1842; Beyle y travaillait au moment de sa mort le 23 mars 1842.
Trop de faveur tue : récit commencé en 1839 et inachevé, publié pour la première fois en 1912.
Il faut noter que certains récits n'ont pas pour cadre la Renaissance. L'histoire de Vanina Vanini se passe au début du XIX siècle (dans les années 1820) au temps des Carbonari. San Francesco a Ripa commence en 1726 sous le pontificat de Benoit XIII (Orsini) et Suora Scolastica a lieu à Naples sous le règne de Don Carlos en 1745.
Si Vanina Vanini et San Francesco a Ripa sont des oeuvres imaginaires, les autres histoires ont été récoltées par Stendhal dans de vieux manuscrits du XVI siècle rapportant des faits véridiques. Voilà comment il présente ses recherches dans "l'historiette" intitulée : Vittoria Accoramboni :
Je me trouvais à Mantoue, il y a quelques années, je cherchais des ébauches et de petits tableaux en rapport avec ma petite fortune... au lieu de tableaux, un vieux patricien fort riche et fort avare me fit offrir à vendre, et très cher, de vieux manuscrits jaunis par le temps. Je demandai à les parcourir..
Jai parcouru au grand détriment de mes yeux, trois ou quatre cents volumes où furent entassés, il y a deux ou trois siècles, des récits d'aventures tragiques, des lettres de défis relatives à des duels, des traités de pacification..
Après bien des pourparlers, j'achetai fort cher le droit de me faire copier certaines historiettes qui me plaisaient et qui montraient les moeurs de l'Italie vers l'an 1500. J'en ai vingt-deux volumes In-folio, et c'est une de ces lectures fidèlement traduites que le lecteur va lire, si toutefois il est doué de patience..
Je parlerai aujourd'hui de Vittoria Accorombia et Vanina Vanini
Vittoria Accorambia duchesse de Bracciano
Vittoria Accorambia, duchesse de Bracciano, est une jeune femme d'une grande beauté, née dans une famille fortunée, et qui par sa grâce et son charme gagne le coeur et la volonté de chacun. On la marie à Félix Peretti, neveu du cardinal Montalto. Son mari et sa belle-famille l'adorent et la couvrent de cadeaux. Mais un soir, Félix est attiré hors de chez lui par un message apporté par le frère de Vittoria et il est assassiné. On soupçonne la jeune femme et sa famille et celle-ci se réfugie chez le prince Paolo Giordano Orsini qui avait juré de la prendre pour femme dès que le mari serait mort. Il lui offre sa protection et l'épouse. Le cardinal Montalto profondément offensé par le meurtre de son neveu est persuadé que le prince Orsini est coupable mais le pape Grégoire XIII ne réagit pas et laisse la violence et le meurtre régner en maîtres dans ses états. Le cardinal Montalto pour ne pas perdre ses chances de devenir pape, refoule sa colère et tait son ressentiment. Il est élu et prend le nom de Sixte Quint. C'est alors que son ton va changer! Paolo Orsini se sentant menacé par lui s'enfuit à Venise où il va mourir de maladie non sans avoir assuré l'avenir de sa femme par testament. Mais le prince Louis Orsini, fils de Paolo, avec l'accord de son frère Virginio Orsini, fait assassiner la duchesse et les frères de celle-ci pour conserver l'héritage. La suite du récit est consacrée à la guerre menée contre Orsini et à la mort de tous ceux qui ont participé à la l'assassinat.
Ce récit romantique, à la violence exacerbée, est raconté avec sobriété. Il peint les meurs primitives et cruelles des nobles et aussi les terribles rivalités de la cour papale. Le portrait du pape Sixte-Quint est grandiose. Nous l'avions déjà rencontré dans les Cenci. C'est un personnage entier, terrible, calculateur et ambitieux mais qui ne pardonne pas et n'oublie jamais une offense. Il attend son heure! Un personnage comme les aime Stendhal mais à qui les Orsini ne le cèdent en rien. Là encore une femme va être la victime mais elle est moins intéressante que Beatrice Cenci. Dans quelle mesure est-elle coupable? a-t-elle voulu la mort de son mari? Pourtant son assassinat, barbare, fait frémir. Les ressorts littéraires de la crainte et de la compassion sont utilisés mais toujours maîtrisés par un Stendhal qui a le ton de l'historien, de l'observateur extérieur, refusant le pathos.
Vanina Vanini
Il s'agit peut-être de la chronique la plus connue du recueil. Le récit se déroule dans les années 1820. La princesse Vanina Vanini est d'une beauté si exceptionnelle qu'elle est courtisée par tous les plus beaux partis de Rome. Mais elle les dédaigne tous. C'est d'un Carbonaro, Pietro Missirilli, échappé de la forteresse Saint-Ange et que son père cache dans son palais, qu'elle va tomber amoureuse, un amour impétueux et fougueux qui va entraîner la trahison et la mort. Ce sentiment est réciproque et les deux jeunes gens deviennent amants. Cependant Piero Missirilli, s'il est follement épris, est partagé entre sa passion pour la jeune femme et son amour de la patrie. Son honneur lui commande de faire son devoir. Vanina, jalouse, orgueilleuse, ne supportant pas que son amant la délaisse, dénonce les Carbonari, amis de Pietro, à un moment où celui-ci est absent et peut échapper à la police. Sa trahison va avoir des conséquences terribles.
Vanina Vanini est publiée 1829, juste un an avant le Rouge et le Noir. Ils ont tous les deux des points communs, ils content l'histoire d'un amour passion et de personnages exaltés, éminemment romantiques. La princesse Vanina Vanini n'est pas sans rappeler Mathilde de la Mole. Comme elle, elle a la fierté de son rang et de sa beauté, comme elle, elle ne supporte pas la médiocrité, l'ennui et la platitude en amour. Elles aiment le danger et vont jusqu'au bout de leur passion. Toutes deux se donnent à leur amant en dépit des convenances de leur temps, toutes deux aiment en dessous de leur condition, pourvu que leur amant soit supérieur à leurs yeux sur le plan moral. Vanina Vanini à qui son soupirant éconduit demande qui pourrait lui plaire, répond:
Ce jeune carbonaro qui vient de s'échapper; au moins celui-là a fait quelque chose de plus que de se donner la peine de naître.
Mathilde que Julien Sorel a failli tuer parce qu'elle insultait son honneur, admire la fierté de son amant et s'exalte à l'idée d'avoir failli mourir de sa main.
Quant à Pietro Missirilli, il est comme Julien Sorel, un jeune homme du peuple qui s'élève au-dessus de sa condition par son sens de l'honneur, son audace, sa grandeur d'âme
Si Le Rouge et le Noir est un roman politique et social où Stendhal peint la société de 1830 en France, Vanina Vanini ne l'est pas moins mais dans un récit condensé. Il nous montre la société noble de 1820 en Italie, immensément riche, à travers le bal donné par M. le duc de B dans son magnifique palais romain. En fait, par rapport au récit du XVI siècle, le pouvoir n'est plus l'apanage d'une noblesse issue de la chevalerie et exerçant le métier des armes. Le duc est banquier mais il est aussi puissant, sinon plus qu'un roi, parce que plus libre. Ce sont les métiers d'argent qui font la loi, ce qui montre bien l'ascension bourgeoisie en ce début du XIX siècle. D'autre part, aux arts italiens qui ornent le somptueux palais du duc vient s'ajouter le luxe français et londonien. Quant à la politique, Stendhal n'a jamais caché sa sympathie pour les carbonari (ce qui lui a valu de devoir quitter son poste de consul à Milan). Cette société politique secrète qui avait pour but de réaliser l'unité de l'Italie et de doter le pays d'une constitution pouvait rallier certains nobles modérés et patriotes, ce qui est le cas du prince Vanini qui cache Pietro Missirilli dans son palais.
J'ai chargé gatuitement les chroniques italiennes sur mon Kindle : ici. j'ai ainsi appris que esl personnes qui traduisent et mettent en place ces livres sont bénévoles
Et un nouveau challenge, invitation à un voyage en Italie que je ne pouvais refuser chez Nathalie