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jeudi 22 mars 2018

Gwenaelle Péron/ Pierre Reverdy : Avant l'orage, Printemps des poètes 2018

Pierre reverdy peint par Modigliani

Dans son blog, l'artiste-peintre, Gwenaelle Péron, a célébré le printemps des poètes en choisissant des poésies qu'elle interprétait à travers sa peinture. Une belle alliance entre le texte et l'image que je vous invite à aller voir et lire ! Chez Gwenaelle ICI

Ainsi l'oeuvre suivante a été exécutée pour répondre au poème de Pierre Reverdy, Le côté bleu du ciel, Reverdy qui est un de ses poètes préférés

Gwenaelle Peron : le côté bleu du ciel voir ici

A mon tour j'ai choisi un poème de Pierre Reverdy, Avant l'orage, et j'ai cherché à le mettre en relation avec un tableau de Gwenaelle. Evidemment, cette peinture n'a pas été réalisée pour cette poésie mais  je l'aime beaucoup et je vois en elle une réponse à Avant l'orage. Qu'en pensez-vous ?
 
Gwenaelle Péron : A l'heure où les rêves ...

"Chevelures au vent /qui se sont dispersés / et tout ce qui s'élève / et qui s'en est allé"


Avant l'orage


Je marchais en chantant
                     Sur le chemin fermé
Le ciel était tombé à quelques pas
                              Parmi les pierres
 Je me suis arrêté
                       J'ai regardé derrière
Avec leurs bras levés
                   Cheminées de chaumières
Chevelures au vent
                       qui se sont dispersées
 Et tout ce qui s'élève
                       Et qui s'est en allé
Dans ma poitrine vide
                      Une goutte est tombée
Une goutte de pluie 

               lourde comme une larme
En regardant plus loin
                 Et par-dessus les arbres

Pierre Reverdy recueil Source du vent (1929)

De quelques tableaux de Gwenaelle

Gwenaelle Péron : Elans contraires

Gwenaelle Péron : Avant la nuit peintre contemporain
Gwenaelle Péron : Avant la nuit
 
Gwenaelle Péron : Crépuscule peintre contemporaine
Gwenaelle Péron : Crépuscule

Gwenaelle Péron Roches miraculeuses peintre bretonne
Gwenaelle Péron Roches miraculeuses

L'Estran

Oui, j'aime vraiment beaucoup les tableaux de Gwenaelle, sa palette de bleus ou le rouge vient mettre des taches de sang, 


Gwenaelle Péron :  Brug du breton la bruyère peintre bretonne
Gwenaelle Péron :  Brug

ou ses verts oniriques qui semblent noyer toute l'atmosphère.
 
Gwenaelle Péron  : Rendez-vous à la cascade


J'aime la variété de son style, du concret à  l'abstrait,  en passant par la géométrie pour exprimer le monde extérieur. 




J'aime les épaisseurs de la peinture, les collages qui donnent une matérialité à ce monde qui paraît parfois... immatériel, en particulier ces mers tour à tour tourmentées ou lisses, où la transparence évoque les profondeurs et cache quelques mystérieux détails d'Atlandide engloutie...

Gwenaelle Péron  : Ce qui nous sépare

Gwenaelle Péron : Scarlet night

ou encore ces villes fantômes, abstraites, qui émergent du brouillard.
Ambiance hivernale

Je vous invite aussi à aller lire les beaux textes qu'elle écrit et réunit dans un recueil intitulé Journal Extime

Je choisis le jeudi pour publier la poésie avec une pensée pour Asphodèle dont les jeudis poétiques nous manquent. Bises Isabelle si tu passes par ici !

Voir sa participation au printemps des poètes ICI


mercredi 21 mars 2018

Laurence Gillot : Albertus, l'ours du large



Après les vacances, voici le retour d'Apolline et de ses fiches de lecture.
Apolline va avoir 8 ans au mois de mars et elle est en CE1. Elle vous présente aujourd'hui une fiche de lecture : Albertus, l'ours du grand large, lu en classe, dans le cadre du concours annuel des Incorruptibles qui demandent aux enfants d'élire leur livre préféré parmi les six choisis par des éditeurs, des bibliothécaires et des libraires. Chaque niveau vote. 


Titre : Albertus, l’ours du grand large

Auteure : Laurence Gillot

Illustrateur  : Thibaut Rassat

Editions : Milan

NB : Nous avons réfléchi Apolline et moi pour savoir s’il fallait vous dire la fin de l'histoire.  Apolline a dit non parce qu’elle veut vous laisser la découvrir. Je pense que oui parce que sinon l'on ne peut comprendre  l’enjeu du livre.
Finalement, chacune a fait ce qu’elle voulait et vous êtes libre de lire l’une ou l’autre ou les deux comme vous le désirez !

Résumé d’Apolline

 

Sur son navire, le capitaine Baltazar Babkine a trouvé un petit ours en peluche tout mou. Il veut savoir à qui appartient le doudou parce qu’il n’y a que des hommes costauds à bord. Il mène l’enquête mais il n’arrive pas à trouver. Quand le bateau est arrivé à Calcutta en Inde, le capitaine décide de le donner à un enfant pauvre. Alors, un marin dit que le doudou est à lui et il va le donner lui-même à une petite fille de l’orphelinat. On verra pourquoi il a un ours en peluche à la fin du livre.

« Puis machinalement il pressa le ventre de l’animal et un « poueett »  transperce l’obscurité. ». Ceci est ma phrase préférée.




J’ai aimé cette histoire de générosité et d’amitié. Le capitaine me plaît parce qu’il est intelligent et qu’il ne se moque pas de celui qui a une peluche parce qu’il se souvient de son doudou quand il était petit et qu’il l’a perdu.
En donnant l’ours à une petite fille, le marin qui l’a perdu se sent bien parce qu’il a fait plaisir à la petite fille et que ça le console de ... (je ne vous dis pas de quoi). En partant, il achète un cadeau à sa femme et à sa fille.


Les images de Thibaut Rassat sont très très belles, elles sont noires et bleues avec des petites étoiles brillantes dans le ciel et dans la mer il y a des petits poissons dorés. On voit le ciré jaune du capitaine briller dans la nuit.



L’avis de la grand mère 



Voilà un autre livre de la sélection les Incorruptibles, année 2018, pour la classe de CE1.  
Albertus ou l’ours du grand large est le deuxième album préféré d’Apolline. Le second qu’elle vous a présenté en Février était  : « Cinq minutes et des galettes ». Je ne pourrais pas départager les deux; ils me plaisent autant l'un et l'autre.
S'ils viennent largement en tête, tous deux, dans la liste de ses coups de coeur de lecture d'Apolline, je constate que les deux traitent d’un sujet grave, la mort, mais ceci avec tact, délicatesse et optimisme. Certes la fin d'Albertus est pleine de nostalgie puisque le marin se sépare du petit ours qui appartenait à son petit garçon disparu. Le livre parle donc du deuil que l’on doit faire pour que la vie puisse continuer. Après avoir ri avec la petite orpheline à qui il donne le jouet, le marin va pouvoir de nouveau penser à sa fille aînée et à sa femme et dire oui à la vie. C’est très émouvant mais l’album est aussi plein d’humour, de malice et de tendresse.  
L’on rit des membres de l’équipage, ces grands et gros gaillards, aux biceps tatoués, à la tête de brigand (les illustrations sont vraiment très réussies) qui ricanent en parlant du petit ours mais qui vont se montrer plein de gentillesse et faire preuve de solidarité. Un très beau livre, aussi bien au niveau du texte que des illustrations qui distillent à la fois le rire et l’émotion.

Voir le concours des Incorruptibles et la sélection pour les  CE1



lundi 19 mars 2018

Leo Perutz : Le Judas de Léonard



Voilà le deuxième livre que je lis de l'écrivain tchèque, Leo Perutz. Quel auteur passionnant !  Après Le cavalier suédois, je viens de découvrir Le Judas de Léonard.  C’est à travers ce roman historique que Leo Perutz nous propose une réflexion sur l’art et sur l’homme et ses faiblesses.

La Cène de Léonard de Vinci

Nous sommes à Milan en 1498. Léonard de Vinci peint La Cène au couvent des dominicains Santa Maria delle Grazie. Peint ? Voilà des mois que la fresque n’avance pas au grand dam du prieur du couvent qui se plaint au duc de Milan. C’est bien mal connaître le processus créatif de l’artiste. Léonard de Vinci travaille et couvre ses carnet de croquis mais il ne peut avancer car il lui manque le modèle qui incarnera Judas. Léonard de Vinci pense, en effet, que le peintre doit « tirer enseignement de la nature et de partir d’elle. ».  Mais pour le trouver, il faut d’abord comprendre qui était Judas ? A-t-il trahi Jésus par cupidité ? avarice ? envie ? Non ! Il a commis une faute que même Jésus ne peut pardonner.

« Il l’a trahi lorsqu’il a compris qu’il l’aimait répondit le garçon. Il a pressenti qu’il ne pouvait s’empêcher de trop l’aimer et son orgueil le lui a interdit.
- Oui, le péché de Judas fut cet orgueil qui le conduit à trahir l’amour qu’il éprouvait , dit messire léonard. »

Dès lors le roman nous amène à travers les rues de Milan à la suite de ce Judas qui reniera son amour par orgueil et à côté duquel, en comparaison, les mauvais garçons des tavernes, les ivrognes, les voleurs, et même les meurtriers, peuvent être pardonnés. Pour l’anecdote, on retrouve aussi dans les lieux mal famés de la ville, le personnage de François Villon dont les contemporains ont perdu la trace mais que Leo Perutz campe ici dans le personnage fictif du poète  Mancino.
C’est avec talent que Leo Perutz donne vie à la cour du duc, à ce peuple de Milan épris d’art, à ces personnages hauts en couleurs, à ces artistes passionnés mais qui vivent dans la misère, à ces rues animées, tumultueuses. On suit avec intérêt l’histoire de « Judas », Joachim Behaim, ce marchand allemand, qui va refuser l’amour vrai et profond qu’il éprouve pour la douce et sincère Nicolla dont il juge l’origine sociale trop inférieure à la sienne.
Vous l’avez compris j’ai beaucoup aimé cet excellent roman et sa belle réflexion sur l'art et l'amour.

Contemporain de Franz Kafka, Leo Perutz est un écrivain majeur du XXe siècle européen. Né à Prague en 1882, il s’installe à Vienne à dix-sept ans. À partir de 1915, il publie une douzaine de romans avec un succès grandissant. En 1933, La Neige de saint Pierre est immédiatement interdit par les nazis en Allemagne. En 1938, suite à l’annexion de l’Autriche, il s’exile à Tel-Aviv où il n’écrira plus jusqu’en 1953, date à laquelle il publie son dernier roman, la Nuit sous le pont de pierre. Leo Perutz meurt en 1957 en Autriche, près de Salzbourg.
Ce « Kafka aventureux », selon les mots de Borges qui l’admirait, reste aujourd’hui à redécouvrir et à célébrer, tant pour la Troisième Balle, son premier roman, que pour le Maître du Jugement dernier (1923) ou la Neige de saint Pierre (1933). source bio : ici

Un des personnages du roman de Leo Perutz est un élève de Léonard de Vinci. Il s'appelle Marco d'Oggiono :

Marco d'Oggiono : fille aux cerises
Marco d'Oggiono: Le Christ bénissant
Marco d'Oggiono :copie de la cène de Vinci



dimanche 18 mars 2018

Nicolas Leskov : Le vagabond ensorcelé


Sur un bateau qui fait route sur le lac Ladoga, au nord-est de Saint - Péterbourg, le narrateur rencontre un personnage hors du commun, Ivan Severianovitch Fliaguine, un géant habillé en moine, qui, à la demande des passagers va conter son histoire.

Lac Lagoda
Le récit est enlevé, tumultueux, et la vie de Ivan, surnommé Golovan à cause de sa grosse tête (en russe golova signifie tête), se révèle aventureuse et pleine de  vicissitudes. Rien ne lui est épargné !  Serf, au service d’un comte, il devient comme son père, cocher, mais il sera chassé du domaine pour avoir maltraité la chatte de la barina. En danger de mort, car sans passeport, il est considéré comme un serf échappé. Il se réfugiera alors dans l’armée et deviendra militaire comme « connaisseur », c’est à dire expert en chevaux. Plus tard on le retrouvera prisonnier des Tatars dans l’immensité des steppes, puis amoureux fou d’une Tsigane. Il commettra plusieurs crimes avant d’entrer au monastère et de recevoir un don de prophétie. Mais les malheurs ne s’arrêtent pas là, au sein même de la communauté religieuse, le diable vient le tourmenter et il a plus d'un tour dans son sac, le diable !

Leskov se révèle comme un grand conteur. Il nous promène dans les grands espaces de la Russie, dans les milieux sociaux qu’il connaît bien, de la noblesse aux hommes du peuple. Il dresse des portraits intéressants, pittoresques. Il brosse de la Russie ancestrale un tableau véridique mais aussi satirique, à la fois cruel et plein d’humour. La noblesse est pleine de morgue, toute puissante, et le peuple y est exploité, soumis, superstitieux, mais aussi ivrogne, débrouillard, voleur…
Le récit me rappelle parfois le roman picaresque et Golovan est une sorte de Lazarillo de Tormes mais à la manière russe et non espagnole ! Le réalisme côtoie le merveilleux chrétien avec les histoires de saints, le fantastique intervient entre miracles authentiques et  supercheries.
Pas de mysticisme ici, rien de dostoievskien ! Mais un mélange de bon sens populaire mêlé à des croyances volontiers superstitieuses, à mi-chemin entre obscurantisme, crédulité et naïveté. Golovan ne se sent pas appelé par Dieu, il n’a pas de vocation. Il accomplit sa destinée car c’est sa mère, avant de mourir, qui l’a voué au Ciel. C’est un « fils promis ».

-Quand êtes-vous entré au monastère ?
- Il n’y a pas longtemps; quelques années après la fin de ma vie tumultueuse.
-Et pour y entrer, vous avez senti une véritable vocation?
-Hum… je ne sais comment vous expliquer cela. Au fond, il faut croire que je l’ai sentie.
-Comment se fait-il alors que vous parliez ainsi, comme si vous n’en étiez pas sûr?
-Et comment pourrais-je en parler comme d’une chose certaine, alors que je suis incapable de saisir le sens de toute mon existence antérieure à ce jour?

Un petit régal typiquement russe sorti de la plume d’un écrivain considéré comme le plus russe des écrivains russes ! !

Nicolas Leskov par Valentin Serov

 Lu dans le cadre du mois de l'Europe de l'Est d'Eva, Patrice et Goran.


vendredi 16 mars 2018

Ota Pavel : comment j'ai rencontré les poissons



Comment j’ai rencontré les poissons est un livre écrit par l'écrivain tchèque Ota Pavel pour rendre hommage à son père Leo Popper, génial vendeur d’aspirateurs et grand amoureux des poissons. J’avais lu des critiques à propos de ce livre disant qu’il était « le plus anti dépressif du monde » et aussi que sa lecture produisait « des bulles de joie sous la peau ». Mais pour moi l’alchimie n’a pas eu lieu. Le récit ne m'a pas accrochée, tout au moins au début.
Le livre est constitué d’une série de chapitres indépendants que l’on peut considérer comme de courtes nouvelles.

Le personnage du père et les histoires de poissons 


Ota Pavel à la pêche

Il m’a été impossible de prime abord de m’intéresser au personnage du père que pourtant le fils présente avec indulgence et même admiration. Toutes ses frasques et  ses maladresses ne m'ont pas fait rire, ni son adresse commerciale pour gruger les clients. Mais voilà, c’est le genre de bonhomme qui m’irrite, rêveur certainement, mais surtout hâbleur, suffisant, irresponsable, égoïste. Non cela ne m’amuse pas quand il dépense tout son argent sans tenir compte de ses enfants pour de beaux costumes et une voiture américaine pour plaire à la femme de son patron; comme je ne ris pas quand il met la vie de son fils en danger dans une rivière en crue pour aller récupérer des anguilles.
 De plus, comme le père transmet à ses fils la passion des poissons, il n’y est question que de pêche. J’ai déjà lu des livres sur ce sujet et je sais bien qu’à travers la description de la pêche, c’est d'autre chose qu’il s'agit ! Je comprends cet amour qui unit le père à ses fils, cette impression de liberté qu'ils éprouvent, la beauté de la nature qu'ils partagent. Mais ces histoires sont tellement répétitives que j’ai commencé à m’ennuyer sérieusement même s’il y a des personnages intéressants comme le braconnier Prosek !

La mort des beaux chevreuils.



Mais, quand, soudain, je suis arrivée à la nouvelle La mort des beaux chevreuils, là, tout a changé !
Avec La mort des beaux chevreuils, arrive la guerre, les enfants souffrent du manque de nourriture et le père part chasser le chevreuil, braconnage puni de mort par les nazis. Le récit prend alors une grande intensité dramatique et le père qui risque sa vie pour ses enfants, acquiert une autre envergure. Le braconnage, chasse ou pêche, devient une question de survie et est aussi une réponse désespérée mais courageuse aux humiliations et aux sévices subis par les juifs. Le récit est haletant et se termine par l’envoi des frères aînés dans un camp concentration.
Toutes les nouvelles de la guerre sont passionnantes et l’on peut aussi rire du tour joué aux allemands par le père qui vide son étang - que les nazis lui ont confisqué -, à la barbe de ses ennemis avant d'être envoyé lui-même à Auschwitz dans la nouvelle Des carpes pour la Werhmarcht 
Ils peuvent même vous tuer est aussi un beau récit très prenant, entre angoisse et humour, où le petit Ota part braconner dans l’étang surveillé par un garde-pêche, bravant l’interdiction des allemands. Il en est de même lorsqu’il se fait voler la carpe qu’il a pêchée, au prix d’une grande patience, immergé dans l’eau glacée, dans la nouvelle La longue lieue.
Là, les histoires de poisson prennent un sens et sont passionnantes. Il y a une tension dramatique qui ne retombe pas. 
Après le retour des camps du père et des frères, j’ai aimé aussi certaines nouvelles parfois cruelles comme lorsque le père, devenu communiste,  prend conscience que les communistes sont eux aussi antisémites. Et le livre se conclut pas un très beau chapitre Les anguilles d’or magnifiquement écrit, plein de tristesse et de poésie ou Otta Pavel, enfermé dans un hôpital psychiatrique pense à son passé :

« Quand mon état s’est amélioré, j’ai pensé à ce qui avait été le plus beau dans ma vie; Je ne pensais pas à l’amour, ni à mes pérégrinations à travers le monde. Je ne pensais pas à mes survols nocturnes d’océans, ni à ma sélection en hockey sur glace dans l’équipe Sparta de Prague. Je repartais vers les ruisseaux, les rivières, les étangs et les barrages à poissons; je me rendais compte que c’était là ce que j’avais vécu de plus beau. »

Je sais désormais ce qui attire la plupart des gens, ce n’est pas seulement la quête du poisson, mais la solitude des temps révolus, le besoin d’entendre l’appel de l’oiseau et du gibier, d'entendre encore tomber les feuilles d’automne. Tandis que je mourais là-bas à petit feu, je voyais surtout cette rivière qui comptait plus que tout dans ma vie et que je chérissais. Je l’aimais tellement, qu’avant de me mettre à pêcher je ramassais son eau dans mes mains en coquille et je l’embrassais comme on embrasse une femme. Puis, je m’aspergeais le visage avec le reste de l’eau et je réglais ma canne.

Ce roman est devenu un grand classique en Tchéquie, a été traduit dans de nombreux pays et adapté au cinéma. Je me rends bien compte que je suis passée à côté d'une partie du livre et je le regrette car ses qualités littéraires sont grandes. Mais j'ai beaucoup aimé, par contre, la seconde partie qui m'a profondément touchée.


Ota Pavel (de son vrai nom Ota Popper) est tchèque, né en 1930 d’un père juif et d’une mère catholique. Très jeune, il a échappé au camp de concentration mais son père et ses deux frères plus âgés ont été envoyés à Auschwitz. Il a eu un destin tragique puisqu’il fut atteint de folie et est mort à l’âge de 43 ans.


Je lis un billet de Joséphine sur Babelio qui explique comment Ota Pavel a basculé dans la folie :

 "Ota Pavel se réfugie dans son enfance pour échapper à la grave dépression qui l'étreint, après avoir été insulté. Son frère Hugo a raconté ce qui s'était passé : « En 1964, Ota était reporter sportif. À Innsbruck, il y a eu un cafouillage et l'équipe tchèque de hockey sur glace a terminé avec la médaille de bronze. Ota a rejoint les joueurs dans les vestiaires et quand il a dit que la troisième place, ce n'était pas si mal, un des joueurs a hurlé “Toi, le Juif, va te faire gazer ! (...)” 

jeudi 15 mars 2018

Rainer Maria Rilke : Vergers, le printemps des poètes 2018



Le Printemps des poètes se déroule du 3 au 19 mars 2018 sur le thème l'Ardeur.


Paula Modersohn-Becker,
 
Pour fêter ce printemps des poètes et continuer le challenge consacré à la littérature de l'Europe de l'Est, j'ai choisi le poète tchèque de langue allemande Rainer Maria Rilke. 


Rilke ? Tchèque ou autrichien ?

Rainer Maria Rilke ou René Karl Wilhelm Johann Josef Maria Rilke, est né le 4 décembre 1875 à Prague. Le pays était alors sous domination de l’Autriche-Hongrie. Il a fait ses études jusqu'en 1895 à Prague où il commence des études d'art, puis il part étudier à Munich en 1896. Il est mort le 30 décembre 1926 à Montreux, en Suisse. 



Van Gogh

Le recueil Vergers a été écrit en français par Rainer Maria Rilke pendant son séjour dans le Valais en Suisse.
Le premier poème du recueil dit pourquoi le poète a choisi la langue française. La beauté de ce mot, verger, ainsi célébré, le lyrisme du texte exaltent le bonheur intense du poète.

Verger

Peut-être que si j’ai osé t’écrire,

langue prêtée, c’était pour employer

ce nom rustique dont l’unique empire

me tourmentait depuis toujours : Verger.
 
Pauvre poète qui doit élire

pour dire tout ce que ce nom comprend,

un à peu près trop vague qui chavire,
 
ou pire : la clôture qui défend.

Verger : ô privilège d’une lyre

de pouvoir te nommer simplement ;

nom sans pareil qui les abeilles attire,

nom qui respire et attend…

Nom clair qui cache le printemps antique,

tout aussi plein que transparent,

et qui dans ses syllabes symétriques

redouble tout et devient abondant.
Van Gogh :  vergers avec abricotiers en fleurs

Sur le soupir de l'amie 

Sur le soupir de l’amie

toute la nuit se soulève,

une caresse brève

parcourt le ciel ébloui.

C’est comme si dans l’univers

une force élémentaire

redevenait la mère

de tout amour qui se perd. 



Gerard Dottori : la naissance de la lumière

 Portrait intérieur
 
Ce ne sont pas des souvenirs
 
qui, en moi, t’entretiennent;

tu n’es pas non plus mienne

par la force d’un beau désir.

Ce qui te rend présente,

c’est le détour ardent

qu’une tendresse lente

décrit dans mon propre sang.

Je suis sans besoin

de te voir apparaître;

il m’a suffi de naître

pour te perdre un peu moins. 

Kupka, peintre tchèque :  Le rêve

L’âme-oiseau

Souvent au-devant de nous

l’âme-oiseau s’élance;

c’est un ciel plus doux

qui déjà la balance,

pendant que nous marchons

sous des nuées épaisses.

Tout en peinant, profitons

de son ardente adresse. 



Marc Chagall

Ce qu'il nous faut consentir
C’est qu’il nous faut consentir

à toutes les forces extrêmes;

l’audace est notre problème

malgré le grand repentir.

Et puis, il arrive souvent

que ce qu’on affronte, change:

le calme devient ouragan,

l’abîme le moule d’un ange.

Ne craignons pas le détour.
Il faut que les Orgues grondent,

pour que la musique abonde

de toutes les notes de l’amour.

Gerardo Dottori : explosion


Participation au mois de l'Europe de l'Est
d'Eva, Patrice et Goran



mercredi 14 mars 2018

Rose Lagercrantz : On se revoit quand ?



Après les vacances, voici le retour d'Apolline et de ses fiches de lecture.
Apolline va avoir 8 ans au mois de mars et elle est en CE1.
Elle vous présente aujourd'hui une fiche de lecture  : On se revoit quand? roman de 158 pages, écrit bien gros, qu'elle a apprécié.




Titre : On se revoit quand ?

Nom de l’auteure  : Rose Lagercrantz

Nom de l’illustratrice : Eva Eriksson

Nom du traducteur : Traduit du suédois : Nils C. Ahl

Editions : L’école des Loisirs
collection Mouche

Résumé d'Apolline :

Dunne est en CE1. Elle va avec sa classe au zoo de Skansen à Stockholm.  Mais elle se perd et rencontre Ella Frida sa meilleure amie depuis la maternelle, qui est aussi au zoo avec son école. Ella Frida et Dunne ont été séparées car Ella Frida a déménagé et est allée dans une autre école. Elles jouent et ne se préoccupent pas que tout le monde les cherche. Quand on les retrouve les maîtresses sont en colère mais surtout celle d’Ella Frida. Quand Dunne rentre chez elle, elle se rend compte qu’Ella Frida est triste alors elle aussi est malheureuse. Quand se reverront-elles ?

Ma phrase préférée :

"On se revoit quand ?" C’est le titre qui est ma phrase préférée parce que cela a rapport avec le livre et cela montre que les petites filles s’aiment.

Ce que je pense du livre ?

J’ai énormément aimé ce livre  parce que c’est une très belle histoire d’amitié. J’ai aimé le zoo parce que l’histoire se déroule là.
L’histoire m’a fait penser à Olga et moi, parce que nous sommes les meilleures amies.  Je l’ai connue en maternelle mais on n’est  plus dans la même école depuis le CP. Mais on se revoit à mon anniversaire de toute façon.  J’ai trouvé que l’écriture était facile et simple et j’ai bien aimé les illustrations parce qu’elles ont beaucoup de détails et les petites filles sont trop mignonnes.


L’avis de la grand mère : Décidément même lorsque je lis des romans avec ma petite fille, je me retrouve en Scandinavie et plus précisément en Suède. On se revoit quand ? fait partie d’un ensemble qui raconte l’histoire de Dunne et de son amie Ella Frida. C’est le dernier de la série qui commence avec l’entrée en CP dans Ma vie heureuse, livre que, bien sûr, nous allons lire bientôt !



Le  thème principal est l’amitié qui unit les petites filles mais il y a aussi celui de l’école, de la séparation, de la mort et du deuil (la maman de Dunne) et de la vie quotidienne avec ses petits bonheurs, ses contrariétés ou ses gros chagrins. Le papa de Dunne est sorti de l’hôpital où il est resté tout l’été à la suite d’un accident et, alors que sa petite fille est tout heureuse de l’avoir pour elle seule, il invite Eva, une infirmière dont il est tombé amoureux. Et ceci, juste au moment, où Dunne se fait tant de souci pour son amie Ella Frida qui a déménagé et semble très malheureuse dans sa nouvelle école ! Heureusement Dunne est une petite fille très aimée de son papa et tout va s’arranger pour elle et pour sa petite amie.
Le texte est direct, accessible à des enfants âgés entre 6 est 8 ans selon leur niveau de lecture. Il aborde les difficultés de la vie sans pathos, tout simplement, avec optimisme et il parle avant tout du bonheur. J’ai beaucoup aimé ce passage qui clôt le roman, où  Dunne, avant de s’endormir paisiblement, réconciliée avec son papa et Eva, et heureuse de revoir bientôt Ella Frida, parle de bonheur avec ses cochons d’Inde :

"Si seulement, on savait à quel point on est heureux quand on est heureux, dit Dunne.
Les cochons d’Inde se regardèrent sans comprendre. De quoi parlait-elle maintenant ?
Les cochons d’Inde savent toujours à quel point ils sont heureux quand ils sont heureux. On le voit à leurs yeux qui brillent."





Merci à la Librairie dialogues et aux éditions L'école des Loisirs



mardi 13 mars 2018

Nicolas Leskov : Lady Mabecth au village


De Nicolas Semionovitch Leskov, écrivain russe (1831-1895), j’ai lu un roman, Le Vagabond ensorcelé et une nouvelle Lady Macbeth au village.
C’est par cette dernière que je commencerai. Le titre parle de lui-même. Nous sommes bien dans une tragédie et Catherine Lvovna  Ismaïlov, le personnage de Leskov,  emprunte à l’héroïne shakespearienne, l’âpreté,  la violence d’une âme criminelle. Mais alors que Shakespeare plaçait la scène dans  la plus haute noblesse écossaise et que l’enjeu n’était autre que la couronne, Nicolas Leskov, lui, situe l’action au village, chez un commerçant aisé, vendeur de farine. Et au lieu d’être guidée comme lady Macbeth par l’orgueil et la soif du pouvoir, c’est par la passion amoureuse que Catherine Lvovna sera conduite. Et qui aimera-t-elle ? Non un être noble et désintéressé mais un petit dom Juan de campagne, Sergueï, « un beau gars », assez vulgaire, coureur de filles, et qui, de plus, se révèle lâche, cupide et infidèle.
On peut donc, à priori, voir dans le titre de cette nouvelle et dans cette comparaison décalée, une intention ironique de la part de l’auteur.  Ne va-t-il pas tourner en dérision cette tragédie en la transposant ainsi dans la campagne russe ?

Mais le lecteur est bien vite détrompé ! Mariée à un homme qu’elle n’aime pas,  sans enfants, en proie à l’ennui, Catherine va s’éprendre de Sergueï d’une passion ardente, obsessionnelle, folle, qui l’amènera au crime. Tous ceux qui font obstacle à son amour périront ! Elle a un caractère entier, sombre et vindicatif et le remords, la crainte de Dieu, rien ne la touche.  Elle n’a donc rien à envier à une Lady Macbeth, et, si leur naissance ne fait pas d’elles des égales, leurs actes  horribles, le sang dont elles sont couvertes,  les mettent au même niveau. Ainsi, nous dit Nicolas Leskov, quelle que soit la condition sociale, toutes les passions humaines sont semblables. Et même si l'ironie de Leskov affleure par moments, Amour et Thanatos restent étroitement liés.

Le style de Nicolas Leskov est à la hauteur de cette tragédie et donne des scènes angoissantes et terrifiantes comme celle où Catherine, avec l’aide de son amant, tue l’enfant héritier de son mari, et sent pour la première fois le sien bouger dans son ventre. Ce qui n’empêche pas Leskov d’exercer son ironie sur le personnage de Sergueï, veule et superstitieux, qui s’effondre dans l’escalier en proie à la terreur et que sa maîtresse admoneste ainsi : «  Lève-toi imbécile! ». Un mélange de style très efficace. De même celle, sinistre, grandiose, où elle tue sa rivale en se précipitant avec elle dans le fleuve mais qui finit par cette comparaison un peu triviale pour une scène de tragédie : "elle se jeta sur sa victime, tel un brochet sur une truite.".

Je ne connaissais pas Nicolas Leskov mais il a de grandes qualités d’écrivain. Je lis dans l’encyclopédie Universalis qu’il a longtemps été méconnu dans son pays pour des raisons politiques :

« Leskov n'a pas encore la place qu'il mérite dans la littérature universelle. Par suite d'un malentendu, il fut mis en quarantaine et persécuté par les intellectuels progressistes, et les critiques de son temps firent le silence sur lui. Malgré les efforts de Gorki, qui le considérait comme un de ses maîtres et qui montra son importance, cet interdit pesa longtemps, et l'on parla rarement de Leskov en Union soviétique. Pourtant, par sa connaissance exceptionnelle de la vie russe, par la variété de ses sujets, par la richesse de sa langue, c'est un des conteurs russes les plus féconds et les plus originaux. » Ici

Chostakovitch, compositeur russe, a repris la nouvelle de Leskov pour écrire un opéra : Lady Macbeth of Mtsensk. 





Nicolas Leskov
"Nicolas Sémionovitch Leskov est né à Gorokhovo, dans la province d'Orel, pays natal de Tourguéniev en 1831. Son père, fils et petit-fils de prêtre, avait acquis la noblesse personnelle dans le service civil, sa mère était de petite noblesse héréditaire, sa grand-mère d'une famille de marchands. Il porte ainsi en lui l'héritage de trois castes : clergé, noblesse, négoce et sa vie commence sous le signe de la diversité. Plus que par ses parents, il fut formé par sa grand-mère maternelle qui l'emmenait en pèlerinage dans les monastères de sa province, lui contant en route les légendes et l'histoire des pays traversés. Aux relais ou dans les couvents, il écoute d'autres récits faits par les voyageurs ou les novices. La tradition orale était toujours vivace en Russie, et l'enfant fut marqué de manière ineffaçable par cet atmosphère poétique et religieuse, par cette parole, porteuse à la fois de tradition et d'invention. Il est mêlé ainsi au peuple russe, peuple courageux, généreux, très doué, étouffé par un régime trop sévère, par le servage (c'était encore le règne de Nicolas Ier), et Leskov se prend d'un grand amour pour ces humbles aux multiples visages."  source Ici