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jeudi 2 novembre 2017

Jean Hegland : Dans la forêt


Je suis vouée aux dystopies en ce moment ou aux romans post-apocalyptique si vous préférez. Quelle que soit leur appellation, c’est une rencontre  dont je ne saurais me plaindre car les livres que j’ai lus sont des réussites : Voir  Les buveurs de lumière de Jenni Fagan et Monde sans oiseaux de Karin Serres

C’est le cas de Dans la Forêt de Jean Hegland paru aux éditions Gallmeister qui, outre une dystopie, est aussi un livre de « nature writing ».

  Eva et Nell, sa soeur aînée, se retrouvent seules dans leur maison isolée, en pleine campagne, à l’orée de la forêt, après la mort de leurs parents et une catastrophe planétaire. La situation est  terrible :  plus d’électricité, plus d’approvisionnement, les gens meurent de faim, des épidémies se propagent, les villes se vident faute d’habitants, la pénurie d’essence empêche les déplacements, plus de téléphone, d’internet, de radios, de télévision; toutes les communications avec l’extérieur sont impossibles.  Les causes de la catastrophe sont assez floues, mais l’on sait que le monde est en guerre. Les deux jeunes filles vont devoir apprendre à survivre, d’abord avec l’illusion que tout va redevenir comme Avant, puis en sachant que la situation n’est pas réversible.

Le récit alterne entre plusieurs moments du passé, de leur enfance un peu marginale, avec des parents qui les font vivre dans la nature, à l’écart de la civilisation à laquelle elles aspirent, en rébellion contre ce genre de vie :  Eva est danseuse, Nell veut entrer à Harvard … au présent où il faut trouver le courage de continuer en abandonnant toute illusion. Le danger est partout, la mort, la famine, la maladie, le découragement, l’envie de suicide, l’ours qui rôde dans la forêt; mais de tous, le plus dangereux, c’est l’Homme. Rescapé de l'ancienne civilisation, il abuse de son pouvoir et symbolise le Mal.
Jean Hegland peint avec beaucoup de lucidité les rapports entre les deux soeurs, les alternances amour-répulsion, la désespérance, la peur. Les jeunes filles sont très dissemblables de caractère, de goût et il ne faut pas oublier qu’elles sont très jeunes et vulnérables : Dix sept, dix huit ans.

Séquoïa géant Yosemite Park source
La partie tournée vers le passé est intéressante mais c’est lorsque les personnages doivent affronter la réalité, après la catastrophe, que la lecture se révèle particulièrement passionnante. La nature devient alors mère nourricière, source de vie  et c’est avec exaltation que Nell et, par la suite Eva, découvre toutes ces richesses qu’elles ne soupçonnaient pas jusqu’alors.
Je reste très sceptique sur le dénouement proposé par l’auteure pour qui la survie ne viendrait que du retour à la vie primitive mais j’ai toujours aimé, depuis Robinson Crusoé, ces « robinsonnades », qui montrent l’humain capable de tirer sa subsistance de la terre, de la forêt, de l’eau et de son intelligence. Un retour à la nature assez exaltant, que proposaient aussi les romans de Giono. Le mythe du bon sauvage à la Rousseau est aussi revisité à travers les lectures de Nell qui découvre le destin de deux femmes amérindiennes chassées par les blancs et qui ont réussi à survivre dans la forêt.

Séquoïa tombé
 L’écrivaine parvient à donner une puissance poétique à cette thèse à travers la description du tronc creux du séquoia géant tombé à terre, véritable caverne des origines où vont se réfugier les personnages comme dans un utérus maternel. C’est évidemment un symbole fort de cet abandon de la civilisation et du retour à l’essentiel.
C’est très beau et j'en aime le symbolisme et la poésie !
Ceci dit dans un monde réel, je ne parie pas deux sous sur la survie de deux femmes et d’un bébé dans une souche d’arbre pendant un hiver entier ! Je comprends très bien la dénonciation de la technologie abrutissante qui nous envahit, nous rend dépendants, nous éloigne de l’essentiel. Pour le reste, la négation du progrès n’a jamais été mon fort ! Celui-ci n’est en lui-même ni bon, ni mauvais, c’est l’usage qu’en font les humains qui le déterminent.  Et Voilà ! retour à la case départ : Rabelais.

Il n'empêche que ce livre est bon, bien écrit, à la fois poétique et addictif  et que j'ai beaucoup aimé sa lecture.

Et je découvre dans Le Monde une critique de Dans la forêt illustrée par une photographie de Aurélia Frey ICI


Voir Aifelle ICI  ; Dominique ICI

jeudi 29 mars 2018

Andrus Kivirähk : L’homme qui savait la langue des serpents



L’homme qui savait la langue de serpents de l’écrivain estonien Andrus Kivirähk paru aux éditions Le Tripode,  est un livre assez étonnant pour ne pas dire délirant au niveau de l’imagination. Il a d’ailleurs reçu le prix de l’imaginaire 2014.
La quatrième de couverture nous annonce que le roman paru en 2007 nous ramène à l’époque médiévale en Estonie. Et c’est vrai, mais dans un moyen-âge totalement réinventé et fantastique.



Au Moyen-âge, en effet, les chevaliers-templiers d’origine germanique envahissent l’Estonie. C’est le début de la domination des nobles d’origine allemande qui soumettent les estoniens et les asservissent. Les moines qui les accompagnent, en convertissant le peuple au christianisme, finissent de leur ôter toute liberté. Mais c’est aussi d’un passé plus proche dont il est question.  Au cours du vingtième siècle, en effet, l’Estonie a subi des invasions successives qui ont placé le pays, tour à tour, sous le joug  des allemands et des russes, des nazis et des soviétiques. La langue des Estoniens, d’origine finno-ougrienne, est proche du finnois et du hongrois, les langues sames en font partie. Si elle est redevenue langue officielle depuis l’indépendance définitive de la République estonienne en 1991, 69% seulement de la population la parle, alors que 30% parle le russe.

Consciente que ce conte fantastique était une transposition de la réalité je me suis efforcée d’aller chercher ces renseignements sur l’histoire de L’Estonie pour mieux comprendre le roman avant de me rendre compte qu’une postface en expliquait toutes les subtilités et dévoilait son aspect pamphlétaire !

Partir d’un passé médiéval…


Le narrateur, Lemeet, qui est aussi le personnage principal du roman est le dernier des habitants de la forêt à parler la langue des serpents. C’est son oncle qui la lui a apprise quand il était encore un jeune enfant. Cette langue très difficile lui permet de se faire comprendre non seulement des serpents mais aussi des animaux qui viennent lui offrir leur vie quand il a besoin de se nourrir. Mais depuis que les « hommes de fer », ont envahi le pays, les habitants quittent la forêt pour adopter la vie des paysans et vivre au village. Les Estoniens, « peuple de la forêt » renient ainsi leurs origines et oublient leur langue. Le jeune garçon assiste au départ de son meilleur ami Pärtel, puis de tous ses voisins. Bientôt il reste seul dans la forêt avec sa mère, sa soeur ainsi qu’un autre couple fanatisé qui vénère les génies de la forêt. Ce sont les parents de Hiie, l’amie d’enfance de Leemet. Quant à Ulgas, le Sage, un vieillard à moitié fou, il décide de faire un sacrifice humain pour apaiser les divinités sylvestres. C’est ainsi que Leemett sauvera la jeune Hiie, proie toute désignée du Sage, et qu’ils découvriront tous les deux leur amour. Mais Leemett ne connaîtra jamais le bonheur. Il est le dernier d’un monde qui s’effondre autour de lui et qui est voué à disparaître.

En passant par le conte philosophique...



 Dans ce roman, Andrus Kivirähk met ainsi face à face les deux religions - païenne et chrétienne- pour en démontrer le fanatisme et l’obscurantisme communs, et, des deux côtés, les superstitions et les interdits qui maintiennent les peuples dans la crainte et l’obéissance. Il confronte aussi deux idéaux, débat philosophique toujours réitéré, en opposant le village qui symbolise le progrès, avec l’utilisation des outils, et la forêt qui introduit le mythe du bon sauvage en symbiose avec la nature. Mais Andrus Kivirähk se garde bien de prendre partie en idéalisant l’un ou l’autre, les hommes qui vivent au village ne sont pas meilleurs que ceux qui sont dans la forêt, et réciproquement, et la modernité à un triste corollaire qui est l’asservissement, la fin de la liberté.
L’écrivain fait le constat d’un échec mais ce n’est pas le passé qu’il déplore ou l’avènement de la modernité, c’est le sort de l’Estonie..
Le ton est souvent nostalgique, il devient de plus en plus pessimiste et même violent.  A travers les personnages qu’il imagine nous partageons la souffrance d’un peuple qui n’a jamais pu, pendant des siècles, disposé de lui-même et être libre.

Et rencontrer la fantaisie...
 
William Stout
  
Nostalgie, tristesse oui ! Mais pas seulement ! Car le roman, comme je l’annonçais au début de ce billet, faite preuve d’une fantaisie débridée que sous-tend une ironie constante. Les délires imaginatifs de l’auteur, pleins d’humour, lui permettent d’épingler  tout ce qu’il n’aime pas. Et il ne recule devant rien quand il laisse parler son imagination !
En effet, si l’enfance et l’adolescence de Leemett, son copain Pärtel, la petite Hiie, pourraient être, à priori, celles de tout enfant « normal » dans un  roman initiatique comme un autre, on voit rapidement qu’il se passe des choses étonnantes dans la forêt des anciens estoniens. Ainsi la soeur de Leemett tombe amoureuse d’un ours comme dans les contes traditionnels ! A cette époque cela arrivait souvent aux jeunes filles ! Comment résister à un bon Nounours plein de poils qui vous fait les yeux doux ! Et d’ailleurs, qui épouser d’autres quand tous les hommes s’en vont au village ? Et que dire de l'élevage de louves ? Il paraît que leur lait est très nourrissant. Si, si ! Et des deux anthropopithèques échappés au passé, qui deviennent les amis de Leemett et font collection de poux ? L’une de ces innocentes bestioles, par croisement, atteint la taille d’un chevreuil et il faut le promener en laisse car il a besoin d’activité. Je vous l’ai dit, c’est fou et même si tout ou presque est métaphorique, l’on ne peut que s’en amuser!

Denis Dubois
Et puis, il y a la langue des serpents qui renvoie à un temps bien plus éloigné, au temps de Il était une fois… merveilleux, fantastique, où les hommes et les animaux se comprenaient et où les serpents, en particulier, étaient nos amis. Enfin, il y a aussi le mystère de cette antique salamandre endormie au fond d’une cachette que le jeune enfant espère longtemps pouvoir réveiller pour aider les estoniens à chasser leurs ennemis. Mais l’on comprend bien qu’il ne peut en être ainsi puisque les miracles et les enchantements n’existent pas dans la réalité.

Ainsi le roman peut être lu à plusieurs niveaux, roman d’aventure, roman historique,  roman d’amour, conte fantastique ou philosophique. L'écrivain propose un regard sur le passé et sur le présent de son pays dans un style qui est tour à tour satirique et humoristique, triste ou burlesque, descriptif et poétique. Une belle découverte pour mon premier roman estonien !


Andrus Kivirähk est un écrivain estonien né en 1970 à Tallin. Véritable phénomène littéraire dans son pays, romancier et essayiste, il est l'auteur d'une oeuvre multiple dont la critique et un très large public raffolent. Andrus Kivirähk écrit des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, des contes, des essais et des scénarios de films d'animation pour enfants. 
Traducteur :  Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé d'histoire, Jean-Pierre Minaudier enseigne en classes préparatoires littéraires, à l'Inalco et à la Maison Basque de Paris. Il est l'auteur d'une histoire de la Colombie, d'une histoire de l'Estonie et de plusieurs traductions littéraires. 
Illustrateur première de couverture  : Denis Dubois fait des collages à la manière des surréalistes, à partir de gravures anciennes. L'oeuvre reproduite en couverture a été choisie en hommage aux animaux fabuleux qui surgissent dans L'Homme qui savait la langue des serpents.



jeudi 23 janvier 2020

Elias Lönnrot : Le kalevala : Les dieux (3)

Ekseli Gallen Kallela : La rivière de Tuoneli, le royaume de la Mort : l'embarquement  des âmes
 
 
Voilà le dernier billet consacré à l’épopée finlandaise de Elias Lonnrott, Le kalevala, écrit à partir d’une collecte de chants et de contes traditionnels remontant jusqu’au XIII siècle.
Il faut savoir qu’au XIII siècle, la Finlande est déjà christianisée, aussi les anciens dieux sont parfois très influencés par le christianisme et les distinctions entre paganisme et christianisme s’effacent ou se diluent quelquefois.

UKKO, le dieu des dieux


Ukko, qui signifie « vieillard » est le dieu suprême, le dieu du ciel, assimilable aux deux dieux scandinaves Odin et Thor et aussi dans la mythologie grecque à Zeus. Comme Odin, Ukko possède le pouvoir suprême, la sagesse et le savoir et il est aussi le dieu de la guerre et celui de l'orage. Comme Thor, Ukko tient un marteau nommé Unkonvasara qui le rend maître du tonnerre, de la foudre. Le symbole d’Ukko est un serpent-éclair qui figure l’éclair et la foudre. En finnois, le mot Ukkonen signifie « tonnerre » et ukolnima , « le temps d’Ukko », « l’orage ».
Quand les personnages du Kalevala s’adresse à Ukko, les prières et les mots employés rappellent la prière au Père de le religion chrétienne.
Unkonvasara
Le symbole d’Ukko est un serpent-éclair qui figure l’éclair et la foudre. En finnois, le mot Ukkonen signifie « tonnerre » et ukolnima , « le temps d’Ukko », veut dire « l’orage ». 
Symbole d'Ukko

Rauni ou Akka, l'épouse d'Ukko

Ukko est l’époux de Rauni ou Akka qui signifie vieille femme, « la petite mère de la terre ». Elle a donné aux humains la possibilité de lutter contre la malfaisance des gnomes de montagne. Si Akka et Ukko s'unissent l'orage se déclenche ! Le passage du char de Ukko dans le ciel provoque le tonnerre.
Quand les personnages du Kalevala s’adresse à Ukko, les prières et les mots employés rappellent la prière au Père de le religion chrétienne.

Lemminkaïnen s'adresse à Ukko
Prière de Lemminkainen à Ukko p158

Je m’adresserai bien plus haut,
Au puissant Ukko dans le ciel,
Qui gouverne sur les nuages,
Maître souverain des nuées.

O puissant Ukko, dieu suprême,
Père céleste et secourable,
Qui parles à travers les nues,
Qui lances les mots dans l’espace,
Donne-moi ton glaive de feu
Placé dans un fourreau de feu,
Pour disperser tous les obstacles,
 Pour écarter les maléfices.

ILMATAR

Ilmatar Robert Wilheem Erkman
 Nous avons déjà parlé d'Ilmatar ou Luonnotar, déesse de l'air et des ondes, qui a créé la terre à partir d'oeufs de canard, Voir ICI
 

TAPIO


 Voilà comme l'artiste finlandaise Eva Ryynänen l'a représenté au musée de la nature près de Savonlinna : 
Tapio représenté par l'artiste finlandaise Eva Ryynänen
Tapio, le dieu finnois de la nature, le dieu des forêts et des arbres.  C'est est l'un des dieux les plus importants pour un pays aussi boisé que la Finlande. Les divinités et les esprits des forêts sont d'ailleurs les plus nombreuses du folklore finlandais. Tapio est souvent représenté à moitié humain, à moitié arbre,  avec des sourcils de mousse et une barbe de lichens. Les chasseurs s’adressent à lui pour qu’il favorise leur chasse.

Tapio  prière de Lemminkainen p173

Je quitte les gens pour les bois
Vais seul aux travaux en plein air
Par les domaines de Tapio (…)

Forêt montre-toi bienveillante,
Eternel Tapio, sois propice,
Conduis-moi dans l’ilôt boisé,
Mène- moi sur une colline
Où je trouverai du gibier
Où je lancerai quelque proie !

Mikkieli, épouse de Tapio

Voir Ici
Son épouse (ou parfois sa bru)  est la belle Mikkieli, déesse de la forêt, dont le vieux nom finnois Mielu signifie chance. Elle a présidé à la naissance de l’ours, animal sacré en Finlande, roi de la forêt. Otso est l’esprit de l’ours. Elle protège le bétail, aide les bêtes sauvages traquées par les hommes. C'est elle qui permet la cueillette et le pâturage du bétail. Guérisseuse, elle soigne les animaux et, avec les plantes médicinales, elle guérit aussi les humains qui la respectent et veillent à se concilier ses bonnes grâces.
Dans Le Kalevala, le héros Lemminkaïnen lui adresse des prières ainsi qu’à Tapio et lui offre de de l'or et de l'argent pour capturer l'élan d’Hiisi, animal maléfique du folklore finnois. Dans un autre passage, Mielikki est priée de protéger le bétail qui paît dans la forêt. Elle reçoit également les prières de ceux qui chassent le petit gibier et de ceux qui cueillent des champignons et des baies.

Prière de Lemminkaïnen

Mielikki, patronne des bois,
Pure femme, charmant visage,
Laisse ton argent se répandre
Au-devant de l’homme qui cherche,
 sous les pas de ton suppliant !

Nyyriki , le fils de Tapio

Diaporama Philippe Arthos
Tapio et Mikkieli ont pour enfants leur fils Nyyriki , dieu de la forêt, de la  chasse et du bétail.

P 462
Nyyriki, bon fils de Tapio,
Enfant des bois, beau manteau bleu,
Prends la base des beaux sapins,
La couronne des pins touffus,
Pour faire un pont sur les bourbiers
Pour amender les mauvais lieux…

Nyyrikki, fils de Tapio
Noble héros au bonnet rouge,
Trace des marques sur le sol,
Taille des signes sur les rocs
Pour conduite l’homme stupide,
Montrer la voie à l’ignorant,
Tandis qu’il cherche le gibier,
Qu’il pourchasse le cher butin !

Tuuliki, Pihlajatar, Tellervo, les filles de Tapio

voir ici
Leurs filles, déesse des forêts, de la végétation  sont Tuuliki, Pihlajatar, Tellervo

Prière de la femme de Ilmataren
P 456

Tellervo, fille de Tapio,
Vierge aux joues rondes des forêts,
Beau tablier, fine chemise,
Superbe chevelure d’or,
Toi qui protèges les troupeaux,
Qui garde le bétail des fermes
Dans le propice Matsola,
Dans le vigilant Tapiola

O Suvetar, femme excellente,
Etelätär, belle nature,
Hongatar, bénévole hôtesse,
Katjar, superbe vierge,
Pihlajatar, fille de Tapio,
Mielikki, bru de la forêt,
Tellervo vierge de Tapio,
protégez toutes mon troupeau.

Suvetar  la déesse du printemps (Gjallarhorn-Suvetar with english lyrics)

Etelätär, personnification du vent invoquée par  les vétérinaires pour soigner les chevaux.

Hongatar est la nymphe du pin, Katjar (Katajatar) celle du genévrier, Pihlajatar la nymphe du sorbier, Lemmes celle de l'aune, et Remunen du houblon.

Pellervo  ou Pekko (ou Sampsa Pellervoinen) est le dieu des champs, des graines et des moissons

 Melhiainen est l'abeille. La mère de Lemminkainen envoie Melhiainen chercher du miel pour faire revenir son fils à la vie. Elle a reconstitué le corps de son fils en le cherchant dans le fleuve noir de Tuonela où ses morceaux avaient été dispersés après avoir été assassiné.

p196 prière de la mère
Melhiainen, mon cher oiseau,
 Reine des fleurs et de la forêt,
Pars maintenant chercher du miel,
Va recueillir de l’hydromel 
Dans le propice Metsola,
Au fond de l’exact Tapiola,
 dans le calice des fleurettes. 

 A ces divinités étaient opposés des esprits malicieux, fourbes et méchants : Lempo  le dieu du mal  associé à Hiisi  ou Paha . Il commande les démons de la forêt. Il est aussi singulièrement l'ancien dieu de l'amour comme si l'amour et la haine étaient les deux facettes d'un même sentiment. En lapon Sieita, est aussi appelé Paha (le Malin) et Juutas (Judas), Piru , Perkele ...



Chant ôde à la terre mère suèdois - Gjallarhorn-Suvetar

TUONI

Tuonela : Tuoni et Tuonatar, deux de leurs filles

Tuoni est le dieu de la mort et des enfers. Son domaine est Tuonela, le sombre pays d'où l'on ne peut revenir vivant à part le héros Vaïnomömoinen. Les âmes partent sur la noire rivière de Tuonela pour gagner le séjour des morts, dans l'abîme de Manola.

Louhi,  patronne de Pohja ( P 183),  dit à Lamminkaïnen qui veut obtenir la main de sa fille :

Je ne te donnerai ma fille,
La belle jeune fiancée,
Que si tu peux tuer le cygne,
du noir rapide de Tuoni,
Des flots du tourbillon sacré,
En l’abattant du premier coup,
En ne décochant qu’une flèche.

Tuonetar, l'épouse de Tuoni


Tuonetar, la bonne patronne, femme de Tuoni, accueille les morts à Tuonela. Dans Le kalevala, elle offre à Vaïnämöinen qui s'est introduit vivant à Tuonela,  un gobelet d’or rempli de poison, de serpents et de grenouilles pour le tuer. Mais celui-ci déjoue la ruse et s'échappe en usant ses pouvoirs de métamorphe et en se tranformant en loutre. C'est ainsi qu'il parvient à échapper au filet qui obstruait l'issue de la rivière hors des enfers.

Tuoni et Tuonetar ont pour filles les divinités de la souffrance et de la Maladie comme Kalma, Vammatar, Kivutar, Kippu-Tyttö, ou Loviatar, "la plus méprisable des filles de Tuoni" qui était aveugle.

Kipu-tyttö, l'une des filles de Tuoni

Kipu-tyttö , déesse de la souffrance,, Kipu-tyttö, Laura Rantanen
Kipu-tyttö dont le nom se  traduit par « petite fille de la douleur » est la divinité de la maladie dans son degré terminal. Elle est d'une apparence terrifiante, son visage est sombre, rongé par la variole et son corps est légèrement déformé. Comme sa sœur Lovatiar elle est mère de neuf enfants, qui ont des noms aussi évocateurs que le cancer, la goutte, les ulcères, le chancre et la gale.

Kalma , une des filles de Tuoni  et Surma

Surma
 Kalma est la déesse de la mort, des chairs corrompues, de la pourriture. Son nom veut dire : "la puanteur des cadavres"! Elle a donné son nom au mot finnois kalmisto qui signifie cimetière.
Kalma vit à Tuonela et son antre est gardé par  Surma.  Celui-ci est décrit comme un chien énorme avec une queue de serpent et son regard est pétrifiant. Surma signifie "mort" et il est usité quand il s'agit d'un personne morte assassinée et non de mort naturelle.

 Loviatar, la plus méprisable des filles de Toni

Akseli Gallen Kallela : Loviatar filant sur la montagne
Chez Tuoni vivait une aveugle,
Loviatar, la vieille mégère,
La pire fille de Tuoni,
La plus méchante Manatar,
L’origine de tous les maux,
La cause de mille fléaux;
Elle avait la figure noire
Son teint était très repoussant.

P593 Loviatar
Elle mit au monde neuf fils,
Elle baptisa ses enfants,
Prépara sa progéniture
L’un fut appelé Pleurésie
L’autre se vit nommer Colique,
L’un reçut le prénom de Goutte,
l’autre fut nommé rachitisme,
 L’un fut désigné comme ulcère,
L’autre s’appela Cicatrice;
L’un fut affublé du nom gale,
l’autre répondit au mot peste

ou encore selon les versions : Loviatar donna naissance à neuf enfants : Pistos (phtisie), Ahky (coliques), Luuvalo (goutte), Riisi (rachitisme), Paise (ulcère), Rupi (gale), Syöjä (cancer), Rutto (peste) et un neuvième, une fille, qui n'est pas nommée mais qui était la pire.

Louhi la patronne de Pojhala, qui veut se venger des héros qui lui ont volé le Sampo, envoie les enfants de Loviatar  sur le Kalevala. Mais Vaïnämöinen parvient à les vaincre tous.

AHTI ou ATHO

Athi ou Atho, le dieu de l'eau
Athi est le Dieu de l'eau, de la mer, des rivières et des lacs.  Il vit dans une sombre  et humide caverne ouverte dans une falaise, frappée par les vagues, entourée de nuages. Il est jaloux du dieu du ciel car il pense que son pouvoir n'est pas assez apprécié des humains et qu'il n'obtient pas assez de prières. Mais il n'essaie pas de se rendre plus populaire et emploie toutes sortes de mauvais esprits malfaisants, envoie des tempêtes, crée des tourbillons.

Vellamo ou Wellamo, épouse de Ahti 

Vellamo est la déesse de l'eau, de la mer et des lacs. Son nom vient du mot finnois « velloa », qui signifie « mouvement de l'eau et des vagues ». Elle est belle et grande, porte une robe bleu vert faite de mousse de la mer.  Elle sait contrôler les vents, apaiser les tempêtes. C'est pourquoi, elle est très respectée par les pêcheurs qui la prient pour qu'elle protège leur navire et leur donne une bonne pêche. Elle est aussi la maîtresse de vaches magiques qui vivent sous l'eau et paissent dans des prairies sous-marines.


Il y a encore beaucoup de dieux et de déesses dans la mythologie finnoise et dans Le Kalevala mais je m'en tiendrai là, à ceux que j'ai remarqués pendant ma lecture de l'illustre épopée finlandaise.

VOIR :

jeudi 23 mars 2017

Edith Södergran : Le pays qui n'est pas et Poèmes (2)

Edith Södergran

Lorsque j’ai ouvert le recueil de Edith Södergran, Le pays qui n’est pas et Poèmes, j’ai eu un coup de coeur pour cette poésie à la fois lyrique et sobre, pleine d’émotions contenues, attentive à la beauté des choses, où les images créent des passages entre le paysage extérieur et intérieur. La voix pure de cette jeune femme résonne longtemps après la lecture et laisse un sentiment de nostalgie et de tristesse sereine.


Edith Södergran (1892_1923) est une poétesse finlandaise de langue suédoise. Elle est née à Saint Pétersbourg en 1892 et  a passé la majeure partie de sa vie en Carélie.  Si ses poésies eurent peu de succès durant sa vie, elle est maintenant l’auteure la plus connue, la plus aimée en Finlande et occupe une place primordiale dans la littérature scandinave.. Et pourtant elle n’a écrit que quatre minces recueils de poésies car elle est morte très jeune, à l’âge de 31 ans. En effet, elle est atteinte de la tuberculose dès l’âge de dix-sept ans, en 1909.
Dès lors sa vie n’est qu’un long combat contre la maladie alors même qu’elle a conscience de la vanité de ses efforts, alors qu’elle se sait condamnée après avoir vu mourir son père du même mal.

Je ne suis qu’une immense volonté,
une immense volonté de quoi, de quoi?
Autour de moi tout est ténèbres,
je ne peux soulever un fétu de paille. (Ma vie, ma mort et mon destin)


Dans sa poésie, la mort est une figure familière qu'elle cherche à apprivoiser. Tous ses poèmes sont des exorcismes contre la mort.

La vie ressemble surtout à sa soeur, la mort.
La mort n’est pas différente,
tu peux la caresser, tenir sa main, lissez ses cheveux,
elle te tendra une fleur et sourira.

Tu peux enfouir ton visage dans son sein
tu l’entendras dire : il est temps de partir.
Elle ne dira pas qu’elle est une autre.
La mort ne repose pas, glauque, visage contre terre
ou sur le dos, porté par une civière blanche:
la mort circule le rose aux joues, parlant à tout venant.
La mort a les traits tendres et les joues amènes,
elle pose sa douce main sur ton coeur.
Qui a senti sur son coeur cette main si douce,
le soleil ne le réchauffe plus,
il est froid comme la glace et n’aime personne. (La soeur de la vie)



Edith Södergran

 Mais Edith Södergran est écartelée entre cette omniprésence de la mort et son désir de vivre. Plus que tout, elle souffre à l’idée de ne pas connaître l’amour et exprime ce besoin d’aimer et d’être aimée :

Vers le soir la journée fraîchit…
Bois la chaleur de ma main,
ma main a même sang que le printemps.
Saisis ma main, saisis mon bras blanc,
saisis le désir de mes minces épaules
Comme il serait étrange de sentir
une nuit, une seule, un nuit pareille
ta lourde tête sur mon sein. (La journée fraîchit)


J’ai une porte pour chacun des quatre vents.
Une porte d’or vers l’est - pour l’amour qui jamais n’arrive,
une porte pour le jour, une autre pour la mélancolie,
une porte pour la mort - elle reste toujours ouverte. (Aux quatre vents)


Elle sent parfois l’appel de la vie, de l’inconnu, la soif de connaître d’autres horizons

Toi qui n’a jamais quitté ton petit jardin
n’es-tu jamais restée tendue, derrière la grille
à regarder comment sur des sentiers rêveurs
le soir se dilue dans le bleu? (Toi, qui n’a jamais quitté ton jardin)


Mais parfois la mort lui paraît être une libération, un but à atteindre :

Je languis après le pays qui n’est pas
car tout ce qui est, je suis lasse de le vouloir.
En runes d’argent, la lune
me parle du pays qui n’est pas,
le pays où chacun de nos souhaits
 se trouve miraculeusement exaucé,
le pays où tombent nos chaînes,
le pays où nous venons, dans la rosée de la lune,
rafraîchir notre front meurtri.
Ma vie fut une brûlante illusion.
Mais il est une chose que j’ai découverte,
une chose que j’ai vraiment conquise-
le chemin du pays qui n’est pas. (…) (Le pays qui n’est pas)

 
La Carélie

La maladie l’isole de tous, s’y ajoutent de graves difficultés financières qu’elle affronte avec sa mère. 
Elle se tourne alors vers la nature, et,  elle, « la fille lumière de la forêt » entre en communion avec les arbres et l’eau de sa Carélie natale, le ciel et les étoiles.

Je serai un arbre solitaire dans la plaine,
les arbres de la forêt étouffent d’un désir de tempêtes,
je serai saine de pied en cap, des filets dorés dans mon sang,
je serai innocente et pure pareille à une flamme dévorante; (…)(Désir de couleurs)


En automne les journées sont transparentes
et peintes sur le fond d’or de la forêt.
en automne les journées sourient au monde.
Il fait si bon de s’endormir sans rien souhaiter
rassasiée de fleurs et lissée de verdure (…) (Journées d’automne)


Maintenant, je tourne le dos à ce que j’ai vécu :
mes seuls compagnons seront la forêt, le rivage et le lac.
Maintenant je puise la sagesse dans la sève du pin,
maintenant je puise la vérité dans le tronc desséché du bouleau,
maintenant je puise la force dans le brin d’herbe le plus tendre;
un puissant seigneur daigne me tendre la main. (…) (Retour)


Les rêves de cette jeune femme sont si simples et pourtant irréalisables. Elle qui se sait « la dernière fleur de l’automne », elle désire pourtant peu de choses :

Dans tout ce monde ensoleillé
je n’ai qu’un souhait : un banc dans un jardin
où un chat se chauffe au soleil…
Je resterai assise, là,
une lettre glissée dans mon corsage.
une toute petite lettre.
Voilà mon rêve (Un souhait)


Mais nul mieux qu’Edith Sodergran ne sait la fragilité des rêves  :

"Ne t'approche pas trop de tes rêves
Ils sont fumées qui peuvent se disperser".


 J'aime tellement ces vers que j'aurais voulu pouvoir citer le recueil intégralement ! Mais je vous invite, si vous avez aimé vous aussi, à le lire entièrement car il recèle encore de nombreux trésors.





mardi 8 novembre 2022

Alvydas Slepikas : A l’ombre des loups

 


A l’ombre des loups de l’écrivain lituanien Alvydas Slepikas raconte l’occupation de la Prusse-orientale, limitrophe de la Lituanie, par les troupes soviétiques à la fin de la seconde guerre mondiale en 1946.

Alvydas Slepikas y décrit le terrible sort de la population allemande traitée impitoyablement par les vainqueurs dans un pays détruit par la guerre, une population chassée des maisons, obligée de vivre dans des granges, en proie aux violences des soldats russes, au froid hivernal, et surtout à la famine. La faim règne, réduisant des familles entières au désespoir. La mort est partout. Certains cèdent au découragement et à la souffrance en se jetant volontairement dans le Niemen glacé, d’autres continuent à lutter pour la survie, récoltant les pelures de pommes de terre jetées par l’armée, mangeant à même l’arbre les bourgeons gelés et l’écorce. Les enfants partent, cherchent à gagner la Lituanie pour trouver de la nourriture, mendient, travaillent dans les fermes si l’on veut bien d’eux, subissent le froid, la peur, se perdent dans les forêts profondes. Ce sont ces enfants que l’on a appelés les enfants-loups. Si certains ont été rejetés ou exploités, d’autres n’ont dû leur survie qu’à la générosité de lituaniens comme Antanas et Stasé déportés en Sibérie par le pouvoir soviétique pour avoir recueilli une petite fille allemande.

C’est à travers la vie de la famille Schukat, qu’Alvydas Slepikas nous fait vivre cet épisode ignoré de l’Histoire. Eva dont le mari parti à la guerre ne donne plus de nouvelles essaie de maintenir la cohésion de sa famille et sa survie avec l’aide de Tante Lotte et de son amie Marta. Son fils aîné Heinz est déjà revenu de Lituanie avec de vivres qui les a sauvés une fois. Il repart.
La solidarité, l’amour, la conscience de son identité, la dignité doivent servir de ciment solide entre les membres de la famille pour passer le cap.

Eva demande aux plus jeunes de ses enfants d’être attentifs, d’être capables de se souvenir d’où ils viennent et de qui ils sont.
Elle leur dit : «  Où que vous finissiez, même si je ne suis plus avec vous, - souvenez-vous. » Et les enfants comprennent qu’il est très important de se souvenir qui ils sont et et d’où l’on vient.

 « Répète-le ma douce, répète-le et souviens-toi bien
- Je m’appelle Monika Schukat, née à Gumbinnen le 9 mars 1936, fille d’Eva et de Rudolph.
- N’oublie pas les prénoms de tes frères et soeurs.
- Je suis la fille d’Eva et de Rudolph. J’ai deux frères. Mon petit frère s’appelle Helmut et mon grand frère Heinz. J’ai deux soeurs, Brigitte et Renate.
- Quelle est ta nationalité ?
- Je suis allemande.

 Mais peu à peu, la faim, le froid, le temps ont raison de la solidarité et des liens familiaux et sapent ce qu’il y a d’humain en eux : les enfants, Brigitte l’aînée des filles, Monika, Renate, Helmut, se dispersent, les uns amenés avec les adultes par les troupes russes pour des travaux forcés, les autres tentent l’aventure lituanienne. Dès lors le destin de chacun se joue séparément et l’écrivain va suivre plus longuement celui de Renate qui a sept ans en 1946. Mais que deviennent les autres ? La relation de la vie de Brigitte s’arrête lorsqu’elle se retrouve dans un wagon en partance pour la Lituanie, toute seule avec des soldats russes; celle de Heinz, seul, dans le village où il est revenu pour trouver la maison vide. Comment Eva, Tante Lotte et les petits ont-ils pu survivre dans les tranchées qu’on les oblige à combler?  On imagine la dureté des conditions de travail et de vie.

Je dois dire que je me suis d’abord sentie frustrée d’être laissée dans l’ignorance. A ce propos, je cite la conclusion du billet d' Ingammic que vous pourrez lire ICI

« Un sujet très intéressant et un texte frappant, donc. Je dois toutefois mentionner être restée sur ma faim : dans sa deuxième moitié, l’intrigue prend plusieurs directions que l’auteur ne mène pas à leur terme. Cela m’a laissé, une fois la dernière page refermée, une impression de roman "tronqué ». »

Oui, que deviennent-ils? Je me suis demandée comme Ingammic si c’était une maladresse de la part de l’auteur ? Par la suite, je me suis dit que non. C’est quelqu’un qui possède une évidente maîtrise de la construction narrative. Tant d’enfants ont péri pendant cette période, morts de froid ou de faim dans la forêt où ils se réfugiaient, victimes de coups, de viols, de sévices, jetés dans un fossé, effacés, sans laisser de traces. Ainsi ceux-là disparaissent sous la plume de l’écrivain, rejoignant la liste des oubliés. Le livre est à la fois fiction et réalité et dans la réalité on ne sait pas qui survivra parmi eux. 

Alvydas Stepikas qui est scénariste a d’abord voulu tourner un film sur les enfants-loups mais il n’a pas eu le financement. Sa rencontre avec une vieille dame, Renate, qui a vécu dans la forêt, a relancé son projet. Il a décidé d’écrire au lieu de tourner. Le style, parfois très cinématographique, comme celui d’un synopsis, avec des phrases courtes, des verbes au présent, est extrêmement visuel, percutant, et peint la violence de la tragédie vécue par la population. Quant aux descriptions, elles rendent bien l’impression d’un monde sombre, en noir et blanc, éclaboussé de rouge. Elles convoquent le conte traditionnel, mi-onirique, mi-cauchemar, Hansel et Gretel, petits enfants perdus dans la forêt, en passe d’être dévorés par la sorcière, dans un monde où les hommes font plus peur que les loups. L’ombre des loups :  un très bon roman !


lundi 2 octobre 2017

Hans Christian Andersen : Les contes

Symbole de Copenhague : La petite sirène (source)

Pour cette Lecture commune du challenge Littérature nordique de Margotte, Hans Christian Andersen est à l’honneur avec ces contes qui, disait-il, ne s’adressent pas qu’aux enfants.
C’est dans la sélection réalisée par Garnier Flammarion que je vous présente ces textes choisis parmi les plus célèbres. Il y en a douze dans cette édition mais l’auteur en a écrit 136 en tout si bien que j’en connais fort peu finalement. Une vingtaine peut-être ? De même les romans d’Andersen sont peu lus en France bien que traduits dans notre langue et j’espère que le beau Challenge nordique de Margotte va nous permettre de combler ces lacunes.

Le petite Poucette

Quant à moi, j’avais déjà une prédilection pour les contes d’Andersen quand j’étais enfant, de La petite sirène, cette histoire d’amour triste et idéalisée, au Vilain petit canard, récit autobiographique de l’auteur, dont je trouvais la fin si consolante lorsqu’il devenait un beau cygne. Et puis, il y avait la quête onirique et poétique de la courageuse petite Gerda pour arracher Kay au baiser mortel de la Reine des neiges… Voilà pour les trois contes que je préférais. Mais j’aimais aussi beaucoup La petite fille aux allumettes dont j’ai appris, plus tard, qu’elle était un hommage d’Andersen à sa grand-mère, petite fille pauvre qui souffrait de la faim dans les rues de la grande ville, et La petite Poucette dont les épreuves finissent lorsqu’elle devient la reine des fleurs.
Enfin, je viens de lire pour la première fois pour ce challenge La Vierge des glaciers qui entre désormais dans mes coups de coeur. Ce sont les oeuvres dont je vais parler ici.

 Je laisserai de côté les autres textes car si La princesse au petit pois m’amusait, j’appréciais moins Le Briquet, La Malle volante, tirés des Mille et une nuits et les Habits de l’Empereur qui sont d’une autre veine..

La poésie du Grand Nord 

 

La reine des neiges illustration  Elena Ringo

C’est assez facile pour moi de répondre à la question :  pourquoi j’aimais tant ces contes quand j’étais enfant ? Oui, pourquoi ? J'éprouve toujours les mêmes impressions en les relisant adulte et je peux maintenant les analyser.

Dans tous mes contes préférés, je suis sensible à la poésie de l’écriture. La nature joue un si grand rôle qu’elle fait partie du récit, non seulement en lui servant de cadre mais aussi en le façonnant, en agissant sur le cours des évènements. Elle porte souvent le sens du texte.
C’est une poésie venue du Nord, faite de neige et de glace, de grands forêts et d’étendues d’eau gelée. La description du froid, de la glace et de la neige est à la fois réaliste mais aussi transfigurée, magnifiée, et se révèle symboliste comme celles des tableaux de Gustav Faejstad, peintre suédois.

Gustav Faejstad

Andersen choisit parfois de peindre le monde vue du haut, de très loin, et la vision prend une dimension cosmique : 

Ils passèrent par dessus les bois, les lacs, la mer et les continents. Il entendirent au-dessus d’eux hurler les loups, souffler les ouragans, rouler les avalanches. Au-dessus volaient les corneilles aux cris discordants. Mais plus loin brillait la lune dans sa splendide clarté. Kay admirait les beautés de la  longue nuit d’hiver. Le jour venu, il s’endormit aux pieds de la Reine des neiges.  La Reine des neiges

ou bien il décrit les choses comme vues au microscope et tout devient d’une irréelle et magique beauté.

Près de la forêt se trouvait un  grand champ de blé, mais on n’y voyait que le chaume hérissant la terre gelée. Ce fut pour la pauvre petite comme une nouvelle forêt à parcourir.  La petite Poucette

Les flocons tombaient de plus en plus drus; ils devenaient des poules blanches aux plumes hérissées.  La Reine des neiges

La neige resplendissait sous les regards; elle faisait étinceler des milliers de diamants aux reflets blancs et bleus. La Vierge des glaciers

Et oui, l’univers d’Andersen est d’une grande beauté et parle à l’imagination mais il se révèle impitoyable aux hommes. La Nature leur rappelle leur fragilité, leur petitesse et souvent leur outrecuidance quand ils osent la défier. C’est particulièrement vrai dans La Vierge des glaciers où tous les éléments de la nature, l’eau du lac, le vent de la montagne, le terrible Foehn, les avalanches, la glace, la neige sont autant de pièges tendus à l’homme.

Les Forces de la nature : des êtres immatériels

 

La petite sirène et la sorcière

Les Forces de la nature sont à l’oeuvre dans les contes d’Andersen sous forme d’entités féériques. Qu’elles représentent le Mal ou le Bien, elles sont le reflet de l’imagination du conteur nourri de contes mais aussi de sa foi dans l’au-delà et l’âme immortelle.

Les plus puissantes, les plus terrifiantes de ces incarnations de la Nature mais aussi les plus belles sont celles du froid  : la Reine des neiges et la Vierge des glaciers. Il est vain, semble-t-il de vouloir les défier, encore plus de croire leur échapper.

Dans l’intérieur du glacier, il y a des cavernes immenses, des crevasses qui pénètrent jusqu’au coeur des Alpes. C’est un merveilleux palais. Là, demeure la Vierge des glaciers, reine de ce sombre domaine. Elle se plaît à détruire, à écraser, à broyer.

Tout d’un coup le traîneau tourna de côté et s’arrêta. La personne qui le conduisait se leva : ces épaisses fourrures qui la couvraient étaient toutes de neige d’une blancheur éclatante. Cette personne était une très grande dame : c’était la Reine des Neiges.

Toutes deux sont très séduisantes et il est difficile de leur résister. Le petit Kay qui reçoit les baisers de la Reine n’est pas de taille à lutter :
Le baiser était plus froid que la glace et lui pénétra le coeur déjà à moitié glacé.

Quant à Rudy, le montagnard de La Vierge des glaciers, chasseur de chamois, capable d’escalader les pics les plus hauts, insensible au vertige et à la peur, il est capable de lui tenir tête à plusieurs reprises. Il est prêt à succomber  lorsqu’elle cherche à le séduire :

Elle était fraîche et blanche, comme la neige qui vient de tomber du ciel; elle était gracieuse comme un bouquet de roses des Alpes, svelte et légère comme un jeune chamois.

Mais il ne sera vaincu finalement que par un force supérieure, Dieu, qui se sert de la Vierge pour servir ses desseins.

Dans La petite sirène, les forces du Mal sont incarnées par la sirène sorcière qui la pousse au crime.

Mais il y a aussi des esprits légers, joyeux ou compatissants, qui aident et encouragent et permettent aux héros de surmonter leurs épreuves :

Les filles de l’air de la petite sirène, les filles du soleil qui veillent sur Rudy et Babette, le génie des fleurs qui accueille Poucette dans son royaume, les petit anges nés de la vapeur qui sort de la bouche de Gerda et se transforment en guerriers pour lutter contre la Reine des neiges.

Fantastique et réalisme

 

La petite Gerda, la petite brigande et le renne

Hans Christian Andersen est un écrivain romantique, il aime le conte fantastique, le merveilleux. Mais contrairement à la plupart des romantiques français, son style n’est ni grandiloquent, ni lyrique. Au contraire il aime les phases courtes et sobres. Sous la simplicité apparente, sous l’élégance de la phrase se cache pourtant un art savant. Ce qui fait le charme et l’originalité de son écriture, c’est le mélange entre le fantastique et le réalisme des décors.
On sait que Hans Christian Andersen qui était un grand voyageur s’est rendu célèbre pour ses récits de voyage. Or, il place l’histoire de La Vierge des glaciers dans les Alpes suisses. Les lieux sont décrits avec une grande précision. Nul doute que c’est un pays qu’il connaît bien puisque de 1850 à 1860 il se rend presque chaque année en Suisse ou en Allemagne. Et pourtant les sortilèges de la Vierge des glaciers parent ces montagnes d’une aura fantastique.


La Vierge des glaciers et ses sortilèges

Dans La Reine des neiges l’auteur nous amène jusqu’au coeur du Finnmark chez les finlandais et les lapons et si le renne est un personnage magique, il appartient malgré tout à la réalité économique du pays. De même le vilain petit canard se meut dans un paysage  nordique réel, (le Danemark peut-être ? ) et  la scène avec les enfants dans la cabane des paysans  quand il renverse le lait et se réfugie dans la baratte pourrait figurer dans une scène de la vie quotidienne. Ainsi coexistent le réel et l’imaginaire. Andersen va encore plus loin lorsqu’il utilise les objets, les plantes, les animaux familiers de la ferme ou du ciel, en les faisant parler et en les dotant de pouvoirs magiques. Le chat de Rudy lui enseigne à ne jamais avoir peur du vide; le hanneton, l’hirondelle, le crapaud, la taupe jouent un grand rôle dans la vie de Poucette, les fleurs racontent leur histoire à la petite Gerda…



Le sens des contes

 

L'amour sincère de Gerda et Kay illustration de Arthur Rackam
Quand j’étais enfant, ce que je voulais, bien sûr, c’est que les contes d’Andersen "finissent bien". C'était le cas avec Le vilain petit canard,  la Reine des neiges, la petite Poucette. Par contre, La Petite sirène, la petite fille aux allumettes "finissaient mal" et je ressentais violemment la tristesse et la mélancolie qui s’en dégageaient. J’aurais pensé la même chose de La Vierge des glaciers si je l’avais lu alors. Il y avait les contes joyeux et les contes tristes mais je les aimais tous.
A présent je me rends compte que  les réponses de Christian Andersen sont de deux sortes, l’une laïque, l’autre spirituelle mais toutes sont positives à ses yeux.

 Une réponse laïque :

Ainsi La Reine des neiges propose un dénouement heureux possible grâce à l’amour et au dévouement de la petite Gerda et à la solidarité des personnages qui lui viennent en aide. L’amour, la pureté, la sincérité des sentiments sont donc la réponse possible au Mal, encore que Gerda ait bien besoin de temps en temps d'un coup de pouce de Dieu.
Dans Le vilain petit canard, c’est l’endurance et le courage du petit canard qui rendent possible sa transformation en cygne. Ce conte initiatique sur la différence et le rejet dit aux enfants qu’il faut savoir affronter les chagrins et les difficultés de la vie et qu’ils en obtiendront un jour une récompense. Poucette, elle, est récompensée des soins qu’elle a prodiguées à l’hirondelle. Telle Perséphone enlevée à sa mère, sommée d’épouser la Taupe, créature souterraine de la nuit, elle se retrouve, après avoir séjourné aux Enfers, sur la terre, au printemps, au milieu des fleurs. 

Une réponse spirituelle

La petite sirène, La Vierge des glaciers et La petite fille aux allumettes se terminent par la mort du personnage. Et pourtant ces textes pour le religieux Andersen, fort dans sa foi en Dieu et dans sa croyance en une vie après la mort, se révèlent pleins d'espoir.
La petite sirène meurt après avoir renoncé, pour se sauver, à tuer son bien-aimé, le prince. C’est un acte d’amour. Sa récompense n’est pas sur terre mais dans les cieux. C’est pourquoi les filles de l’air viennent la chercher pour l’amener avec elles. Elle gagnera ainsi une âme immortelle, à la différence des sirènes qui n’en ont pas ! Il en est de même de la petite fille aux allumettes qui voit, avant de mourir, toutes sortes de visions merveilleuses dont celle de sa grand-mère qui vient la chercher. Promesse d’un autre monde où règne la paix et la douceur.
Mais la foi de l’auteur et l’espoir d’une autre vie sont encore plus explicitement formulés dans le conte de La Vierge :

N’est-ce pas un bonheur que de passer ainsi de l’amour sur terre aux pures joies du ciel, comme d’un seule bond ? Le baiser glacé de la mort avait anéanti une enveloppe périssable: un être immortel en sortit, prêt à la vie véritable qui l’attendait. La dissonance de la mort se résolvait en une harmonie céleste.
Appelez-vous cela une histoire triste ?

Pour tout vous dire, ma réponse est oui ! oui, c’est un histoire triste ! En bonne athée, j’ai peu changé depuis l’enfance ! Mais je suppose qu’un croyant doit avoir une autre opinion ! C’est le cas d’Andersen !

Voilà! Je finis sur ces mots !  Je ne voulais écrire que quelques lignes sur ces contes mais ils sont tellement envoûtants que je me suis laissée entraîner. Ma lecture d’adulte rejoint celle de mon enfance. On peut aimer les contes d’Andersen à n’importe quel âge, quelle que soit l’époque. Ils sont des  chefs d’oeuvre de la littérature universelle.