Je lis le dictionnaire amoureux de Montaigne d'André Comte-Sponville. De temps en temps je viendrai ici, dans Ma Librairie dédiée à Montaigne, pour noter remarques et citations qui ont retenu mon attention.
Après avoir expliqué son amour pour Montaigne, "un humain exceptionnel", "esprit libre", que "l'on aime autant qu'on l'admire", André Comte-Sponville exprime son admiration pour l'écrivain, "son écriture souple, inventive, savoureuse," "sa pensée ouverte, lucide, audacieuse" :
Il ne croit guère la philosophie, et n'en philosophe que mieux. Se méfie de "l'écrivaillerie" et lui échappe, à force d'authenticité, de naturel. Ne prétend à aucune vérité, en tout cas à aucune certitude et fait le livre le plus vrai du monde. Ne se fait guère d'illusions sur les humains, et n'en est que plus humaniste. Ni sur la sagesse et n'en est que plus sage. Enfin ne veut qu'essayer ses propres facultés (son titre Essais est à prendre au sens propre ) et y réussit si bien que le sens du mot en sera définitivement augmenté d'une nouvelle acceptation, celle qui désigne désormais un genre littéraire - toute oeuvre de prose et d'idées, à condition qu'elle soit plutôt personnelle que didactique ou systématique - , que Montaigne qui le créa, surplombe définitivement. Qui dit mieux ? Et quel auteur, plus de quatre siècles après sa mort, qui demeure si vivant, si actuel, si nécessaire ?
Et bien sûr, comme pour tout dictionnaire, l'auteur présente des mots classés par ordre alphabétique qui constituent en quelque sorte, "une espèce d'anthologie" de l'oeuvre de Montaigne.
Aujourd'hui c'est à la lettre J que je m'arrête et au mot, jugement !
Montaigne, nous explique André Comte-Sponville tient absolument à être libre de son jugement. C'est une liberté qui lui tient à coeur bien plus encore que la liberté d'action, celle d'aller et venir, encore que celle-ci lui soit très précieuse aussi. Mais au cours de sa vie, il s'aperçoit combien il lui est arrivé de se tromper, de changer d'opinion et finalement il a constaté maintes fois qu'il avait tort !
"Mais ne m'est-il pas advenu, non une fois mais cent, mais mille, et tous les jours d'avoir embrassé quelque autre chose avec ces mêmes instruments (raison et jugement ), en cette même condition, que depuis j'ai jugée fausse ? Si je me suis souvent trahi sous cette couleur, si ma touche se trouve ordinairement fausse, et ma balance inégale et injuste, quelle assurance en puis-je prendre à cette fois plus qu'aux autres?" II 12
Et nous et notre jugement et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse. Ainsi il ne peut -être établi rien de certain de l'un à l'autre, et le jugeant et le jugé étant en continuelle mutation et branle. II 12
"Qui se souvient de s'être tant de fois mécompté de son propre jugement, n'est-il pas un sot de n'en entrer pour jamais en défiance ? (...) D'apprendre qu'on a dit ou fait une sottise, ce n'est rien que cela; il faut apprendre qu'on n'est qu'un sot, instruction bien plus ample et plus importante" II 13
Et il rejoint Socrate : " Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien."
La reconnaissance de l'ignorance est l'un des plus beaux et plus sûrs témoignages de jugement que je trouve. II 10
Ce que j'aime dans la philosophie de Montaigne, c'est qu'elle est toujours proche de nous et qu'elle peut s'appliquer à notre vie quotidienne. Quand on voit ces hommes politiques ou religieux prêts à s'étriper pour leur vérité et quand on voit les discussions intolérantes qui opposent voire enflamment parfois des réunions familiales ou amicales, je me dis (moi la première) que nous ferions bien de suivre les conseils de Montaigne : savoir que nous sommes des sots nous éviterait bien des déplaisirs !