Rue du Limas aujourd'hui restaurée dans le quartier que décrit Henry Miller
Le recueil intitulé Des Américains dans la ville cite un texte de Henry Miller, paru dans Black Spring en 1936, volontiers provocateur, qui se réjouissait que les Français aient si bon goût pour choisir l'emplacement de leur urinoir! (voir texte 1) C'est de là qu'il se plaisait à observer la ville d'Avignon.
Et aussitôt j'en vois un autre *: juste à côté du Palais des Papes, en Avignon. A un jet de pierre de la charmante petite place qui, par les nuits de printemps, semble jonchée de velours et de dentelles, de masques et de confettis. Si lentement coule le temps que l'on croit entendre les faibles sonneries de cors minuscules, le passé glisse comme un fantôme, puis se noie dans les basses profondes des cloches martelées qui broient la musique muette de la nuit. Tout juste à un jet de pierre aussi de l'obscur petit quartier où flamboient les lanternes rouges. Là, à l'heure où le soir fraîchit, vous verrez les petites rues tortueuses bourdonnantes d'activité, les femmes en maillots de bain ou en chemise se prélassant sur leurs seuils, la cigarette à la bouche, et invitant les passants. A mesure que tombe la nuit, les murs semblent se rejoindre, et de toutes les ruelles qui s'égouttent dans le ruisseau, voici que s'écoule une foule d'hommes curieux et affamés, envahissant les rues étroites, tournant en rond, s'élançant au hasard comme des spermatozoïdes vibrant de la queue à la recherche de l'ovule, et qui finissent par être happés par la gueule ouverte des bordels.
* urinoir
La place du Palais des Papes avant restauration (carte postale)
Ce texte se décompose en deux parties toutes deux ponctuées par la répétition de : A un jet de pierre/ tout juste à un jet de pierre.
Dans les deux cas, le regard de l'écrivain part de l'urinoir où il se trouve (situation, ô combien iconoclaste, pour un texte littéraire!) pour aller vers deux endroits différents : la place #le petit quartier des lanternes rouges. Ces deux lieux désignent à Avignon, la place des Papes et le quartier de la Balance au-dessous du Palais où vivaient les prostituées.
Deux parties antithétiques qui opposent une place charmante à un quartier mal famé... nouvelle provocation de l'écrivain?
Tout d'abord la place dont la description légère et romantique qui évoque le Verlaine des Fêtes galantes : charmante, jonchée de velours, dentelles, masques et confetti, nuits de printemps, nous paraît en complète inadéquation avec le matérialisme sordide de l'urinoir. Ironie de Miller qui s'amuse à choquer son lecteur et à secouer la bonne société bien pensante contre laquelle il est en révolte.
La proximité dans l'espace évoqué par l'expression à un jet de pierre correspond à une proximité dans le temps : si lentement coule le temps, métaphore de l'eau qui nous entraîne du présent de cette place de velours et de dentelles, au passé et ceci tout en douceur comme en témoigne le verbe glisse. Nous voyageons dans le temps sur les ailes de l'imagination. Nous sommes toujours sur la même place mais les personnages de la fête évoquée plus haut semblent s'être dématérialisés comme un fantôme. Le passé ainsi associé à la mort convoque un paysage feutré où tous les sons sont étouffés : faibles, minuscules, se noie, où tout est en demi-teintes et très doux : lentement. Mais la douceur est démenti par le choix des instruments qui n'ont rien de discret : des sonneries, des cors (même s'ils sont minuscules), des cloches à la basse profonde et qui, de plus, sont martelés. Baudelaire associait lui aussi le son de la cloche et les coups de marteau à l'image de la mort. La vision que nous avons devant nous est bruyante et curieusement inaudible comme le souligne l'oxymore la musique muette ce qui accentue encore l'idée que nous sommes dans un cauchemar. La montée du malaise est orchestrée par la gradation dans le choix des termes qui évoquent tous la Mort, de se noie, martelés à qui broient. Il y a un acharnement dans la violence car la mort n'épargne personne. Elle n'est douce qu'en apparence et ce n'est donc pas par hasard qu'elle se déroule la nuit . Aux nuits ,au pluriel, à cette saison de printemps, qui font naître des idées de calme et gaieté, a succédé la nuit, au singulier (la musique muette de la nuit), nuit définitive, unique, angoissante, comme cette musique que l'on ne peut entendre (on pense au Cri de Munch), celle du tombeau, qui enveloppe les silhouettes irréelles glissant dans les ténèbres.
La proximité dans l'espace évoqué par l'expression à un jet de pierre correspond à une proximité dans le temps : si lentement coule le temps, métaphore de l'eau qui nous entraîne du présent de cette place de velours et de dentelles, au passé et ceci tout en douceur comme en témoigne le verbe glisse. Nous voyageons dans le temps sur les ailes de l'imagination. Nous sommes toujours sur la même place mais les personnages de la fête évoquée plus haut semblent s'être dématérialisés comme un fantôme. Le passé ainsi associé à la mort convoque un paysage feutré où tous les sons sont étouffés : faibles, minuscules, se noie, où tout est en demi-teintes et très doux : lentement. Mais la douceur est démenti par le choix des instruments qui n'ont rien de discret : des sonneries, des cors (même s'ils sont minuscules), des cloches à la basse profonde et qui, de plus, sont martelés. Baudelaire associait lui aussi le son de la cloche et les coups de marteau à l'image de la mort. La vision que nous avons devant nous est bruyante et curieusement inaudible comme le souligne l'oxymore la musique muette ce qui accentue encore l'idée que nous sommes dans un cauchemar. La montée du malaise est orchestrée par la gradation dans le choix des termes qui évoquent tous la Mort, de se noie, martelés à qui broient. Il y a un acharnement dans la violence car la mort n'épargne personne. Elle n'est douce qu'en apparence et ce n'est donc pas par hasard qu'elle se déroule la nuit . Aux nuits ,au pluriel, à cette saison de printemps, qui font naître des idées de calme et gaieté, a succédé la nuit, au singulier (la musique muette de la nuit), nuit définitive, unique, angoissante, comme cette musique que l'on ne peut entendre (on pense au Cri de Munch), celle du tombeau, qui enveloppe les silhouettes irréelles glissant dans les ténèbres.
La place Campana aujourdhui; jadis, lieu de prostitution
Ensuite, et toujours du point de vue de l'urinoir, nous nous projetons en pensée dans le petit quartier des prostituées. Nous sommes retournés dans le présent. Et l'écrivain choisit aussi pour pénétrer dans le quartier des femmes la progressive entrée dans la nuit : le soir fraîchit, à mesure que la nuit tombe . Cela lui permet de créer un tableau un peu inquiétant en clair-osbcur où dominent le noir et le rouge semblable à un incendie : obscur les lanterne rouges, flamboient. Contrairement au précédent paragraphe la scène est extrêmement animée : d'activité, les femmes, les passants, une foule d'hommes. La profusion des verbes de mouvement donne l'impression d'une vie intense : s'écoule, envahissant, tournant, s'élançant. L'adjectif bourdonnantes introduit le bruit et l'image de la ruche que l'auteur utilisera plus loin, hors texte. Si la scène est vivante, elle est pourtant loin d'être plaisante et rassurante. Certains mots créent l'inquiétude : certes, les femmes se prélassent sur les seuils des maisons, idée de détente et de repos contrariée par la description qui suit car elles sont en maillot de bain ou en chemise et les ruelles petites sont tortueuses. Cette impression d'étrangeté, d'anormalité ne va cesser de croître. Le cadre se déforme, se tord, (je pense aux tableaux de la période cubiste de Delaunay) nous fait perdre pied avec la réalité : les murs semblent se rejoindre, les ruelles s'égouttent comme si la scène n'avait pas de consistance et se liquéfiait. La métaphore de l'eau, le ruisseau, le verbe s'écoule, a changé de sens. Elle n'évoque plus, à la manière d'Appolinaire, l'inexorable passage du temps et comme précédemment le retour vers le passé. Nous sommes bien dans le présent mais un présent sordide : le ruisseau qui coule dans les ruelles est celui qui charrie les immondices et peint métaphoriquement la déchéance de ces femmes invitant le passant. La foule qui s'écoule est composée d'hommes robots dont les mouvements ne sont plus conscients et volontaires : ils tournent en rond, ils s'élancent mais au hasard. Ils sont devenus des machines à se reproduire, curieux et affamés de sexe, seulement guidés par l'instinct de survie, le désir de copulation comme le prouve la comparaison hardie avec des spermatozoïdes vibrant.. de la queue à la recherche de l'ovule. Finalement, chez Miller, Eros est toujours très proche de Tanatos car c'est la mort qui attend ces hommes comme le prouvent le verbe, finissent. Et cette fin est violente si l'on en juge par le mouvement : happé . Le mot choisi pour parler des bordels : la gueule introduit la vision d'un monstre qui engloutit cette foule d'hommes sans conscience et clôt ainsi ce texte sur une image d'apocalypse. Réflexe judéo-chrétienne de Miller? Malgré son refus du puritanisme américain et son désir de choquer, l'amour vénal et la prostitution paraissent assimilés à l'Enfer, image suscitée par ce crépuscule éclairé des flammes de la damnation.
Ainsi malgré la provocation du point de vue de l'urinoir, Henry Miller nous livre un texte brillant, magnifiquement écrit, qui témoigne d'une grande valeur littéraire.
Le quartier de la Balance où il y avait jadis de nombreux palais cardinalices était dans un tel état délabrement que la ville a hésité entre restauration et réhabilitation
Rue de la Balance: certains bâtiments ont pu être restaurés mais d'autres ont malheureusement été détruits.
En 1930
Quand Henry Miller visite Avignon en 1930, le centre de la ville n'était restauré et offrait un aspect pauvre et délabré. Les ruelles en pente jusqu'au Rhône au-dessous du Palais des Papes en très mauvais état, abritaient une population laborieuse extrêmement modeste composée d'ouvriers, de petits artisans, et pour certaines rues de gitans et de protituées.
Rue de Limas aujourd'hui restaurée dans la même quartier
Rue de la Pente Rapide: Au centre de cette ruelle étroite aux murs lépreux coulait un petit ruisseau