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lundi 30 mars 2020

Jack London : La peste écarlate


Dans La Peste écarlate, paru en 1912, Jack London,  imagine qu'une épidémie appelée la peste écarlate parce qu’elle colore en rouge le malade détruit l'espèce humaine en 2013. Parmi les rares survivants, un grand père raconte, soixante ans après, l'histoire de la terre à ses petits-enfants redevenus des êtres sauvages avant que celle-ci ne soit détruite par le fléau. Il explique comment le virus s’est attaqué à l’espèce humaine en n’épargnant personne à part quelques individus comme lui.

Evidemment, le texte est d’actualité ! C’est pourquoi il est intéressant de le lire en ce moment où nous sommes tous confinés, attaqués par un organisme vivant que nous ne pouvons même pas déceler. La particularité de la peste écarlate et qui diffère de notre situation c’est qu’elle tue avec rapidité et qu’il n’y a rien à faire contre elle, c’est pourquoi elle vient à bout (ou presque) de l’espèce humaine.

La pandémie et le comportement des humains


La description des réactions de la population pendant l’épidémie est plus vraie que nature et certaines réactions rappellent celles d’aujourd’hui, toutes proportions gardées, car nous restons dans une société régulée par des lois et protégée. Nous recevons des soins et pouvons en réchapper. Eux, non ! Mais Jack London connaît bien la nature humaine ! La panique s’empare des individus, tous fuient. Les riches partent en avion dans leur maison de campagne, la maladie les rattrape là-bas ou plutôt les accompagne.  Certains, dont notre narrateur, essaient de se confiner pour éviter le virus mais celui-ci pénètre dans les lieux obligeant à fuir encore. D’autres pillent les magasins, attaquent ceux qui ont encore à manger. Les gens sont sans pitié envers ceux qui ont contracté la maladie. Il y a pourtant des cas d’abnégation, de dévouement et d’amour comme ce mari qui reste près de son épouse mourante, se condamnant à une mort certaine.

 

Un monde injuste et inégalitaire

 

Les idées sociales de London ne sont pas abandonnées dans ce roman et c’est ainsi qu’il montre la déchéance de la femme d’un grand magnat de l’industrie, Van Warden, tombée entre les mains d’une brute, son chauffeur, après la mort de son mari. Elle est contrainte aux plus durs travaux, méprisée et battue, triste retour des choses, l’esclave d’hier devenant le tyran d’aujourd’hui. La situation sociale est inversée mais l’égalité n’est pas à l’ordre du jour dans une société ou le plus fort domine alors que jadis c’était le plus riche qui imposait sa loi.

 

La croyance aux bienfaits du progrès

 

Le monde dans lequel vit l’humanité en 2073 est bien triste. En bon socialiste, Jack London croit au progrès et à ses bienfaits.  Il n'adhère pas à l'image du bon sauvage de Rousseau et au retour idyllique à la nature, et ceci d’autant plus, qu’il a souffert de la pauvreté, de la faim et de toutes sortes de privations dans son enfance. Le monde d’après la pandémie est dangereux, frustre, rude. Les bêtes sauvages sont devenus un danger pour l’homme, ours, loups. On y a faim, se nourrir est une préoccupation constante, et l’on doit chasser pour survivre. On est à la merci de la famine. La culture et l’art sont perdus. Les rescapés, trop occupés à assurer leur survie, n’ont pas su transmettre la lecture et l’écriture à leurs descendants. Les êtres humains n’en sont pas meilleurs, au contraire. Le vieillard, narrateur de l’histoire, a perdu toute dignité. Il pleure après un peu de nourriture. Ses petits-enfants, à l’exception d’Edwin, beaucoup plus gentil que les autres, le méprisent et le raillent. On dirait qu’ils ignorent ce qu’est l’empathie. Ils ne cherchent pas à s’instruire auprès de leur grand père et se moquent de ses récits d’autrefois.

 

Pessimisme ?

 

On  pourrait dire que le roman de Jack London est pessimiste. Pourtant le roman se termine par une note optimiste : le vieillard a caché dans une grotte des documents qui permettront à l’espèce humaine de progresser plus rapidement lorsque le moment sera venu. Ainsi, il laisse une chance à l'humanité de reconquérir sa place privilégiée dans l'univers en espérant qu'il saura, cette fois, ne pas en abuser. (Mais cela, c'est moi qui l'ajoute!)

Un livre intéressant que je ne regrette pas d’avoir lu maintenant, en relation avec notre situation, car il permet une réflexion sur le présent!

Voir kathel : La peste écarlate

Voir Lilly : La peste écarlate




samedi 28 mars 2020

Ivan Tourgueniev : Terres vierges


Dans Terres Vierges paru en 1876, Tourguéniev explore la même période historique que Père et fils ou que Une nihiliste de Sophie Kavaleskaïa, celle de ces jeunes gens idéalistes qui « vont au peuple », cherchant à lui faire comprendre qu’il doit secouer le joug et prendre en main son avenir. Les serfs, en effet, ont beau être libérés depuis 1861, ils n’ont jamais pu récupérer les terres qui leur étaient promises et sont exploités par des profiteurs qui ont fait main basse sur les propriétés rachetées à la noblesse terrienne ruinée. D’autre part, le tsar libéral, Alexandre II, effrayé par les conséquences de l’abolition du servage qu’il a lui-même voulu, a fait machine arrière, revenant à des pratiques conservatrices et totalitaires qui éveillent une grande soif de liberté parmi la jeunesse.

Nous sommes en 1868. Alexis Nejdanof est le personnage principal de Terres vierges. Fils d’un prince et d’une gouvernante, Alexis a pu suivre des études grâce à son père naturel. Mais son appartenance au peuple et à la noblesse en fait un déclassé qui, bien qu’animé par des idées progressistes, ne parvient pas à agir, toujours tiraillé entre ses origines, mal à l’aise avec le peuple et en affinité avec le luxe d’une classe sociale qui ne le considérera jamais comme un égal. Il vit très modestement à Saint Petersbourg et conspire avec d’autres nihilistes, comme Machourina, et Ostrodoumof, tous deux humbles travailleurs et Pakline, fils disgracié d’un notable bourgeois, gagnés à la cause du peuple.

Alexis Nejdanof est engagé à la campagne, par le prince Sipiaguine, grand noble aux idées libérales, pour être le précepteur de son fils. En nous transportant dans cette maison campagnarde, après les quartiers populaires de Saint Petersbourg, Tourguéniev à l’occasion de nous présenter une grande tranche de la société de l’époque, de la grande noblesse terrienne libérale ou réactionnaire, aux jeunes nihilistes instruits mais venant de milieux très divers, aux ouvriers et aux paysans. Toute la société russe nous apparaît fidèlement peinte, et c’est là un des grands mérites du roman.

 L’épouse du prince, Valentine Sipiaguine, cherche d’abord à le charmer. C’est un belle femme coquette, raffinée, une noble qui professe des idées libérales, qui paraît très ouverte mais à condition que rien ne vienne mettre un frein à son autorité. Elle devient son ennemie quand elle le voit attiré par Marianne, nièce du prince, qui ne rêve qu’à servir « la cause du peuple ».
Il fait aussi connaissance du frère de Mme Sipiaguine, Serge Mikhaïlovitch Markelof, amoureux éconduit de Marianne, nihiliste actif et peut-être un peu trop fougueux et irréfléchi. A l’inverse il est obligé de cohabiter avec un ami de la famille, Simeon Kallomeïtsef, que Tourgueniev se plaît à caricaturer comme l’exemple typique du noble Petersbourgeois, guindé, « douceâtre », réactionnaire et rétrograde.

Alexis et Marianne décident de s’enfuir et vont se cacher chez Solomine, régisseur d’une fabrique, qui est aussi des leurs. Ils sont nombreux autour de Solomine qui semble être la tête pensante de leur groupe et ils se répandent parmi le peuple pour chercher à le convaincre. Ils échoueront lamentablement, dénoncés à la police par les paysans eux-mêmes.

SI Tourgueniev est libéral et partage l’idéal des nihilistes, il cherche aussi à nous montrer les faiblesses de leur organisation et les raisons de leur échec. Leur grande conspiration se passe surtout en palabres et vaines discussions et leur seule action consiste à être au plus près du peuple et aller lui parler.

  Alexis Nedjanov « …s’étonna surtout que l’on eût ainsi tout décidé sans aucune hésitation, sans tenir compte des circonstances, sans même se demander au juste ce que le peuple désire »

Le personnage d’Alexis Nedjanov manque tellement d’audace pour un révolutionnaire, est si hésitant, timoré qu’il agace le lecteur et aussi ses propres amis. Ce n’est pas pour rien que Pakline l’appelle le « Hamlet russe ». Incapable de prendre une décision, ses convictions politiques paraissent faibles, ondoyantes et même son amour pour Madeleine est tiède. On se demande s’il l’aime vraiment. C’est un être constamment tourmenté, insatisfait, mécontent de lui-même. ll ne parviendra jamais à comprendre le peuple et réciproquement.

« C’était un citadin ayant passé la plus grande partie de sa vie à Petersbourg, de sorte qu’entre lui et les paysans existait un abîme, que tous ses efforts ne parvenaient pas à lui faire franchir ».

Madeleine est par contraste, une personne réfléchie et décidée. En quittant sa famille, elle se met en accord avec ses idées, elle abandonne le luxe, les beaux vêtements et l’oisiveté propre aux riches. Elle a beaucoup de volonté et son amitié avec Tatiana, une femme du peuple à la langue bien pendue est un bon moment du récit.

Mais les autres sont surtout des idéalistes qui croient que se mêler au peuple consiste à s’habiller comme eux et à leur parler; or les paysans ne comprennent rien à ce qu’ils disent et se méfient de ces messieurs qui cherchent peut-être à les prendre au piège. Les nihilistes sont donc désorganisés, ils n’ont pas de plan précis, leur but est flou et ne correspond pas à une réalité et surtout ils ne  comprennent rien au peuple, en particulier aux paysans.
Solomine qui a plus de recul et de maturité constate « que la révolution doit se faire pas à pas » et que le peuple comme « une terre vierge doit être labourée en profondeur » C’est la leçon que Tourgueniev invite à tirer de ce récit. 



jeudi 26 mars 2020

Sophie Kovaleskaïa : une nihiliste


Sophie Kovaleskaïa dans ce roman La Nihiliste raconte l’histoire de Vera, princesse Barontsova. Elevée à la campagne, son enfance est perturbée par l’abolition du servage décidé par le tsar Alexandre II. Les parents, grands propriétaires de la noblesse terrienne, sont obligés de réduire leur train de vie et l’éducation de la fillette est négligée jusqu’au jour où leur voisin Vassilitsev, un homme d’âge mûr, assigné à la campagne à cause de ses idée libertaires, propose de devenir son professeur. L’enfant grandit sous la houlette de son maître et est peu à peu gagnée par ses idées libertaires. Jeune fille, elle tombe amoureuse de Vassilisetv, mais il est exilé, loin d’elle, ayant attiré les foudres du pouvoir pour son comportement envers les paysans qu'il essaie d'instruire et de sortir de leur obéissance passive. Lorsqu’il meurt en exil, Vera Barontsova est malade de chagrin. Elle veut pourtant continuer son oeuvre. A la mort de son père, ruiné, Vera part à Saint Pétersbourg pour essayer de rejoindre les nihilistes mais ce n’est que lorsque s’ouvrira le procès de plusieurs d’entre eux, qu’elle pourra les approcher et saura comment se dévouer. Ce qui fera dire d’elle :  «  C’est une folle » ou«  C’est une sainte ! »

Le récit est raconté par une narratrice qui a bien des points communs avec Sophie Kovaleskaïa. Elle rencontre Vera à Saint Pétersbourg lorsque la jeune fille cherche à tout prix à joindre les groupes révolutionnaires pour servir la « cause » et nous raconte sa vie.
 Vera est un personnage fictionnel mais qui a eu bien des modèles pris sur le vif. Son histoire est aussi, en partie, celle de Sophie Kovaleskaïa et de bien d’autres jeunes filles comme Vera Gontcharova, la nièce de Pouchkine. Le roman présente cette  période de la Russie des années 1870/1880 à partir de l’abolition du servage en 1861, période pendant laquelle les jeunes gens instruits, souvent appartenant à la noblesse, deviennent des  « nihilistes » selon l’appellation donnée par Tourgueniev, terme qui a un sens très précis dans cette Russie de la fin du XIX siècle. Le Nihilisme, c'est la "négation, dit Stepniak, au nom de la liberté individuelle, de toutes les obligations imposées à l'individu. Le nihilime fut une réaction puissante et passionnée, non pas contre le despotisme politique, mais contre le despotisme moral, qui pèse sur la vie privée intime de l'individu"

Dans Père et fils que j’ai commenté dans mon blog ici  ou dans Terres vierges dont je dois encore rédiger le billet, on voit ces jeunes gens gagnés par ces idées libertaires. Ils refusent l’autorité de l’état, du père et de la religion mais ils ne sont pas violents. Ils exaltent la science, la médecine, le positivisme, luttent contre la superstition, et se tournent vers le peuple qu’ils veulent éduquer et libérer de sa mentalité primitive. Les jeunes filles ne rêvent plus de mariage mais d’études universitaires, qui leur sont, le plus souvent, refusées.

Le roman m’a intéressée d’un point de vue historique mais j’ai trouvé la première partie qui raconte  la vie de la fillette plus vivante, plus animée. Les personnages sont plus captivants que dans la seconde partie à Saint Petersbourg où tout est traité si rapidement que le personnage de Vera en est un peu sacrifié. Comme, elle ne parvient pas prendre contact avec les nihilistes, on ne la voit jamais dans l'action. De ce fait,  sa manière de leur venir en aide paraît un peu surprenante et pas tout à fait convaincante.


Sophie Kovalevskaïa (1850-1891). fille de général, féministe, communiste, nihiliste et mathématicienne de génie (elle sera la première femme docteur d'université dans cette discipline), admirée par Dostoïevski, George Eliot et Darwin, doit une bonne part de sa réputation à ce petit roman largement autobiographique paru après sa mort, aussitôt traduit en plusieurs langues, bientôt interdit par quelques censeurs grincheux

Voir le portrait de Sophie Kovaleskaïa , mathématicienne ICI  :

"Les équations aux dérivées partielles étaient le domaine de Sophia. Le mathématicien Cauchy avait travaillé sur ce sujet, puis Sophia en généralisa la portée pour aboutir à un théorème fondamental propre à une certaine classe d’équations aux dérivées partielles. Le théorème de « Cauchy-Kovalevskaïa » établit, sous certaines conditions, l’existence et l’unicité de solutions à une équation aux dérivées partielles assez générale."



mercredi 25 mars 2020

Paul Vinicius : la chevelure blanche de l'avalanche (3)


J'ai déjà écrit deux billets sur le poète roumain Paul Vinicius et son recueil : La chevelure blanche de l'avalanche paru chez Jacques André éditeur.
Mais j'ai envie de faire connaître ce poète à ceux qui suivent comme moi Goran, Eva et Patrice dans le défi du mois de Mars sur La littérature des pays de l'Est.
Voici donc quelques poèmes nouveaux à découvrir :

La chevelure par Henri-Edmond Cross
Sur le fil

les plus beaux cheveux
que j’ai  jamais vus
n’avaient même pas
 de visage


mais moi non plus
je n’avais pas de mains
pour pouvoir
 les caresser

Paul Cézanne : le fumeur
  je n’ai plus de montre ni coeur

maintenant plus rien
ne me fait mal

le vin rouge
et ce matin le dimanche
renversés sur la table

la dernière cigarette

et peut-être l’idée
qu’un jour enfin
je serai assez léger
pour pouvoir tenir dans un oiseau.

Man Ray : larmes de verre
Fenêtre vers l’automne

Je rêve de ce poème
qui ne ressemble à rien
et se tait

qui reste immobile
même quand le vent arrache des arbres
et plie les bâtiments

comme un nuage bleu
toujours éveillé
que traversent des poissons aux grands yeux
et aux ailes translucides

je rêve de ce poème
 pas encore écrit
mais souvent aperçu

comme un oeil
larme 
dans la paume


Voir Paul Vinicius 1 ICI

 Voir Paul Vinicius 2 ICI

Paul Vinicius

Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres. Cette double performance universitaire est la partie visible de son parcours surprenant ; il a exercé de nombreux métiers, jobs, sports, avant de se dévouer à l’écriture. Champion de boxe junior et karatéka ceinture noire, il a travaillé comme manutentionnaire, maître-nageur sur la côte de la Mer Noire, détective privé, pigiste, correcteur, rédacteur pour plusieurs journaux de la presse nationale et, dernièrement, pour la maison d’édition du Musée de la Littérature roumaine.
Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il renonce à sa carrière d’ingénieur et sa biographie suit les soubresauts de la démocratie survenue fin décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle ivresse.
Ses poèmes ont été régulièrement publiés à partir de 1982 par les revues littéraires. Beaucoup ont été traduits et publiés dans des anthologies. Il est lauréat de plusieurs prix nationaux et internationaux de poésie. Dernier en date : le Prix du Public au Salon du Livre des Balkans en 2017.



lundi 23 mars 2020

Jack London : Une fille des neiges


Dans Une fille des neiges de Jack London, Frona Welse, après avoir terminé ses études, vient rejoindre son père Jacob Welse, un riche et puissant négociant, dans le Konklide. Frona se souvient de son enfance libre avec ses jeunes amis indiens et c'est avec bonheur qu'elle revoit ce pays qu'elle aime tant. Nous sommes à l’époque de la ruée vers l’or et ce sont des milliers d'aventuriers qui partent avec le désir de faire fortune dans ces régions sauvages où la nature est souvent aussi violente que belle. Frona, au cours de nombreuses aventures, va rencontrer l’amour. Qui choisira-t-elle entre Vance Corliss, un homme courageux, honnête et intelligent mais conventionnel, marqué par une éducation puritaine et étroite et Gregory Saint-Vincent, séduisant aventurier qui raconte ses exploits avec tant de verve et a tant de succès auprès des dames ?


Paysage du Yukon canada
Ce premier roman de Jack London, paru en 1902, Une fille des neiges a des qualités certaines même s’il n’arrive pas, à mon avis, à la hauteur de ses oeuvres majeures.

Ainsi, il présente certaines lourdeurs qui me paraissent être celles d’un écrivain qui n’est pas encore au faîte de son talent malgré les nouvelles qu’il a déjà écrites. Par exemple, est gênante cette insistance à s’en référer à la sélection naturelle et à la survie du plus fort, théorie qu’il doit à Darwin et qu’il assène de manière répétitive, pour glorifier la suprématie de la « race », c’est le terme qu’il emploie, anglo-saxonne. Cette admiration de l'homme fort est déplaisante et à la limite de l'acceptable..
Et puis, ce qui me paraît pas encore assez abouti, c’est la psychologie des personnages dont le portrait physique et moral nous est présenté tout à tour dans les grandes lignes mais demanderait tout au cours du roman plus d’approfondissement et de nuances. Heureusement, le personnage principal, Frona, est bien campé même si le portrait qu’en fait London est parfois un peu démonstratif, l’écrivain s’efforçant de décrire le type de la jeune fille parfaite. C'est d'ailleurs ce que l'on peut souvent reprocher à Jack London, ce manque de doigté lorsqu'il veut faire passer ses idées, alors qu'il suffirait de nous les montrer par les actes de ses personnages.

Mais il faut reconnaître que ce que j’aime dans Jack London, ce sont justement ces héroïnes qui ne sont pas de mièvres et faibles femmes, destinées à faire des enfants et à servir de serpillère à leur mari. Ce qui me fait plaisir, c’est la pensée que, lorsque je le lisais quand j’étais enfant, j’échappais, sans le savoir, grâce à lui, à la construction du genre, à l’image traditionnelle que, dans les années 50/60, on voulait encore inculquer aux filles. La femme idéale pour London, c’est Frona Welse, instruite, intelligente, courageuse, aimant l’aventure, l’effort, la nature sauvage, la lutte contre les éléments. Frona n’a pas froid aux yeux et est toujours prête à affronter les dangers. Ce qui ne l’empêche pas d’être belle et féminine et pas besoin pour cela de robe de bal. Elle fait de la boxe, de la nage, de l’escrime et de la gymnastique. Elle est, paradoxalement peut-être, aux antipodes de la jeune fille aimée et admirée de Martin Eden, alias London, avant qu’il ne s’aperçoive de sa superficialité. Ce qui me plaît aussi, c’est la manière dont Frona fait fi des conventions et scandalise la société puritaine pour devenir l’amie d’une de ces femmes qui, dans cet univers masculin, fréquente les bars et cherche fortune comme les hommes, pas prostituée, mais aventurière, libre de moeurs et sans scrupules. Elle a du coeur et de la sensibilité. J’aime cette ouverture d’esprit manifestée par Jack London, très en avance sur son temps en ce qui concerne le statut de la femme..
Konklide à l'époque de la ruée vers l'or

La description de la ruée vers l’or est aussi d’un grand intérêt dans ce roman qui fait revivre l’arrivée des chercheurs d’or dans un camp, la foule active et animée, les départs pour les pistes  envahies pas des dizaines de milliers d’hommes, tout cela donnant lieu à des scènes vivantes, croquées sur le vif et qui bénéficient du vécu de l’écrivain, qui a lui aussi vécu la fièvre de l'or. Description magistrale des paysages du Klonklide, montagnes  enneigées, fleuves en crue ou pris dans les glaces, jusqu’à cette scène grandiose de la débâcle au printemps, spectacle  à couper le souffle où la force de la nature est magnifiée. L’épisode du crime et du procès expéditif est aussi une scène de genre et permet à Jack London de développer ses idées sur la justice et la peine de mort.    


A présent, la glace bondissait dans une course folle. Un énorme glaçon buta contre la rive et ébranla le sol sous leurs pieds. Un deuxième suivit et les fit reculer; il se souleva d'un bond formidable et entraîna après lui une tonne de terre dans le fleuve. Un troisième roula jusqu'au rivage et déracina trois arbres qu'il emporta dans son élan.
Le jour s'était levé et, d'une rive à l'autre, le Yukon resplendissait. Sous la pression du courant, la glace descendait à une vitesse vertigineuse, démolissant les rives et ébranlant l'île dans ses fondations.

 
J’ai aimé ce récit mouvementé et ces descriptions d’une époque fiévreuse, dans ce cadre grandiose. Mais je suis un peu restée sur ma faim, donc, en ce qui concerne les personnages et l'aspect trop démonstratif des idées philosophiques et sociales de l’écrivain dont certaines sont tout à l'honneur de London, sur la femme et la peine de mort par exemple, mais d'autres plutôt gênantes ! Dans l’ensemble, j’aurais voulu un plus ample développement de ce livre agréable et intéressant, qui manque cependant d'envergure pour devenir un grand roman d’aventures.

"Cela vient sans doute de ce que nos vies suivent des voies différentes, observa l'inconnue. Le paysage importe peu; chacun de nous le considère sous un angle différent. Si nous n'existions pas, le paysage demeurerait toujours là, mais dépourvu de toute interprétation humaine. "


 

dimanche 22 mars 2020

La citation du dimanche : Balzac et les vieilles filles, Le curé de Tours

Voilà une LC avec Maggie sur le roman de Balzac : Le curé de Tours pour le 22 Mars. C'est pourquoi je présente à la fois mon billet sur le livre et la citation de Balzac sur ... les vieilles filles !

Le curé de Tours de Balzac est François Birotteau, frère de César, personnage récurrent de la comédie humaine. Il apparaît dans ce court roman comme un personnage malheureux conduit par ses ennemis à la dernière extrémité. Quoi de plus cruel que la tragédie vécue par ce pauvre homme, par ailleurs bon et naïf mais aussi peu intelligent et balourd ? Certes, le complot qui le terrasse n'est pas lié à quelque grande  cause mais à des problèmes prosaïques qui peuvent sembler dérisoires à d’autres yeux que ceux de l’intéressé!   Et pourtant quand la méchanceté humaine alimentée par la haine et le dépit s’exerce sur la victime, celle-ci peut-être touchée autant que s’il s’agissait d’un combat glorieux. Surtout quand on est un pauvre curé de campagne, dont la seule joie, faute de passion amoureuse ou intellectuelle, réside dans un fauteuil confortable au coin du feu, de bons petits plats mitonnés avec amour et des pantoufles à portée de main.

« Etre le pensionnaire de mademoiselle Gamard, et devenir chanoine, furent les deux grandes affaires de sa vie; et peut-être résument-elles exactement l’ambition d’un prêtre, qui, se considérant comme en voyage vers l’éternité, ne peut souhaiter en ce monde qu’un bon gîte, une bonne table, des vêtements propres, des souliers à agrafe d’argent, choses suffisantes pour les besoins de la bête, et un canonicat pour satisfaire l’amour propre…. »
 
Pauvre Birotteau, il ne savait pas qu’en offensant sa logeuse, Mademoiselle Gamard, une vieille fille aigrie, et en occupant le confortable logement loué par son ami, le chanoine Chapeloup, - qui lui a légué ses meubles en mourant - , il allait déchaîner contre lui non seulement l’ire de la vieille bigote mais aussi la haine de L’abbé Troubert. Ce dernier, jaloux de Chapeloup, voulait cet appartement pour lui. Birotteau sera donc dépouillé de tout ce à quoi il tenait et même abandonné par ses amis.

Le Curé de Tours, récit inséré dans Les scènes de la vie de province, a pour sous-titre  : Les célibataires. Balzac, moraliste, y excelle à peindre les mesquineries, les ridicules, la méchanceté et l’égoïsme des provinciaux, sans épargner personne :  nobles, bourgeois ou religieux. Nul échappe à son oeil acéré et son croc vindicatif ! Ici, comme le sous-titre l’indique, ce sont les célibataires qui sont visés.

Les célibataires

MIchel Bouquet : le perfide abbé Troubert
Les célibataires sont les religieux, Chapeloup, Birotteau et Troubert et  l’on ne peut dire qu’ils sortent grandis par la satire. Manquant de spiritualité et d’élévation, ils possèdent, « l’égoïsme naturel à toutes les créatures humaines, renforcé par l’égoïsme particulier du prêtre… », préoccupés surtout par les satisfactions de leurs appétits et de leurs ambitions, ils sont prêts à tout sacrifier pour parvenir à leur fin. Chapeloup y parvient par l’intelligence, une fine connaissance des autres; Birotteau, dans son égoïsme gentil et imbécile, est trop sot pour s’en sortir, et Troubert, le plus redoutable utilise les coups bas, l’intrigue, n’hésitant pas à spolier son voisin. A travers ce personnage, Balzac décrit la toute puissance des congrégations capables de faire et défaire les fortunes y compris celles des nobles.

Mais la pire des célibataires, croyez-le, c’est la femme, bien sûr ! dont l’exemple est ici l’antipathique Mademoiselle Gamard.  

Une vieille fille !

Suzanne Flon : mademoiselle Gamard

 "Les vieilles filles n’ayant pas fait plier leur caractère et leur vie à une autre vie ni d’autres caractères, comme l’exige la destinée de la femme, ont pour la plupart la manie de vouloir tout faire plier autour d’elle."
 
Et là vous pouvez compter sur Balzac le réactionnaire, le rétrograde, pour en rajouter !

" Si tout dans la société comme dans le monde, doit avoir une fin, il y a certes ici bas quelques existences dont le but et l’inutilité sont inexplicables. La morale et l’économie politique repoussent également l’individu qui consomme sans produire (..) Il est rare que les vieilles filles ne se rangent pas d’elles-mêmes dans la classe de ces êtres improductifs"

Ne pensez pas, en effet, que Balzac critique cette manière de considérer "la vieille fille", au contraire , et, là, je m’énerve mais c’est aussi cela la littérature ! Vivre et réagir ! Et même si je m’efforce toujours de me replacer dans le siècle d’un écrivain pour pouvoir le juger, de ne jamais faire d’anachronisme dans ma façon d’aborder la littérature, je ne peux supporter les idées étroites de Balzac, méprisant les femmes, du moins celles qui n’entrent pas dans un moule, il a le don de me faire sortir de mes gonds !  Même à son époque, il y avait des hommes plus ouverts  !
Mademoiselle Gamard détient donc la palme non du martyre mais du mépris, de l’exécration !  Pourquoi est-elle devenue aigrie et méchante ? parce qu’en restant célibataire, elle est un poids inutile dans la société

 
"En restant fille, une créature du sexe féminin n’est plus qu’un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur. Cet arrêt implacable est malheureusement trop juste pour que les vieilles filles en ignorent les motifs."

"Ces êtres ne pardonnent pas à la société leur position fausse, parce qu’ils ne se la pardonnent pas à eux-mêmes."

"Puis elles deviennent âpres et chagrines, parce qu’un être qui a manqué à sa vocation est malheureux ; il souffre , et la souffrance engendre la méchanceté."

Bon, voilà, j’ai maintenant terminé ma petite colère littéraire et féministe, donc j’en reviens à l’ouvrage lui-même. Comme d’habitude Balzac exerce son talent à cette peinture acerbe de la société provinciale et il y réussit.  Le personnage de César Birotteau me rappelle le colonel Chabert, non pour la similitude des personnages, bien au contraire, mais parce que tous deux sont victimes de la société qui les spolie et les rejette. On éprouve pour lui de la compassion et l’on referme le livre en se disant que l’on a assisté à une petite scène désolante de la cruauté habituelle à la comédie humaine.

Lecture commune avec Maggie : Voir le Curé de Tours ici

jeudi 19 mars 2020

Mikhaïl Boulgakov : La garde blanche


Il m’a été très difficile d’entrer dans le roman de Mikhaïl Boulgakov, La garde blanche, tant je suis ignorante de l’histoire de l’Ukraine et aussi parce que l’écrivain parle d’événements précis, pointus, et s’adresse à des lecteurs qui sont dans l’Histoire et n’ont pas besoin d’explication. Et pourtant j’ai persévéré car ce roman, j’avais envie de le lire depuis longtemps pour accroître ma connaissance de l’auteur de Le maître et la Marguerite! Le mois de la littérature des pays de l'Est, initié par Eva, Patrice et Goran m'a donné l'occasion de le découvrir.

Kiev : musée Boulgakov qui fut aussi la maison de l'écrivain et celle des Tourbine

Donc, nous sommes en 1918 à Kiev et nous faisons la connaissance de la famille Tourbine qui ressemble beaucoup à celle de Boulgakov. Le roman est en partie autobiographique : Alexis, le frère aîné, médecin comme Boulgakov, Elena sa soeur mariée à Sergueï Ivanovitch Tahlberg, et leur petit frère Nikolka qui a dix sept ans et toutes ses illusions. Dans la maison vont et viennent la petite servante élevée dans la famille, Aniouta, les amis d’enfance des jeunes Tourbine, le lieutenant Mychlaïevski, surnommé Vitia, Léonid Iourievitch Chervinski, qui sont aussi, parfois, les soupirants éconduits d’Eléna. Les soirées sont encore animées, bruyantes, arrosées mais le temps de l’insouciance, du luxe, de la beauté et la douceur de vivre ne reviendra jamais avec « ses bibliothèques sans égales au monde, chargées de livres qui exhalaient une mystérieuse odeur de chocolat, où l’on retrouvait Natacha Rostova et la Fille du Capitaine, et les tasses en porcelaine dorée, l’argenterie, les portraits, les portières, ces sept pièces poussiéreuses et bourrées d’objets qui avaient vu grandir les jeunes Tourbine. » .
Et il y a dans ce début de siècle, dans la description de cette jeunesse dorée mais finissante un grand parfum de nostalgie et de belles pages fiévreuses, frémissantes d’émotion :

"Depuis longtemps déjà, un vent dévastateur a commencé à souffler du Nord, et il souffle, il siffle sans cesse et sans repos, et plus il va, pire c’est. L’aîné des Tourbine revint dans sa ville natale juste après que le premier choc eut ébranlé les collines qui dominent le Dniepr. Bon, pense-t-il, cela va finir, et alors commencera cette vie qui est décrite dans les livres en chocolat; or, non seulement elle ne commence pas, mais tout alentour devient de plus en plus terrible. Au nord la tourmente de neige tourbillonne et hurle, et ici, on sent le sol trembler et gronder sourdement : la terre inquiète, gémit de toutes ses entrailles. L’année mille neuf cent dix-huit touche à sa fin, et chaque jour qui vient se hérisse de menaces."

l’Hetman Skoropadsky
 Car, nous sommes dans une époque complexe, la deuxième année de la révolution russe. Le  pays est occupé par les allemands appelés à la rescousse par l’Hetman (le chef) de l’Ukraine, Skoropadsky, un aristocrate ukrainien. Cet ancien général de l'armée impériale russe, est arrivé au pouvoir par un coup d'état contre la "Rada", le parlement ukrainien créé en 1917. La ville, qui reçoit les réfugiés russes fuyant la révolution, est assiégée par les bandes armées de Petlioura,  nationaliste ukrainien, socialiste qui lutte à la fois contre l’armée blanche et contre la dictature de l’hetman Skoropadsky; il sera le troisième président de la république ukrainienne. Et puis il y a les armées bolcheviques qui attendent leur heure pour pénétrer dans la cité. Les Tourbine sont des bourgeois lettrés et raffinés, royalistes, ils prennent le parti de l’Hetman qui représente la légitimité pour eux. A l’intérieur de la ville s’affrontent aussi, parmi les habitants de toutes classes sociales, les différentes tendances et idéologies.
Au moment où il faut livrer bataille, Alexis et ses amis s’engagent dans l’armée et le jeune Nilkolka rejoint la garde blanche organisée par le général Dénikine pour tenir tête à l’assiégeant; Hélas! elle se révèle composée de jeunes étudiants qui pour certains ne savent pas encore tenir un fusil. C’est dans ce climat troublé, à la vieille de l’attaque de Petlioura, que l’Hetman, son état major dont fait partie le mari d’Elena, abandonnent lâchement le pays avec leurs alliés allemands, laissant la défense de la ville aux mains d’un poignée d’officiers et de jeunes gens inexpérimentés.

Le récit de la bataille racontée à niveau d’hommes, que ce soit par Alexis fuyant pour sauver sa vie dans les rues de Kiev, que ce soit par Nikolkla qui dans sa jeunesse enthousiaste et naïve n’hésite pas à risquer sa vie, est passionnante. Pas d’actions d’éclat, beaucoup de lâcheté à côté d’actes courageux et absurdes qui paraissent désespérés. Certains passages sont remarquables dans ce récit comme lorsque Nikolkla va chercher un ami officier massacré par les partisans de Petlioura à la morgue où s’entassent les cadavres du sol au plafond, véritable descente aux Enfers, hallucinante; ou comme dans cette scène cruelle où un juif est lapidé par un nationaliste, ou encore lorsque Alexis se réfugie dans une immense maison un peu irréelle où une jeune femme le cache.
Ce roman paru en 1926 a été interdit par le pouvoir soviétique. Pourtant lorsque Boulgakov adapte le roman à la scène, Staline non seulement n'arrête pas les représentations mais va voir la pièce quinze fois. Et finalement, cela ne m’étonne pas. En effet, si les personnages sont des bourgeois, royalistes, anti-révolutionnaires, le roman décrit aussi - et c’est une vérité historique-  la lâcheté des opposants au régime soviétique, l’Hetman Skoropadsky, les officiers supérieurs de l'armée blanche fuyant lamentablement le pays attaqué, abandonnant la population sans défense au danger.  Finalement, ils n’étaient pas très glorieux, les ennemis de Staline !



Mikhaïl Afanassievitch Boulgakov (1891-1940) exerça tout d’abord comme médecin durant la Première Guerre mondiale, la Révolution russe et la guerre civile russe. À partir de 1920, il se consacra au journalisme et à la littérature. Il fut confronté, tout au long de sa carrière, aux difficultés de la censure soviétique.

Mort jeune à l’âge de quarante-huit ans, Boulgakov a écrit pour le théâtre et l’opéra, mais il est surtout réputé pour ses œuvres de fiction, ses romans, tels que, La Garde blanche (1925), Le Roman de monsieur de Molière (achevé en 1933, publié en URSS, de manière expurgée, en 1962 et de manière intégrale en 1989), ou encore Cœur de chien (1925, publié en URSS en 1987). voir ici 








mardi 17 mars 2020

Tourgueniev : Les eaux printanières


Les eaux printanières de Tourguéniev conte l’histoire d’une vie gâchée par un moment d’égarement passager. Dimitri Sanine, amer et désenchanté, sent,  au seuil de la vieillesse, qu’il est passé à côté du bonheur. Un bijou retrouvé par hasard lui remet en mémoire ce qu’il a toujours essayé d’occulter, le moment où sa vie a basculé  définitivement.

Revenant d’Italie, il passe à Francfort et fait connaissance de Gemma Rosseli, une jeune italienne qui avec sa mère, son petit frère et un vieux serviteur,  tient un commerce de confiserie. La beauté de la jeune fille, son charme rieur, sa gaieté et la bonne humeur qui règne dans cette famille chaleureuse enchantent le jeune Russe, de noblesse terrienne, solitaire et qui a peu d’amis.

Lorsqu’il apprend que la jeune fille est fiancée, il s’efface d’abord mais s’aperçoit bien vite qu’il s’agit d’un mariage de raison, la famille Roselli étant désargentée après la disparition du père. Le jeune homme a toutes ses chances, et ceci d’autant plus que le fiancé se révèle un pleutre doublé d’un imbécile.
Sanine obtient donc la main de la jeune fille et comme il a besoin d’argent pour se marier, il se rend chez un ami dont la femme, très riche, pourrait lui acheter sa propriété en Russie. Le couple se livre sur lui à un jeu pervers et fait le pari que le jeune homme tombera dans les pièges de la baronne, coquette et dépravée, qui cherche à le séduire pour le plaisir du jeu.

Ce court roman psychologique dépeint avec finesse, à la fois, la sincérité du jeune russe, pur et candide dans ses émois amoureux, mais aussi sa naïveté et sa fragilité. Son amour pour Gemma, sans calcul, ne s’embarrasse pas de questions de classe sociale et c’est sans regrets qu’il est près à vendre ses biens en Russie et à s’installer avec sa bien-aimée. On peut dire que ce côté irréfléchi et spontané -qui le rend très sympathique- témoigne aussi d’une nature immature aussi bien dans la gestion de ses biens que dans sa vie amoureuse..
Aussi lorsqu’il tombe dans les rets de ce couple machiavélique qui n’est pas sans rappeler celui des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, on comprend bien vite qu’il n’est pas de taille à lutter. Il devient le jouet de cette femme cruelle qui règne sur lui par les sens, et qui aime dominer les hommes, se plaît à les humilier et les dégrader. Elle fait de ses amants ses mignons et ceux-ci doivent abdiquer toute fierté pour obtenir une caresse. Aussi ce n’est pas seulement Gemma, son amour de jeunesse, que Dimitri perd mais aussi l’estime de soi, le sens de l'honneur qu'il était pourtant toujours prêt à défendre, au péril de sa vie, ce dont il ne pourra jamais  guérir. Un roman d’initiation qui coupe les ailes de celui qui prenait juste son essor.
Les eaux printanières ont cessé de l’être, entraînant dans leurs flots la jeunesse, l’illusion, l’espoir, la foi en la beauté de la vie pour devenir les eaux glacés de l’hiver, de la vieillesse, du désespoir. Et tout ceci raconté avec l’élégance de la plume de Tourgueniev, c’est peu dire qu’il faut le lire!



dimanche 15 mars 2020

La citation du Dimanche : Jack London, La peste écarlate et Calendrier des LC du challenge Jack London

Venise : le masque des médecins de la peste

Je viens d’aller voter et une promenade dans la ville d’Avignon où tous les cafés, les restaurants sont fermés, les rues quasi désertes, m’a montré une facette de la  ville que je ne connaissais pas ! Je suppose qu’il en est de même chez vous ! Certes, les rues d’Avignon ne sont pas toujours très animées le dimanche mais les terrasses des cafés et les places sont bondées, le palais des papes, le Rocher des Doms regorgent de monde.

Le pont d'Avignon presque déserté !
Comment ne pas penser dans ces circonstances, même si nous n’en sommes pas là,  quand on est une incorrigible « littéraire » ou « lectrice » aux livres qui parlent de la peste ou autres épidémies, de la destruction de la planète par la maladie.

" Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés :
On n’en voyait point d’occupés
à chercher le soutien d’une mourante vie
;"
La Fontaine

Après les vers de La Fontaine, c'est, bien sûr à Camus que j'ai pensé  : La Peste. Pourquoi ? parce que Camus !

"La mort du concierge, il est possible de le dire, marqua la fin de cette période remplie de signes déconcertants et le début d’une autre, relativement plus difficile, où la surprise des premiers temps se transforma peu à peu en panique. Nos concitoyens, ils s’en rendaient compte désormais, n’avaient jamais pensé que notre petite ville pût être un lieu particulièrement désigné pour que les rats y meurent au soleil et que les concierges y périssent de maladies bizarres. De ce point de vue, ils se trouvaient en somme dans l’erreur et leurs idées étaient à réviser. Si tout s’était arrêté là, les habitudes sans doute l’eussent emporté. Mais d’autres parmi nos concitoyens, et qui n’étaient pas toujours concierges ni pauvres, durent suivre la route sur laquelle M. Michel s’était engagé le premier. C’est à partir de ce moment que la peur, et la réflexion avec elle, commencèrent"
 et tout de suite après  à Le hussard sur le toit  parce que  Giono !
et puis aussi, en laissant les titres remonter à ma mémoire sans ordre chronologique et de manière non-exhaustive, ce livre de Patrick Deville Peste et choléra que j’avais beaucoup apprécié et très loin dans mon adolescence La Mousson de Louis Bromfield, et Les mouches de Sartre, Le Décameron de Boccace, Mort  à Venise de Thomas Mann, Les hommes protégés de Robert Merle sans compter ceux que je n’ai pas encore lus et que je ne connais que de nom  : le journal de la peste Daniel Defoe, L’amour  au temps du choléra Gabriel Garcia Marquez  et tant d'autres...

CHALLENGE JACK LONDON : CALENDRIER DES LC


Mais c'est le livre de Jack London sur ce sujet dont je voudrais vous proposer la lecture commune dans le cadre du challenge Jack London  : La Peste écarlate paru en 1912. Au moins si nous sommes confinés que ce soit pour faire quelque chose d'intelligent : LIRE !

Dans La Peste écarlate, Jack London,  imagine qu'une maladie détruit l'espèce humaine en 2013.  Parmi les rares survivants - qui sont pratiquement retournés au  temps de la préhistoire - un grand père raconte, soixante ans après, l'histoire à ses petits-enfants  :

Le monde tout entier fourmillait d’hommes. Le grand recensement de l’an 2010 avait donné huit milliards* pour la population de l’univers. Huit milliards ou huit coquilles de crabes... Ce temps ne ressemblait guère à celui où nous vivons. L’humanité était étonnamment experte à se procurer de la nourriture. Et plus elle avait à manger, plus elle croissait en nombre. Si bien que huit milliards d’hommes vivaient sur la terre quand la Mort Écarlate commença ses ravages.

*En 2015, le recensement  donnait 7, 7 milliards d'êtres humains. Bravo, Jack London !



Toutes mes excuses. J'ai tardé pour vous donner les dates des LC sur Jack London car j'étais de garde de petite- fille, malade, sans coronavirus !

23 Mars  :  Une fille des neiges


30 Mars  : La peste écarlate (si vous ne l'avez pas, vous pouvez le lire sur ebooks gratuits :  voir ce lien https://beq.ebooksgratuits.com/classiques/London-peste.pdf     

C'est un roman très court de 200 pages.


23 Avril : le peuple de l'abîme 

Vous pouvez laisser les liens vers vos billets sur la page correspondant à la Vignette challenge Jack London dans la colonne de droite de mon blog.



mercredi 11 mars 2020

Andrus Kivirâhk : Le papillon



J’ai lu L’homme qui savait la langue des serpents d’Andrus Kivirähk  et ce roman m’a laissé un souvenir marquant lié à son étrangeté mais aussi au récit de la violence infligée à la terre d’Estonie par ses nombreux envahisseurs pendant des siècles. Aussi est-ce avec plaisir que je retrouve pour le challenge initié par Eva, Patrice et Goran, Le mois de l'Europe de l'Est, un premier roman du même auteur : Le Papillon toutes deux parus dans la belle édition Le Tripode.

le théâtre de l'Estonia au début du XX siècle

Le récit d'Andrus Kivirähk  a des bases historiques et s’étend du début du XX siècle en passant par la première guerre jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Pendant cette période, le pays sous domination russe puis occupé par les allemands, dévasté par les guerres, ne connut sa première indépendance qu’en 1919  et la perdit dès 1940.  Puis il obtint à nouveau son indépendance des Soviétiques en 1991.

Paul Pinna fondateur, directeur et comédien de l'Estonia

Andrus Kivirähk avait entrepris une étude historique du théâtre d’Estonia à Tallinn, théâtre  qui a joué un rôle important dans le réveil national des estoniens et pour soutenir le moral des habitants pendant ces périodes douloureuses. Et c’est en travaillant sur des personnages bien réels, fondateurs et comédiens du Théâtre Estonia à Tallin, Paul Pinna et sa femme Netty, Théodore Altermann, Aleksander Harald Trilljärv, pour ne citer qu’eux, que l’écrivain les a vus échapper à son pouvoir et se transformer en personnages de roman, devenus les protagonistes de bien étranges aventures !

Theodore Alterman , comédien, auteur, traducteur
Netty Pinna, comédienne
 Le personnage narrateur, August Michelson, est mort depuis longtemps quand il nous raconte son histoire et nous fait revivre les années qu’il a passées, lui simple ouvrier devenu comédien, dans la troupe de théâtre Estonia. De même que notre narrateur trépassé, sa bien-aimée Erika Tetzky est, elle aussi, comédienne à l’Estonia.
Emporté par ses impétueux personnages, Kivirähk écrit un roman fantastique, peuplé d’êtres étranges, femme-papillon comme Erika, femme-fée comme Augusta, femmes-oiseaux, fantômes d’anciens acteurs trop attachés au théâtre pour vider les lieux, transformation de l’un d’entre eux en loup garou. (mais vous n’êtes pas obligé de le croire, le narrateur nous ayant avoué qu’il aimait mentir )et présence d’un inquiétant chien gris aux yeux jaunes, personnification de la mort.

Erika Tetzky
Erika Tetzky et August Michelson sur scène

Car la mort règne pendant ces deux guerres où le théâtre est transformé en hôpital même si les acteurs continuent de jouer. Le chien gris a beaucoup de travail, il ne ne s’arrête jamais et il jette aussi son dévolu sur les comédiens, en particulier sur la fragile et charmante Erika qui va s’éteindre toute jeune, elle qui, papillon vif et gai, personnifie l’âme de l’Estonia.  Mais il faut comprendre, aussi, pourquoi le chien s’acharne contre eux! Il en veut particulièrement à la troupe qui nargue la mort chaque soir pour faire vivre des personnages qui n’existent même pas mais qui ne peuvent jamais mourir.
Et le roman devient un magnifique hommage au théâtre et aux acteurs, à ceux qui font oublier l’espace d’une représentation, les soucis et les peurs, à ceux qui vivent leur métier comme un sacerdoce, transmettant  leur force et leur énergie au public à travers des textes qui, pour n’être que "mensonges", n’en sont pas moins essentiels, nous révèlent à nous-mêmes et nous donnent le courage de vivre. C’est ce qu’ont fait tous les acteurs du théâtre de l’Estonia.

"Un de ces jours-là, je me trouvais nez à nez avec le chien  gris (...)
- S’il n’y avait que cela, poursuivit le chien. Vous trompez le monde ! Les gens viennent vous regarder et ils découvrent que le monde n’est pas du tout comme ils l’avaient imaginé, que l’amour peut-être plus fort que la mort, -ridicule !- que les méchants sont toujours punis, et je ne sais quoi d’autre ! De quel droit vous payez-vous ainsi la tête de ces malheureux ? Ils ont leur vie toute tracée, ils naissent, travaillent, font des enfants, meurent, sans autre issue à espérer, pas comme Othello, ce type qui n’existe même pas et qui se fiche un coup de poignard soir après soir, comme si mourir était aussi banal que boire une tasse de café et pouvait se répéter à loisir, pour peu que l’envie vous en prenne. Eux, votre public, ils ne peuvent se permettre une chose pareille. Ils perdent à tous les coups, parce que personne ne m’échappe. Ils n’ont aucune chance. Pourquoi les tromper ?
- Nous leur donnons l’espoir, répondis-je.
- C’est exactement pour ça que je vous hais, rétorqua le chien en retroussant les babines."

 Bel hommage au mensonge donc car il est frère de l’imagination, cette imagination qui transforme tout, qui permet à la création littéraire ou artistique de prendre son essor, qui permet à chacun de sortir de lui-même pour être autre, pour vivre une autre vie et qui en conséquence est aussi indissociable du théâtre.
Andrus Kivirähk a beaucoup de respect pour ses personnages qu’il ne présente certes pas comme des saints, qui ont leurs défauts et qui, surtout pour les hommes, lèvent le coude un peu trop facilement, font des blagues de mauvais goût, énormes, et sont coureurs de jupons; et cela donne des récits pleins de saveur, d’humour et parfois de truculence.
Mais il sait nous montrer qu’ils ne sont pas que cela, et leur belle humanité apparaît d’abord dans leur conception du rôle du théâtre par rapport au public, puis dans leurs relations entre eux, amitié, amour, respect, solidarité et délicatesse d’esprit quand le faut, malgré la bonne dose d'autodérision qu'ils portent en eux. On sent toute la tendresse de l’auteur pour ces personnages qui sont en fait des êtres humains ayant réellement existé avec leur lot de tristesse, de chagrins, de maladies et de deuils mais qui ont fait jusqu’au bout leur travail d’amuseurs publics apportant la joie.
C’est ainsi que nous oscillons tout au cours du roman entre rire et nostalgie. On peut ajouter qu’Andrus Kiviräkh est un homme qui sait mentir et possède une imagination sans limite. Il nous le prouve ici dans ce premier roman,  comme il le confirmera plus tard avec L’homme qui savait la langue des serpents!

Le théâtre de l'Estonia à Tallinn de nos jours


L’Auteur

Andrus Kivirähk est un écrivain estonien né en 1970 à Tallinn. Véritable phénomène littéraire dans son pays, romancier, journaliste et essayiste, il est l'auteur d'une oeuvre déjà importante qui suscite l'enthousiasme tant de la critique que d'un très large public, qui raffole de ses histoires. Andrus Kivirähk écrit des romans et des nouvelles, des pièces de théâtres, des textes et des scénarios de films d'animation pour enfants.
Le Papillon est le premier roman de l'auteur du désormais livre culte L'Homme qui savait la langue des serpents et de Les groseilles de Novembre.