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dimanche 12 août 2012

Jennifer Lesieur : Jack London (biographie)




Lire la biographie de Jack London de Jennifer Lesieur, c'est pénétrer dans un monde qui ressemble fort à l'univers romanesque de ce grand écrivain qui a mis tant de lui-même dans son oeuvre. Il faut dire que la vie de London n'a rien de banal et que l'énergie, la vitalité, l'endurance, le courage, l'entêtement dont il fait preuve sont étonnants.
Cette rage de vivre, c'est ce qui frappe le plus dans cette biographie qui se lit comme un roman. On a l'impression qu'il  dévore la vie à cent à l'heure, pressé et avide, insatiable, comme s'il savait que ses années lui étaient comptées (il est mort à 40 ans)….  à moins que que ce soit justement cette flamme qui le brûle, ces excès en tout genre (boisson, automédication, travail surhumain, aventures et dangers) qui lui aient fait la vie si courte! En si peu de temps, il a connu tant de choses qu'il faudrait plusieurs vies aux êtres "normaux" pour faire de même! Enfant de famille modeste, abandonné par son père, il prend le nom de son beau-père, il est envoyé à l'usine dès l'âge de douze ans. Pour échapper aux cadences infernales d'un vie vouée à la misère, il se fait pirate, achète un bateau et pille les parcs d'huîtres, fréquente les bars douteux et y apprend l'attrait de l'alcool qui sera son compagnon de toute la vie, écoute les récits des marins qui décident de son amour de la mer. Il exerce de nombreux métiers, travaille dans une fabrique de jute ou comme électricien, s'embarque sur un voilier pour chasser le phoque, vagabond (trimardeur) il sillonne le pays, chercheur d'or dans le Grand Nord, il est atteint du scorbut, vit des aventures d'une dureté incroyable, plus tard il s'engage dans des combats politiques, participe aux grandes marches contre la faim, continue à lire avec passion et commence à écrire des nouvelles dont certaines vont paraître dans les journaux. Il reprend ses études, décide d'entrer à l'université, il étudie alors en deux mois, les matières de deux années de lycée. Il a à peine vingt ans!! Il met les bouchées doubles dans tout ce qu'il entreprend et quand la fortune arrive grâce à son abondante production littéraire (il ne cache pas qu'il écrit pour gagner de l'argent!) il s'achète un ranch, commence un vie d'éleveur, part faire le tour du monde en bateau, tour interrompu par la maladie mais qui lui permet de nourrir son imaginaire (comme il l'a fait pour le Grand Nord) de récits des Mers du Sud, Hawaii, Molokai, l'île des lépreux, les Marquises, Tahiti…. Une vie menée au pas de course, un personnage excessif, tourmenté, assez exceptionnel, passionnant mais  certainement difficile à vivre!

Le deuxième trait de caractère le plus saillant, en-dehors de cette insatiable appétit de vivre et de cette force de volonté féroce, ce sont les contradictions de cet homme, brillant, d'une intelligence supérieure, mais qui cultive les paradoxes. Ainsi son enfance misérable le met face au capitalisme dans toute son horreur. Il vit dans sa chair d'enfant l'abominable exploitation des ouvriers, ce qui le mènera à se découvrir socialiste et à lire Marx. Pourtant, alors qu'il prône la solidarité envers la masse, il croit dur comme fer au mythe américain du self made man dont il se fait la vivante incarnation. De même à l'encontre de toutes ses idées socialistes, il croit en la supériorité de la race blanche anglo-saxonne. Certains de ses romans portent l'empreinte de ce racisme et l'affirmation de cette supériorité même s'il a parfois de beaux accents pour montrer les aspects positifs de certains peuples qu'il rencontrés. Cette contradiction s'accroît encore avec sa richesse. Etre socialiste quand on se fait construire des maisons et des yachts luxueux, qu'on dirige de nombreux employés apparaît comme un paradoxe. Ce qui ne l'empêche pas de loger ses domestiques dans des chambres pourvues de tout le confort moderne pour qu'ils bénéficient eux aussi de ce luxe!

Tout en nous contant l'histoire incroyable de son héros, Jennifer Lesieur, analyse nouvelles et romans d'une manière approfondie, en les mettant en relation avec le vécu de son personnage mais aussi en dégageant, sous le récit d'aventure, la portée philosophique et la pensée symbolique de Jack London. Ce qui ne manque pas d'intérêt. Il est dommage, cependant, et là c'est imputable aux éditions Tallandier, que le livre regorge d'autant de fautes d'orthographe et de syntaxe qui gâchent la lecture. On dirait que le livre est une épreuve de lecture non corrigée, ce qui n'est pourtant pas le cas!



Biographie

Challenge les 12 d'Ys


lundi 6 août 2012

Irvin Yalom : Le problème Spinoza





Irving Yalom l'explique. Il avait depuis longtemps envie d'écrire un livre sur le philosophe Spinoza, esprit éclairé qui a influencé tant de grands esprits au cours des siècles. Ce philosophe d'une intelligence peu commune, en avance sur son temps, uniquement préoccupé de la recherche de la vérité séduisait l'écrivain. Juif excommunié en 1656 par les rabbins d'Amsterdam, définitivement coupé de sa propre famille à qui il lui était interdit de parler, et banni de la communauté juive à tout jamais, Spinoza a mené une vie intellectuelle intense mais discrète et retirée. C'est ce qui explique que sa vie reste peu connue. Il avait même demandé à ses amis d'effacer toutes traces personnelles dans ses écrits à une époque où il ne pouvait les faire publier qu'anonymement ou après sa mort. Comment écrire sur un homme dont on sait si peu?
Le déclic s'est fait, explique Yalom, en visitant à Amsterdam le musée Spinoza. Trop pauvre pourtant pour lui apporter des matériaux, il contient la bibliothèque reconstituée des ouvrages que lisait le philosophe. Yalom apprend alors que le Reichsleiter Rosenberg, chargé du pillage des biens juifs par Hitler a fait enlever tous les livres de la bibliothèque de Spinoza en 1941, déclarant que ces ouvrages permettraient peut-être de régler "le problème Spinoza".
Pourquoi se demande Yalom, Spinoza était-il un problème pour les nazis? A partir de là, l'écrivain va s'intéresser à Rosenberg et remonter aux sources de la vie et de la pensée du Reichsleiter pour nous présenter Spinoza. C'est ainsi que par des recherches sérieuses mais en s'autorisant aussi la fiction (il s'agit d'un roman) l'auteur à écrit ce livre qui en établissant un parallèle entre Rosenberg, le théoricien du nazisme et de l'antisémistisme, et Spinoza, engagé dans la lutte contre l'obscurantisme, nous permet de mieux comprendre ce que le philosophe avait d'exceptionnel et la puissance de sa pensée.

Une gageure mais réussie! Sachez tout d'abord qu'il n'y a pas besoin d'avoir lu les écrits de Spinoza pour apprécier le roman. Si l'exposition des idées du philosophe est intéressante, le portrait de Rosenberg et ses relations avec Hitler, cette tragique période historique qui fait contrepoint à celle des Pays-Bas du XVII siècle, le sont tout autant. Nous nous intéressons  à la partie  historique car Irvin Yalom nous fait assister à la montée du Nazisme dans une Allemagne paupérisée et humiliée par le diktat draconien du traité de Versailles..

Spinoza : ses idées religieuses

Spinoza reçoit un herem, excommunication, car il s'attaque aux autorités religieuses juives comme à celles de tout autre religion. Il est persuadé en effet, que les chefs religieux ont intérêt à expliquer les livres saints, ici la Torah, à leur manière. En développant l'obscurantisme, en privilégiant la peur, les superstitions, ils maintiennent leur emprise sur le peuple. Ceci enfin d'asseoir leur propre autorité sur les croyants : 

Les autorités qu'elles qu'elles soient, veulent empêcher que ne s'exerce notre raisonnement.

Nous devons faire la distinction entre ce que la Bible dit et ce que ceux qui font profession  de religion disent qu'elle dit.

La religion et l'état doivent être séparés. Le meilleur souverain que l'on puisse imaginer serait un chef librement élu dont les pouvoirs seraient limités par une assemblée également élue, et qui agirait en conformité avec le bien-être social, la paix et la sécurité de tous.

Il démontre que la Torah ne peut être un livre écrit par Dieu et il en prône une lecture nouvelle au cours de laquelle les paroles ne seraient pas prises à la lettre mais considérées comme des métaphores. Il réfute aussi l'idée d'un peuple élu par dieu.

Pour vraiment comprendre les mots de la Bible, il faut connaître les idiomes anciens et les lire dans un esprit libre et neuf.

Se pose la question de l'athéisme de Spinoza.  Il ne peut croire à un Dieu conçu sur le modèle des humains. Il pense que le monde est régi par une suite de causes naturelles et obéit à un ordre universel commandé par des lois prévisibles. C'est donc à travers la nature que Dieu se manifeste et non comme une entité douée de volonté. On voit que ces idées dans l'Europe catholique de l'époque sentent le bûcher! Même aux Pays-Bas, elles mettent sa vie en danger; je me demande d'ailleurs si, de nos jours, Spinoza n'aurait pas aussi quelques difficultés!

Spinoza : sa recherche de la paix de l'esprit

Dans le roman, Rosenberg se demande comment un vrai allemand comme Goethe a pu trouver l'apaisement en lisant la philosophie du juif Spinoza. Celui-ci, nous explique l'écrivain, défend l'idée que nous pouvons surmonter nos tourments et nos passions humaines en parvenant à la compréhension d'un monde tissé sur la logique. Si nous acceptons l'ordonnancement naturel du monde, l'idée que nous faisons partie de cet ordre et que tout est soumis -même les hommes-  à un lien causal, alors nous pourrons trouver l'apaisement. Car rien n'est en soi et pour soi véritablement plaisant ou effrayant. C'est l'esprit seul qui rend les choses ainsi. Il ne faut donc pas essayer de changer les évènements mais de changer la façon dont notre esprit envisage l'évènement.

 Le roman est une oeuvre de vulgarisation. L'écrivain est pédagogue, peut-être un peu trop parfois, surtout quand il met en scène les personnages fictifs de Franco Benitez au XVIIème et Freidrich Pfister au XXème. Ceux-ci répondent à toutes nos questions, levant pour nous les difficultés et les obscurités du texte philosophique mais on ne peut s'intéresser à eux en tant que personnages. C'est une faiblesse du roman en même temps qu'une contradiction car s'ils n'étaient pas là, le lecteur non philosophe ne pourrait suivre le récit. Il faut donc accepter cette convention littéraire sachant que, par contre, les personnages de Spinoza et Rosenberg sont très crédibles et que l'histoire se lit avec intérêt. Le roman est donc très agréable à lire.


                         
 Merci à La librairie Dialogues

vendredi 3 août 2012

Betty Mindlin : Carnets sauvages chez les Surui du Rondônia






Betty Mindlin est une anthropologue brésilienne. Dans Carnets sauvages elle raconte au fil des notes prises pendant ses différents séjours dans la forêt amazonienne le quotidien des Surui, un peuple qui vit en plein coeur de l'état de Rondônia. Elle nous décrit les traditions des Surui, leurs mythes, leur mode de vie, leur évolution, mais elle nous fait part aussi de ses propres sentiments par rapport à ce peuple, de ces moments de bonheur entourée de leur chaude affection, mais aussi des difficultés rencontrées, d'une vie parfois rude et âpre, des moments de déprime quand elle pense à ses propres enfants et à leur éloignement. Carnets sauvages n'est donc pas une oeuvre scientifique - Betty Mindlin a publié des études et une thèse sur ce sujet - mais plutôt une sorte de journal intime où, sous l'anthropologue, la femme apparaît.

L'intérêt des Carnets sauvages tient bien sûr à la découverte de ce peuple dont les moeurs sont pour nous surprenantes et c'est avec beaucoup d'intérêt que nous pénétrons dans leur vie, que nous découvrons des coutumes et des croyances influencées, bien sûr, par le milieu, cette grande forêt sauvage où les esprits des arbres et de la terre peuvent parfois devenir dangereux. Mais ce qui est aussi passionnant c'est que cette étude n'est pas abstraite, elle est présentée à travers des personnages bien vivants, qui finissent par nous devenir familiers, que nous connaissons comme des amis, tous avec leurs qualités et leurs faiblesses, des hommes et des femmes, enfin, pas si éloignés de nous tous malgré les différences, faisant partie de la grande famille humaine!

Ce que je ressens de façon plus aiguë, c'est la simplicité et le mystère du village, que nous avons perdu dans notre routine urbaine. La nuit je regarde les corps nus qui ont besoin du feu pour se réchauffer : c'est très étrange, c'est le destin du genre humain qui se donne à voir.

Mais, disons-le tout de suite, j'ai éprouvé un grand regret avec ce récit qui aiguise notre curiosité, parce que l'édition Métailié ne propose aucune image (alors que Betty Mindlin prend beaucoup de photographies, nous dit-elle) ni des villages, ni de l'oca, la Grande Maison où vivent les familles, ni des plantations, des fêtes rituelles et même pas des hommes et des femmes que nous apprenons à connaître : Naraxar, le solitaire qui demande Betty Mindlin en mariage, Caimabina la superbe épouse de Iamabop, l'Impératrice, la Désirée des hommes, Uratugare, le beau chasseur, le séducteur,  Garapoy le pajé, puissant et dangereux sorcier, guides des âmes et  d'un autre regard sur l'espace temps, Garapoy qui dévoile le Marameipeter, le chemin de l'âme, qu'il dessine par terre. Et cette absence de documentation est frustrante!

Dans ces carnets Betty Mindlin ne cède pas à la tentation du mythe du "bon sauvage" à la Rousseau. Sa formation d'ethnologue l'en préserve, l'observation de la réalité aussi. Ainsi à propos des femmes, elle est d'abord frappée par leur beauté :

Elles sont superbes. Celles qui ont des enfants en bas âge, les allaitent ou les  portent enveloppés dans de grandes bandes de coton qui semblent bien pratiques et laissent les bras libres. elle les tissent elles-mêmes, et certaines sont décorées de dessin au rocou, de bracelet de graines de Tucuma ou de dents cousues à intervalles réguliers.

 Mais plus tard  à l'occasion d'un coup de couteau porté à l'une d'entre elles :

La violence contre les femmes était impressionnante. Jusqu'à présent, tout m'avait semblé si romantique, les hommes séducteurs et gentils. Le coup de couteau, même si c'était du côté plat, contenait une menace de mort.

Peu à peu, elle s'aperçoit de la condition de la femme dans la tribu Surui qui sert de monnaie d'échange pour satisfaire les appétits des hommes, pacifier l'humeur belliqueuse des autres. Elles sont mariées fort jeunes, voient leurs enfants mourir en bas âge (la mortalité enfantine est très élevée), sont mises en quarantaine pendant leurs règles ou après l'accouchement, ce qui permet d'échapper aux corvées mais est aussi ennuyeux qu'être en prison! et subissent coups et mauvais traitements de leur mari.

Les femmes restaient soumises au bon vouloir de la volonté masculine, et l'égalité entre les sexes disparaissait. Je n'avais vu qu'une femme avec un oeil au beurre noir. J'ai senti à partir de là que le quotidien n'était pas si paisible.

Si d'un séjour à l'autre, il y a parfois (et cela se comprend) des répétitions, des retours en arrière qui émoussent un peu notre curiosité et lassent notre intérêt, cela tient à la démarche scientifique de l'ethnologue qui progresse par recoupement, surmonte les difficultés de la langue, fait céder les résistances de ceux qui ont des réticences à se livrer. Les liens qui se nouent entre elle et ses amis lui permettent au fur et à mesure de mieux comprendre cette civilisation et de préciser ce qu'elle n'avait pas saisi en remontant à la source. Le récit, malgré ses redites, reste cependant intéressant et facile d'accès. Il s'agit d'une oeuvre de vulgarisation qui nous permet de nous investir dans cette recherche d'ethnologue comme si nous la vivions ! J'ai préféré pourtant le premier récit où Betty Mindlin semble "ensorcelée" (c'est le mot qu'elle emploie) par les Surui et nous transmet une vision presque magique de ce peuple.

Une remarque, encore, pour exprimer mon étonnement : Si tous les sujets sont abordés y compris les rapports entre hommes et femmes de la tribu tant au niveau de la sexualité que de l'organisation sociale, j'ai été tout de même un peu surprise que l'auteur nous livre ses propres fantasmes vis à vis des beaux mâles Surui dans des récits "imaginaires" qu'elle nous relate! Curieux pour une scientifique, non? Mais bon, comme je vous le disais sous l'anthropologue, la femme!

Les carnets se décomposent en six parties qui correspondant aux séjours de Betty Mindlin, le premier remontant en 1979, le sixième en 1983. Après les carnets, l'auteur est encore retournée plusieurs fois chez les Surui en 1994, dans les années 2000. Elle a vu le défrichement de la forêt et les conséquences sur le mode de vie des Surui, elle constaté le changement de mentalité de ces peuples au contact des populations blanches, elle les a vus dépossédés de leur terre au profit d'entreprises qui se sont enrichis sur leur dos, elle les a vus devenir des salariés exploités là où ils régnaient en maîtres. Elle a combattu avec eux pour qu'ils fassent valoir leurs droits. Ils se sont organisés dans la lutte mais il s'agit un peu du combat du pot de terre contre le pot de fer. Avec la destruction de la forêt, l'exploitation de gisements de diamants n'a rien arrangé, des milliards d'intérêt sont en jeu. La civilisation des Surui telle qu'elle était alors a disparu.

Les Surui ont été les grandes eaux inondant mes journées. Je veux retourner vers eux avec une âme nouvelle, pour demander aux petits-enfants de mes amis ce qu'ils pensent du monde, du Brésil, de leur nouvelle vie, quels dieux ils suivent, s'ils vont encore au pays de l'au-delà, le Marameipeter ou Gorakoied, si d'autres pajés différents vont venir.





Merci à la librairie Dialogues : 

samedi 28 juillet 2012

Fin du festival d'Avignon 2012 : mon blog en pause


Avignon Juillet 2012


A l'heure où j'écris, ce samedi 28 Juillet, le Festival d'Avignon 2012 se termine. Et pendant que La mouette de Tchékov survole encore pour un soir la Cour d'Honneur, que les derniers spectacles se déroulent dans les lieux mythiques du festival et dans les salles de théâtre encore ouvertes, l'on sent déjà la fin de la fête. Le calme est revenu,  dans ma rue, les affiches ont été enlevées par les équipes municipales qui vont s'activer pendant quelques jours pour rendre à la ville son aspect normal. Les touristes sont partis, les amoureux fous du théâtre, remplacés par d'autres qui ne sont pas du tout les mêmes. Avignon tourne la page! Et moi je ressens un petit sentiment de nostalgie que je balaie avec ces quelques images que j'ai prises lorsque le festival battait encore son plein.















Je mets donc mon blog en pause pour le mois d'août. Je ne publierai plus que de temps en temps les billets sur des pièces de théâtre, des livres et des challenges en retard. En attendant repos en Lozère où, de toutes façons, internet est bien difficile d'accès!! Quant à vous toutes et tous je vous souhaite aussi de belles vacances avant de nous retrouver en Septembre!



samedi 21 juillet 2012

Festival In Avignon 2012 : Six personnages en quête d'auteur Pirandello/


J'ai beaucoup aimé Six personnages en quête d'auteur de Pirandello mis en scène par Stéphan Braunschweig au cloître des Carmes.
Dans l'adaptation qu'il en propose, Stéphane Braunschweig a actualisé la première partie où l'on voit des comédiens répéter une pièce et s'interroger sur la mise en scène. Les questions sur le théâtre soulevées par Pirandello dataient de 1930. A partir des improvisations de ses acteurs, de leurs questionnements sur ce qu'est leur métier de nos jours, Braunschweig a écrit un prologue qui pose les problèmes du théâtre actuel, et s'interroge sur la primauté du texte, la polémique entre "dramatique" et "post-dramatique", la déconstruction, la transversalité entre les arts. J'ai eu l'impression d'une conversation très juste, à bâtons rompus, comme celles que je peux avoir avec ma fille, très favorable, elle, à la conception nouvelle du spectacle théâtral alors que je reste toujours très attachée au théâtre de texte. Mais Stephane Braunschweig a raison, une mise en scène, c'est comme une adaptation littéraire à l'écran, les plus réussies sont celles qui gardent l'esprit de l'auteur mais savent prendre des libertés avec le texte pour mieux le servir. C'est ce qu'il fait dire aux comédiens "on garde l'auteur, mais on ne garde pas forcément le texte." Et c'est ce qu'il fait lui-même et réussit brillamment avec le texte de Pirandello.

Ces propos théoriques sont donc intéressants mais la pièce ne commence vraiment pour moi qu'avec l'arrivée des personnages qui permet de continuer l'interrogation sur le théâtre d'une manière plus vivante et concrète. De plus, elle introduit aussi une histoire que l'on découvre par bribes, d'une manière fragmentaire et progressive, avec un crescendo dramatique qui crée la tension et l'émotion théâtrale. Le jeu et les disputes entre les "vraies" personnages et les acteurs qui les représentent sont à la fois passionnants, pleins d'humour, et posent tous les problèmes du théâtre en particulier de la convention théâtrale. Les personnages veulent retrouver l'univers "réel" qui est le leur alors que le metteur en scène de la pièce et le metteur en scène Stéphane Braunschweig  - oui, je sais cela paraît compliqué! Il y a deux metteurs en scène car n'oublions pas qu'il s'agit d'une mise en abyme, du théâtre dans le théâtre! - les metteurs en scène, disais-je, les placent dans un décor stylisé, un scène et un mur nus, blancs, où sont projetées des scènes filmées qui proposent plusieurs versions de la même histoire selon la subjectivité du personnage qui raconte. Les silhouettes qui apparaissent sur cet écran sont démesurées, menaçantes et semblent dominer et enserrer dans leurs griffes les personnages qui se débattent sur scène, fragiles, minuscules, menées par les passions et le destin. D'autre part, il faut ajouter l'auteur que Stéphane Braunschweig convoque devant nous! Celui-ci ainsi que le metteur en scène et ses comédiens sont comiques par leurs réactions et pourtant fort tourmentés lorsqu'ils voient les personnages leur échapper, vivre leur vie propre, tous préoccupés de la tragédie qu'ils vivent et des terribles relations qui existent entre eux, de ces  "affreux noeuds de serpents des liens du sang" dont parle Eluard. Et j'avoue que je suis comme eux. L'auteur et le metteur en scène me paraissent dérisoires face à ce que vivent des hommes et ces femmes, ces enfants aussi, je suis prise par la complexité de leurs sentiments, l'horreur de l'histoire. L'émotion naît, le théâtre a atteint son but loin de toute théorisation! La gorge se serre face à l'absolu de la tragédie!
Un excellent spectacle!

mardi 17 juillet 2012

Festival OFF avignon 2012 : A toi pour toujours Marie Lou de Michel Tremblay

A toi pour toujours Marie Lou de Michel Tremblay


Né à Montréal en 1942, Michel Tremblay vit sa jeunesse dans un appartement de sept pièces du quartier Plateau Mont-Royal avec trois familles totalisant 12 personnes. Considérant avoir eu une enfance heureuse, il grandit entouré de femmes, qu'il observe, discrètement. Le milieu culturel dans lequel il se développe, ses proches et le quartier du Plateau-Mont-Royal seront à la source de son œuvre. (source wikipédia)
Son oeuvre a été couronnée de nombreux prix. Il est actuellement traduit en 35 langues.

La pièce de Michel Tremblay A toi pour toujours ta Marie-Lou mise en scène par Christina Bordeleau à Essaïön est une pièce très forte et l'on n'en sort pas indemne tant elle propose une vision noire et pessimiste de la société québécoise des années 70 mais aussi une réflexion plus générale sur l'amour, la sexualité, les rapports entre les couples et leurs conséquences tragiques sur les enfants. Michel Tremblay critique ici l'aliénation sociale de l'ouvrier exploité, rivé à sa machine toute sa vie, esclave d'un patron à qui il n'ose pas demander une augmentation et qui trouve une consolation dans l'alcool. Mais la femme de l'ouvrier n'est pas mieux lotie, opprimée par la morale catholique, l'obéissance au prêtre, la honte de sa sexualité et la maternité non désirée. Entre eux la haine a remplacé l'amour.

Carmen et Marie-Lou revoient la dernière journée de leurs parents Marie-Louise et Léopold il y a de cela dix ans. Les quatre personnages sont sur scène en même temps mais les deux jeunes filles n'appartiennent pas à la même époque ce que traduit la mise en scène qui les place en retrait, en arrière de la scène où elles sont tout à tour adultes, dans le présent, ou enfants, dans le passé, épiant leurs parents, toutes les deux atteintes, chacune à sa manière par les disputes, les scènes qui opposent leurs parents, la violence.
Le père et la mère sont tous deux assis à chaque extrémité de la scène, l'un à une table de bistro, l'autre tricotant dans son salon, ils ne se regardent pas, ils se parlent pourtant mais comme s'ils étaient à une grande distance l'un de l'autre. Une mise en scène sobre mais efficace qui nous permet d'emblée de situer les personnages dans leur univers et de comprendre la nature de leurs relations, le fossé infranchissable qui les sépare.
 Les acteurs tous excellents interprètent ces personnages avec une grande intériorité et une vérité criante. Il n'ont pas besoin de bouger pour nous faire sentir leur aliénation. Un geste, une attitude suffisent. La misère morale, sociale et sexuelle de ces personnages et les répercussions sur Carmen qui est parvenue à s'émanciper et Marie-Louise confite en dévotion qui ne peut, ni ne veut oublier, est touchante. On sort de ce spectacle le coeur serré.  Une réussite !
Texte commun rédigé par Wens et Claudialucia


A toi pour toujours Marie Lou
Michel Tremblay
Essaïon
du 7 au 28 Juillet à 12H30
Durée 1H20

samedi 14 juillet 2012

Festival IN Avignon 2012 : Les anneaux de Saturne de Katie Mitchell

Les anneaux de Saturne Katie Mitchell (source Theatral magazine)

Les anneaux de Saturne, spectacle en allemand surtitré, donné au Gymnase Aubanel dans le cadre du festival IN a été mise en scène par Katie Mitchell.
Le roman de W G Sebald a servi de base à cette adaptation. L'écrivain allemand y raconte son voyage en Angleterre, dans le comté de Suffolk. Ses pérégrinations  font resurgir le passé lié à la seconde guerre mondiale puisque c'est de là que partaient les avions qui bombardaient les villes allemandes et le présent, cette côte étant particulièrement menacée par la montée du niveau de la mer du Nord qui sape une partie des terres. Un voyage terriblement éprouvant.
Disons-le tout de suite, ce spectacle m'a particulièrement déçue. J'avais vu l'année dernière l'excellente mise en scène de Katie Mitchelle, Kristin, d'après la pièce de Strinberg, Mademoiselle Julie. Ce spectacle que j'avais énormément aimé montrait le point de vue de la servante de Julie, Kristin, dont le fiancé, Jean, a une liaison avec sa maîtresse. Voilà ce que j'en disais :

Grâce à un ingénieux dispositif scénique, le décor de la maison de Julie qui se transforme par des panneaux coulissants entre intérieur et extérieur, on peut se rendre compte que Kristin est à même de voir et d'entendre ce qui se passe dans les pièces où elle n'est pas. Il en de même pour l'extérieur qu'elle observe d'une fenêtre. Si bien qu'elle suit, et avec quelle douleur rentrée, l'idylle qui se noue entre les jeunes gens, sans jamais pouvoir exprimer sa révolte, son humiliation, son chagrin, elle, servante soumise au pouvoir de sa riche maîtresse comme à  celui de l'Homme, Jean, qu'elle sert avec dévouement.
En même temps que se déroule le drame au théâtre, celui-ci est filmé de près par plusieurs caméras qui suivent les comédiens. Le film se fait devant nous, projeté sur un écran au-dessus du décor, nous permettant d'assister à la représentation théâtrale et simultanément à la réalisation filmique!Un enrichissement certain pour le spectateur qui peut voir à la fois la scène de l'extérieur de la maison mais aussi de l'intérieur, dédoublement spatial absolument étonnant et qui nous éclaire sur les personnages.

Quant au film qui se réalise devant nous, il faut d'abord souligner l'exploit technique qu'il représente, plusieurs caméras filmant au pied levé Kristin mais aussi sa doublure, et les doublures  de ses mains, une Kristin démultipliée qui nous apparaît ainsi sous diverses facettes. Mais ce qui est saisissant, c'est la beauté du film, magnifié par de splendides éclairages, halos des lampes en cuivre qui crée des clairs-obscurs dignes d'un tableau de Rembrandt. Voir ICI

Si je cite ce billet d'un spectacle passé, c'est pour mieux faire comprendre ma déception devant le spectacle présent.
Katie Mitchell emploie le même genre de dispositif, en arrière-plan derrière une porte qui s'ouvre et se ferme périodiquement un hôpital où est alité le voyageur-écrivain, rendu malade par son triste voyage. Une projection permet de le voir de près ainsi que le personnel-soignant qui l'entoure, le reste du temps l'utilisation par Katie Mitchell d'un film ancien, Patience de Grant Lee, est projeté sur les murs sales du gymnase. Il nous faut donc regarder ces images grises et peu lisibles pendant tout le spectacle (je sais bien que c'est pour nous montrer la tristesse du paysage mais l'intérêt reste limité.). Sur scène des acteurs réalisent le bruitage en direct, piétinements sur du sable ou de la paille, écoulement d'eau etc… Là encore l'intérêt s'épuise vite. Reste le texte lu par des comédiens et dont la traduction forcément réduite est projetée sur le mur au-dessus de la scène. Quand on ne connaît pas l'allemand, on se dit que l'on ferait bien mieux de découvrir le texte dans une traduction française, confortablement installé chez soi!
J'ai trouvé que Katie Mitchell réalisait avec Les anneaux de Saturne une pâle copie de ce qu'elle avait fait l'année dernière avec Kristin où le bruitage se faisait certes devant le spectateur mais où, de plus, la pièce de théâtre était interprétée, filmée (et quel film!) et projetée devant nous! Le dispositif était non seulement ingénieux puisqu'il montrait différents niveaux de la maison mais se justifiait tant au plan de l'action (pour que Kristin puisse découvrir l'intrigue entre Julie et Jean) que de la psychologie du personnage de Kristin qui, jalouse, humiliée, blessée, épie tout ce qui se passe autour d'elle! Alors que là, le dispositif paraît gratuit. Certes le metteur en scène le justifie en disant : "Concrètement il n'y a pas d'histoires à raconter et pas vraiment de personnages présents… J'ai alors dû imaginer comment on voyage dans la tête du narrateur." . Mais l'effet reste peu convaincant et pauvre, on n'est loin du foisonnement d'idées, d'images, de couleurs de Kristin qui emportait le spectateur dans un tourbillon. Celui-ci ne savait plus où arrêter son regard, ayant toujours peur de manquer quelque chose de ce passionnant spectacle! Avec Les anneaux de Saturne, hélas, on a le temps de s'ennuyer!

Remarque :  Dans Theatral magazine les critiques pensent que si Les anneaux de Saturne mis en scène par Katie Mitchel n'a pas atteint son but c'est parce que "cette sollicitation éclatée des sens mobilise excessivement le filtre cérébral au détriment du filtre émotionnel." Mais dans Kristin, la sollicitation des sens étaient encore plus importante et l'émotion était pourtant là! A mon avis, une mise en scène n'est pas une recette, elle ne convient pas pour tous les textes!

Texte commun  de Wens (En Effeuillant le Chrysanthème) et de Claudialucia

mercredi 11 juillet 2012

Festival OFF Avignon 2012 : Les Invisibles de Nasser Djemaï au Chêne Noir


Les invisibles de Nasser Djemaï

A la mort de sa mère, Martin part à la recherche de son père qu'il n'a jamais connu avec pour seul renseignement l'adresse d'un foyer pour vieux travailleurs immigrés. Il va certes découvrir l'identité de son père mais aussi le quotidien de travailleurs à la retraite, ceux qui ont participé à la croissance des Trente Glorieuses. Ils sont devenus des "Chibanis" ( des hommes aux cheveux blancs). Ils sont "invisibles"  dans  la société française qui les ignore ou les rejette, et ils sont devenus des étrangers sur leur terre natale. Pour réaliser sa pièce l'auteur Nasser Djemaï, metteur en scène français, d'origine algérienne, a recueilli pendant de longs mois le témoignage de vieux travailleurs immigrés. 
Cette pièce est un hommage à tous ces ouvriers exploités, volontairement ignorés, ces fantômes qui ont permis à la France de se relever de ses cendres au lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais Nasser Djemaï veut tellement nous faire partager tous les détails de l'histoire de ces hommes que la pièce devient, à mon avis, trop démonstrative. L'auteur ne veut rien omettre des grandes dates de l'histoire : les massacres de 1945, l'enrôlement obligé dans l'armée française, les répressions pendant la guerre d'Algérie… il insiste sur l'exploitation scandaleuse des immigrés. Le propos me semblerait plus convaincant si Djemaï ne voulait pas tout dire dans une seule pièce. Et c'est dommage car les dialogues sonnent juste et la situation des chibanis nous touche. La distribution est homogène, les acteurs portent le texte avec conviction et talent.
Texte commun de Claudialucia et de Wens.


Les invisibles de Nasser Djemaï.
Théâtre du Chêne Noir.
Du 7 au 28 juillet à 16 heures.

mardi 10 juillet 2012

Festival OFF Avignon 2012 : Louise Michel, écrits et cris de Marie Ruggeri


La compagnie Marie Ruggeri présente à Essaïon Louise Michel, Ecrits et cris qui est un des meilleurs spectacles que j'ai vus jusqu'à maintenant dans le OFF.

A sa table une femme vieillissante écrit ses mémoires… Louise Michel revoit comme en rêve  défiler les évènements marquants de sa vie. De narration à l'incarnation, tour à tour spectatrice et actrice de sa vie, Louise nous plonge dans son parcours hors du commun.
Loin de l'image d'Epinal ou de l'icône qu'elle est parfois devenue, apparaît alors une Louise plus intime, une écorchée vive, une femme face à ses blessures, ses doutes.
Ce spectacle a été conçu à partir de la correspondante et des mémoires (Je vous écris de la Nuit) de Louise Michel….. Note d'intention de Marie Ruggeri


Ils sont deux sur la scène, Marie Ruggeri qui incarne le personnage de Louise et Christian Belhomme. Il est Théophile Ferré, le compagnon de combat de Louise, emprisonné puis exécuté. Et devant nous défilent les écrits et les cris de cette femme exceptionnelle qui voua sa vie à la quête de la liberté et de la justice. Nous entrons dans son histoire, son enfance, fille d'une servante engrossée par le fils des châtelains, "bâtarde" non reconnue par son père mais aimée et éduquée avec soin par ses grands parents, nobles voltairiens, incroyablement libéraux. On la voit désemparée à leur mort, écrivant à son dieu Hugo, lui envoyant des poèmes et recevant une réponse salvatrice. Puis la petite histoire rejoint la grande, le coup d'état, son refus de prêter serment à l'Empire, son métier d'institutrice, son combat pour la Commune,son emprisonnement, sa déportation en Nouvelle-Calédonie et toujours sa lutte pour les opprimés, les femmes, les Kanaks…
Les jeux de lumière sculptent des zones de clair-obscur, suivent les évolutions de la comédienne talentueuse Marie Ruggeri. Elle écrit, semant sur son chemin les feuilles blanches de la vie de Louise qui se teintent parfois de sang. Elle fait renaître la passion, l'idéalisme, le courage et la dignité de cette femme mais aussi ses souffrances qu'elle exprime dans la chanson mis en musique par Jean Ferrat : "Je ne suis qu'un cri". La musique de Christian Belhomme au piano, créée pour la pièce, accompagne sa douleur. L'émotion naît. Un très beau spectacle.

Voir l'avis de Wens dans En effeuillant le chrysanthème

Louise Michel écrits et cris
 Compagnie Marie Ruggeri
Esssaïon 15H50
 du 7 au 28 Juillet

Festival OFF Avignon 2012 : Eugène Labiche, Les vivacité du capitaine Tic



Ce vaudeville Les vivacité du capitaine Tic a été joué pour la première fois à Paris en 1861. C'est une pièce peu connue, rarement jouée et ce n'est certainement pas la meilleure d'Eugène Labiche mais le spectacle mis en scène par Freddy Viau est sympathique et amusant.

Le capitaine Tic vient de démissionner de l'armée et  rentre chez sa tante. Soupe au lait, Tic a le pied vivace et botte allègrement le fondement de ses interlocuteurs lors d'un accès de colère. Dès son retour, il tombe amoureux de sa jeune cousine Lucile et réciproquement mais celle-ci est promise par son tuteur à un jeune homme fat et ennuyeux, Celestin Magis. Comme dans toute bonne comédie l'amour finit par triompher mais non sans mal et après maintes péripéties.

Comme tous les vaudevilles, Les vivacités du capitaine Tic est le reflet d'une époque révolue. Labiche y taquine les petits bourgeois prétentieux, imbus d'eux mêmes, y égratigne les militaires, dénonce discrètement la condition féminine. Pour rendre l'aspect désuet de ce monde la mise en scène place les personnages dans un décor volontairement suranné qui se joue des conventions théâtrales, les horloges n'y marchent pas et le feu est un panneau que l'on vient plaquer sur la cheminée. L'action se déroule sur un rythme d'abord un peu lent puis de plus en plus enlevé à mesure que la situation des deux amoureux se complique et que les quiproquos et rebondissements s'enchaînent. Tous les comédiens jouent avec entrain et justesse.  La réaction du public enfants ou jeunes ados dans la salle est agréablement spontanée, ils réagissent avec une bonne humeur communicative et comme les parents s'amusent aussi, tout est pour le mieux!  Un  spectacle à voir en famille pour un bon moment de détente.

Texte commun rédigé par Wens de En effeuillant le chrysanthème et Claudialucia

lundi 9 juillet 2012

Festival In Avignon 2012 : Le Maître et la Marguerite de Boulgakov et Simon McBurney


La ville de Moscou sur le mur du Palais des Papes (source le Nouvel Obs)


La Cour d'Honneur est un lieu magique où se déroule sous les étoiles et entre les hautes murailles et les tours médiévales du Palais des Papes la  grande messe théâtrale du festival d'Avignon. Samedi 7 juillet 2012, c'est la première de la pièce Le maître et la Marguerite, grand roman de Boulgakov adapté au théâtre et mis en scène par Simon MCBurney. Un éblouissement! Un splendide, un magistral spectacle où le spectateur est emporté non seulement dans la Russie des années 1930 sous le regard de Staline mais aussi dans la Jérusalem de Ponce Pilate, dans l'Allemagne nazie ou à l'époque actuelle, là où fleurissent les dictatures ou encore au royaume de Satan entraîné dans un sabbat échevelé. Réalisme, fantastique, passé, présent, futur, tout se mêle et se bouscule dans une extraordinaire fantasmagorie dont le Diable ... ou plutôt Simon McBurney règle le bal!

Simon Mc Burney réussit l'exploit de mettre en scène une oeuvre aussi capitale que Le Maître et la Marguerite de Boulgakov qui s'inspire du Faust de Goethe en conservant la complexité du roman, complexité structurelle d'abord en entremêlant avec habileté trois récits : 
Le premier a Moscou en 1930 dans lequel apparaît  un personnage étrange nommé Woland  qui n'est autre que Satan accompagné de ses serviteurs, Fagotto, Hella et le chat noir Béhémoth. Tout ce petit groupe va semer le désordre chez les bureaucrates chargés de la publication des livres et de la censure, hommes corrompus, aux idées étroites, soumis au dictateur. Un pauvre poète, Ivan  Biezdomny, assiste à ces scènes étranges mais lorsqu'il révèle la vérité il est envoyé dans un asile de fous où il retrouvera le Maître, un écrivain tourmenté, qui a jeté au feu le roman qu'il écrivait sur Ponce Pilate, interdit par la censure.

Le second récit se passe à Jérusalem où  Ponce Pilate pourtant attiré par les paroles d'amour de Jésus accepte de le sacrifier. Il s'agit du roman écrit par le Maître dont la narration entrecoupe habilement  la première action.

Le troisième est celui où Marguerite qui aime d'un amour passionné le Maître (de son coeur) vend son âme au diable pour sauver son amour.

Complexité aussi des tonalités si variées du roman de Boulgakov très bien rendus par la mise en scène et par les excellents comédiens de Simon McBurney. On est dans la farce, l'humour, puis dans le tragique (j'ai adoré la voix de tragédienne antique, chaude, rauque, sensuelle, de l'actrice qui incarne Marguerite). On rit, on s'émeut, on s'émerveille...

Complexité du sens : Le Maître et la Marguerite est avant tout une réflexion sur le Bien et le Mal non seulement collectif comme dans les dictatures mais aussi individuel. Quand Satan se demande si l'homme a changé au cours des millénaires, il interroge le public de 1930 mais aussi celui de 2012, nous, spectateurs dont l'image projetée sur le mur nous met face à nous-mêmes. Et Satan conclut que non! Les hommes et les femmes sont toujours régis par la soif de l'argent, du pouvoir politique et celui de la séduction. Satan n'a pas de crainte à avoir, son travail n'est pas terminé sur la Terre. Et pourtant certains lui échappent et Marguerite, quant à elle, n'a pas fini de l'étonner avec l'amour qu'elle éprouve pour le Maître! L'amour, quel mot puissant et dangereux!
Le maître et le Marguerite interroge aussi sur la création littéraire et sur la liberté de l'artiste. Dans une dictature, l'écrivain, le Maître, et le Poète, Ivan Sans-Logis (c'est la traduction du nom russe), n'ont de place que dans un asile de fous. La vérité fait peur, on l'emprisonne. Pourtant la force de la littérature existe et c'est le diable lui-même qui l'affirme : "les manuscrits ne brûlent pas!" Car Satan finalement est une créature plutôt sympathique, il introduit dans cet univers sans fantaisie des idées subversives qui bousculent les consciences, il provoque le scandale et le désordre qui sont les bienvenus dans un monde où la liberté est muselée, où la vérité fait peur.

La scénographie est splendide : peu de décors pourtant en dehors d'un lit et d'une paroi mobile figurant l'hôpital, d'une  guérite qui est tour à tour un tramway, un lieu de péage, une entrée, tout est dans la lumière qui circonscrit l'espace sur la scène, tout est dans les vidéos qui martèlent le bruit des bottes et défilent au pas de l'oie sur les trois murs de la Cour d'Honneur. Les personnages filmés sur la scène s'envolent à l'assaut des murs du palais. Celui-ci devient un écran géant, il est alors un personnage à part entière, il est la ville de Moscou, il est le ciel où roule la planète Terre ravagée par la guerre, il est l'immense salle de bal de Satan que celui-ci démultiplie à l'infini car Simon McBurney, réussit l'exploit, et oui, d'agrandir l'imposante cour d'Honneur trop exiguë pour lui ... je veux dire pour le Maître des Enfers !

Il y a de grands moments, des moments magiques dans cette mise en scène : Lorsque Marguerite vole, lorsqu'elle chevauche avec son amant un cheval de lumière qui s'élève vers le ciel, lorsque Satan et sa cour infernale transforment de simples chaises en coursiers de l'Enfer... Des moments grandioses aussi lorsque la façade du Palais se fissure devant nous, ébranlée par la compassion ressentie par Marguerite, la compassion, un sentiment que Satan hait, contre lequel il est impuissant et qui fait voler en éclats son pouvoir! La fissure s'élargit, on se dit "non! il n'osera pas!" (il, c'est Simon McBurney) et il ose : le palais des papes s'écroule devant les spectateurs en une avalanche de pierres qui s'entassent sur la scène en un violent fracas! Sublime!

Voir le billet de Wens dans En effeuillant le chrysanthème ICI

Festival OFF d'Avignon 2012 : Hitch au théâtre du Balcon


Hitchcock, Alma et Truffaut


Si vous êtes cinéphile, si vous êtes amoureux de Hitchcock ... ou de de Truffaut, si vous avez envie d'assister à un spectacle théâtral réussi et plein d'humour, n'hésitez pas! Allez voir Hitch au théâtre du Balcon!

Hitch
Hollywood Aout 1962.

Le jeune Francois Truffaut, rédacteur des Cahiers du Cinéma, vient de terminer son troisième long métrage Jules et Jim. Il se rend dans les studios de la compagnie Universal pour rencontrer Alfred Hitchcock qui terminait le montage de son film Les oiseaux. Il cherche à obtenir du réalisateur anglais et son épouse Alma  une série d'entretiens afin de réaliser un livre dont la première parut effectivement en 1965. C'est l'histoire de ces premières rencontres que les auteurs de la pièce ont imaginée.


 Hitch est l'oeuvre de cinéphiles, Alain Riou et Stéphane Boulan qui n'ignorent rien de la filmographie et de la vie d'Hitchcock mais la pièce ne s'adresse pas seulement aux abonnés des Cahiers du Cinéma. Car Hitch est la rencontre drôle entre deux grands réalisateurs, l'un au sommet de son art, l'autre débutant. Hitchcock s'amuse, sous le regard ironique de son épouse Alma, à mystifier et manipuler le jeune cinéaste transi d'admiration pour le Maître. Nous nous retrouvons en plein suspense hitchcockien avec un cadavre sur les bras et le pauvre François Truffaut en suspect Numéro 1! La mise en scène de Sébastien Grall est pétillante et les dialogues se dégustent comme un bon champagne, les anecdotes amusantes surgissent et derrière les sourires et les éclats de rire, se posent les réflexions sur la création cinématographique et sa place dans l'art. Pour rendre les dialogues savoureux, il fallait un trio d'excellents comédiens : Joe Sheridan est un Hitchcock plus vrai que nature, maniant avec brio l'humour. Patty Hannock, redoutable, nous fait découvrir le rôle prépondérant tenu par Alma Hitchcock dans la carrière de son mari. Quant à Mathieu Bisson, parfait dans le rôle de Truffaut, il tombe entre les mains de ce couple manipulateur mais finit par obtenir ce qu'il est venu chercher! Et la pièce s'achève par la première question posée dans le livre d'entretiens : Monsieur Hitchcock, vous êtes né….   Un pur régal !

Texte de Wens et de Claudialucia

Hitch 14H 
durée 1H20
Théâtre du Balcon
du 7 au 28 Juillet

dimanche 8 juillet 2012

Festival OFF Avignon 2012 : Fabrice Melquiot : Lisbeths à l'Essaïon

Lisbeths de Fabrice Melquiot


Lisbeths, (notez le pluriel) présentée à l'Essaïonau festival Off d'Avignon est un texte de Fabrice Melquiot, auteur de théâtre contemporain, d'abord connu pour ses textes destinés aux enfants  puis pour ses pièces en direction des adultes.

Tours. Dans un café, rue Michelet.
 Pietr est VRP. Lisbeth vient de quitter son mari. C'est le début d'une relation entre  deux êtres qui ne sont plus tout jeunes.La quarantaine a marqué leur corps: il a attrapé du ventre, elle porte les stigmates de la grossesse. Pour faire l'amour avec passion, ils se retrouvent dans le studio de Pietr à Paris ou dans des chambres d'hôtels.
Gare de la Rochelle. (Quelques mois plus tard).
 Pietr et Lisbeth s'aiment. Ils ont décidé de faire un enfant. Pietr  descend du train et ne reconnaît plus Lisbeth qui est venue l'attendre, c'est une inconnue. Une nouvelle Lisbeth  qui ressemble à l'ancienne.
 Suis-je le seul à – Sommes-nous les seuls ? D’autres femmes, d’autres hommes ont-ils subi la même - La même quoi ? »
Pietr est-il devenu fou ? Certainement pas. Pietr est marqué par la peur. Il  exprime les angoisses de tout homme devant la vie, l'amour, l'engagement, le fait de devenir père. Ces questions ne sont-elles pas plus fortes dans notre siècle commençant?
« Hommes et femmes du XXIè siècle. Que leur arrive-t-il, que nous arrive-t-il ? »

L'existence est déroutante, mystérieuse, inquiétante.
Mais la gravité du propos  est portée  par des mots simples  à l'image de  Pietr et Lisbeth (Lisbeths ?) qui ne se posent que "deux ou quatre questions" sur ce qu'ils sont. En fait sur leur raison de vivre. Et nous nous reconnaissons en eux. 


Mon avis
Le texte de Fabrice Melquiot est assez déroutant de prime abord, étrange, mystérieux, troublant, et nous ne savons pas toujours où il nous mène! C'est dire qu'il n'est pas facile! Mais il est en même temps envoûtant, le langage est beau, énigmatique et nous nous demandons si nous sommes dans la réalité ou l'imaginaire, la folie ou l'expression de nos angoisses? C'est par cette double entrée que nous devons chaque fois appréhender le texte. Cet enfant muet et anthropophage existe-t-il dans la vie de Lisbeth? A-t-elle eu un enfant ou non? L'un d'entre eux ment-il? L'un d'entre eux sombre-t-il dans la démence? Mais en même temps, nous nous apercevons que nous pénétrons dans les profondeurs de la conscience où se cachent les peurs intimes des personnages : Avons nous le droit de faire un enfant pour le livrer au monde ?  Avoir un enfant n'est-ce pas abandonner quelque chose de soi-même, se donner entièrement à un être qui se nourrit de nous? Connaissons-nous vraiment la femme ou l'homme avec qui nous partageons notre vie? La mise en scène tout en finesse et subtilité est précise, les gestes et les déplacements sont réglés rigoureusement, le décor sobre, jouant sur les éclairages. Les deux acteurs, excellents, servent avec aisance le texte comme s'il ne comportait aucune difficulté. J'ai aimé la manière dont ils font vivre, en faisant appel à l'imagination  du spectateur,  les lieux où ils se trouvent ou les personnages  à qui ils s'adressent comme Damien, cet ami à qui Pietr se confie. Un très bon spectacle!


Wens et moi, Claudialucia,  nous présenterons ensemble les pièces que nous allons voir au festival d'Avignon 2012 et nous donnerons notre avis personnel.

Avis de Wens : En effeuillant le chrysanthème ICI


Lisbeths de Fabrice Melquiot
metteur en scène Manuel Bouchard
Essaïon 
du 7 au 28 juillet à 20H50

samedi 7 juillet 2012

Festival OFF Avignon 2012 : La dame au petit chien au théâtre Notre-Dame


Gaëlle Merle et Jean-François Garreaud dans la dame au petit chien de Tchekhov

J'ai vu hier en avant-première (merci au théâtre de Notre-Dame) La dame au petit chien de Tchekhov avec Gaëlle Merle et Jean-François Garreaud.

La dame au petit chien est une nouvelle écrite par Anton Pavlovitch Tchekhov en 1889. Gourov, un homme marié, père de trois enfants, banquier, mène une vie terne et sans passion mais réglée. Pour se couler dans le moule social et obéir aux règles de son milieu, il a  dû abandonner sa vocation d'artiste en tant que chanteur d'opéra. Un jour, il rencontre Anna von Diederitz, la dame au petit chien, dans une station balnéaire de la mer Noire à Yalta. Elle aussi est mariée, sans amour, à un homme froid, distant, qu'elle connaît mal. Ce qui n'aurait pu être qu'un banal adultère se transforme bien vite en un amour sincère et tragique. Car peut-on si facilement abandonner son passé?

La nouvelle est écrite la sensibilité propre à Tchékov, ce qui n'exclut pas l'humour  même si  la tristesse et la nostalgie de ce qui ne pourra jamais être imprègnent l'oeuvre. Pour les besoins du théâtre elle a été adaptée par Claude Merle et mise en scène par Anne Bouvier.
Mon avis :
Cette adaptation de la pièce de Tchekov est réussie et servie par de très bons comédiens qui,  avec beaucoup de finesse, parviennent à nous faire sentir tout le poids douloureux d'un amour impossible, d'une vie qui est un échec parce que l'on est trop souvent prisonnier de conventions sociales, englué dans les responsabilités et dans l'incapacité de briser le carcan dans lequel on est enfermé!  C'est ce qui arrive à Gourov, déjà âgé, qui a des enfants à charge, une position sociale importante:  "Trop tard" dit souvent la dame au petit chien et le jeu des comédiens nous emplit de cette nostalgie que le théâtre de Tchekhov sait faire naître avec ces personnages tournés vers le passé, représentants d'un monde qui va disparaître, et qui sont dans l'incapacité d'agir. L'humour, discret du début de la pièce, cède donc bien vite la place au tragique de ces vies brisées qui passent à côté de l'essentiel.
Un petit bémol pour moi dans cette représentation. Je n'ai pas assez senti l'espace extérieur, celui que les personnages contemplent et admirent. Dans le théâtre de Tchekhov, en effet, l'extérieur est plus important que le décor sur scène. Il correspond au caractère contemplatif de ses personnages, il est un exutoire qui leur permet d'échapper par l'imagination et par le surgissement de la beauté à leur emprisonnement.  Ici, dans cette mise  en scène, l'océan, les vagues, la nature mais aussi les gens dont Anna imagine la vie sont présents par la parole. Mais il manque le pouvoir de suggestion. Les échanges entre les deux personnages qui se prêtent les jumelles pour mieux voir le paysage sont trop rapides, pas assez évocateurs. On ne laisse pas le temps au spectateur d'imaginer, de sentir l'odeur de la mer, le bruit des vagues, la couleur du soleil couchant ... Le tout manque donc un peu de poésie.
Un bon spectacle, donc, que j'ai apprécié, mais où il manque le quelque chose qui en ferait un coup de coeur.

Wens et moi-même, Claudialucia,  nous présenterons ensemble les pièces que nous allons voir au festival d'Avignon 2012 et nous donnons ensuite notre avis personnel.

Avis de Wens Voir En effeuillant le Chrysanthème ICI