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samedi 20 novembre 2010

Géraldine Brooks : La solitude du docteur March



Bien entendu le titre du livre de Géraldine Brooks : La solitude du docteur March* tient pour beaucoup dans mon envie de lire ce livre à tout prix.  En souvenir, bien sûr, du bonheur de cette lecture de mes jeunes années : Les Quatre filles du docteur March et ensuite parce que je trouvais de prime abord le sujet original. Jamais, en effet, je n'ai pensé au cours de mes lectures et relectures du roman de Louisa May Alcott que le docteur March avait une existence à lui, indépendante de sa famille; jamais je n'ai eu l'idée de me demander ce que pouvait éprouver cet homme pendant les combats de la guerre de Sécession, ce qu'il vivait au jour le jour, les convictions qu'il défendait. C'est donc avec une grande curiosité que j'ai abordé le roman. Pour écrire cette histoire de fiction, Geraldine Brooks dit s'être inspirée des journaux intimes laissés par Bronson Alcott, le père de Louisa May Alcott. On sait que cette dernière a pris pour modèle ses soeurs pour créer ses personnages, elle-même se cachant sous le nom de Jo. Cependant, Bronson Alcott reste éloigné par bien des points du personnage qui doit beaucoup à l'imagination de l'écrivain.
Au cours de l'intrigue, on retrouve donc the little women à travers les lettres de March quand il accuse réception des colis que sa femme et ses enfants lui envoient, quand il félicite l'une ou l'autre pour les progrès accomplis. Mais aussi à travers ses pensées qui s'envolent vers ses filles et qui nous permettent de retrouver les traits de caractère distinctifs de chacune, la timidité de Beth, le non-conformisme de Jo, les boucles blondes d'Amy, l'accomplissement de Meg... Nous retrouvons les évènements que nous connaissons, les cheveux coupés de Jo,  la maladie de Beth, le voyage entrepris par madame March lorsque son mari est blessé. De plus, nous complétons notre connaissance de la famille March, l'enfance pauvre du père, sa rencontre amoureuse avec celle qui allait devenir sa femme, son engagement dans la lutte anti-esclavagiste, son amour de jeunesse pour une belle esclave, Grace, qu'il va retrouver au cours de la campagne, un beau personnage qui est porte-parole du peuple noir accédant à une difficile émancipation...
Mais le roman n'est pas seulement écrit en référence avec le livre de Louisa Alcott. Il présente une réflexion profonde, porte sur la guerre et sur le monde un regard pessimiste et  désenchanté.
Ce qui intéresse Geraldine Brooks, c'est de nous montrer une réalité historique terrible, une guerre meurtrière, sans pitié, où les exactions ont lieu des deux côtés, où les véritables abolitionnistes, ceux qui se préoccupent réellement du sort des esclaves ne sont qu'une poignée. Le docteur March, aumônier, fervent idéaliste, va bien vite devenir un personnage dérangeant aux yeux des soldats et des officiers qui n'ont pas plus de considération pour les noirs que ce qu'en ont les sudistes. Ils les utilisent comme "prises de guerre" en les faisant travailler comme des bêtes dans les plantations pour un salaire dérisoire. Ce salaire est bien sûr la justification morale des yankees mais ne fait que remplacer une servitude par une autre. March découvre avec stupéfaction que les noirs ne sont encore une fois qu'un enjeu économique de part et d'autre et qu'ils sont toujours les victimes des deux côtés. L'assassinat par les confédérés des hommes, des femmes et des enfants noirs dans la plantation réquisitionnée par l'armée nordiste mais laissée sans protection va lui enlever toutes ses illusions sur la générosité des hommes.
Mais le pire, dans ce chemin de croix vécu par le docteur March, c'est aussi de se découvrir lui-même face aux tentations de la chair - n'oublions pas qu'il est pasteur -  mais, plus grave encore, face à la peur du combat, à la lâcheté, au désir de vivre quel qu'en soit le prix. Le pire, c'est de perdre le respect et l'amour de soi. Ainsi, lorsque le docteur March rentre dans son foyer, il n'est plus et ne sera jamais plus l'homme qu'il était quand il est parti.
Enfin, l'autre centre d'intérêt du roman intervient lorsque madame March, venue au chevet de son mari gravement blessé, prend la parole à son tour. C'est elle désormais qui donne son point de vue. Et l'on s'aperçoit combien cet homme et cette femme qui s'aiment pourtant d'un amour réel sont passés à côté l'un de l'autre, faute de se comprendre.
Un beau roman plein de gravité et de tristesse.

*La solitude du docteur March : prix Pulitzer 2006

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