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vendredi 10 avril 2015

Victor Hugo : L’art d’être grand père Lecture commune

Dans l'art d'e^tre grand père (1877) , Victor Hugo écrit des poésies sur Jeanne et Georges, ses petits enfants qu'il a accueillis à la mort deson fils Charles.
Victor Hugo, Jeanne et Georges

Le recueil L’art d’être grand père paraît à Paris le 14 mai 1877 et la rédaction des poèmes qui le composent s’étendent sur plusieurs années de 1870 à 1877. Victor Hugo y  parle de ses petits enfants, Georges et Jeanne, nés respectivement en 1868 et 1869, qu’il a recueillis à la mort de son fils Charles en 1871.

 L'innocence de l'enfance

Georges et Jeanne
En proposant l'art d'être grand père que je connais mal finalement, j’en prends conscience en le lisant, je me référais surtout à ces poèmes sur l’enfance qui nous montrent un Victor Hugo intimiste, délicieux, tendrement occupé à l’éducation et surtout à la contemplation de ses petits enfants.  Un recueil où il célèbre l'innocence et la pureté de l'enfance.

 Jeanne fait son entrée 


Jeanne parle ; elle dit des choses qu'elle ignore ;

Elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore,

A la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament,

A l'immense nature un doux gazouillement,

Tout un discours, profond peut-être, qu'elle achève

Par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve,

Murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé,

Dieu, le bon vieux grand-père, écoute émerveillé.   
                                         Livre I  A Guernesey :


 Le thème du pardon et l'amnistie des Communards

Mai 1876 (source)
Mais le poète présente aussi dans ce recueil ses idées et ses convictions politiques et religieuses. Victor Hugo est toujours profondément ancré dans son temps. Derrière l’émerveillement du grand père, derrière les thèmes de l’enfance apparaissent en filigrane ses préoccupations sur l’actualité :  ainsi le thème récurrent du pardon qu’il accorde si volontiers à Jeanne reflète ses prises de position politique en faveur de l'amnistie des communards. Victor Hugo présentera une proposition d'amnistie en Mai 1876 mais celle-ci ne sera adoptée qu'en 1880. Le poème de Jeanne était au pain sec peut ainsi recevoir une double lecture.

Jeanne était au pain sec

 
Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,

Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,

J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,

Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
 
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,

Repose le salut de la société

S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :

— Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;

Je ne me ferai plus griffer par le minet.

Mais on s'est recrié : — Cette enfant vous connaît ;

Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.

Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.

Pas de gouvernement possible. A chaque instant

L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;

Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.

Vous démolissez tout. — Et j'ai baissé la tête,

Et j'ai dit : — Je n'ai rien à répondre à cela,

J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là

Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.

Qu'on me mette au pain sec. — Vous le méritez, certe,

On vous y mettra. — Jeanne alors, dans son coin noir,

M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,

Pleins de l'autorité des douces créatures :

— Eh bien' moi, je t'irai porter des confitures.

                                            Livre VI Grand âge et bas âge mêlés


L'indignation de la famille devant l'indulgence du grand père est le reflet de l'opprobre que subit Victor Hugo prenant le parti du pardon pour les Communards : L'ordre est troublé par vous. Le refus de l'amnistie semble justifié par les vers Oui, c'est avec ces indulgences-là
 / Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
 La punition du grand père est celle du Victor Hugo engagé dans la vie publique qui dénonce les massacres des communards s'attirant les foudres de la classe dominante et qui fut même banni de Belgique pour avoir affirmé sa solidarité envers eux.

 L'Immaculée conception et la défense de la Femme

L'Immaculée conception de Giovanni Battista Tiepolo, peintre italien 1696-1770
L'Immaculée conception de Giovanni Battista Tiepolo

 Victor Hugo  s’élève aussi contre l’Immaculé conception et prend ainsi la défense de la femme, luttant contre la misogynie de l’église catholique et du clergé. En 1854, en effet, le dogme de l’Immaculée Conception est proclamé par l’Encyclique Ineffabilis deus. Dire que la Vierge a été conçue sans péché revient à affirmer que toutes les autres femmes sont souillées, s’indigne Victor Hugo :

Ô femmes, sur vos fronts ils mettent d'affreux doutes.
Le couronnement d'une est l'outrage de toutes.


Mais ce dogme est aussi pour le poète une offense à l’innocence de l’enfance. Dans le recueil Victor Hugo s’insurge donc à plusieurs reprises contre l’aberration de ce dogme, reflet de la haine et du mépris des femmes par des hommes qui détiennent le pouvoir religieux. Cela donne lieu à de très beaux vers ardents et pleins d’émotion

 L’immaculée Conception

Ô Vierge sainte, conçue sans péché !
(Prière chrétienne.)

 
L'enfant partout. Ceci se passe aux Tuileries.

Plusieurs Georges, plusieurs Jeannes, plusieurs Maries ;

Un qui tette un qui dort ; dans l'arbre un rossignol ;

Un grand déjà rêveur qui voudrait voir Guignol ;

Une fille essayant ses dents dans une pomme ;

Toute la matinée adorable de l'homme ;

L'aube et polichinelle ; on court, on jase, on rit ;

On parle à sa poupée, elle a beaucoup d'esprit ;

On mange des gâteaux et l'on saute à la corde.

On me demande un sou pour un pauvre ; j'accorde

Un franc ; merci, grand-père ! et l'on retourne au jeu,

Et l'on grimpe, et l'on danse, et l'on chante. 
Ô ciel bleu !
C'est toi le cheval. Bien. Tu traînes la charrette,

Moi je suis le cocher. A gauche ; à droite ; arrête.

Jouons aux quatre coins. Non ; à colin-maillard.

Leur clarté sur son banc réchauffe le vieillard.

Les bouches des petits sont de murmures pleines,

Ils sont vermeils, ils ont plus de fraîches haleines

Que n'en ont les rosiers de mai dans les ravins,

Et l'aurore frissonne en leurs cheveux divins.

Tout cela c'est charmant. 
— Tout cela c'est horrible !
C'est le péché !
  


Lisez nos missels, notre bible,
L'abbé Pluche, saint Paul, par Trublet annoté,
Veuillot, tout ce qui fait sur terre autorité.
Une conception seule est immaculée ;
Tous les berceaux sont noirs, hors la crèche étoilée ;
Ce grand lit de l'abîme, hyménée, est taché.
Où l'homme dit Amour ! le ciel répond Péché !
Tout est souillure, et qui le nie est un athée.
Toute femme est la honte, une seule exceptée.


                                  Livre VII L'immaculée conception (extraits)


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10 commentaires:

  1. C'est le VH humaniste que je préfère, en guerre presque toute sa vie pour la peine de mort, écrivant à la Reine Victoria pour qu'elle gracie des irlandais condamnés à mort !! Quel homme et quel écrivain
    A part ça je sais encore par coeur plusieurs poèmes de l'art d'être grand-père appris dans l'enfance ils ne s'oublient pas

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    1. C'est vrai moi aussi! Mais ce que je ne savais pas, bien sûr, c'est la lecture au second degré que l'on pouvait faire de l'art d'être grand père!

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  2. Bel invitation à découvrir un VH que je ne connait pas, surtout que l'heure d'être grand-père à sonné pour et que Charles (coîncidence !) n'a que 2 ans et demi: dèjà quelques bribes d'un poême s'immiscent et entrent en scéne, en notre scéne:
    ...
    Charle a tranquillement dispersé ses grimoires.
    Ce chevreau, le caprice, a grimpé sur les vers.
    Le livre, c'est l'endroit ; l'écolier, c'est l'envers.
    Sa gaîté s'est mêlée, espiègle, aux stigmates
    Du vengeur qui voulait s'enfuir chez les Sarmates.
    Les barbouillages sont étranges, profonds, drus.
    Les monstres ! Les voilà perchés, l'un sur Codrus,
    L'autre sur Néron. L'autre égratigne un dactyle...

    Merci ClaudiaLucia.

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    1. Pauvre Charle! Il sera puni. Heureusement que le poète sorti du livre vient à son secours!

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  3. Comme toi, je pensais que ce recueil ne contenait que les poèmes si connus et si beaux du grand homme. La double lecture de "Jeanne au pain sec" est claire lorsqu'on sait de quoi il parle. Et sa défense de la femme .. il a des côtés extrêmement sympathiques Victor :-)

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  4. Mais oui, des côtés sympathiques et du côté du peuple , des faibles et il est profondément sincère! Même si c'est un grand bourgeois, il prend toujours la défense de ceux qui sont opprimés!

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. Comme j'aime ce double langage de "Jeanne était au pain sec!"
    Quant au second poème choisi, il est terrible.

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  7. j'avais lu ce recueil il y a quelques années, j'avais apprécié cette lecture!

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  8. J'aime bien Jeanne au pain sec qui est un souvenir très lointain mais je n'aurais pas été capable de l'analyse que tu donnes!

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